Il me semble que j’ai de plus en plus d’accrochages avec Mathieu. Il y a quelque chose en lui que je n’arrive pas à saisir et ça me fait freaker.
Comme prévu, je suis allée à la piscine. J’ai enfilé mon maillot et je suis allée le rejoindre. Quand je suis arrivée, les derniers baigneurs sortaient.
Il était content de me voir et moi aussi. Mais j’avais juste en tête l’argent que je dois lui remettre. Je me suis dit que j’allais le faire en fin de soirée.
Je l’ai aidé à tout ramasser et ses deux autres camarades sont partis, Mathieu leur ayant dit qu’il pouvait fermer seul.
– Tu viens dans le SPA avec moi ? il m’a demandé.
– Nan, j’ai pas trop le goût.
– Allez. Juste quelques minutes.
– D’accord. Ça va peut-être déboucher ma narine.
Je suis contente d’avoir fait ma part pour créer un moment romantique en parlant de ma narine récalcitrante.
L’eau était chaude, mais pas trop. Je n’aurai pas besoin d’une greffe de peau, cette fois.
Dès qu’on a été tous les deux assis, il s’est approché et on s’est embrassés. Il a promené ses doigts sur mes mollets, mes cuisses et mon ventre. Puis il a mis une main sur un de mes seins. J’ai éloigné ma bouche de la sienne.
– Qu’est-ce que tu fais ?
Il a retiré sa main.
– Je te caresse.
Je me suis dit qu’il s’était essayé pour voir ma réaction. Il n’est pas idiot, il a constaté que je ne voulais pas qu’il me touche là.
On s’est embrassés de nouveau. Cette fois, il a baissé une des bretelles de mon maillot de bain.
J’ai de nouveau détaché mes lèvres des siennes.
– Je peux savoir ce que tu fais ?
– Rien, il a dit en poursuivant.
J’ai repoussé sa main et remis ma bretelle à sa place.
– Ne fais pas ça.
– Pourquoi pas ? Je veux voir ton corps.
– Non.
– Allez. On est seuls. Je vais aussi retirer mon maillot.
– Mathieu, je ne veux pas.
– Allez, je te ferai pas mal. Laisse-toi faire.
– Je sais que tu ne me feras pas mal. Je veux juste pas.
– Pourquoi ?
– Parce que. Parce que je ne suis pas prête.
– Je ne veux pas faire l’amour, je veux juste caresser ta peau. Je n’arrête pas de penser à ça. Tu es tellement belle. Tellement désirable.
Je me suis levée et je suis sortie du SPA.
– Nam ? Qu’est-ce que tu fais ?
– Je m’en vais.
Il m’a imitée en se levant à son tour.
– Attends ! Je voulais pas te brusquer.
Au pas de course, il m’a rattrapée et m’a arrêtée en posant sa main sur mon bras.
– Te fâche pas, Nam. Je suis désolé. Je voulais juste… Juste explorer. Tu me fais capoter tellement tu m’allumes.
– Eh bien, va prendre une douche d’eau froide. Quand t’as touché mon sein, je t’ai dit non. Qu’est-ce que t’as pas compris ?
– Je sais, j’aurais pas dû. Je suis vraiment désolé.
J’en ai profité pour incorporer dans la conversation ce qui me titillait depuis mon arrivée.
– Et je vais te redonner ton argent.
– Pourquoi ? C’est un cadeau.
– Je suis mal à l’aise. T’es pas net, Mathieu. 300 dollars, c’est trop. Je t’aimerais même si tu n’avais pas un sou.
Il a fait un pas à reculons.
– Je sais. Pourquoi tu dis ça ?
– Parce que j’ai l’impression que tu veux m’acheter. La montre, la bague et maintenant, l’argent.
– C’est blessant ce que tu viens de dire.
– Je veux pas te faire mal. Mais tout ça, c’est suspect. Comprends-moi.
– Si j’étais à ta place, je dirais merci. Y’a pas une fille qui est aussi gâtée que toi à l’école.
– Je ne veux pas être gâtée et je me fous des autres filles. Je veux juste qu’on s’aime, sans artifice. Tu comprends ?
J’ai vu que je venais de l’atteindre. Il n’était pas fâché, il était plutôt triste.
– C’est juste pour te faire plaisir que je fais ça.
Je me suis rapprochée et j’ai collé ma poitrine contre la sienne.
– Je sais. Mais… Je sais pas comment te dire. Tout cet argent… Ce n’est pas normal. Si t’étais un fils de riche comme ton cousin ou je sais pas, un avocat, je comprendrais. Mais tu travailles ici, quasiment au salaire minimum, maximum 16 heures par semaine. Je me demande vraiment d’où te vient tout cet argent.
Il m’a repoussée et il est allé s’asseoir sur le bord de la piscine. Je suis allée le retrouver. Il a baissé la tête et l’a appuyée sur ses mains.
– Je ne peux pas te le dire.
– Pourquoi ?
– C’est trop difficile. Personne ne sait.
– Dis-le-moi. Fais-moi confiance. Ça restera entre toi et moi.
– Non. Tu vas moins m’aimer.
– Voyons, Mathieu. Je t’aimerai toujours, pour l’éternité.
– Non. Je sais que tu vas moins m’aimer. C’est… C’est honteux.
Un flash est apparu dans ma tête : il vend son corps ! Les « rendez-vous » mystérieux, c’est pour rencontrer des clients ! Je ne pouvais pas garder cette révélation pour moi :
– Tu te prostitues, c’est ça ?
Il a relevé la tête et quand il s’est aperçu que j’étais sérieuse, il s’est esclaffé.
– Ha ! Ha ! Ce n’est pas si honteux, quand même.
J’ai été soulagée une demi-seconde, puis mon cerveau s’est remis en marche à 5 000 tours par minute.
– Alors c’est quoi ? C’est illégal ?
Il n’a rien dit. J’ai insisté :
– Allez, dis-le-moi.
Il m’a regardée dans le blanc des yeux :
– Je ne suis pas prêt, Nam. Tu peux comprendre ça, non ?
(…)
Nous avons marché jusqu’à l’arrêt d’autobus. Je lui ai donné un baiser du bout des lèvres.
On ne s’est pas quittés en mauvais termes, mais les vibrations étaient biz.
Il va trop vite. Je ne suis pas prête à aller plus loin que les caresses et les baisers. Ça me suffit amplement.
En plus, on était dans un endroit public. Si un de ses camarades de travail était revenu, je serais morte de honte.
Il va falloir qu’il comprenne. Pas le goût, chaque fois qu’on est seuls, d’avoir à le repousser. Ça casse une atmosphère. Mathieu est frustré et moi, eh bien, je me sens coupable.
Je ne lui ai jamais demandé s’il était allé plus loin avec une fille. J’imagine que oui, il a l’air pas mal plus expérimenté que moi.
Je ne veux pas être comparée aux autres blondes qu’il a eues. On a chacune notre rythme. C’est pas une compétition. Et c’est tellement personnel.
Il n’y a pas de norme. Comme à un an et demi, tu dois savoir marcher, à deux ans, tu dois être propre, à cinq ans, tu dois savoir écrire ton nom et à 14 ans, eh bien, tu dois avoir fait la totale avec un gars. C’est trop vite et c’est trop tôt.
Je ne suis pas encore super à l’aise avec mon corps, en plus. Et le fait que Mathieu insiste, ça me met encore plus de pression. Je ne veux pas avoir à repousser sans cesse ses avances.
J’espère que j’ai été assez claire avec lui.
Cela dit, tout n’est pas perdu, mes narines sont débouchées.
(…)
Il y a aussi cette histoire d’argent qui commence à peser lourd.
Pourquoi il aurait honte ?
J’y repense et il n’a rien dit quand je lui ai demandé si c’était illégal. Donc je suppose que ce l’est.
Schnoute de schnoute. Je ne me sens pas bien.
Avec tout ça, je ne lui ai même pas remis les 300 dollars.
(…)
Pop est revenu de l’hôpital. Les nouvelles sont bonnes, Mom va beaucoup mieux. Elle a même eu faim et elle a mangé. Yé !
Le médecin a dit que le traitement était trop agressif et que son corps ne pouvait pas le supporter. Faudra rajuster les doses.
La maladie de Mom me permet de découvrir une facette de mon père. Je suis habituée à le voir silencieux et impatient. Un peu bougon, aussi. Et toujours à couteaux tirés avec Fred, comme s’il n’était pas fier d’être son père.
C’était plus ses défauts que je remarquais, surtout depuis que je suis ado. Je me suis rendu compte que c’est un humain qui a des travers, ce que je ne voyais pas quand j’étais plus petite. Pour moi, il était le plus parfait des papounets !
Son père, mon grand-père paternel, était alcoolique. Mom m’a raconté que Pop, alors qu’il avait environ huit ans, devait aller le chercher à la taverne du quartier pour le souper. Au retour, il devait soutenir son père pour l’empêcher de tomber en marchant. Et ce, tous les jours de l’année.
Il était violent, aussi. Je ne connais pas les détails, mais dès que quelque chose ne faisait pas son bonheur, il frappait.
Même s’il est mort bien avant ma naissance, Pop souffre encore du père qu’il a eu. La plupart de ses souvenirs d’enfance sont comme ça, tellement tristes.
Son père ne lui a jamais dit qu’il l’aimait. Il ne l’a jamais serré dans ses bras, n’a jamais assisté à un de ses matchs de hockey, ne s’est jamais intéressé à ses résultats à l’école.
Pop a beaucoup changé depuis que Mom est malade. Il essaie de lui remonter le moral, il est de bonne humeur, il fait des blagues, il est super positif.
Mieux encore, on a renoué les liens qu’on avait, lui et moi.
Tantôt, il s’est assis sur mon lit et on a discuté. Après avoir parlé de Mom, il m’a demandé quels sont mes cours préférés, comment sont mes profs, comment ça se passe avec mon chum. Il s’intéresse à moi et j’aime ça.
Avant de sortir de ma chambre, il m’a assuré que Mom allait s’en sortir. Il le ressent « dans ses tripes », comme il dit.
Je me sens en sécurité avec lui. Rien ne peut m’arriver.
Il est minuit et demi. Je vais lire un peu et dormir.