TROISIÈME LETTRE DE MÉNAGE

Depuis cinq jours, je ne vis plus à cause de toi, à cause de tes lettres stupides, de tes lettres de sexe et non d'esprit, de tes lettres remplies de réactions de sexe et non de raisonnements conscients. Je suis à bout de nerfs, à bout de raisons ; au lieu de me ménager, tu m'accables, tu m'accables parce que tu n'es pas dans la vérité. Tu n'as jamais été dans la vérité, tu m'as toujours jugé avec la sensibilité de ce qu'il y a de plus bas dans la femme. Tu refuses de mordre à aucune de mes raisons. Mais moi, je n'ai plus de raisons, je n'ai pas d'excuses à te faire, je n'ai pas à discuter avec toi. Je connais ma vie et cela me suffit. Et au moment où je commence à rentrer dans ma vie, de plus en plus tu me sapes, tu recommences mes désespoirs ; plus je te donne de raisons d'espérer, de prendre patience, de me supporter, plus tu t'acharnes à me ravager, à me faire perdre les bénéfices de mes conquêtes, moins tu es indulgente à mes maux. Tu ne sais rien de l'esprit, tu ne sais rien de la maladie. Tu juges tout sur des apparences extérieures. Mais moi, je connais, n'est-ce pas, mon dedans ; et quand je te crie il n'y a rien en moi, rien dans ce qui fait ma personne, qui ne soit produit par l'existence d'un mal antérieur à moi-même, antérieur à ma volonté, rien dans aucune de mes plus hideuses réactions qui ne vienne uniquement de la maladie et ne lui soit, dans quelque cas que ce soit, imputable, tu en reviens à quelqu'une de tes misérables ratiocinations, tu recommences le déballage de tes mauvaises raisons qui s'attachent à des détails infimes de moi-même, qui me jugent par le petit côté. Mais quoi que j'aie pu faire de ma vie, n'est-ce pas, cela ne m'a pas empêché de repénétrer lentement dans mon être, et de m'y installer chaque jour un peu plus. Dans cet être que la maladie m'avait enlevé et que les reflux de la vie me restituent morceau par morceau. Si tu ne savais à quoi je m'étais livré pour restreindre ou supprimer les douleurs de cette séparation intolérable, tu supporterais mon déséquilibre, mes heurts, l'instabilité de mes humeurs, cet effondrement de ma personne physique, ces absences, ces écrasements. C'est parce que tu t'imagines qu'ils sont dus à l'emploi d'une substance dont l'idée seule emporte ton raisonnement que tu m'accables, que tu me menaces, que tu me jettes, moi, dans l'affolement, que tu saccages, avec tes mains de colère, la matière même de mon cerveau. Oui, tu me fais me buter contre moi-même, chacune de tes lettres partage en deux mon esprit, me jette dans des impasses insensées, me crible de désespoirs, de fureurs. Je n'en puis plus, je te crie assez. Cesse de penser avec ton sexe, absorbe enfin la vie, toute la vie, ouvre-toi à la vie, vois les choses, vois-moi, abdique, et laisse un peu que la vie m'abandonne, se fasse étale en moi, devant moi. Ne m'accable plus. Assez.