Chapitre 3

Gabriel était toujours en train de protester lorsque je pris l’allée qui menait à la résidence située dans l’est de Kennewick où vivaient sa mère et ses sœurs.

— Écoute, lui répétai-je encore une fois, s’ils connaissent toute la meute, alors ils savent pour Jesse et toi, et ils vont deviner que je vous ai réunis. Ils sauront aussi que tu n’adresses plus la parole à ta mère depuis Noël dernier. Ils connaîtront son sentiment à propos des loups-garous.

Sylvia Sandoval avait été interviewée par la presse locale lors de notre mariage, à Adam et à moi, quelques mois plus tôt, parce que son fils travaillait pour moi et qu’Adam était une célébrité dans le coin. Elle n’avait pas mâché ses mots concernant son opinion sur les loups-garous.

— Ils ne la penseront jamais capable d’offrir protection à la fille de l’Alpha, ajoutai-je.

— Mais elle refusera, répliqua-t-il.

Je lui souris.

— Si j’ai raison, c’est toi qui nettoieras les toilettes du garage la prochaine fois. Si j’ai tort, c’est moi qui le ferai.

Il ferma les yeux en secouant la tête.

— Elle t’aime, lui rappelai-je en sortant de la voiture. Sinon, elle ne serait pas si obstinément en colère.

Je n’avais pas besoin de lui parler de la conversation que j’avais eue avec Sylvia juste avant qu’il quitte le lycée. C’était différent : cette fois-ci, ce n’était plus Sylvia contre les loups-garous. Cette fois-ci, j’allais faire dans la diplomatie et éviter de me barrer en hurlant « OK, si vous êtes trop fière pour demander pardon, il restera avec moi ! » à pleins poumons.

Je lui avais envoyé l’annonce de la remise des diplômes. Elle était venue, mais était restée au fond. Elle avait attendu d’être sûre qu’il l’avait vue, puis elle était partie. Elle n’avait pas voulu, m’avait dit sa fille aînée, que Gabriel reçoive son diplôme sans avoir sa mère dans la salle. C’était pour cette raison que je savais qu’elle accepterait de prendre les gamins en charge.

— Je ne veux causer aucun problème, dit Jesse. Pourquoi ne m’emmènes-tu pas chez Kyle ou alors… je pourrais dormir chez Carla ?

Jesse avait perdu pas mal d’amis au moment du coming out des loups-garous, quand tout le monde avait appris qui était son père. Il y avait des rumeurs comme quoi certains parents avaient retiré leurs enfants du lycée du coin et qu’ils les emmenaient jusqu’à Richland rien qu’à cause de Jesse. D’autres ados la suivaient partout, juste pour parler de loups-garous. Carla faisait partie de cette bande, et Jesse essayait autant que possible de l’éviter, même si elles se connaissaient depuis la maternelle.

— La maison de Kyle, c’est le premier endroit où ils iront regarder, fis-je remarquer.

Il fallait aussi que je m’assure que Kyle allait bien.

— Nous n’avons aucun allié assez puissant pour nous protéger du gouvernement, alors la meilleure chose à faire c’est de rester cachés à un endroit où personne ne vous cherchera.

Je ne fis même pas mention de Carla.

— Finissons-en, soupira Gabriel.

Il sortit de la voiture et se dirigea vers l’appartement de sa mère avec l’enthousiasme du marin condamné à mort avançant le long de sa planche. Oubliant tous ses doutes et la gêne de devoir rester là où on ne voulait pas d’elle, Jesse courut vers Gabriel et lui prit la main.

Je regardai Ben. Il s’allongea sur la banquette arrière avec un soupir. La présence d’un loup-garou dans son appartement ne risquait pas de rendre Sylvia plus coopérative. Je l’enfermai donc dans la voiture et emboîtai le pas aux deux adolescents.

 

Gabriel resta immobile quelques instants devant la porte avant de frapper doucement. Rien ne se produisit. Il faisait toujours nuit, tout le monde était probablement en train de dormir. Il frappa de nouveau, plus fort cette fois-ci.

Une lumière s’alluma, la porte s’entrouvrit et livra passage à la tête d’une adolescente. Cela faisait un an que je n’avais plus vu les filles, en dehors de Tia qui venait parfois discrètement nous rendre visite. Tia ressemblait à sa mère, mais cette sœur-là était une version féminine de Gabriel, ce qui me dit qu’il s’agissait de Rosalinda, même si ses traits s’étaient affirmés et qu’elle avait grandi depuis la dernière fois que je l’avais vue. Elle se figea un instant, puis ouvrit grand la porte et se jeta sur son frère. Il la serra dans ses bras si fort qu’elle poussa un couinement.

L’appartement de Sylvia était propre et bien entretenu, sous le désordre qui s’accumule toujours dans un foyer plein d’enfants. Les meubles étaient mal assortis et usés : Sylvia était mère célibataire, et faisait subsister sa famille sur une paie d’opératrice de standard de police. Cela ne lui laissait pas beaucoup de marge pour les futilités, mais ses enfants ne manquaient certainement pas d’amour. Ils avaient tous formé une famille heureuse jusqu’à ce jour où Gabriel et elle n’étaient plus parvenus à un compromis.

— Qui frappe à la porte à cette heure ?

La voix de Sylvia retentit des profondeurs de l’appartement.

— C’est mi hermano, répondit la jeune fille d’une voix étouffée par l’épaule de son frère. Oh, Mami, c’est Gabriel.

Rosa recula d’un pas, mais le saisit par la main et l’entraîna vers le salon.

— Entre, entre. Ne sois pas bête. Salut Jesse. Salut Mercy. Je ne vous avais pas vues, derrière Gabriel, entrez.

Elle marmonna ensuite quelque chose en espagnol. Elle devait se parler à elle-même.

Je ne compris pas ce que ça signifiait, mais Gabriel la fusilla du regard.

— Ne parle pas ainsi. Pas à propos de Mamá. Elle mérite ton respect, chica.

— Vraiment ? demanda Sylvia.

Je ne me souvenais pas de l’avoir jamais vue avec un cheveu de travers, et même à cette heure indue, sa chevelure était lisse et brillante. Sa seule concession à l’heure matinale était une robe de chambre bleu marine. L’air sévère, elle croisa les bras et fit mine de ne pas nous voir, Jesse et moi.

— Bien sûr, Mamá, répondit Gabriel d’une voix douce.

Elle contempla son fils en levant le menton, les lèvres pincées. Rosa se tortilla en les regardant elle et lui tour à tour avant de saisir de nouveau la main de Gabriel.

— Tu as choisi des étrangers plutôt que ta famille, finit par dire Sylvia. Je t’ai demandé de choisir : soit tu restes travailler pour Mercedes Thompson, soit tu rentres à la maison tout de suite. Tu l’as choisie, elle. Où est le respect là-dedans ?

Il laissa échapper un ricanement amer.

— Je t’avais bien dit que ça ne marcherait pas, Mercy.

Rosa émit un petit bruit de gorge en voyant Gabriel faire volte-face et s’éloigner rapidement. Arrivé à la porte, il se retourna et dit :

— Mamá, tout est toujours tout noir ou tout blanc pour toi, mais le monde est plein de nuances de gris. Tu m’as demandé d’abandonner mes amis parce que tu les pensais dangereux. La vie est dangereuse. Je refuse d’abandonner mes amis, qui sont des gens bien, à cause de ma peur. Ou de la tienne.

— Elle a mis mes enfants en danger, rétorqua Sylvia en me désignant d’un geste du menton.

La colère froide qui l’animait lorsqu’elle était entrée dans la pièce commençait à laisser place à une fureur plus passionnée.

— Elle m’a menti. Et tu l’as choisie.

— Mercy ne peut pas trahir les secrets des autres, Mamá. Et ce loup était plus susceptible de se jeter dans l’océan du haut d’une falaise que de faire du mal aux petites. Elle a grandi avec lui, elle le connaît.

Gabriel s’exprimait avec douceur, mais sa posture ressemblait beaucoup à celle de sa mère, ce qui rendait toute chance de réconciliation improbable, à plus forte raison s’ils n’arrêtaient pas de parler de l’incident qui avait poussé Gabriel à venir vivre chez moi sans plus adresser la parole à sa mère.

— Vous aviez raison, intervins-je d’un ton affable. C’est dangereux de nous fréquenter. Quelqu’un en a après Jesse.

J’ignore pourquoi je le formulai ainsi. Je n’avais aucune raison de croire qu’ils allaient tenter d’enlever Jesse : ils semblaient bien assez occupés en l’état. Mais j’en étais instinctivement certaine, et j’avais appris à me fier à mon instinct.

— Ils ont déjà kidnappé son père et tué l’un de ses loups, ajoutai-je.

— Tu vois, hijo ? Voilà ce qui se passe quand on s’associe aux loups-garous, s’écria Sylvia, mais je vis son regard s’attarder sur Jesse.

Sylvia avait une grande gueule, mais le cœur aussi grand que le Columbia. Elle avait aussi quatre filles, dont la plus vieille n’avait que quelques mois de moins que Jesse.

— Son père est un loup-garou, répliqua Gabriel en ne voyant pas que sa mère se radoucissait. Pas simple pour elle de les éviter.

Je posai la main sur son bras, pour l’empêcher de continuer sur la voie de l’hostilité, mais c’était une erreur. Sylvia vit mon geste, et son expression se durcit.

— Ceux qui en veulent à Jesse sont humains, m’empressai-je d’ajouter avant qu’elle puisse dire quelque chose qu’elle regretterait. Ni des loups-garous, ni des faes ou quoi que ce soit d’« autre ». Des humains qui ont bien l’intention de lui faire du mal. Et l’homme que vous avez élevé est incapable de laisser quelqu’un qu’il aime affronter seul le danger, pas plus qu’il n’a pu abandonner ses amis seulement parce que c’était la chose la plus intelligente et prudente à faire. Pas même si sa mère le lui demandait… parce que c’est elle qui lui a appris comment aimer autrui. Du coup, lui aussi est en danger. N’allez-vous donc pas accepter de les cacher pendant quelques jours pour qu’ils soient en sécurité ?

Sylvia planta son regard droit dans le mien. Puis elle laissa échapper un petit rire, et elle secoua la tête, l’air radouci.

— Un compliment glissé dans une réprimande, elle-même à l’intérieur d’une demande que je ne peux pas refuser. Laisser un enfant en danger ? Laisser mon enfant… (Gabriel poussa un cri de protestation.) Tu seras toujours mon enfant, même à cinquante ans, quand j’en aurai soixante-dix, hijo, alors autant l’accepter aussi tôt que possible. Je ne vais pas laisser mon fils, que j’aime, affronter seul le danger par fierté mal placée. Même moi je ne suis pas si stupide que ça. Oomph.

Le « Oomph », c’était parce que Gabriel l’avait prise avec force dans ses bras, les yeux brillants de larmes qu’il ne laisserait pas couler, car c’était un homme qui évitait de pleurer devant les autres s’il le pouvait. Au même moment, un couinement se fit entendre dans une des chambres. Mes oreilles m’avaient déjà dit que les filles étaient toutes réveillées et écoutaient. Elles avaient visiblement attendu la décision de leur mère avant de décider d’une action éclair, et la pièce fut soudain remplie de Sandoval.

Je leur racontai toute l’histoire. Elles allaient prendre Jesse sous leur protection, elles méritaient donc de tout savoir.

Quand j’en eus terminé, Sylvia secoua la tête.

— Mais où va ce pays ? demanda-t-elle. Mi papá, votre abuelo doit se retourner dans sa tombe. Il est mort pour la patrie, pour défendre le bien, la justice et la liberté. Ça l’attristerait tellement.

— Si c’est le gouvernement, intervint Tia, la plus âgée des sœurs de Gabriel, alors vous feriez mieux de vous débarrasser de vos téléphones. Ils peuvent les localiser, vous savez.

— Déjà fait, approuva Gabriel. Le mien est resté chez moi, et nous avons détruit ceux de Mercy et de Jesse avant de venir ici.

— Adam semblait penser qu’il ne s’agissait pas d’agents du gouvernement, répétai-je. Même s’ils avaient des badges qui semblaient authentiques.

Rosalinda se leva d’un bond et partit en courant dans l’une des chambres. Elle en revint avec un téléphone portable dans un étui rose à paillettes.

— Tiens, Mercy. Tu auras besoin d’un téléphone. Personne ne pensera à rechercher celui-ci.

— Merci, Rosa, lui dis-je.

— Merci d’avoir pris soin de mon frère, et de lui avoir donné un toit, répondit-elle solennellement.

— Tu dis ça surtout parce que les petites ont emménagé dans ma chambre quand je suis parti, fit remarquer Gabriel. Tu n’as pas envie que je revienne, du coup.

— Eh bien oui, le taquina-t-elle. Ça aussi, c’était gentil de la part de Mercy.

Il lui ébouriffa les cheveux et se tourna vers moi.

— Ben doit commencer à s’inquiéter.

— Il faut que j’y aille, acquiesçai-je.

— Fais attention, dit Jesse.

— Promis, la rassurai-je.

 

Je repris la Mercedes en direction de West Richland et de la maison de Kyle. Ben resta sur la banquette arrière, là où le cuir était protégé. La voiture était un peu exiguë pour lui. Le siège était trop étroit, ainsi que l’espace au sol. Il avait arrêté de saigner, mais il n’arrivait pas à s’appuyer sur sa patte blessée.

Warren devait avoir passé la soirée chez lui avec Kyle. Adam avait senti l’odeur de Warren sur les hommes qui avaient enlevé la meute. Ça signifiait donc qu’ils l’avaient eu, lui aussi, or Kyle n’avait appelé ni Adam, ni moi. Ça ne pouvait vouloir dire qu’une chose : soit Kyle avait des ennuis, soit ils avaient emmené Warren sous un prétexte qui n’avait pas semblé suspect à son compagnon. Malheureusement, la première hypothèse était la plus probable.

Je mis la radio pour écouter les infos. Il était un peu tard, ou plutôt un peu tôt le matin, pour avoir de vraies nouvelles, mais on avait enlevé Mary Jo alors qu’elle était de permanence comme pompier. Si l’ennemi s’en était pris à ses collègues, on en entendrait sans aucun doute parler. Ce serait une idée stupide de leur part, mais des gens qui s’attaquent à une meute entière de loups-garous sont soit très stupides, soit très puissants. J’étais prête à parier que, si quelqu’un avait enlevé un pompier – ou tué un groupe d’entre eux –, il y aurait une édition spéciale à la radio, même à cette heure-là.

Sur la route, j’utilisai le portable bling-bling de Rosa pour rappeler Elizaveta, la sorcière, sans obtenir la moindre réponse. Puis j’essayai de contacter Stefan.

Le fait d’avoir appelé la sorcière en premier, alors qu’elle ne m’aimait pas, en disait long sur l’ambivalence de mes sentiments à propos de Stefan. Si Stefan avait encore appartenu à l’essaim local, j’aurais eu une bonne excuse pour mon hésitation. Mais Marsilia avait trahi Stefan dans le seul but de conserver sa place de maîtresse de l’essaim. La politique vampirique fait passer la danse compliquée du protocole lycanthrope pour un jeu d’enfant.

Elle les avait torturés, lui et sa ménagerie, à la suite d’accusations factices, pour que les traîtres se rapprochent de lui et ainsi se trahissent. Il l’avait servie des siècles durant, et elle savait donc qu’il ne s’allierait jamais aux cinglés qui avaient été montés contre elle par un vampire dont je n’avais jamais connu le nom, mais que j’appelais le Garçon aux Gantelets. « Gantelets », parce que la seule fois que je l’avais vu, il en portait. Et « Garçon », parce que la simple mention de vampires me fichait une trouille de tous les diables.

Elle avait partiellement réussi son coup. Stefan n’avait effectivement pas rejoint la rébellion, et Marsilia avait réussi à écraser celle-ci dans l’œuf avec son aide. Mais la mort de ses protégés lui avait semblé injustifiable. La manière dont les vampires traitent les humains dont ils se nourrissent varie énormément d’un individu à l’autre. Ceux de Stefan étaient des amis pour lui, ou tout du moins des animaux domestiques auxquels il tenait plus que tout.

Il n’appartenait donc plus à l’essaim et, vampire ou pas, Stefan avait été mon ami depuis mon arrivée dans les Tri-Cities. Néanmoins, du fait des machinations indélicates de Marsilia, j’avais plus vu le vampire que l’ami en lui ces derniers temps, et je n’aimais pas ça. Je n’aimais tellement pas ça que j’avais sérieusement envisagé de ne pas l’appeler à l’aide.

Mais l’ennemi était puissant, et nous avions besoin de tous nos alliés. De plus, je commençais à fatiguer, et la lassitude atténuait ma colère, me laissant seule et terrifiée, même avec Ben étendu sur la banquette arrière.

Alors, j’appelai Stefan.

La sonnerie retentit trois fois, et une voix – pas celle de Stefan – répondit :

— Laissez un message.

Puis un « bip ». Je faillis couper la communication. Mais il était improbable qu’on ait mis la ligne de Stefan sous surveillance, et je l’appelais d’un numéro qu’il ne pouvait pas connaître. Alors je dis :

— Peux-tu me rappeler à ce numéro ? Mon téléphone est mort.

Une voiture de police avait arrêté un véhicule sur le bord de la route. J’avais accéléré sans m’en rendre compte et levai le pied. Ce n’était pas parce qu’une voiture de police était occupée qu’on avait le champ libre pour les excès de vitesse.

Mon téléphone sonna alors que je dépassais la voiture de police, mais les vitres de la Mercedes étaient teintées. Il était peu probable qu’on puisse voir à l’intérieur, même pas un téléphone tellement incrusté de strass qu’il devait émettre de la lumière. Je risquai le P.-V. et répondis.

— Oui ?

— Mercy ? dit Stefan. Qu’est-ce qu’il te faut ? Et pourquoi m’appelles-tu avec le téléphone d’un autre ?

Le temps de revivre verbalement la mort de Peter, je me retrouvai tremblante de rage et de… terreur. Tant de choses dépendaient de ma gestion sans faille de ce petit jeu, et je n’en connaissais même pas les règles.

Au moins, avec cette décharge d’adrénaline, je n’étais plus fatiguée… mais je n’étais plus concentrée sur ma conduite. Quelque chose en moi, la partie qui se souvenait avoir détruit la Golf quelques heures plus tôt, même si ça semblait être des siècles, tenta de me prévenir qu’endommager la voiture de Marsilia ne ferait qu’aggraver une situation déjà peu reluisante. Mais le reste avait l’attention braquée sur des problèmes plus immédiats.

— Peter était quelqu’un de bien, dit Stefan quand j’en eus terminé. Je te retrouve chez Kyle.

Je levai les yeux vers le ciel. Il faisait encore nuit, mais l’horloge de la voiture de Marsilia indiquait cinq heures et demie du matin.

— Tu joues avec le feu concernant ces histoires de lever du soleil.

— Il y a tout le temps nécessaire, me rassura-t-il d’une voix plus douce que jamais. Je peux rentrer chez moi en un clin d’œil au besoin. Ne t’en fais pas pour moi. Inquiète-toi des autres, d’accord ? Allez, maintenant, raccroche et conduis.

Je m’exécutai en espérant avoir pris la bonne décision. Exposer la vulnérabilité de la meute aux vampires du coin n’était pas très malin. Marsilia danserait avec joie sur nos tombes si la meute et moi, tout particulièrement, étions totalement détruits. Je faisais confiance à Stefan. Vraiment. Mais Stefan était un vampire, et je ne parvenais pas à l’oublier.

La maison de Kyle, à West Richland, se trouvait à une bonne demi-heure de route de l’appartement de Sylvia à Kennewick. J’avais passé la nuit à faire des allers-retours le long de cette portion d’autoroute. À ma droite, la présence boueuse du Columbia reflétait les maisons de Kennewick qui défilaient, marquant ma progression.

Avais-je fait le bon choix en laissant Gabriel et Jesse derrière moi ? Quand je l’avais fait, j’avais eu l’impression de les mettre hors de danger. Mais si ceux qui avaient enlevé Adam pensaient à Sylvia ? Gabriel était fort et intelligent, mais c’était surtout un adolescent humain sans arme. Ne venais-je pas seulement d’offrir plus de victimes à nos ennemis ? Je repensai à la balle qui avait tué Peter et n’eus aucun mal à envisager que celui qui avait tiré sur un homme sans défense pût le faire sur une des petites sœurs de Gabriel.

Quelque part dans les environs, on retenait Adam prisonnier. Je n’avais aucune véritable raison de penser qu’ils étaient à la recherche de Jesse. Aucune. Mais laisser les deux adolescents sans protection me mettait mal à l’aise.

J’appelai Zee. Il n’avait pas dit au revoir lorsqu’il s’était retiré dans la réserve, juste laissé un message m’enjoignant d’être patiente et de ne pas tenter de le contacter. Mais il aimait Gabriel et Jesse, et adorait, même s’il aurait refusé de l’admettre tout haut, ces petites diablesses qu’étaient les sœurs de Gabriel.

Son téléphone sonna encore et encore pendant que je longeais Richland. J’avais le doigt sur le bouton de fin d’appel quand la voix grincheuse de Zee retentit dans mon oreille.

— Liebling, ce n’est pas une bonne idée.

— Zee, lui dis-je, j’ai épuisé toutes mes bonnes idées et je fais avec les mauvaises qui me restent.

J’expliquai de nouveau toute la situation. Quand j’en eus terminé, j’ajoutai :

— Les faes ont une dette envers Adam et moi, pour les loutres magiques et pour la reine des fées. Y a-t-il moyen que tu gardes l’œil sur l’appartement de la mère de Gabriel ? Tu n’auras probablement rien à faire. Je suis probablement en pleine crise de paranoïa, c’est la nuit idéale pour ça. Mais tout ce qui les protège en ce moment c’est mon espoir que personne ne pensera à chercher de ce côté… et mon raisonnement me semble de plus en plus contestable à mesure que je m’éloigne d’eux.

— Je suis d’accord qu’on t’est redevables, finit par répondre Zee avec difficulté. Certains pourraient dire que la mort des loutres magiques était une tragédie, mais je ne suis pas l’un d’eux. On ne peut pas nier qu’on vous a envoyé à votre insu dans une mission qui vous a mis en danger, et qui t’a laissé beaucoup trop de séquelles. Et personne, pas même les plus hostiles aux humains d’entre nous… (la manière dont il dit cela me fit penser qu’il pensait à un fae bien particulier) ne peut nier qu’on te doit une fière chandelle pour la chute de la reine des fées qui avait retenu tant des nôtres dans sa toile et aurait pu tous nous avoir, tant nous n’avions pas conscience de ce qu’elle faisait.

Il émit un claquement de langue que je reconnus comme le son qu’il faisait devant une voiture particulièrement difficile à réparer.

— Cela me peine, mais à l’heure qu’il est, le simple fait que j’aie répondu au téléphone suffit à effacer l’ardoise des faveurs que nous te devons. Téléphone que je ne devrais même pas avoir en ma possession, vu qu’il s’agit d’une technologie humaine corrompue. (Il cracha ces derniers mots comme s’il les trouvait amers.) Si je quittais la réserve pour t’aider, ça se retournerait contre nous deux. (Il laissa échapper un rire désabusé.) Et si je quittais la réserve, de toute façon ça serait un désastre de manière plus générale, vu que j’essaie d’apporter un peu de raison au chaos, ce qui est impossible à distance et peut-être même impossible sans menacer quelqu’un d’une épée sous la gorge. Je ne peux même pas te donner de conseils sans que ça cause des problèmes.

Il soupira, mais resta en ligne, et je gardai donc le téléphone collé à mon oreille.

Après une longue pause, il reprit la parole :

— Je ne peux pas te dire d’appeler chez moi et de parler à celui qui s’y trouve. Je ne peux pas te dire de réfléchir aux endroits fortifiés qui seraient susceptibles de retenir prisonnière toute une meute de loups-garous, ce qui n’est pas tâche aisée. Un endroit où des gens en uniforme pseudo-militaire pourraient passer inaperçus, et où ils pourraient transporter discrètement des cadavres. Il n’y a pas tant d’endroits qui correspondent à cette description dans le coin, Mercy. Les paysans ne sont pas effrayés par le pouvoir en place au point de ne pas protester lorsque des hommes armés se trouvent là où ils n’en ont pas le droit.

— Tu penses qu’on le retient quelque part dans la Zone ? demandai-je.

La Zone était le terrain sécurisé qui entourait la centrale nucléaire de Hanford.

— Je suis désolé, Liebling, je ne peux pas t’aider en ce moment. Peut-être que, si les négociations entre les Seigneurs Gris et Bran Cornick se déroulent sans accroc, nous pourrons en reparler. En attendant, il nous est interdit d’offrir de l’aide à quiconque est lié de quelque manière que ce soit aux meutes lycanthropes. (Une autre pause.) Cela m’a été clairement spécifié. Très clairement.

Son ton était devenu plus tranchant que son couteau… et c’était un couteau dont le tranchant était devenu légendaire.

— Si tu connais quelqu’un qui peut parler à Bran dès que possible, dis-je, peux-tu lui demander de l’informer de ce qui se passe ici ? L’information n’aidera peut-être pas la cause fae auprès du Marrok, mais tu pourrais laisser entendre que le simple fait de ne pas transmettre cette information serait une action prise très au sérieux par celui-ci. Et je veillerai à ce que Bran sache que les faes étaient en possession de cette information.

— Tu formules vraiment très bien ta suggestion, commenta Zee d’un ton ravi. Je vais informer ceux qui sont en pourparlers avec Bran de ce que tu m’as dit. (Il hésita un instant.) Il va falloir que je fasse preuve de créativité pour qu’ils ne comprennent pas que nous avons parlé au téléphone.

Il raccrocha sans dire quoi que ce soit d’autre.

J’avais raté la sortie de Queensgate et dus aller jusqu’à Benton City, ce qui ajouta encore quelques longues minutes à mon trajet. Au lieu de rebrousser chemin sur l’autoroute principale, j’empruntai la route secondaire, où il y aurait moins de policiers, en espérant rattraper un peu le retard accumulé.

Dès que j’arrivai dans la bonne rue, j’appelai chez Zee. Le téléphone sonna, sonna. Au bout de quelques minutes, je raccrochai et essayai de nouveau. Zee ne m’aurait pas donné ce numéro sans raison. Peut-être avait-il loué sa maison à quelqu’un qu’il pensait pouvoir être d’une aide quelconque pour moi ? Peut-être d’autres faes, à l’instar d’Ariana, étaient-ils assez puissants pour pouvoir défier les Seigneurs Gris ? Ou peut-être que les faes avaient laissé quelques espions à l’extérieur pour surveiller les événements qu’ils ne pouvaient suivre de l’intérieur de la réserve, et que cet espion-ci en particulier était redevable à Zee ? J’étais en pleine élaboration de scénarios plus fantaisistes les uns que les autres quand on décrocha enfin.

— Quoi ? dit-on d’un ton impatient.

— Qui est à l’appareil ? demandai-je, parce que, malgré le ton bourru, on aurait dit Tad.

Le fils mi-humain de Zee ne serait certainement pas revenu en ville sans m’en informer.

— Mercy ? dit-il d’une voix radoucie, me confirmant que c’était bien lui.

— Tad ? Mais qu’est-ce que tu fais ici ? Depuis combien de temps es-tu là, et pourquoi ne m’as-tu rien dit ?

Tad avait été l’assistant de son père au garage Volkswagen, il n’était âgé que de neuf ans lorsque je l’avais rencontré. Il avait continué comme mon assistant et manipulateur d’outils en chef lorsque son père avait pris sa retraite et m’avait vendu le garage. Mais il était parti faire ses études dans une grande université de l’est du pays qui, en offrant des bourses aux faes, voulait démontrer combien elle était progressiste et éclairée.

Nous échangions des nouvelles par e-mail une fois par semaine depuis son départ, et je l’appelais une fois par mois pour discuter. Tad était comme le petit frère que je n’avais jamais eu, et d’une certaine manière, nous étions plus proches que je ne l’étais de mes demi-sœurs. Nous avions plus en commun : ni l’un ni l’autre ne trouvions totalement notre place dans le monde des humains ou celui des créatures surnaturelles. Lui, parce qu’il n’était qu’à moitié fae, et moi parce que j’étais la seule métamorphe coyote dans un monde de loups-garous et de vampires.

Lorsque les faes s’étaient retirés, j’avais essayé de l’appeler aussi bien sur son portable que sur le téléphone de sa chambre à l’université, sans succès. Je m’étais dit qu’il était parti avec les autres faes.

Apparemment non.

— Tad ? demandai-je parce qu’il n’avait répondu à aucune de mes questions.

Il me raccrocha au nez. Visiblement il ne voulait pas en parler. D’accord. Moi non plus je n’avais pas de temps à perdre.

Je composai de nouveau le numéro.

— Lâche-moi, Mercy, répondit-il.

— Ton père m’a dit d’appeler cette maison pour demander de l’aide, m’empressai-je de dire. Quelqu’un de dangereux en a après Jesse et Gabriel. Je les ai laissés chez la mère de ce dernier en espérant qu’on ne pensera pas à chercher là-bas. Mais si je me suis trompée, et que des gens dangereux attaquent, personne ne pourra les protéger.

Je sentais combien Tad m’écoutait à contrecœur, hésitant à raccrocher de nouveau. Quelque chose en lui devait avoir changé à l’université. Je n’en avais vu aucun signe dans notre correspondance ou pendant ses rares visites. Peut-être que ça avait un rapport avec la raison pour laquelle il se trouvait là, et non à la réserve, avec les autres faes.

— Tu penses que je pourrais les protéger, hein ? marmonna-t-il enfin.

La question était justifiée. Tad était à moitié fae, mais j’ignorais ce que ça impliquait. De ce qu’en avait laissé filtrer Zee au fil des ans, je savais que Tad n’était pas l’un de ces demi-faes aussi dépourvus de pouvoirs que la plupart des humains. Mais c’était tout ce que je savais.

— Ton père le pense, lui dis-je en donnant la seule réponse à ma disposition.

Il garda le silence.

— Il faut que je vérifie comment va Kyle, lui expliquai-je. Adam et le reste de la meute ont été enlevés hier soir, et l’un des membres de la meute a été tué. J’essaie de…

Quoi, au juste ? Les secourir ? Arrêter les méchants ?

— … vérifier comment va Kyle parce que je crains qu’ils lui aient fait du mal quand ils ont enlevé Warren. Il faut que je sache Jesse et Gabriel en sécurité, et je manque un peu d’alliés. Ça ne durera pas longtemps. Je reviendrai les récupérer une fois que je serai rassurée à propos de Kyle.

Je donnai l’adresse de Sylvia et mis fin à l’appel sans attendre de réponse de sa part.

Je connaissais Tad. Il avait beau être ronchon, il serait incapable de rester bien tranquillement le cul sur son canapé en sachant que quelqu’un était en danger. Il avait un peu flirté avec Jesse lors de sa dernière visite… avant de passer deux heures sous le capot de la voiture de Gabriel pour aider celui-ci à résoudre un problème électrique.

Le plus tôt je m’assurerais que Kyle était en sécurité, le plus tôt je pourrais libérer Tad de sa tâche. J’appuyai sur l’accélérateur en espérant que les flics étaient en train de surveiller le Walmart, le centre commercial et les autoroutes principales. La grosse Mercedes émit un grondement de satisfaction et avala les kilomètres de route désertique qui me ramenaient vers West Richland. Le compteur indiquait 170 kilomètres-heure, mais j’avais plus l’impression d’être à 90. Je tapotai le tableau de bord en murmurant « belle bête ».

Le ciel oriental était encore obscur lorsque je m’approchai de chez Kyle à une allure plus légale. Kyle et Warren vivaient dans un quartier huppé où toutes les maisons avaient beaucoup d’espace de parking et des allées assez longues pour accueillir le trop-plein de véhicules. En général, personne ne se garait dans les rues, à part en cas de soirée.

Je dépassai une petite voiture américaine de couleur sombre garée à un demi-pâté de maisons et, en passant lentement devant la maison, je vis un 4 × 4 inconnu dans l’allée du garage. Toutes les lumières étaient éteintes. Même celle de l’entrée que Kyle laissait habituellement allumée toute la nuit. Le 4 × 4 et la voiture avaient des plaques californiennes.

Je continuai ma route et pris la première à droite, garant la voiture de couleur sombre mais pas américaine de Marsilia devant une maison qui faisait deux fois la taille de celle de Kyle, où elle semblait bien plus à sa place que les deux véhicules que je venais de dépasser. Je sortis de la voiture et ouvris la portière arrière.

— Ça ne semble pas encourageant pour Kyle, murmurai-je pour Ben. Tu as vu ces voitures ?

Les oreilles aplaties sur le crâne, il se leva sur la banquette, enfonçant ses griffes acérées dans le cuir, même à travers la couverture, d’une manière qui m’aurait fait mal ordinairement.

— Non, dit Stefan en me fichant une frousse de tous les diables.

S’il ne m’avait pas bâillonnée d’une main froide, j’aurais réveillé tout le voisinage. Il émit des petits bruits rassurants jusqu’à ce que je cesse de me débattre… ce qui prit un temps d’une longueur gênante. J’étais crevée, et mon cerveau avait tout simplement cessé de fonctionner. Il me fallut un petit moment avant de comprendre ce qui se passait.

— Allons, allons, murmura Stefan d’une voix si basse qu’un humain se tenant près de lui aurait eu du mal à l’entendre. Ça va mieux ? Désolé. Je ne voulais alarmer personne.

Désolé de m’avoir surprise ou de m’avoir bâillonnée ? Je l’ignorais, et je m’en fichais. Il était là, et je me sentais moins seule. Stefan était intelligent, dangereux et compétent. J’espérais moi aussi avoir les deux premières de ces qualités, mais c’était de la troisième dont j’avais surtout besoin à présent.

— Kyle a des ennuis, lui répondis-je sur le même ton.

C’était logique de ne pas parler à voix haute. Les gens avaient tendance à occulter le son des voitures, mais la plupart risqueraient de se réveiller en entendant une voix inconnue. Je ne tenais pas à alerter la brigade de voisinage ni à leur expliquer ce que nous étions en train de faire.

— Il y a une voiture et un 4 × 4 garés près de chez lui, qui n’ont rien à y faire, et pas de lumière à l’extérieur. Or Kyle allume toujours la lumière du porche.

Stefan me relâcha et recula de quelques pas, et je dus saisir la poignée de la portière pour ne pas perdre l’équilibre lorsque Ben me bouscula en sortant de la voiture.

Stefan était vêtu d’un polo et d’un pantalon en toile noire, ses tee-shirts Scoubidou et ses jeans me manquaient. Ça faisait un bon moment que je ne l’avais pas vu habillé ainsi, pas depuis qu’il avait quitté l’essaim. Il n’était pas maigre à faire peur, mais il n’avait jamais retrouvé l’aspect vigoureux qu’il avait avant que Marsilia massacre les humains dont il se nourrissait. La trahison de Marsilia et la destruction de sa ménagerie avaient bien failli causer sa destruction à lui aussi.

— J’ai eu quelques minutes pour examiner la maison avant ton arrivée, dit-il. Il y a deux étrangers dans le salon qui se trouve en face de la cuisine. Il est possible qu’il y en ait d’autres en haut, parce que la lumière est allumée.

À présent que nous n’étions plus l’un contre l’autre, je pouvais voir en lui la même maladresse que celle que j’avais pu constater chez les vampires les plus âgés, comme s’il savait comment il devait se comporter mais n’arrivait plus vraiment à le ressentir. Comme si, en abandonnant ses tee-shirts Scoubidou et sa chère Mystery Machine, Stefan avait laissé filer son dernier lien avec l’humanité. Néanmoins, la Mystery Machine, son vieux van Volkswagen avec sa super peinture personnalisée, était toujours garée devant chez lui, du coup je gardais espoir.

— Tu n’as pas vu Kyle ?

— Non. Je n’ai pas ton odorat, et je ne voulais pas qu’ils sachent que je les surveillais. Ils avaient l’air un peu trop attentif à mon goût. Mais j’ai senti l’odeur du sang. J’ignore à qui il appartenait.

Moi, je le saurais. Il attendit pendant que je réfléchissais à la situation.

— Passons par l’arrière, décidai-je. Je peux entrer par la porte de service : Kyle y a aménagé une chatière, si l’on peut dire, pour Warren. Je peux explorer la maison et t’appeler quand je saurai où il est.

— Je pense que t’envoyer seule dans cette maison est la plus stupide des options à notre disposition, me réprimanda-t-il. Ben va se mettre à l’avant, toi à l’arrière, et tu attends à l’extérieur Mercy, et moi je vais à l’intérieur.

Les vampires les plus anciens et puissants acquièrent des surnoms qui reprennent leurs caractéristiques les plus notables. Celui de Stefan pour ses congénères était « le Soldat ». C’était le type de situation dans lequel il excellait. Je me sentis soulagée qu’un expert prenne les rênes.

— Ce ne sont que des humains, ajouta Stefan.

Sur son visage, je vis une expression que j’avais plus l’habitude de voir chez les loups : la faim.

— Je vais les tuer, et Ben tuera tous ceux qui croiront m’échapper. Préviens-nous si quelqu’un tente de fuir par l’arrière, et on le tuera aussi.

Stefan avait toujours aimé les gens. Je n’avais jusqu’à présent jamais remarqué qu’il aimait aussi les tuer. Peut-être cela faisait-il partie du nouveau Stefan, plus vampirique.

Voilà ce qui se passait quand on laissait quelqu’un d’autre prendre les rênes.

— Il n’est pas nécessaire de les tuer, fis-je remarquer d’un ton raisonnable. Comme tu l’as dit, ce ne sont que des humains, et ils sont deux.

— À notre connaissance, répliqua-t-il.

— On ne sait rien à leur propos, insistai-je. On n’est même pas certains que les deux hommes qui se trouvent dans le salon de Kyle aient le moindre rapport avec ceux qui ont enlevé la meute.

Stefan haussa un sourcil dubitatif. Et il avait raison. Qui d’autre cela pouvait-il être ?

— Nous ne savons pas qui se cache derrière eux, ni quel est leur véritable objectif, m’obstinai-je. On ignore même si Kyle se trouve bien ici. Mais ce que je sais, c’est qu’on ne peut pas se permettre d’entrer là-dedans et de tuer tout le monde.

Stefan me regarda d’un air perplexe.

— J’oublie toujours que tu es trop jeune pour avoir retenu les leçons du Vietnam. On y va pour gagner, Mercy, ou on n’y va pas du tout. Combien d’autres personnes que nous pourraient venir en aide à Adam ?

— Euh…, reconnus-je à contrecœur. Peut-être Ariana, même si elle était encore bien flippée quand on est partis.

Je comprenais ce qu’il essayait de me dire. Vraiment.

Mais selon cette logique, nous aurions dû abandonner Kyle à son sort. Cependant je n’étais pas seulement la femme d’Adam, j’étais aussi sa compagne. Cela me donnait la deuxième place dans la hiérarchie de la meute… et ça signifiait qu’il était de ma responsabilité de protéger la meute. Ça signifiait que je devais spécifiquement en protéger les membres les plus faibles. Nous avions déjà perdu Peter. Kyle devait être protégé… mais c’était possible sans avoir à tuer tout le monde.

— Ces hommes ont réussi à avoir le dessus sur une meute de loups-garous, Mercy, me rappela froidement Stefan. On ne peut pas se permettre de prendre des risques inutiles et de ruiner tous nos efforts pour découvrir ce qu’ils ont fait de Kyle.

Il prononça le nom de ce dernier sans ce côté « vampire distant ». Stefan appréciait Kyle, qui avait la langue acérée et adorait discuter des tactiques employées dans les épisodes de Scoubidou comme s’il était en train de présenter une thèse.

— S’ils attendent chez Kyle, qui penses-tu qu’ils cherchent ? Les seules personnes importantes aux yeux d’Adam qu’ils ne retiennent pas, c’est toi, Ben et Jesse. Et il y a autre chose : s’ils me voient, s’ils comprennent ce que je suis et ne meurent pas avant de pouvoir informer leurs supérieurs grâce à leur système de communication, alors on perdra plus que seulement Kyle cette nuit.

Les gens ne connaissent pas l’existence des vampires. Oh, ils connaissent les histoires : Bram Stoker et tous les autres ont bien exploité cette vieille légende. Mais ils pensent que ce ne sont que des histoires. Le problème, pour les vampires, c’est que à présent que les faes et les loups-garous ont révélé leur existence, les gens sont prêts à croire que les vieilles légendes sont peut-être vraies. Si Stefan était le vampire qui donnait vie à ces légendes, Marsilia le tuerait. Je comprenais pour quelle raison il pensait que tuer l’ennemi était la meilleure solution.

Et au fond de moi, j’étais d’accord sur la nécessité de tuer tout le monde. Ces hommes avaient assassiné Peter, enlevé Adam et mis mon monde en danger.

— Kyle est humain, et ça ne les a pas dérangés de tuer Peter, poursuivit Stefan en disant exactement ce que je ne voulais pas entendre. Kyle est moins précieux que Peter. Il ne compte qu’à tes yeux et à ceux de Warren. Adam ne tuerait personne, ne risquerait pas de ruiner la réputation des loups dans le monde humain pour Kyle. Un otage, c’est bien plus de tracas qu’un cadavre, Mercy. Il est très probable que Kyle soit déjà mort. Si tu n’es pas prête à tuer, alors il vaut mieux ne pas les attaquer.

— Si Kyle est mort (et ce furent des paroles terribles à prononcer), il faut quand même qu’on le sache. Je ne pense pas qu’il le soit. Je pense que je le sentirais dans les liens de meute, parce que c’est tout autant le compagnon de Warren que Peter était celui de Honey.

Cette idée me rassura. J’avais senti la peine de Honey. Je la sentais toujours, d’ailleurs.

— On va chercher Kyle… Stefan, on ne peut pas laisser un tas de cadavres derrière nous. On peut cacher ton rôle dans tout cela. Je dirai que tu étais un drôle de genre de loup-garou. Mais les gens savent, pour Kyle et Warren. Et même si Warren ne crie pas sur tous les toits qu’il est un loup-garou, ça ressortira, parce qu’il ne le cache pas non plus. Nos ennemis, quels qu’ils soient, veulent qu’Adam assassine un homme important de manière publique, pour que la faute soit rejetée sur tous les loups-garous. J’ai l’impression persistante que cette dernière partie est aussi importante que l’assassinat lui-même. Si nous laissons une nuée de cadavres sur notre passage, nous atteindrons au moins une partie de l’objectif visé par ces personnes. (J’inspirai brusquement.) Je n’aime pas aider mes ennemis.

Stefan me considéra d’un œil dubitatif. Il aurait pu y aller et tuer tout le monde sans tenir compte de ce que je disais. Mais son surnom, c’était le Soldat. Pas le Tueur, ni le Commandant. Ces vampires-là existaient vraiment. Il paraît qu’on devrait s’avouer heureux qu’ils ne vivent pas dans la région. Stefan m’avait cédé le commandement parce qu’il s’agissait de mon problème à moi.

J’étais donc aux commandes, mais je n’étais pas stupide au point de croire que ça me rendait compétente : j’avais besoin de Stefan pour ça. Bien. Je ne les autoriserai pas à tuer tout le monde, mais il devait y avoir une autre solution.

— Pourquoi ne pas entrer discrètement pour voir si on ne peut pas trouver Kyle ? suggérai-je. Je peux peut-être sentir son odeur de l’extérieur. S’il n’est pas chez lui, on peut les laisser attendre ici en vain. Et s’il y est, on trouvera peut-être un moyen de l’en extraire sans tuer personne.

Il secoua la tête.

— Mercy. Ils ont déjà prouvé qu’ils étaient capables d’avoir le dessus sur une meute de loups-garous. On les tue, ou on part.

Je baissai les yeux vers Ben. Il n’était pas en état de combattre. Le danger n’était pas seulement que sa blessure le ralentisse et qu’il risque du coup d’être plus facilement touché, même si ça en faisait partie. Mais si Ben tuait ce soir, avec sa blessure et le choc causé par la mort de Peter, il pouvait perdre le contrôle de son loup et ne jamais parvenir à le regagner.

— Il est possible que nous soyons victimes d’une attaque du gouvernement, expliquai-je à Stefan. Nous devons rester irréprochables sur le plan de la morale. Tant que nous ne faisons aucun mal à personne, nous aurons le soutien de l’opinion publique, ce qui forcera le gouvernement à reculer. Nous n’allons donc pas tuer tous ceux qui croisent notre chemin. Tu peux t’en aller, si tu préfères, ajoutai-je d’un ton lugubre en ôtant mon tee-shirt et mon soutien-gorge.

Il n’abandonnerait pas Kyle, je le savais. J’étais juste en colère contre lui, parce que j’aurais voulu le laisser dicter notre plan d’attaque, mais je ne le pouvais pas parce que je savais que j’avais raison. J’enlevai mes chaussures. Nous parlions trop, et il était temps d’agir.

— Je ne vais pas laisser Kyle pourrir ici alors que je pourrais faire quelque chose pour lui. Je vais le chercher. Et quand je le trouverai, je ferai tout pour le sortir de là. Le tout, en laissant le moins de cadavres possible derrière moi.

— Si nous échouons, c’est Adam qui perdra tout, m’avertit Stefan.

— Kyle fait partie de la meute, lui répondis-je. Il est vulnérable. Adam est l’Alpha, et il est fort. Il faut donc s’assurer avant tout que Kyle est en sécurité, parce que c’est ainsi qu’agit la meute, Stefan. Les forts protègent les faibles.

L’expression de Stefan se figea. Il avait été incapable de protéger sa ménagerie, n’avait même pas compris qu’il devait la protéger de Marsilia, la femme à qui il avait prêté serment de loyauté.

Je n’avais pas eu l’intention de le blesser.

J’enlevai brusquement mon jean et ma culotte, et me retrouvai nue sur le trottoir obscur. Si quelqu’un regardait par sa fenêtre ou passait en voiture, il en prendrait plein les yeux. Je m’en fichais. Être métamorphe avait tué toute pudeur chez moi avant d’avoir l’âge d’apprendre la signification même de ce mot.

Ça ne signifiait cependant pas que j’adorais me balader à poil devant tous ceux que je connaissais. Il y avait très longtemps, Stefan avait ressenti quelque chose pour moi. Pas vraiment de l’amour, mais un truc en ce sens. J’évitais donc en général de me déshabiller devant lui, de la même manière que l’on n’agite pas une tranche de viande sous le nez d’un lion si l’on a l’intention de tout garder pour soi.

— On a la possibilité de sauver Kyle. Possibilité que tu n’as pas eue lorsque Marsilia a enlevé ta ménagerie, ajoutai-je. Tu veux bien m’aider ?

Je me changeai en coyote sans attendre de réponse et m’ébrouai pour dissiper le picotement de la métamorphose. Stefan laissa échapper un drôle de rire dépourvu de joie ou d’humour, mais c’était bien lui, pas le vampire Stefan, alors c’était bon. Il ramassa mes vêtements et les balança dans la voiture d’un geste fluide et presque humain. La tête à l’intérieur de l’habitacle, il hésita un instant.

Mon arme se trouvait sous le siège avant. Je faillis me retransformer pour le lui dire, mais y renonçai. Je n’étais pas en mesure de la porter, et j’étais la seule qui aurait pu être plus dangereuse avec une arme cette nuit.

— Du sang, des humains, de la sueur… (Stefan se releva et claqua la portière) Mercy, laisse-moi en toucher un mot à Marsilia avant de lui rendre la voiture.

Je hochai la tête et me dirigeai vers la maison de Kyle au petit trot. Ben, bien que sur seulement trois pattes, n’eut aucun mal à suivre la cadence, pendant que Stefan fermait la marche.

Le voisin de Kyle était décédé depuis quelque temps, et sa demeure était encore vide avec un panneau « À vendre » sur la pelouse bien entretenue. Le portail vers le jardin à l’arrière était ouvert, et je menai donc ma petite bande dans cette direction.

Il y avait un mur de pierre de deux mètres cinquante de hauteur entre les jardins, mais quelqu’un avait laissé une échelle appuyée contre celui-ci. Est-ce que monsieur Machin-Truc s’était rincé l’œil sur la piscine de Kyle avant de mourir ou, et c’était bien plus inquiétant, est-ce qu’on les espionnait ? Quoi qu’il en soit, escalader le mur ne nous demanda pas grand effort. Ben avait beau n’avoir que trois pattes valides, il n’eut même pas à utiliser l’échelle, pas plus que Stefan. En tant que coyote, je n’arrivais à la cheville ni d’un loup-garou ni d’un vampire, dans aucun domaine à part me fondre dans le décor.

Comme pour la maison vide, la pelouse de Kyle était parfaitement entretenue, ce qui nous permit de fouler l’herbe en silence au lieu d’avancer bruyamment parmi les feuilles mortes. On resta dans l’ombre, même si je pense que personne n’aurait vu Stefan traverser le jardin en pleine lumière. Il faisait quelque chose, de la magie vampirique, qui le rendait vraiment difficile à remarquer.

J’examinai attentivement les alentours, mais ne vis personne qui montait la garde. Ça ne voulait pas dire qu’il n’y avait personne, mais, entre le mojo de Stefan et le camouflage issu de la magie de meute dont Ben et moi nous étions entourés, il faudrait vraiment ne pas avoir de veine pour être repérés par un œil humain.

Je sentis l’odeur avant même d’arriver à la maison. Il y avait du sang sur l’herbe. Je sortis de l’ombre pour partir à la recherche de la tache de liquide sombre, parce que c’était le sang de Warren que je sentais.

Ben flaira la tache et retroussa les babines, tournant la tête vers la maison en exposant les crocs. De l’arrière elle semblait aussi plongée dans le noir qu’à l’avant, mais à cette distance on pouvait entendre le murmure de voix à l’intérieur. Ils restaient discrets et, si nous avions été humains, nous ne les aurions pas entendus. Et même ainsi, tout ce que je percevais c’était la rumeur de voix masculines.

Ils avaient pris Warren là, dans le jardin. Il était sous forme humaine ; un loup-garou changeait d’odeur quand il était humain, celle-ci était plus diluée. C’était une bonne chose qu’ils l’aient capturé là. C’était aussi une bonne chose que son sang soit le seul que je puisse sentir. Cela signifiait que tous les amis de Kyle et Warren qui étaient venus dîner pour Thanksgiving ne s’étaient pas retrouvés pris dans la bataille. C’était une bonne nouvelle, et pas seulement pour les amis de Kyle et Warren. Une fois que ces hommes commenceraient à tuer des humains, aucun retour en arrière ne serait possible. Leur seule porte de sortie serait de tuer tous ceux qui étaient au courant de leur existence… y compris Adam et toute la meute.

Tant que les victimes n’étaient que des loups-garous, ils ne risquaient probablement pas grand-chose avec le système judiciaire humain. Avec les faes, les tribunaux avaient déjà prouvé que la justice ne faisait pas le poids face à la peur dans des conditions extrêmes.

Pour nous, à ce moment précis, c’était une bonne chose. Tant qu’on pouvait éviter d’alarmer nos ennemis, Adam serait en sécurité.

Ce que Stefan avait dit était vrai. Ils attendaient manifestement quelqu’un, et Jesse, Ben et moi étions logiquement leurs cibles. Je supposai qu’ils ne s’étaient préparés qu’à nous affronter Ben et moi. La présence de Stefan devrait faire un peu dérailler leur plan, mais j’ignorais si ce serait suffisant.

Pendant que je réfléchissais, quelqu’un se mit à parler. Les voix parvenaient de la chambre de Kyle et Warren à l’étage. Je levai la tête et vis que les volets n’étaient pas fermés, ce qui était inhabituel de la part de Warren, qui savait très bien que certaines créatures pouvaient observer les gens par leurs fenêtres, la nuit.

— Ils ne viendront pas, dit une des voix. On ne va pas pouvoir attendre le lever du jour. Il faut les trouver. Les ordres sont d’obtenir des informations.

— Oui, chef, fit une deuxième voix masculine. Jusqu’où puis-je aller ?

Ce deuxième homme montait à quatre minimum le nombre d’hommes présents. J’entendais toujours les deux autres marmonner dans le salon de Kyle, en bas.

— Obtenez ces informations, s’entêta le premier homme.

J’entendis le bruit d’une porte qui se refermait et les pas de quelqu’un qui s’éloignait.

— T’as entendu, Johnny ? dit l’autre avec un enthousiasme écœurant dans la voix. Il a dit que je pouvais aller aussi loin que je le voulais.

Un autre homme, probablement Johnny, ce qui portait le compte à cinq, dit doucement :

— Seulement jusqu’à ce qu’on ait les informations, Sal. Vous avez entendu ? Dites-nous ce que vous savez, et je l’arrêterai. Sal a été capturé par les Afghans il y a quelques années et n’est pas rentré tout à fait normal. Il aime torturer. Dites-nous où elles sont susceptibles de se cacher, et tout s’arrêtera.

Silence.

— Où ont-elles pu aller ? demanda quelqu’un, puis il y eut le claquement de la chair contre la chair.

Quelqu’un poussa un cri, et je sentis mon échine se hérisser et mes lèvres se retrousser. Kyle. Ils étaient en train de frapper Kyle.

— Le silence ne t’aidera pas, mon gars, dit la voix douce. Je ne tiens pas à faire ça. Le patron ne veut pas garder ton copain prisonnier plus longtemps que nécessaire. Il faut pas mal de monde pour maîtriser une meute de loups… et certains n’en sortiront pas vivants. Si nous parvenons à mettre la main sur la fille et la femme de Hauptman, on pourra libérer tous les autres.

Je me demandai si Kyle avait entendu le mensonge.

— Allez vous faire foutre, répondit-il.

Peut-être que oui. Un avocat spécialisé dans le divorce devait avoir pas mal de pratique dans la détection des mensonges.

Ils le frappèrent de nouveau. À côté de moi, c’était comme si Ben vibrait.

Stephan dit d’un ton affamé :

— Mercy, ils ne sont que deux dans cette pièce.

Je repris forme humaine pour pouvoir parler.

Ben me donna un coup de tête brutal dans le genou.

— Je sais, le rassurai-je. Peut-on les avoir sans alerter les autres ?

Je fus parcourue d’un frisson. Les Tri-Cities, ça n’était pas le Montana, mais il y faisait quand même trop froid pour se balader nue en novembre. Ou peut-être était-ce le désir de tuer de mon coyote qui me glaçait les os.

Le premier homme laissa échapper un juron, et Kyle cria de nouveau.

Ouais. C’était bien un frisson qui disait « va tuer ».

— C’est possible, dit Stefan. Et sinon… je peux tous les tuer.

Ça ne semblait pas un mauvais plan, vu d’ici, alors qu’ils étaient en train de maltraiter Kyle. Je savais qu’il serait idiot de laisser des cadavres derrière nous, mais sa douleur mettait ma raison à rude épreuve.

— Lance-moi là-haut, lui demandai-je avant de me retransformer en coyote.

Je le regardai avec insistance, et, quand il me prêta attention, désignai le balcon de la chambre. Il me regarda d’un air dubitatif. Je me dressai sur mes pattes arrière et sautillai une fois. Puis je tournai le museau vers le balcon une nouvelle fois.

Il haussa les sourcils, mais me prit dans ses bras et me lança. Je parvins à passer par-dessus la rambarde, mais dus me tordre en plein vol pour atterrir dans l’une des jardinières plutôt que sur le mobilier de jardin qui aurait pu grincer sous mon poids.

Ben bondit sur la rambarde, suivi par Stefan. Celui-ci sauta et atterrit en silence sur le balcon, les genoux fléchis. Ben me contempla, les oreilles couchées sur le crâne, et j’évacuai la jardinière pour le laisser l’utiliser comme marchepied pour ne pas s’écraser trop lourdement au sol. Pas simple d’être silencieux quand on a des griffes de loup-garou.