Chapitre 7
Les loups dominants détestent ne pas avoir le contrôle sur tout et, en particulier, n’être que les passagers dans un véhicule. Asil ne faisait pas exception. Il boucla sa ceinture, ferma les yeux et resta ainsi, tendu et malheureux, pendant tout le trajet vers Kennewick.
Nous avions eu une brève discussion concernant qui allait conduire, et il avait visiblement jugé que le fait que je sache où nous allions, contrairement à lui, était une raison suffisante. Il avait fini par reconnaître à contrecœur que, étant donné que Marsilia me tiendrait pour responsable de ce qui arriverait – encore – à sa voiture, il était plus juste que ce soit moi qui conduise. Nous ne pouvions pas prendre sa voiture de location, car celle-ci était truffée de mouchards, et je voulais éviter d’emmener quiconque chez Sylvia si je pouvais l’éviter.
— Ne t’en fais pas, rassurai-je Asil d’un ton badin, j’ai déjà bousillé une voiture cette semaine. Je n’ai aucune intention de recommencer. Vraiment.
Il me fusilla du regard, ce qui était un exploit certain étant donné qu’il avait les yeux fermés.
Le ciel matinal était chargé de nuages sombres, ce qui était plutôt inhabituel dans la région. Il ne faisait pas beaucoup plus clair que la nuit précédente. Des gouttes de pluie commencèrent à s’écraser sur mon pare-brise alors que j’empruntais l’autoroute en direction de Kennewick. Le thermomètre de la voiture m’informa qu’il faisait à peine plus de zéro.
Une fois par an, en gros, nous avions un épisode de pluies verglaçantes qui rendaient la conduite parfaitement terrifiante. La pluie se transformait en verglas en touchant le bitume, ce qui transformait les autoroutes en pistes glissantes qui ressemblaient à s’y méprendre à une route seulement humide… jusqu’à ce que le volant et les freins deviennent totalement inutiles. J’avais vu des semi-remorques arrêtés au feu rouge se mettre à glisser sans la moindre poussée excepté leur cargaison entraînant leurs dix-huit roues en travers de la chaussée. Les seuls qui se frottent les mains pendant ces pluies sont les vendeurs de pièces auto, car les accidents qui se comptent par dizaines.
Mais avec des températures tout juste positives, je n’avais pas à m’inquiéter, nous devrions échapper au verglas.
— Tu as toujours l’intention de contacter les vampires une fois qu’on aura récupéré la fille d’Adam ? s’enquit Asil alors que nous étions presque arrivés à destination.
— Pas avant qu’il fasse sombre, répondis-je avant de lever les yeux vers le ciel. Sombre comme la nuit, pas comme maintenant je veux dire. J’ignore quels nouveaux délices cette journée nous réserve. Mais quoi qu’il en soit, si on parvient tous à survivre à celle-ci, alors oui, j’irai. Marsilia a une dette envers la meute. Même si elle adorerait me voir rôtir lentement au-dessus d’un grand feu de joie, ça reste personnel. Mais les affaires, c’est sacré. Et pour en garantir la bonne marche, elle ne doit pas s’attirer les mauvaises grâces des loups-garous, particulièrement en ce moment. Elle a perdu quatre de ses cinq vampires les plus puissants. Deux d’entre eux ont été renvoyés parce qu’ils l’avaient trahie pour un autre vampire qui tentait de la renverser et de prendre la tête de son essaim. Stefan est parti à peu près au même moment. Le dernier vampire puissant qui lui reste est complètement dingue, de ce que je peux en juger. Elle ne peut pas se permettre de nous offenser.
— Et si la meute n’entrait pas en ligne de compte ? demanda doucement Asil. S’ils étaient tous morts ? Est-ce qu’elle ne te hait pas assez pour s’en prendre à eux ? Elle a fait ses armes pendant la Renaissance italienne. Ce genre de magouille ne serait pas surprenant de sa part.
— Elle connaît Bran, sait que j’ai été élevée par sa meute et qu’il m’apprécie. Si on venait à apprendre qu’elle est impliquée dans cette affaire, il ferait disparaître son essaim de la surface de la terre, et elle le sait parfaitement. Non. (J’hésitai un instant.) Non, ça ne lui ressemble pas. Il y a trop d’inconvénients et aucun profit pour elle. Elle aime bien Adam, je pense, et il est un interlocuteur relativement facile pour elle. Il est franc et direct. Ce serait peut-être une tout autre paire de manches avec un autre Alpha.
Mais sans Adam, y aurait-il une autre meute dans les Tri-Cities ? On l’avait envoyé là pour s’occuper d’un loup solitaire qui avait fondé sa meute et s’était mis à tuer des humains. Et il était resté, parce que son entreprise de sécurité travaillait en grande partie avec des clients du secteur public et que les Tri-Cities en regorgeaient.
Cela ne rapporterait rien à Marsilia non plus parce que, affaiblie comme elle l’était, elle comptait sur Adam pour décourager les ennemis surnaturels les plus dangereux et les autres vampires de s’installer dans le coin.
— Ah ! s’exclama Asil en ouvrant les yeux alors que je ralentissais pour entrer dans la résidence. Décevant. J’aurais voulu que les coupables soient les vampires. Je pense pouvoir tuer des vampires sans risquer de perdre le contrôle. Mais si nos ennemis sont humains, il va falloir que je trouve un autre moyen de les neutraliser. (Il montra les dents.) Les années nous rattrapent tous, et j’apprécie bien trop le fait de tuer pour que l’on m’y autorise. Si nous devons nous allier jusqu’au bout, Mercedes, tu dois être au courant de mes faiblesses avant qu’elles puissent poser le moindre problème.
Nombreux étaient les loups de la meute du Marrok qui y appartenaient parce qu’ils ne pouvaient pas fonctionner au sein d’une meute ordinaire. Asil, semblait-il, ne faisait pas exception.
— OK, finis-je par dire après avoir hésité entre plusieurs commentaires qui se résumaient en gros à « Pitié, ne tue personne alors ! »
Je passai devant l’appartement de Sylvia en réfléchissant aux probabilités qu’Asil se retrouve dans la position de tuer quelqu’un. Il n’y avait aucune place libre dans le parking. J’imagine qu’à sept heures et demie un samedi matin la plupart des gens se trouvent bien au chaud chez eux, surtout avec cette pluie qu’on avait plus l’habitude de voir de l’autre côté de l’État. Allez comprendre.
Je finis par trouver une place près de plusieurs bennes à ordures à quelques pâtés de maisons de chez Sylvia. La petite Corolla qui nous avait suivis depuis chez Kyle, probablement pleine d’employés de Hauptman Security, dut poursuivre son chemin. Je leur adressai un petit signe de la main au passage.
J’ouvris la portière et sortis de la voiture… et quelque chose vint me percuter dans le dos.
Je tombai à plat ventre sur le trottoir. J’étais plus paralysée par la surprise que par la douleur, même si celle-ci finit par se faire ressentir au moment même où je me rendais compte que quelqu’un m’avait atterri dessus. J’avais heurté le sol totalement détendue, en me contentant de légèrement relever la tête pour protéger mon visage, des années de pratique du karaté qui faisaient une nouvelle fois surface au bon moment. Mais je n’avais pas complètement réussi à protéger mon genou et ma joue.
— Ne vous débattez pas, fit la femme à califourchon sur mes reins. Je ne veux pas vous faire de mal.
Elle entoura mon poignet droit d’un anneau étroit et solide et tendit la main vers le gauche en tirant sur mon bras entravé pour m’empêcher de me dégager.
Je roulai sur le flanc du côté de la main qu’elle avait déjà emprisonnée en pliant le genou sous moi pour multiplier ma force. Le mouvement la propulsa contre la voiture neuve de Marsilia, mais sans lui infliger de réels dommages.
Enfin, pas à mon assaillante.
Au bruit de son crâne heurtant la carrosserie si joliment profilée de la Mercedes, mon compteur à « si-je-sors-de-là-vivante-je-suis-morte » s’emballa. J’en profitai pour me métamorphoser.
L’étrange petite menotte qui serrait mon poignet glissa aisément de ma patte de coyote, et je me dégageai complètement de dessous la femme.
Mais je m’étais créé un nouvel ennemi : mes vêtements. Je me dégageai du pantalon de Kyle, puis je bondis sur mes pattes arrière, me retournai en plein vol en ôtant ma tête et mes pattes du sweat-shirt et parvins à m’en dépêtrer. Ma culotte était emmêlée dans ma queue et ma patte arrière, mais mon plus gros problème était mon fichu soutien-gorge.
J’atterris et tentai de nouveau de sauter en courant, ne parvenant qu’à rouler cul par-dessus tête quand je me pris les pattes dans ma bretelle. Le bon côté, c’est que la première balle de mon assaillante ne fit que m’effleurer la fourrure au lieu de m’atteindre à l’endroit qu’elle visait.
Je me concentrai sur elle tout en me roulant par terre à trois mètres de distance en me battant contre le tissu trop élastique pour céder de mon soutien-gorge. M’éloigner n’avait pas été l’idée du siècle si elle avait une arme à feu. Si j’avais continué à me débattre avec mes dessous en restant sur elle, au moins elle aurait eu du mal à viser.
J’eus juste le temps de l’apercevoir prendre la posture agenouillée du tireur. C’était une femme à la peau noire, aux traits juvéniles et à la chevelure blanche tressée en une natte qui lui descendait jusqu’à la taille. Elle aurait plus eu sa place dans une convention de cosplay qu’avec ce gros flingue rendu encore plus imposant par le silencieux qui était vissé sur son canon.
— Je ne voulais pas en arriver là, marmonna-t-elle en me visant, morte ça rapportera moins.
C’est alors qu’une silhouette noire aussi rapide que l’éclair bondit par-dessus la voiture et atterrit sur elle. J’entendis le craquement de ses os avant de me rendre compte qu’Asil était accroupi au-dessus d’elle, une expression étrangement calme dans son regard doré.
— Demi-fae, grogna-t-il en examinant son visage pendant que je reprenais forme humaine. Ce n’était pas une insulte, juste une constatation. Ce flingue contient trop de métal pour qu’un fae pur sang puisse le tenir, même avec des gants de cuir.
J’ouvris la bouche instinctivement pour protester : Zee, par exemple, n’avait aucun problème avec le métal. Mais le cadavre de la femme me fit la refermer. Je pris conscience de la tournure des événements et me rendis compte que, même s’il paraissait calme en apparence, ses yeux luisants laissaient entendre tout le contraire. J’avais grandi parmi les loups-garous et n’en avais jamais vu un, pas même Adam, se déplacer aussi rapidement. Juste une sensation de mouvement, puis elle était morte, et Asil était là.
Je retirai complètement mon soutien-gorge pour me laisser le temps de la réflexion, et laisser au loup-garou celui de se calmer. Prenant conscience que j’étais à moitié nue dans un parking bourré à craquer qui n’allait pas tarder à se remplir de monde, je réenfilai correctement le soutien-gorge, puis ma culotte. Le sweat-shirt gisait à mi-chemin entre Asil et moi, et je dus me forcer pour aller le récupérer.
— Elle est aussi vraiment morte, poursuivit-il d’un ton impersonnel. Les faes pur sang sont habituellement plus difficiles à tuer que ça.
Il palpa le cadavre avec une rapidité qui trahissait une longue expérience du procédé. Il avait la voix un peu plus grave qu’auparavant, et son accent était plus perceptible.
— Elle n’a pas vu que tu étais dans la voiture, dis-je en jetant un regard vers la Mercedes.
Les fenêtres étaient plus fumées que la loi ne l’autorisait, en particulier à l’arrière et sur les côtés. C’était une mesure de sécurité pour Marsilia : si elle se retrouvait dehors après le lever du jour, les vitres la protégeraient du soleil. Dans mon cas, cela signifiait que la fae n’avait pas remarqué que nous étions deux dans la voiture. La portière côté passager était toujours ouverte.
— Négligente, approuva Asil en se levant et en me regardant.
Je passai le sweat-shirt autour de mon cou et pris soin d’éviter son regard en le tirant vers le bas.
La subtile tension de son corps allait avec son regard de prédateur, et je repensai à son avertissement, quelques minutes plus tôt. Je me demandai si tuer un demi-fae était assez semblable à tuer un humain pour que ça pose problème. Il semblait bien le gérer pour le moment, mais avec les loups tout pouvait changer d’un instant à l’autre. Son calme étonnant faisait sonner toutes sortes d’alarmes dans mon cerveau reptilien.
— Nous devons cacher ce corps avant que quelqu’un sorte ses poubelles, lui dis-je en m’agenouillant près de lui.
C’était un geste de soumission, même si je le fis surtout pour attraper le pantalon de jogging qui se trouvait à ses pieds.
Il ne dit rien, se contentant de m’observer. Je ne levai pas les yeux pour le constater, mais je sentais le poids de son regard sur ma nuque. Le sol était froid sous mes fesses, et j’enfilai le pantalon avec un peu plus d’énergie qu’à l’accoutumée. J’avais gardé une de mes chaussettes… J’essayais en général de ne pas trop penser à combien je devais avoir l’air ridicule lorsque je me changeais en coyote sans pouvoir ôter d’abord mes vêtements mais, là, je ne pus m’empêcher de faire la grimace en cherchant mon autre chaussette.
Je ne la trouvai pas, mais mes chaussures étaient restées près de la porte de la Mercedes, côté conducteur. La vision de celle-ci sortit momentanément de mon esprit ma quête de chaussette, la morte, et le loup-garou qui l’avait tuée.
— Zut, zut, zut ! m’écriai-je en posant la main sur la carrosserie cabossée.
Lorsque je l’avais projetée contre la voiture, la tête de celle qui avait voulu me tuer ou me kidnapper avait laissé un gros trou dans la porte : les voitures d’aujourd’hui n’étaient plus aussi solides qu’avant. Ma vieille Golf aurait pu supporter un coup deux fois plus fort sans broncher. Je me rapprochai encore, et mes orteils glacés entrèrent en contact avec une peau tiède.
Je baissai la tête et croisai un regard d’une couleur sombre avant que la mort n’y pose son voile. La demi-fae m’avait semblé sublime, mais à présent, sans sa magie, elle paraissait simplement ordinaire. Je tournai la tête vers le loup-garou qui s’était éloigné du cadavre et se tenait à présent dos à moi, contemplant un bâtiment d’habitation à la façade percée d’un grand nombre de fenêtres.
— Il faut qu’on cache ce cadavre, répétai-je.
Je dus pousser celui-ci pour pouvoir ouvrir la portière et déverrouiller le coffre. Asil ne bougea pas d’un iota, et je ne le lui demandai pas : il n’était pas sur la trajectoire de la porte… et il me fichait toujours sacrément les jetons.
La femme tressauta légèrement lorsque je la tirai derrière moi. J’étais un coyote, un prédateur : j’avais déjà tué. Je savais que ce n’était que l’air restant dans ses poumons, que les mouvements de sa tête signifiaient qu’elle avait la nuque brisée. Mais ce tressaillement me fit sursauter et je la lâchai. Au moins, je l’avais assez déplacée pour pouvoir entrer dans l’habitacle… et je n’avais pas laissé échapper de couinement.
Ce ne fut qu’une fois la portière ouverte que je me souvins qu’il y avait aussi un bouton pour ouvrir le coffre sur le porte-clés qui se trouvait dans la poche de mon pantalon de jogging. C’est ça les fringues de mec : il y a plein de trucs super utiles, genre des poches.
Asil ne m’avait pas prêté main-forte la première fois mais, dès que le coffre fut ouvert, il souleva le cadavre sans que je lui demande quoi que ce soit, attrapant le pistolet et les menottes dans le même élan. Le poids conjugué du corps, de l’arme et des menottes ne sembla lui poser aucun problème particulier. Mon assaillante disparut dans le coffre presque aussi rapidement qu’il l’avait fait passer de vie à trépas. Je le vis contempler l’intérieur du coffre un long moment en faisant craquer les articulations de ses doigts, et je priai pour qu’il ne me voie pas le regarder.
J’avais souvent vu des garous sous forme humaine avec ces yeux brillants de loup. Très souvent. Mais aucun ne m’avait autant terrifiée qu’Asil. Il y avait quelque chose d’enfoui dans son cerveau qui avait savouré tuer la femme, et qui aurait volontiers continué sur cette lancée meurtrière. Le fils de Bran, qui était également son assassin particulier, Charles, me faisait peur, mais je savais que s’il voulait ma mort il s’arrangerait pour qu’elle soit rapide et indolore. La bête d’Asil aimait jouer avec ses victimes.
Oh non, ce ne serait pas une bonne chose si Asil devait de nouveau tuer, mais je me doutais qu’il faudrait quelqu’un de plus costaud que moi pour empêcher que ça se produise. Après son petit discours dans la voiture, j’aurais pensé qu’il ferait plus d’efforts pour ne pas tuer de son propre chef.
J’ouvris la bouche pour dire quelque chose, et vis la banale petite Corolla repasser près de nous. Son conducteur nous salua et haussa les épaules : pas de place pour Hauptman Security. Si je leur faisais signe en criant, reviendraient-ils à toute allure ou continueraient-ils à chercher une place de parking vide ?
Une place de parking vide.
Cette femme nous attendait pile au bon endroit, réfléchis-je. Juste à côté de la seule place disponible qui, de manière particulièrement commode, se trouvait à côté d’une benne à ordures sur laquelle elle avait pu attendre, allongée : elle m’avait sauté dessus d’en haut. Je me demandai si elle avait usé d’un glamour pour que personne ne tente de stationner sur la place. Je me demandais si elle était au courant de la présence de Tad. Je me demandais…
— Et si elle avait un complice ? demandai-je avant de me mettre à marcher d’un pas rapide, sans toutefois courir, en direction de l’appartement de Sylvia sans prendre la peine de mettre mes chaussures.
Les engelures ne me faisaient pas peur, contrairement à la perspective de petites Sandoval mortes. Elle avait voulu me capturer vivante mais n’avait pas hésité à dégainer son arme. Comment est-ce que ça s’intégrait dans le plan de notre ennemi ? Et s’ils étaient prêts à me tuer, qu’en était-il de Jesse ? La tueuse avait-elle déjà rendu visite aux Sandoval ?
La seule raison qui m’empêcha de partir ventre à terre c’était Asil. Si son loup était aussi proche de la surface qu’il le paraissait, alors il y avait de fortes chances qu’il me prenne pour une proie si je m’enfuyais.
— Pourquoi penses-tu qu’il pourrait y en avoir un autre ? demanda-t-il d’une voix qui paraissait entièrement normale.
— Parce que, jusqu’à présent, nos ennemis ont toujours travaillé en équipe.
Mais ce n’était pas ça, pas vraiment. Mon instinct essayait de m’alerter, mais, sans élément concret, impossible d’avoir la moindre certitude.
Il détecta mon demi-mensonge.
— Le groupe qui a enlevé Adam était composé d’humains, n’est-ce pas ? Les faes et les humains ne s’entendent pas très bien. Pourtant, tu sembles persuadée qu’elle était mêlée à tout cela.
Je lui lançai un regard et constatai, soulagée, que ses yeux avaient repris leur couleur normale.
— Mercedes ? Pourquoi penses-tu qu’elle fait partie du complot pour enlever Adam et qu’elle n’avait pas d’autres motivations ? Adam est un Alpha, et tu es sa compagne : ça fait de vous la cible de quantité de gens.
Il me parut étonnant qu’Asil accepte sans difficulté l’idée que deux groupes différents en aient après notre peau.
— Je pense, tentai-je d’expliquer, qu’ajouter un ennemi…
Je me repris, me souvenant qu’il pensait déjà que plusieurs personnes en voulaient à ma meute, même si elles collaboraient pour le moment :
— … Qu’ajouter encore un autre ennemi voulant m’enlever ou me tuer à toute cette soupe pousse ma croyance en un univers bon et juste un peu trop loin dans le mauvais sens. J’aimerais juste savoir comment elle a su que nous arrivions.
Je levai les yeux vers les fenêtres à l’arrière de l’appartement de Sylvia. C’était une femme intelligente qui travaillait pour la police : elle habitait au deuxième étage. Rien ne laissait supposer le moindre problème à l’intérieur. Aucun cadavre projeté dans les airs, pas de verre brisé, pas de petite Sandoval vêtue de rose s’enfuyant en hurlant devant d’effrayants hommes armés.
Peut-être que j’avais tort. Peut-être que ma défunte assaillante avait agi seule.
— Sans compter, poursuivis-je d’un ton presque absent, parce que mon instinct continuait à m’alerter, avant d’accélérer en constatant que les yeux d’Asil étaient toujours bruns, que je n’ai rien fait pour contrarier les faes ces derniers temps. Ce n’est sûrement pas non plus les vampires. Si Marsilia avait décidé de m’éliminer aujourd’hui, elle y serait parvenue. J’aimerais juste savoir comment notre défunte fae a su que nous viendrions ici. Soit ils ont surpris ma conversation avec Tad, soit ils ont eu l’idée, j’ignore comment, de venir voir ici…
Je m’interrompis en me rendant compte à quel point j’avais été stupide.
Si l’on ne suivait pas de près le mélodrame qu’était ma vie, il était tout à fait possible de ne pas savoir que Gabriel ne parlait plus à sa mère. L’appartement de Sylvia aurait été le dernier endroit où moi j’aurais eu l’idée de les chercher. Mais pour un œil extérieur, pour quelqu’un qui savait juste que Gabriel avait disparu en compagnie de Ben, de Jesse et de moi, vérifier la famille proche semblerait la marche à suivre. J’avais surestimé mes ennemis, et ils avaient trouvé Jesse. Voilà ce que mon instinct essayait désespérément de me dire depuis tout à l’heure.
— Mercy ? dit Asil qui avait accéléré pour ne pas se faire distancer.
Son agréable accent m’évoquait plus la voix d’un amant que celle d’un homme qui venait de tuer une personne avec autant de scrupules que j’en avais à ouvrir un pot de mayonnaise. Peut-être même moins.
Mais il ne me faisait plus vraiment peur. Plus à présent que je savais qu’il allait certainement nous être d’une grande aide très bientôt.
— Je…
Le mur arrière de l’appartement de Sylvia fut soufflé par une explosion qui projeta des morceaux de stuc, de plâtre, de verre et d’isolant thermique, ainsi que le corps d’un homme sur le trottoir. Certains débris rebondirent probablement sur des voitures garées à proximité et dont le système d’alarme se déclencha. Le corps atterrit en roulant sur lui-même, se releva, courut vers l’immeuble et l’escalada à la Jackie Chan. J’étais vraiment soulagée de le voir bouger, parce que j’avais eu le temps de le reconnaître dans sa chute.
— Tad !
Je n’avais pas eu l’intention de crier ou de hurler, mais je me retrouvai à le faire néanmoins. Asil resta à mon niveau, mais prit une direction différente en arrivant à la porte de l’immeuble : il suivit le même chemin que Tad, tandis que moi, qui n’étais pas dotée d’une force surnaturelle, je dus me contenter de gravir les marches quatre à quatre.
« Cinq à cinq » aurait même été plus adapté comme expression. La porte s’ouvrit, et Jesse et Gabriel jaillirent dans le couloir, entourés de fillettes Sandoval qui s’accrochaient à eux en pleurant. Je passai par-dessus la rambarde et, en équilibre sur l’extérieur des marches pour laisser aux jeunes la place de passer, fis rapidement le compte. Il manquait quelqu’un : Sylvia.
— Ta mère ? demandai-je à Gabriel.
— Au travail, répondit-il.
Je lui lançai les clés de la voiture de Marsilia.
— Prends la voiture, elle se trouve près des bennes à ordures, à trois pâtés de maisons d’ici, par là, lui expliquai-je en pointant l’index dans la direction appropriée. Allez chez Kyle, mais pas trop vite. Il y a un cadavre dans le coffre, et pas de sièges-autos.
— Un cadavre ? s’écria l’une des plus grandes sœurs.
Si je n’avais pas été accrochée à la rambarde avec un raffut pas possible provenant de l’étage supérieur, là où quelqu’un qui aurait tout aussi bien pu être mon petit frère avait été projeté à travers un mur quelques minutes plus tôt, j’aurais probablement pu me souvenir de son nom. Mais à cet instant j’avais déjà du mal à me rappeler le mien.
C’était des dures, cela étant, ces petites Sandoval. Un cadavre dans le coffre, ça ne les traumatiserait pas vraiment.
— Un méchant, expliquai-je. Il a essayé de me tuer et s’est fait éliminer par mon équipier.
— Cool ! approuva l’une des plus petites… Sissy.
Ils ne s’étaient pas arrêtés en chemin, et, une fois au rez-de-chaussée, Gabriel prit le temps de réorganiser sa troupe de manière que les plus petites soient portées par les autres. Jesse profita de la pause pour articuler silencieusement « Papa ? » en ma direction.
— Il est vivant, lui dis-je. Mais c’est tout ce que je sais. Barrez-vous d’ici.
Je repassai par-dessus la rambarde, avant de grimper les dernières marches à toute allure avant de foncer dans l’appartement… en me rendant compte à ce moment-là que j’avais laissé mon arme dans la voiture de Marsilia. J’enlevai mes vêtements et laissai mon coyote prendre le dessus.
J’entendis des bruits de sirènes au loin. Le commissariat n’était pas très loin, et il était impossible que personne n’ait signalé le bruit qui provenait de l’appartement de Sylvia.
Comme humaine, je n’avais aucune chance contre un adversaire capable de projeter Tad à travers un mur. Comme coyote, j’étais indéniablement surclassée… mais je pouvais détourner son attention, et j’étais bien plus rapide sur quatre pattes que sur deux. Assez rapide pour distancer la majorité des loups-garous, en tout cas.
Je m’avançai précautionneusement dans le salon, la seule pièce de l’appartement que j’avais déjà visitée. En plus de l’odeur de la famille Sandoval, je pus sentir le loup-garou, Tad et… quelque chose de fae. Les anciens philosophes grecs divisaient le monde en quatre éléments : terre, air, feu et eau. Les arômes des faes m’évoquaient cette répartition avec en plus un côté végétal. Ariana sentait la forêt, et c’était le cas aussi pour ce fae.
Le vacarme provenait d’une pièce plus loin dans l’appartement. Quelqu’un cria, et je ne pus dire de qui il s’agissait. Je mis toute prudence de côté et me ruai vers le bout du couloir et la chambre principale.
Le partenaire de la morte était hideux, un vrai cauchemar. Il avait la tête déformée et trop grosse pour son corps. L’un de ses yeux, d’un vert émeraude liquide, regardait vers le côté, tandis que l’autre était deux fois plus petit et d’un noir mat. Deux étranges bosses qui ressemblaient à des antennes naissantes émergeaient de ses tempes. Son nez se réduisait à deux fentes au-dessus d’une bouche trop large pour son visage et pleine de dents jaunes irrégulières ressemblant à des pelles. Il promenait une langue noire sur ses narines en combattant.
Et malgré sa laideur, il ne faisait pas plus d’un mètre de haut. Il avait un corps élancé, presque délicat, avec des poignets plus fins que les miens sous forme humaine. Ses mains disproportionnées n’avaient que quatre doigts et maniaient une épée forgée dans une sorte de métal noir et presque aussi grande que lui.
Asil avait une batte de base-ball qu’il utilisait comme un katana, la faisant sans cesse tourner dans les airs pour éviter que l’adversaire puisse frapper directement son arme. Les Japonais n’avaient pas un métal de grande qualité et avaient donc appris à compenser. Tad était armé de deux couteaux de cuisine et empêchait le fae de véritablement entrer dans le rythme du combat… malheureusement il gênait également Asil.
Le fae combattait bien. Comme quelqu’un qui avait appris à se battre à l’épée à l’époque où c’était l’arme de prédilection.
Tous les faes ne vivaient pas des siècles durant. Certains avaient une espérance de vie comparable à celle d’un insecte : l’espace de quelques saisons. La plupart de ceux-ci, m’avait confié Zee lorsqu’il était un peu soûl, avaient disparu de la surface de la terre. Plus fragiles, ils n’avaient pas pu lutter contre l’acier et le béton qui avaient conquis la planète.
D’autres avaient une espérance de vie proche de celle des humains : vingt années pour certains, cent cinquante pour d’autres. À la base, seul un faible pourcentage des faes étaient presque immortels. Mais l’arrivée des humains et les progrès de la technologie avaient opéré une sélection favorisant les faes les plus solides, et ils représentaient à présent une proportion de la population fae d’une importance historiquement inédite.
Une vie humaine suffisait à devenir un expert en maniement des épées : mon professeur de karaté, par exemple, était considéré comme très bon avec plusieurs variétés d’armes, dont l’épée. Mais Asil avait des siècles d’entraînement, et ce fae lui résistait sans difficulté. Il était vieux.
Tad ne se débrouillait pas mal : son père lui avait appris à manier les lames, m’avait-il confié une fois. S’il avait eu quelque chose de plus gros que des couteaux de cuisine, si Asil et lui avaient déjà eu l’occasion de combattre ensemble, ils auraient fait une bonne équipe. Mais là, ils avaient du mal à ne pas se marcher dessus.
Je rampai le long du mur de la chambre en me rapprochant lentement du combat. Je me glissai sous le lit. Sous mon lit à moi, on pouvait habituellement trouver des moutons de poussière, quelques culottes et une chaussure quelconque, mais Sylvia était plus ordonnée que moi, et tout ce qu’elle avait sous le sien c’était l’une de ces caisses en plastique fin remplie de papier cadeau. Je rampai de la tête vers le pied du lit et, glissant mon museau sous le couvre-lit, observai la situation en cherchant comment me rendre utile.
Le fae sauta en arrière pour éviter la batte d’Asil, percuta le bureau de Sylvia et roula par-dessus, envoyant l’écran et le clavier s’écraser sur le sol, ainsi qu’un petit pot d’argile rempli de stylos. Quelques piles de papier soigneusement reliées par de larges élastiques échappèrent à la catastrophe. Le fae poussa un sifflement et sembla léviter loin du bureau, comme un chat qu’on aurait lancé dans une piscine, avant de presque atterrir sur Asil dans sa hâte de s’éloigner du bureau.
Dans les Tri-Cities, dont la population a toujours beaucoup travaillé pour le gouvernement depuis une cinquantaine d’années, il y a quantité de ces vieux bureaux en acier robuste tout droit sortis des années 1950. J’en ai vu dans toutes les brocantes, dans les vide-greniers et autres marchés divers et variés. D’ailleurs, souvenir mémorable, une amie s’était rendue dans une vente aux enchères publique où elle pensait enchérir sur un lot constitué de deux de ces bureaux et d’une dizaine de chaises abîmées, mais s’était retrouvée avec deux dizaines de lots, soit presque cinquante bureaux, trois cent quinze chaises de bureau cassées, un taille-crayon hors d’usage et quatre boîtes de gommes roses. La chaise de bureau que j’avais à mon garage était composée des pièces de quatre de ces chaises, rassemblées à la manière du monstre de Frankenstein pour en fabriquer une fonctionnelle.
Ces bureaux de qualité industrielle étaient peints dans des nuances réglementaires de gris, avec quelques variantes de vert ou de jaune institutionnel. Celui de Sylvia était justement jaune et, comme tous les autres, fait d’acier.
Ce qui signifiait que, contrairement à la morte et malgré la grande épée qu’il maniait si expertement, ce fae ne supportait pas le contact du métal froid… ou de l’acier.
Tad laissa tomber ses couteaux et bondit, mais Asil venait de pousser le fae directement devant moi, et je ne pris pas le temps de réfléchir. Je jaillis de ma cachette et plantai mes crocs dans son mollet gauche.
Je n’ai pas les mâchoires d’un bulldog, mais je serrai quand même de toutes mes forces. Asil m’adressa un juron en espagnol : je savais que c’était à moi qu’il parlait, car sa phrase se termina par « Mercedes ». Et je savais que c’était un juron, parce que même dans cette langue mélodieuse – et incompréhensible, pour moi – qu’était l’espagnol, un juron ça ressemblait à un juron.
Il frappa l’épée dans un mouvement ascendant pour empêcher le fae de m’en donner un coup avec le pommeau. La batte heurta le fil de la lame, qui la scia en deux, laissant à Asil un moignon de quarante centimètres pour se défendre contre l’épée magique du fae. Elle ne m’avait pas semblé différente d’une épée ordinaire jusqu’à ce qu’elle percute le bois, où elle prit alors le goût de la magie de Zee.
Le fae éclata de rire quand mon poids le fit tituber. Il prononça quelques mots de gallois qu’en des circonstances plus sereines j’aurais probablement été capable de comprendre, même approximativement. Il dirigea la pointe de son épée vers moi en se rattrapant.
— Lâche-le ! hurla Tad.
Le bureau en acier percuta le fae avec une détonation qui aurait fait la fierté d’un canon. Des feuilles de papier, des factures, des composants informatiques et autres débris de fournitures de bureau s’envolèrent en même temps que le fae et moi par le trou qui avait déjà été creusé dans le mur. L’atterrissage me secoua assez pour que j’accepte enfin de lâcher la jambe du fae, ne prenant qu’à ce moment-là conscience que le « Lâche-le » de Tad m’était adressé.
Le bureau s’écrasa sur la pelouse, à quelques centimètres de ma tête, avant de tomber sur le fae en m’étourdissant à moitié.
Le fae poussa un hurlement perçant, empli de rage et de douleur, qui fit à mes tympans l’effet d’une onde de choc. Si je l’avais entendu à une distance de plusieurs kilomètres, j’aurais su qu’il ne provenait pas d’une gorge humaine. Je sentis une odeur de chair calcinée, puis il souleva le bureau et le lança vers la chaussée, où le meuble fit un tonneau avant de heurter un camion déjà bien cabossé.
Le fae essaya de m’enjamber pour attraper son épée, qui se trouvait à trois mètres de nous, mais quelqu’un d’autre y parvint avant lui. Le fae hésita un bref instant, le regard braqué sur l’épée, mais le son insistant des sirènes de police lui fit tourner les talons et il s’enfuit en courant. Tad l’agonit d’insultes du haut du trou dans le mur de Sylvia.
L’homme qui se tenait près de moi lâcha l’épée du fae et se laissa tomber sur le trottoir. Il passa des mains douces sur ma fourrure, mais je ne parvenais ni à me concentrer, ni à respirer, l’espoir qui m’avait envahie ralentissant ma capacité à reprendre mon souffle. Quand j’y arrivai enfin, je m’empressai de me retransformer en humaine et me tortillai entre ses bras.
— Adam, soupirai-je en m’accrochant à lui comme le ferait une mauviette et en sentant quelque chose se dénouer au niveau de ma poitrine.
Les larmes coulaient sur mes joues. Cela aurait pu être humiliant s’il ne m’avait pas rendu mon étreinte avec la même intensité. Je m’essuyai les yeux et me reculai pour mieux le voir. Il avait mauvaise mine, avec sa barbe naissante et ses yeux… ça avait été dur. J’ignorais de quelle manière il s’était échappé, mais ça lui avait coûté beaucoup.
Il m’embrassa, un baiser dur et possessif. Puis il s’écarta légèrement et me dit :
— Alors, je suis parti à ta recherche et je suis arrivé juste à temps pour te voir voler à travers le mur d’un appartement du deuxième étage, accrochée à la jambe de quelqu’un.
Il y avait des brûlures sur ses lèvres, et je levai la main pour les toucher.
— L’argent, dis-je.
C’était important, parce que je ne voulais pas faire de mal à Adam, mais je perdis le fil de ce que je voulais dire.
— Hé, les tourtereaux, dit Tad d’un ton sec, je n’ai pas pu m’empêcher de remarquer que Mercy était nue comme un ver, et la police est en chemin. Alors je me suis dit que j’allais lui apporter des vêtements.
Adam leva la tête et sourit à Tad, mais continua à me parler.
— Oui, il vaut mieux que tu t’habilles, Mercy. Tad a raison.
Je bondis de ses genoux, attrapai les vêtements des mains de Tad et les enfilai plus rapidement que gracieusement. J’avais mal partout et, en regardant Adam se relever, je n’avais mal nulle part.
Tad s’approcha de l’épée qui gisait sur la pelouse et l’examina d’un œil expert.
— Viens par là, toi, lui dit-il en tendant la main.
L’épée vola à la rencontre de sa paume avant de… disparaître. Il referma le poing sur un minuscule morceau de métal qu’il glissa dans sa poche.
— Ça rendra difficile à expliquer la batte coupée en deux, mais elle est bien trop dangereuse pour qu’on la laisse entre les mains de la police, m’expliqua-t-il. Dangereuse pour la police, je veux dire.
J’avais un peu l’esprit embrumé mais, d’un autre côté, je venais d’être projetée du deuxième étage d’un immeuble et de découvrir qu’Adam était sain et sauf. Et près de moi. Et ça signifiait que je n’avais plus à tout prendre en charge.
Avec Adam à mes côtés, je n’avais plus aucune inquiétude. Aucune. Quelque chose était en train de se passer, une magie aux arômes de fae qui attendait ce moment précis pour se déclencher, mais j’étais trop soulagée pour m’en préoccuper.
Je nouai le lien à la taille de mon pantalon et demandai à Tad :
— C’est ton père qui a fabriqué cette épée, n’est-ce pas ? Avec un matériau qui n’était ni du fer, ni de l’acier pour que ce fae puisse l’utiliser.
Tad acquiesça en me scrutant avec attention.
— Je crois qu’il en existait cinq comme celle-ci, chacune légèrement différente des autres. Papa en possède une. Toutes sont synonymes de catastrophe. Quand ce n’est pas parce que quelqu’un s’en sert pour massacrer une foule de gens, c’est qu’un fichu Seigneur Gris se met à déblatérer sur le fait qu’un tel trésor fae doit être protégé. Les Seigneurs Gris amassent des artefacts faes comme les dragons amassent de l’or. Et si cette épée est trop dangereuse pour atterrir entre les mains de la police, vous imaginez aisément le danger qu’elle représente entre les mains des Seigneurs Gris. Je donnerai celle-ci à mon père, et ce sera à lui de s’en préoccuper. (Il me regarda d’un air inquiet en inclinant la tête.) Touche-toi le nez, Mercy.
Je m’exécutai, mais ne sentis rien de spécial. Si j’avais une tache, impossible de m’en rendre compte.
Il se tourna vers Adam et commença à dire quelque chose, mais une voiture de police vint s’arrêter près du bureau, avec les gyrophares mais heureusement sans sirène. Comme si c’était le signal que tout le monde attendait, une foule de personnes émergea des immeubles alentour. Deux autres voitures de police arrivèrent, avec Sylvia dans la première, et Tony au volant qui la suivit quand elle sortit du véhicule.
— Gabriel et les filles vont bien, lui criai-je pour me faire entendre par-dessus le vacarme des conversations et des exclamations devant l’immeuble endommagé. Je les ai envoyés chez Kyle.
Sylvia s’arrêta, les yeux fermés, et se signa aussi rapidement que sincèrement. Elle se dirigea vers nous, toujours suivie par Tony, et contempla le trou dans le mur de son appartement.
— Tad les a arrêtés, lui expliquai-je, et Gabriel s’est assuré que toutes les filles s’en sortent sans une égratignure.
— Qui a fait ça ? demanda lentement Tony.
Lui aussi contemplait le trou dans le mur.
Tad émit un petit grognement, et Adam se glissa derrière moi et m’entoura les épaules de ses bras. Je reposai mon menton sur ses avant-bras, heureuse d’être contre lui.
— Des professionnels. Des mercenaires.
Il n’y avait eu aucune passion chez la femme qui m’avait attaquée. Aucune colère. Aucun chagrin. C’était un boulot, et rien d’autre.
— Je sais qui était celui-ci, intervint Tad, à ma grande surprise. Non que ça nous aide vraiment. Salut Tony, ça faisait un moment.
— C’est bon de te voir, chico, approuva Tony. Que s’est-il passé ?
— Mercy a confié Jesse et Gabriel… tu connais Gabriel, n’est-ce pas ?
Tony lança un regard à Sylvia et acquiesça :
— C’est moi qui l’ai présenté à Mercy.
— Ne crois pas que je l’oublierai de sitôt, commenta Sylvia.
Tony grimaça, me regarda, et grimaça encore. Sylvia me contempla d’un œil qui aurait fait fuir tout un essaim de vampires… mais elle prenait bien soin de faire comme si Adam n’était pas là.
— Vous êtes certaine que les enfants sont en sécurité ?
— Je les ai envoyés chez Kyle, lui répétai-je.
Mais elle ne connaissait pas Kyle.
— C’est le compagnon d’un de nos loups, un avocat. Il a une équipe de surveillance chez lui, les enfants y seront en sécurité. Je suis désolée, Sylvia. Si j’avais pensé qu’ils viendraient ici, jamais je n’aurais amené Jesse.
— Vous avez aussi envoyé celui-là, constata-t-elle en montrant Tad, alors qu’il n’a pas l’air plus vieux que Gabriel.
— Je suis costaud, protesta Tad, qui ressemblait plus à un petit chien qu’à un gros costaud.
J’ignorais ce que pensait Sylvia, mais elle se contenta de se baisser pour ramasser les papiers étalés sur le bitume.
— Voilà ! s’exclama Tad d’un ton léger en regardant Tony. Mercy a donc laissé Jesse et Gabriel chez Sylvia en pensant qu’ils y seraient en sécurité. Mais comme elle était quand même inquiète, elle m’a demandé de garder l’œil sur eux.
Je vis la compréhension illuminer le visage de Tony.
— Tu es le fils de Zee, dit-il, j’oublie toujours que ça fait de toi un demi-fae.
Ce n’était pas difficile de l’oublier : Tad avait l’air humain, tout comme les faes pur sang la plupart du temps. Mais je n’avais jamais su si l’apparence de Tad était due à un glamour, comme pour son père, ou s’il avait vraiment l’air humain. Les demi-faes, de ce que j’en savais, pouvaient avoir soit l’un, soit l’autre, et certains demi-faes à l’aspect inhumain avaient une magie insuffisante pour dissimuler leur véritable visage. La plupart d’entre eux ne parvenaient pas à l’âge adulte. Les faes sont une espèce à l’esprit extrêmement pratique.
Tad hocha la tête.
— Mercy savait que j’avais assez de pouvoirs pour provoquer un certain désordre en cas de visite malvenue. Ce qui a été le cas.
Il leva un regard penaud vers l’appartement.
— Si on n’attrape jamais le salopard qui a fait ça, j’imagine qu’il faudra que je paie pour les réparations.
— Ce n’est pas ta dette, décréta Adam. (Sa voix n’était pas comme d’habitude, plus dure et plus grave, mais je savourais toujours sa chaleur contre mon dos.) Nous prendrons en charge tous les travaux, Sylvia.
Je m’attendis à ce qu’elle explose, et je ne lui en aurais pas voulu. Personne, en voyant le mur qui se trouvait actuellement sur la pelouse microscopique en bas de l’immeuble, n’aurait pu croire que ses enfants étaient en sécurité.
— C’est ma faute, plaidai-je. Ces types connaissaient l’identité de tous les loups, y compris ceux qui n’étaient pas censés être connus. J’ai supposé qu’ils seraient aussi au courant que Gabriel et vous ne vous parliez plus. Mais j’imagine qu’ils se sont contentés de vérifier le plus proche parent de Gabriel.
Sylvia se redressa et tapota sa cuisse avec la poignée de factures qu’elle avait réussi à rassembler en scrutant le trou dans le mur de son appartement.
— Non, dit-elle lentement. Ce n’est pas votre faute. C’est celle de ces personnes qui sont venues chez moi pour s’en prendre à des innocents.
— Vous avez raison, acquiesça Adam, puis avec son ton ferme d’Alpha, il ajouta : mais ma meute paiera quand même pour les dégâts. C’était après ma fille qu’ils en avaient.
Elle fronça les sourcils mais ne put soutenir son regard très longtemps.
— D’accord, finit-elle par dire d’un ton légèrement radouci.
Elle se tourna vers Tad.
— Vous êtes un jeune homme bien… et vous semblez aussi costaud que vous m’avez dit l’être. Merci d’avoir pris soin de mes enfants.
— Hé, Sylvia, l’interpella un jeune homme vêtu d’un sweat-shirt de l’université de l’État de Washington. Vous avez besoin d’aide ? Tom et moi, on peut remonter votre bureau dans l’appartement, et peut-être que quelques-uns de ces badauds curieux accepteront de ramasser quelques papiers.
Il tira les tresses d’une jeune fille un peu plus jeune que lui qui se tenait à côté de lui.
— Arrête ! protesta-t-elle en repoussant sa main. Mais ouais, bien sûr madame Sandoval, on peut vous filer un coup de main.
Une femme entre deux âges à l’air anxieux se précipita pour prendre part aux festivités.
— Je suis Sally Osterberg, annonça-t-elle à l’un des policiers qui était en train de prendre des notes. Je suis la gestionnaire de la résidence. Vous pouvez me dire ce qui s’est passé ?
— On aborde à peine le sujet, Sally, répondit Sylvia sur le même ton surnaturellement calme.
Peut-être était-ce une conséquence de son travail au standard d’urgence de la police, ou du fait qu’elle était la mère célibataire d’un troupeau de gamins aux âges couvrant tout le spectre du système scolaire.
— Vous préférez faire faire vos réparations vous-même et nous soumettre la facture, ou préférez-vous que nous nous occupions de trouver l’artisan compétent ? demanda Adam.
Sally se tourna vers lui et eut un moment de flottement avant que la joie illumine son visage.
— Adam Hauptman ? Vous êtes Adam Hauptman ? Oh doux Jésus. Je croyais… J’ai vu aux infos que vous aviez été enlevé par un genre de groupe paramilitaire ? Vous avez dû vous battre pour vous échapper ? Est-ce que …
Elle s’interrompit, et pas parce qu’elle était arrivée à court de mots. J’inclinai la tête en arrière pour voir le sourire d’Adam lorsqu’il lui répondit :
— Oui, et oui… et tout cela semble lié à ceux qui en ont après ma meute et moi.
— Comme c’est excitant ! s’exclama-t-elle. Quand je vais dire à ma sœur qu’un loup-garou a défoncé un mur, et pas n’importe quel loup-garou en plus…
Elle s’interrompit, les joues rougies par l’embarras.
— Je dois avoir l’air d’une vraie crétine.
— Non, la rassura Adam sans prendre la peine de corriger son impression concernant le responsable de toute cette destruction. Pas du tout. Vous vous comportez comme n’importe qui en présence d’événements tout droit sortis de La Quatrième Dimension. Pouvez-vous faire en sorte que quelqu’un bouche ce trou pour que les affaires de Mme. Sandoval ne souffrent pas trop des intempéries ?
— Oh oui, assura-t-elle, je m’en occupe tout de suite.
— Merci.
Il lui décocha un nouveau sourire, qu’elle lui rendit jusqu’à ce qu’elle croise mon regard. Elle toussota d’un air gêné.
— Je m’en occupe, répéta-t-elle.
Tony la regarda s’éloigner en trottinant, puis se tourna vers Adam.
— La prochaine fois qu’on m’appelle pour des problèmes domestiques, je vous emmène.
Un sourire las étira les lèvres d’Adam.
— Ça ne fonctionne que sur certaines personnes. Sur les hommes violents, j’ai souvent l’effet inverse. Donc, à moins de vouloir que ça se termine dans le sang, je vous déconseille de m’appeler.
— Et donc, intervint l’agent qui se tenait près de Tony, il y aurait quelqu’un qui accepterait de nous expliquer ce qui s’est passé ? Sans morts ni blessés, nous ne sommes plus dans l’urgence, mais notre supérieur aime bien qu’on lui fasse un rapport détaillé.
J’ouvris la bouche, mais surpris un nouveau regard perçant de Tad. Il se tourna vers le policier qui venait de parler et s’interposa entre lui et moi en laissant un sourire innocent illuminer son visage.
— J’ai passé le plus clair de la journée assis sur ce mur, expliqua-t-il en désignant le mur en béton de deux mètres de hauteur qui encerclait la résidence.
Puis, en voyant la réaction de l’agent, il ajouta :
— Je sais, hein ? Vous vous demandez pourquoi on m’a chargé de la surveillance de quelqu’un alors que j’ai l’air de la photo « Avant » sur la pub d’une salle de sport. Mais mon père est fae, et je suis plus fort qu’il n’y paraît. Enfin, quoi qu’il en soit, Jesse était en train de faire…
— Jesse ?
— La fille d’Adam, celle que nous essayions de protéger de nos ennemis, dit Tad en se glissant derrière l’agent pour apercevoir ses notes. Ça s’écrit J-E-S-S-E. Et moi, c’est Tad, le diminutif de Thaddeus, mais personne ne m’appelle ainsi, mon nom de famille étant Adelbertsmiter.
Il l’épela aussi. Deux fois. Le policier se retourna pour contraindre Tad à lui laisser un peu d’espace, mais ce dernier resta obstinément collé à lui.
— Merci, dit l’agent d’un ton ferme. Qu’est-il arrivé au mur ?
Il me regardait, mais ce fut encore Tad qui répondit.
— J’étais en train de déguster les brownies de Jesse quand quelqu’un a sonné à la porte. J’ai envoyé Jesse, Gabriel et les petites dans l’une des chambres et suis allé ouvrir.
— Vous l’avez laissé entrer ?
— J’ai l’air d’avoir cinq ans d’âge mental ? protesta Tad d’un air indigné. Non. J’ai demandé qui c’était, il a répondu que c’était UPS et qu’il avait un paquet pour nous. Je lui ai dit de le laisser sur le pas de la porte parce que j’étais nu et que je venais de sortir de la douche.
— Je croyais que vous étiez en train de manger des brownies, dit le policier qui semblait à présent résigné à avoir un Tad regardant par-dessus son épaule.
— Mais oui, soupira Tad en secouant la tête. J’ai menti au gars. J’étais là pour protéger les enfants, il était hors de question que j’ouvre à un inconnu. Il y a des créatures qui pourraient prendre ça pour une invitation, et on n’invite pas le Mal dans sa demeure.
— Oui, reconnut le policier d’un ton incertain, je peux comprendre qu’on veuille éviter ça.
Tony passa la main devant sa bouche pour dissimuler son sourire. Il avait déjà vu Tad en plein mode « Regardez-moi ». Ce n’était pas tant que Tad mentait à l’agent, mais plutôt que, tel un bon prestidigitateur, il se débrouillait pour que la police ne regarde que dans la direction qui l’arrangeait. J’ignore ce qu’il essayait de dissimuler mais, avec Adam à mes côtés et en bonne santé, je m’en fichais un peu.
— Je croyais que les faes ne pouvaient pas mentir ? intervint l’un des gamins qui ramassaient les affaires de Sylvia sur la pelouse.
Tad hocha la tête affirmativement.
— Oui, mais ça ne vaut que pour les vrais faes et seulement certains demis. Mais pas pour moi. Parce que je mens et… (il écarta les bras pour que tout le monde l’admire) je suis toujours vivant.
J’entendis Adam rire doucement derrière moi.
— Enfin, donc, poursuivit Tad en s’adressant à présent à la foule plus qu’au policier, ce mec supposément d’UPS, il m’a dit qu’il fallait une signature. Je lui ai demandé de laisser un avis de passage, et qu’on irait chercher le colis au dépôt… et c’est alors qu’il a déverrouillé la porte avec une sorte de crochet ou par la magie, je n’ai pas pu le déterminer parce qu’il a tenté en même temps de me Taser. Quand il n’y est pas parvenu, il a dégainé une foutue épée et a essayé de me couper la tête.
— Une épée ? s’étonna le policier qui commençait à avoir du mal à suivre.
Tad acquiesça.
— Ouais, hein ? Moi aussi ça m’a surpris. J’imagine qu’il devait être assez vieux, parce qu’il savait s’en servir en plus. J’ai fait deux ans d’aïkido à l’école et il m’a vraiment mis la misère.
Je me demandai si quelqu’un allait remarquer que, même si Tad semblait assez secoué, il n’avait aucune blessure par lame.
— Je l’ai attiré vers le fond de l’appartement pour que les enfants puissent s’échapper. Et à un moment, il m’a simplement jeté à travers le mur.
Tous ceux qui étaient en train de ramasser les débris autour et les agents qui écoutaient le récit tournèrent leur regard vers Tad… parce qu’il n’avait pas du tout l’air de quelqu’un qu’on aurait projeté à travers un mur. Tad n’était pas beau : il avait de trop grandes oreilles, et elles étaient un peu décollées, et il avait le nez aplati comme s’il avait combattu trois rounds contre Mike Tyson, mais quand il voulait que les gens le regardent, ils le regardaient. Ce n’était pas de la magie : juste la force de sa personnalité.
— Demi-fae, leur rappela-t-il. Ça aide, parfois.
Il leva lui aussi le regard vers le trou et secoua la tête avec une grimace.
— Et ça ne veut pas dire que ça n’a pas fait mal. Je me suis dépêché de remonter pour le tenir occupé pendant que les enfants s’échappaient. Je lui ai envoyé le bureau dessus, l’envoyant voler par le trou à travers lequel il m’avait déjà projeté, et on vous entendait arriver avec la sirène. Il a préféré s’enfuir.
Visiblement, nous n’allions pas mentionner Asil. Je regardai autour de moi mais ne vis le loup de Bran nulle part. Peut-être était-ce lui, la raison du show « Regardez-moi, pas ce que je cache » de Tad.
— Adam, que pouvez-vous me dire à propos de votre enlèvement ? demanda Tony, pas aussi absorbé que les autres par la performance de Tad.
Adam lui adressa un sourire las.
— Je vais me reposer un peu. Je demanderai à mon avocat d’entrer en contact avec vous, et je vous ferai une déposition détaillée demain. D’accord ?
Tony hocha la tête d’un air peu convaincu.
— D’accord. Appelez-nous avant 10 heures, ou c’est moi qui vous appellerai. Mercy, à ton tour.
Je repensai au cadavre dans le coffre de Marsilia et essayai de décider par où commencer.
— Elle n’a pas vu grand-chose, intervint Tad, et cette fois-ci je sentis sa magie m’effleurer et attirer l’attention de Tony sur lui. Si tu la laissais ramener Adam à la maison pour qu’ils te fassent tous deux leur déposition demain ? Je sais de toute façon qui était le gars parce que c’est un spriggand… C’est un type de fae plutôt rare, et heureusement, d’ailleurs, parce que ce sont des faiseurs d’embrouilles vicieux et méchants, en général. Celui-là était un pur-sang, ce qui en fait un renégat vu qu’il n’est pas enfermé dans une réserve avec les autres faes. Et il n’y a qu’un seul renégat spriggand. Il se fait appeler Sliver et traîne en général avec une demi-fae nommée Spice. Ils se vendent au plus offrant comme gros bras ou assassins. Je n’ai pas vu de femme, mais peut-être était-elle chargée de faire le guet.
Spice devait être la morte dans le coffre de la voiture de Marsilia. Cela aurait été le moment idéal pour en parler : après tout, sa mort était de la légitime défense. Si je leur disais maintenant, ça passerait mieux que s’ils le découvraient ensuite. Mais j’étais satisfaite de me trouver ainsi, dans les bras d’Adam, et ne parvins pas à trouver l’énergie de dire quoi que ce soit.
Tony considéra Tad d’un œil soupçonneux.
— Et comment connais-tu le nom de tueurs à gages ?
L’expression de Tad s’assombrit.
— Parce que, même s’ils n’ont rien à faire des demi-faes, les faes pur sang nous envoient des listes de faes n’ayant pas répondu à l’appel des Seigneurs Gris. Nous, les rejetés, sommes censés garder l’œil ouvert et livrer les éventuels renégats aux autorités faes.
Tony acquiesça lentement.
— Je vois. Et si vous refusez ?
Le sourire de Tad disparut complètement, et il eut soudain l’air très adulte.
— Il ne vaut mieux pas. Les demi-faes n’ont aucune importance aux yeux des Seigneurs Gris.
Tony cligna des yeux plusieurs fois et ravala le sermon qui lui était venu à l’esprit. Il finit par regarder autour de lui, contemplant les voisins aidant à ramasser les détritus. C’était une scène de crime : il aurait donc probablement fallu ne toucher à rien, mais les papiers qui s’envolaient dans la brise étaient ceux de Sylvia.
— Aucun cadavre, dit le policier que Tad avait acculé, aucun blessé, aucune plainte vu que M. Hauptman a proposé de payer pour les dommages… Il faudra quand même rédiger un rapport, des fois que. On peut les laisser ramasser tout ça, Tony.
Puis, se tournant vers Adam :
— Si monsieur Hauptman vient demain faire sa déposition concernant son enlèvement, ça me convient… Et toi, Tony ?
Tony me lança un regard perplexe, et je sentis une nouvelle bouffée de la magie de Tad. Au bout d’un moment de réflexion, Tony finit par dire :
— OK.
Il regarda Sylvia, et son expression s’adoucit.
— Pourquoi ne confierais-tu pas tes clés à l’un de tes voisins pour qu’ils puissent fermer une fois que tout aura été ramassé ? Je vais t’emmener chez Kyle, où tu pourras garder un œil sur les enfants.