Mon réveil sonne et j’ai instantanément la nausée. À mesure que la date approchait, je tâchais de laisser le silence engourdir mon cerveau, feignant d’ignorer l’inextricable confusion dont il est la proie. Mon corps effectue les gestes requis par le programme du jour dans un état proche de l’apesanteur, comme si tout soupçon d’énergie risquait de fissurer ses os. Il prépare le thé, se lave, ôte les draps du lit, emplit la machine à laver, s’assure que la valise ferme bien malgré les livres achetés au long du séjour, plus tard il cuisine ce qu’il reste de légumes frais, met les draps propres dans le sèche-linge, mange, fait la vaisselle, sort les poubelles, trie les déchets dans le petit local qu’il apercevait depuis l’escalier de secours où il aimait s’asseoir, plie les draps secs sur le lit, nettoie une dernière fois les surfaces dans la cuisine, range l’ordinateur portable pour la première fois depuis un mois et, le moment venu, envoie un message pour dire « Allison, je me mets en route pour l’aéroport », comme si elle pouvait y changer quoi que ce soit, comme si ce corps avait une place ici, comme s’il ne devait pas rentrer, assumer l’existence qui est dessinée d’avance pour lui en France. Dans le métro aérien jusqu’à JFK, il reste immobile, sans résistance musculaire au mouvement qui l’emporte, un dictaphone allumé, une fois de plus, pour pouvoir prendre le métro encore et encore, de retour en France, Stand clear of the closing doors, please. Il ne sait pas encore combien de fois, ensuite, pendant des semaines, des mois, il dira à voix haute, sans même s’en rendre compte, alors qu’il passera l’aspirateur, travaillera ce texte sur un ordinateur fixe ou versera de l’eau sur une boule à thé, J’aurais dû rester. Tout en sachant qu’il n’y avait pas de place pour lui, là-bas, et que ce regret est aussi vide que lui – éviscéré, exsangue, une peau de raisin.