Comme en écho à mes craintes, un programme de radio de la BBC vient nous bouleverser. À la colonie, on peut suivre sans crainte les émissions de la TSF. Elles sont diffusées le soir et, heureusement, les plus petits sont déjà couchés. Les adultes fument et discutent sur la terrasse. Nous sommes quelques enfants rassemblés autour de l’œilleton vert du poste.
« Ici, Radio Londres. Les Français parlent aux Français. Les nazis se livrent à la plus horrible des persécutions. Celle dirigée contre les enfants. Dans tous les territoires occupés, les juifs sont systématiquement raflés. Les enfants ne sont jamais épargnés. Au contraire, les Allemands s’acharnent à les débusquer minutieusement. Que deviennent tous ces enfants, ces femmes, ces vieillards et ces hommes qui partent vers l’Est ? Qui peut encore croire à l’existence de cette mystérieuse “colonie de travail” ? La vérité est tout autre et elle est tragi… »
— Cessez d’écouter ça, les enfants, et allez vous coucher !
— Mais on veut savoir, Monsieur Streng.
— Les Italiens nous protègent, vous protègent. Ils tiennent la dragée haute à leur allié nazi. Le malheur que décrit Radio Londres ne pourra plus nous rattraper.
À la seconde où notre enseignant prononce ces mots, je sais qu’il ment. Un mensonge bien intentionné, certes, mais un mensonge tout de même. Sa voix tremble, son regard est humide et fuyant.
Que savent les adultes de si effrayant qu’il faille absolument le taire ? J’ai de plus en plus l’impression que notre refuge idyllique n’est qu’un château de cartes qui s’effondrera à la moindre brise. Je n’ai pas l’intention de me séparer de mes bâtons de dynamite. J’ai la ferme résolution de me défendre. De protéger Myriam et les autres copains. Nous n’avons rien fait de mal. Pourquoi nous traite-t-on avec autant de cruauté ? Je ne les laisserai pas faire.