Un coeur peut, comme un monde, avoir eu son désastre;
Alors, dans le passé, sans trouble et sans frayeur,
Le pâle souvenir creuse, âpre fossoyeur;
De la fosse qu’il rouvre il fait sortir un astre.
[1864-1866.]
Forêt Noire
Le jeune chevrier rit dans les monts antiques;
Et, traînant deux à deux des chariots rustiques,
Des boeufs inégaux vont sous les grands sapins verts,
Tristes d’être accouplés la tête de travers.
Album de voyage, 1840.
Voici que le matin, dont l’haleine est remplie
De brises qu’il répand sur la forêt qui plie,
Enfant vêtu de pourpre au sourire immortel,
Sur les étoiles d’or, flambeaux du grand autel,
Se hâte de souffler, comme un jeune lévite
Qui les éteint, de peur de les user trop vite.
[1834-1836]
MI ALMA
Si jamais vous venez regarder dans cette âme,
Vous n’aurez pas de peine à vous y voir, Madame,
Car votre souvenir rayonne en cette nuit;
Dans l’ombre de ce coeur votre front charmant luit;
Et mon âme limpide et profonde et sans voiles
Reflète les amours comme un lac les étoiles.
Là, roule un torrent...
Sur, la rive escarpée un- grand chêné se dresse.
Les feuilles, verts amas que la brise caressé,
Couvrent sa large tête, abri des passereaux,
Et son tronc, que jamais ne touche la cognée,
Et l’uii de ses bras noirs en tient une poignée
Qu’il tend d’un bord à l’autre -ux avides chevreaux.
[1834-1836]
[1870-1872]
Gros-Claude en bourgeron de toile, et la Thomasse
Aùx cheveux gras, aux mains rouges, à l’air homasse,
S’appellent aujourd’hui Fernand et Malvina.
Car les noms de roman dont nagère on s’orna
Ont quitté les salons jadis. pleins d’andalouses,
Et portent maintenant des sabots et des’ blouses.
[1836-1840]
ÉPÎTRES
Une fleur en prison chez soi, quelle folie!
Le pot est bien plus laid que la fleur n’est jolie.
[1872-1873]
VÉNUS
Ô Dieu, soyez béni pour cette belle étoile!
MAGLIA - PAYSAGE
Le beau soleil couchant, dans la nue élargi,
Semble un grand bouclier dans la forge rougi,
Et des mêmes rayons dore au coin du bois sombre
Le poète qui chasse à la rime dans. l’ombre,
Et le voleur pensif qui rêve au noeud coulant.
Les charrettes de foin, dans les chemins roulant,
Laissent leurs cheveux verts et flottants, à poignées,
Aux branches qui les ont au passage peignées.
[1857-1859]
Pied à pied, front sur front, et les rangs dans les rangs,
Sourds, furieux, pressés, l’un à l’autre adhérents
Comme la hache au bloc de chêne qu’elle entaille,
Uné pelouse drue avec des arbres bas,
Un gros clocher de pierre au milieu du feuillage,
Des toits à fleur de champ laissant voir des grabats,
Des mares, du fumier, des coqs: c’est le village
Les régiments épais se heurtent; la bataille
Hurle, et d’égorgements le glaive se repaît;
On jette aux flots les morts du haut du parapet;
Et, tandis que le fleuve écume, et que la plaine,
Livrée aux chocs sanglants, s’emplit d’une âpre haleine,
Au centre du combat, sur le ciel clair du soir,
On voit dans la mêlée un cavalier tout noir ,
Qui sonne, du clairon sur un pont couvert d’hommes.
Carnet, 1862.
Dans l’église de...
L’orgue commence, voix profonde!
Un éclair, d’harmonie éclate et disparaît.
Puis, comme en la mêlée et comme en la forêt,
Le bruit monte, tremble, s’écroule,
Et se redresse ainsi qu’un combattant debout,
Et comme dans une urne embrasée où l’eau bout,
Les sombres voix croissent en foule.
Il semble qu’on ne sait quel attendrissement,
Devant la terre, champ de bataille fumant,
Où tant de douleurs se lamentent,
Ait saisi tout à coup l’airain farouche et froid,
Et qu’il veuille apaiser l’âme humaine, et l’on croit
Entendre des canons qui chantent.
Carnet, 1867
Comédie - L’IDÉAL ET LE CHARNEL
Thérèse, votre amour montait aux cieux, le mien
Brûlait mes os. Était-ce un mal? était-ce un bien?
Sur de telles amours, on ne peut s’y soustraire,
La même cause amène un double effet contraire:
Nos deux cœurs sont changés. Hélas! je me soumets.
Vous n’aimez plus, et moi, j’aime plus que jamais.
C’est fini. Nous brûlions différemment, Thérèse;
Le souffle éteint la flamme et ranime la braise.
[1852-1853]
On cite de mémoire, on rit, on s’embarrasse,
On se défie à qui sait le mieux son Horace,
On parie, et, chacun à son tour, nous disons
Un des six premiers vers de l’Epître aux Pisons.
Vous avez déployé grammaires et lexiques,
Et nous pouvons chanter notre De Profundis.
Vous êtes forts, Messieurs les professeurs classiques!
Vous nous avez battus, défaits, abasourdis!
Quel poids ont vos discours! ô logique inflexible!
Nous gisons écrasés devant vos arguments,
Et nulle résistance à présent n’est, possible.
De nous, les assommes, à vous, les assommants!
Album, 1843
Tu brilles au milieu des évêques; doux prêtre;
Tous, l’oeil fixé sur toi, chantent:’Libera nos!
Mais ton humilité souffre et -s’attriste d’être
Un des point cardinaux.
Les blancheurs que Dieu crée amusent la noirceur.
Satan regarde avec une sinistre joie
La vertu, cette sotte, et le cygne cette oie.
[1855-1856]
C’était un bon enfant,
C’est-à-dire un gaillard bruyant, gai, triomphant,
Jovial en dessus, fin ‘en dessous, en somme,
Très fort; le bon enfant plus tard fait le bonhomme;
Défiez-vous-en.
...Un rossignol faisait visite à des chouettes
Si souvent qu’à la fin, notez ceci, poètes,
Les chouettes disaient: « Le vilain animal!
Comme il est ennuyeux et comme il chante mal!”
28 avril 1847
Que de nuit dans ta gloire; ô Versailles!
O siècle de Louis, mêlant sur son pavois
La splendeur de Molière aux crimes de Louvois!
Règne pompeux, rongé de lèpre et de vermine!
Une femme empoisonne, une femme extermine;
La Maintenon est spectre après la Brinvilliers.
[1856-1858]
Je compare à nos espérances,
A nos rêves, à nos regrets,
Ces lueurs et ces transparences
Qu’on voit le soir dans les forêts.
[1859-1860]
Guerre! le tambour bat. Guerre! on entend les cuivres
Et les clairons chanter comme des bouches ivres,
Et les tocsins sonner;
On voit sur les cités, dont leur ongle étreint l’âme,
Le lion incendie et la crinière flamme
Rugir et frissonner.
[1858-1859]
[1859-1860]
GUERRE
Rien de plus juste, il faut payer les aumôniers,
Peuples, un éternel au pied de paix volts coûte
Moins cher qu’un Tout-Puissaùt au pied de guerre. En route,
Canons, mortiers, drapeaux, et vous, psaumes blindés
Couvrant les rois pendant qu’on joue un peuple aux dés,
Te Deum cuirassés, encensoirs de bataille!
Près des tambours-majors dressant leur haute taille,
Que les Agnus Dei fassent la grosse voix!
Le vautour se prépare à dépecer les morts.
Il entend les chevaux hennir, rongeant le mors,
Et les casques sonner ainsi que des enclumes,
Et passe, frissonnant, son bec entre ses plumes.
La vieille bougonnait dans sa barbe; les mômes
Grognaient, petit tas noir de Pierres et de Jeans;
Le gîte était immonde à faire fuir les gens;
Près du feu qui mettait son suif à la torture,
Une chandelle en deuil pleurait dans la friture.
[1858-1859]
LE CROQUEMORT, titubant.
Après m’avoir soûlé
De son vin de Surêne abject et peu salubre,
Cet être m’a lâché ce calembour lugubre:
Ami, tu portes bien la bière, et mal le vin.
Carnet, 1856.
Ouragans Visions
Dans les nuages noirs pareils à des marées,
Flottent des yeux ardents, des faces effarées,
De vagues cheveux sur des fronts;
Les vents tumultueux tournent comme des roues;
On peut voir dans les cieux des gonfléments de joues
Ajustés à de grands clairons.
[1872-1874.]
Dieu montre le bonheur et ne le donne pas.
[1832-1834
]
Euripide naissait le jour de Salamine:
Trophée où luit Sophocle, et qu’Eschyle domine.
Carnet, 1856
Le progrès tue les bêtes de la nuit, le mal et l’impur.
La porte de clarté sur notre monde noir
Ouvrira ses battants splendides, sans savoir
Si, tandis qu’elle épand l’aube à nos fronts difformes,
Le cloporte écrasé meurt, daris ses gonds énormes.
[1870-1872]
À UN CRITIQUE
Un aveugle a le tact très fin, très net, très clair;
Autant que le renard des-bois, il a le flair;
Autant que le chamois des monts, il a l’ouïe;
Sa sensibilité, rare, exquise, inouïe,.
Du moindre vent coulis lui fait un coup de poing.
Son oreille est subtile et délicate au point
Que.lorsqu’un oiseau chante, il croit, qu’un.taureau beugle.
Quel flair! quel tact! quel goût! Oui, mais il est aveugle.
Octobre 1866
À QUOI MAGLIA RÉPLIQUE PAR CE DOUBLE QUATRAIN:
Vous me trouvez- monotone
Avec mes quatrains, vraiment!
A mon tour si je m’étonne,
C’est de votre étonnement.
Sans que rien les puisse abattre,
Pour aller vous supplier,
Mes vers toujours quatre à quatre
Monteront votre escalier.
[1836-1840]
Que de religions profondément creusées
Pour t’enfouir, rayon que cherchent nos pensées!
Je veux, te voir au fond de l’ombre, je ne puis;
Dieu fit la vérité, mais l’homme a fait le puits.
[1857-1858]
Je frissonne en songeant
Combien la destinée est trouble, obscure, amère,
Et que-c’est, triste énigme! en parlant à sa mère
Que Jésus; Christ du - monde et maître de la loi,
Dit: - Qu’est-il de commun, femme, entre vous et moi?
[1858-1860]
Idée! art, science, mystère,
O souffle de Delphe ou d’Endor,
Courbe toi, poésie austère,
Sous la royauté du sac d’or.
L’intérêt te fouette attelée
A sa charrette, ô muse ailée!
Il rit dé toi, le ventre plein;
Il te broie en ses mains félonnes,
Et du disque de tes colonnes
Fait la meule de son moulin.
[1872-1874]
Oui, nos illusions s’éteignent flamme à flamme.
Et pourtant, que la gloire ou l’oubli le réclame,
Au matin de ses ans, au déclin de ses jours,
Chacun n’a-t-il pas dans son âme
Un songe qu’il rêve toujours?
Les prophètes sont pleins d’un jour mystérieux;
Ils songent, et l’on voit des lueurs dans leurs yeux,
Et c’est par leur clarté que se font reconnaître
Ces hommes transparents que l’avenir pénètre
[1875-1877]
Ecoutez ce que dit le ,voluptueux sombre:
— Le mal d’autrui s’ajoute à vos plaisirs dans l’ombre;
Il est doux, quand le vent trouble, le gouffre amer,
D’être sur terre alors. qu’un autre, est sur la mer.
Carnet, 1861.
Les grands hommes plus tard sont vengés par l’histoire.
Mais c’est quand ils sont morts qu’on dit: ils sont vivants.
Tant qu’ils sont là, la haine acharnée à leur gloire
Poursuit cette fumée et la disperse aux vents.
[1848-1850]
Toute haute figure un jour est abattue.
Le peuple brise un homme après l’avoir porté.
Le piédestal finit par haïr la statue,
Car il en sent le poids sans en voir la beauté.
[1848-1850]
Venise. Palais des doges.
L’escalier des géants (où les doges sont proclamés,
où Faliero a été décapité).
Au bas de l’escalier,
Sur deux socles, parmi les roses et les trèfles,
L’architecte a sculpté deux paniers pleins de nèfles
Pour faire entendre au peuple, enfant aux mille cris,
Que les hommes d’état ne sont bons que’ pourris.
[1857-1858]
Avez-vous vu parfois dans le soleil lévant,
Tournoyer, cendre d’or, les atomes du vent,
Étoilant le néant, faisant dans la lumière
Avec des grains de cendre et des grains de poussière
Des constellations d’infiniment petits?
Des soldats mèdes sont rangés encercle aùtour
De cette tente ayant la forme d’une tour;
Leurs boucliers sont faits de peau de nasicorne;
Ils ont le sabre nu, la mître au front, l’air, morne,
L’oeil triste, et sur les mains du sang jamais lavé.
Le trône, formidable et lourd, fait d’un pavé,
Est sur un drap de pourpre, au centre de la tente.
[1870-1871]
Progrès de la science.
Astronomie (17° siècle.)
Le réseau des soleils, des mondes et des cieux,’
Entrevu= malgré l’ombre et dérrière la nue,
Filet où l’âme humaine est prise et retenue,
Et qui croise sés fils vertigineux dans l’air,
Se défait maille à maille autour du pâle Euler.
Le même vent d’en haut courbe les foules pâles,
Et ces hommes, géants des ténèbres fatales,
Qui fâ.uchent l’homme sans remord,
Et qui, soldat, bourreau, mufti, sultan, ministre,
Quand elle va monter sur son cheval sinistre,
Tiennent l’étrier,à la mort.
[1859-1861]
Un jour, pensif, tourné vers l’obscur horizon,
Debout, parlant du haut de la colline verte
A tout un peuple ému près d’une fosse ouverte,
J’ai dit: La mort n’a rien dont tremble la raison.
Les sages n’ont pas peur des ombres éternelles.
Ils savent que le corps y trouve une prison,
Mais, que l’âme y trouve des, ailes!
[1848-1850]
Ô mes petits-enfants, ayez pitié des’ âutres.
Anges là-haut, soyez en bas d’humbles apôtres,
Plaignez tous ces pieds nus meurtris aux durs pavés.
Georges, Jeanne, donnez touf ce que vous avez.
[1875-1877]
Être frère aux souffrants, être père aux petits.
[1872-1874]
Riche, donne ton bien; pauvre, donne ton coeur.
[1878-1880]
De qui donne sa vie et son or aux plaisirs,
Aux femmes, aux chevaux, au jeu, l’aumône est rare:
Un prodigue toujours est doublé d’un avare.
Carnet, 1874
Je ne suis pas un saint, je tâche d’êtrè un justé.
[1875-1877]
En riant de la chair dans la chanson obscène,
L’âme est comme un forçat qui joue avec sa chaîne.
[1859-1860]
La douleur qui s’en va passe en jetant des cris.
Soupirs, larmes, sanglots, deuil rapide et prolixe,!
Le désespoir au front sévère, au regard fixe, .
Se tait, sans oublier et sans se, résigner.
L’oeil qui ne pleure pas laisse le coeur saigner.
[1843-1844]
La douleur se mesure à la grandeur du coeur.
Carnet, 1864
L’enfant ne meurt qu’une fois, mais le père!
Il mourra tous les jours jusqu’à ce qu’on l’enterre.
Le premier serviteur du père, c’est le fils.
Carnet, 1862.
L’esclave prosterné s’avilit et m’éclaire.
Quelquefois on échoue où l’on croit débarquer.
[1840-1844]
[1875-1877]
[1856-1858]
Qui change en y perdant change par conscience.
Carnet, 1867
Tel imbécile prend le dégoût pour le goût.
La vie est un remords quand elle est inutile.
[1866-1868]
Ma destinée étant de mourir en exil,
Je me.suis arrangé sous un rocher farouche
Mon tombeau. Comme on fait son sépulcre, on se couche.
[1863-1864]
Quoique d’air inondé, quoique plein de lumière, .
Le penseur solitaire au désert est pareil;
Sombre malgré l’espace et malgré le soleil.
Ainsi 1 ‘écrivain turc, dans la cour des mosquées,
Au devant du passant et du premier venu,
Se rue, et ses haillons troués montrent à nu,
Pendant qu’offrant son style il s’acharne à vous suivre,
Son flanc maigre que bat l’écritoire de cuivre.
[1858-1860]
Je préfère à Paris, au Louvre, aux Tuileries,
Aux grands carrosses d’or couronnés de laquais,
Aux spectacles, aux. bals, aux fêtes, aux banquets,
Au cirque éblouissant où plane l’écuyère,
Les chansons qu’on entend. le soir dans le bruyère.
Carnet, 1861
Tas d’esclaves! histoire! Ah!,quel troupeau. nous sommes!
Tas de tyrans! l’un chasse aux oiseaux, l’autre aux hommes;
Ils s’ébattent; chacun dans son genre.est complet;
Chacun s’en va chasser la chasse qui lui plaît,
Marchant, l’un dans le sang, l’autre dans la rosée;
Et chacun porte au poing sa bête apprivoisée:
Louis treize un faucon, et Richelieu le roi.
[1838-1840]
L’avare qui dans l’ombre enfouit loin du jour
Son trésor qui lui pèse,
Et qui croit toujours voir s’amonceler autour
La foule aux yeux de braise.
[1838-1840]
C’est un sage, dites-vous?
Et moi, je vous le dis, il fera cent folies.
C’est un homme amoureux? C’est un homme nouveau.
L’amour, dont les chaleurs nous Montent au cerveau,
A bien vite, troublé 1a raison éclipsée.
Cent chimères qui font vacillèr la pensée;
Un brouillard qui remplit l’esprit d’illusions;
Un tourbillon confus de folles actions;
Sortent de ce brasier dont l’âme est consumée.
D’un feu qui brûle au coeur la tête a la fumée
[1840-1844]
Le fleuve se recourbe à nos pieds dans la plaine
Comme un grand fer forgé pour un cheval géant.
Album, 1836.
Les perles de rosée et les pleurs des tempêtes
Sont des gouttes des mêmes eaux;
Le petit cri des nids répond aux flots sublimes;
Le même pied remue, ô Dieu, tous les abîmes
Et balance tous les berceaux.
LE REMORDS
Si vous êtes bon, juste et doux, vos actions
Volent dans votre nuit comme des alcyons;
Le souvenir vous baise au front dans tous vos rêves;
Si vous êtes bandit, si vous heurtez les glaives,
Si vous faites’ le mal, le souvenir vous mord
Dans l’ombre, avec les dents d’une tête de mort.
Carnet, 1856.
Le faux peut quelquefois n’être pas vraisemblable 54.
Je crois à la prière et je crois à mes fautes.
Carnet, 1874.
L’encens
Qui monte à Dieu du fond des lys reconnaissants.
[1838-1840]
Les forces de la nuit sont joyeuses des peines
Qui tombent par instants sur les têtes-humaines.
Et quand la terre a vu quelque grand châtiment,
Quelque tyran tombé sur son trône fumant,
Les tonnerres, vers l’ombre où songe l’Invisible,
Reviennent en chantant leur fanfare terrible.
Loin dans l’obscurité, battu d’affreuses. grêles,
Hérissant de gibets le toit de ses tourelles,
Plus noir que le vol du corbeau,
Vague, confus, brumeux, perdu dans l’insondable,
L’édifice du mal apparaît formidable.
Comme le spectre d’un tombeau.
[1859-1861]
L’enseignement mystérieux est nécessaire.
Songeurs du lac et du rocher,
Bardes, mages, hommes des voiles,
Il faut de plus en plus pencher
Le genre humain vers les étoiles.
[1869-1872]
Je l’ai cueillie au bord d’une eau cachée et lente,
Elle est bleue et demain on la verra jaunir.
La fleur du, souvenir n’est pas bien. ressemblante,
Car la fleur passe et meurt, et non le souvenir.
Carnet, 1861.
L’ORAGE
Quel monstre que la foudre! et qu’est-ce donc, abîme,
Que ce vent qui remue avec un bruit sublime
Tout l’effrayant plafond du ciel, et qui produit
L’énorme craquement des poutres de la nuit?
Carnet, 1857.
Àu-dessus du vieux lit, moisissait dans un cadre
Un portrait d’un, aïeul quelconque, en chef d’escadre,
Qui, dans un golfe ayant la courbure d’un G,
Bombardait un grand-turc, par les mites rongé.
Le temps mène le deuil de nôtre destinée;
La terre est un sépulcre, et la lugubre année,
Gardienne pâle des tombeaux,
Autour du cénotaphe où gît, couvert de voiles,
Le genre humain couché sous le drap des étoiles,
Allume ses douze flambeaux.
La bise fait le bruit d’un géant qui soupire;
La fenêtre palpite et la porte respire;
Le vent. d’hiver glapit sous les tuiles des toits;
Le feu fait à mon atre une pâle dorure;
Le trou de ma serrure
Me souffle sur les doigts.
SOMMEIL
Ô pesanteur formidable
De la paupière qui dort!
L’âme est dans l’ombre insondable,
Et l’oeil ténébreux est mort..
[1860-1862]
Le lys est la coupe de l’âme.
Quand le coeur. est malade, il cherche à se guérir.
Il se rappelle alors, triste jusqu’à mourir,
Par quels secours le ciel calme notre souffrance;
Et c’est de souvenir qu’est faite l’espérance.
[1834-1836]
Enfant! n’ayons jamais de haine pour les hommes.
Lorsqu’ils sont malheureux, tous; hélas! nous le sommes,
Plains-les, ne donne pas ton bon coeur à moitié,
Et lorsqu’ils sont méchants, ajoute à la pitié!
Le méchant souffre plus, donc il faut plus le plaindre.
Ô ciel, éternel rêve
Des chaldéens, des grecs, des guèbres, des hébreux!
Quelle est donc la moisson du grand champ ténébreux?
Sur quels grains merveilleux, sur quels épis sublimes
Tourne-t-il donc, au fond des sinistres abîmes,
Ce zodiaque obscur, meule de l’infini?
[1859-1862]
On n’arrache pas Dieu des coeurs facilement.
[1874-1876]
La terre est belle, amis, quoique pleine de tombes;
Dehors sont les jardins, les roses, les colombes,
Les filles aux seins nus, les rayons; et dedans
Les morts silencieux qui tiennent dans leurs dents
Un denier pour payer à Caron leur passage.
[1862-1864]
L’encre, cette noirceur d’où sort une lumière.
Eh! quoi! vous affamez les nations, tyrans?
Imbéciles! la faim est un loup; prenez garde
A la faim; la misère est sinistre et hagarde;
Ah! baîllonnez du moins le peuple avec du pain!
[1868-1869]
Fais passer ton esprit à travers le malheur.
Comme le grain du crible, il sortira meilleur!
20 janvier 1835.
LES IVRESSES
La vigne gaie et verte et de grappes chargée,
Rit au seuil des maisons et grimpe jusqu’au toit;
Le houblon est joyeux sur la terre et l’où voit
Dans les larges tonneaux où trempe sa guirlande
Mousser l’ale d’Ecosse ou le porter d’Irlande.
Carnet, 1861.
Il est bon d’être ancien et mauvais d’être vieux.
[1832-1836]
Pour cheveux blancs, cheveux gris c’est jeunesse 55
[1834-1836]
L’amour...
[1840-1842]
L’océan, vieux guerrier, vieux sabreur des rochers.
Son écume, est de neige et sa vague est de nuit.
Il a la barbe blanche et la moustache noire.
[1857-1858.]
Quiconque est envieux s’avoue inférieur.
Mettez en prière l’enfant,
Nous sommes accablés par la Toute-Puissance,
Faites intercéder pour nous cette innocence,
Mère, employez votre ange à désarmer le ciel.
[1862-1864]
Sa bonne humeur énorme est une plénitude;
Il est hilare, il est folâtre, il est serein;
Et jamais un soupir, un nuage, un chagrin,
Un regret, un souci, ne comprime et n’étrique
Son rire olympien et sa joie homérique.
[1862-1864]
Et dans le clair-obscur court la rivière étroite;
Parfois le paysage étrange qui miroite
Ressemble à ces dessins qu’on voit dans l’acajou.
Un vieux château, bâti par les comtes d’Anjou,
Dresse sur l’horizon sa silhouette noire.
Heureux l’homme
Que ce feu brûle encore à l’âge où tout s’éteint
[1864-1866.]
Dieu, qui créa la nuit, ne peut punir l’erreur.
Toi qui t’es seulement trompé, sois sans terreur.
L’homme un jour contre.lui, dans ces ombres si hautes,
N’aura pas ses erreurs, mais il aura ses fautes.
[1874-1876]
On distingue, malgré son mystère et ses voiles,
Dieu par la claire-voie immense des étoiles.
[1873-1874]
Tous les hommes sont l’Homme, et tous les dieux, c’est Dieu.
Ô folie! ô génie! effrayants voisinages!
La forme du bonheur change avec les années.
L’homme scande ici-bas le vers qu’il chante au ciel.
La vie est un torchon orné d’une dentelle.