Oh! t’abaisser n’est pas facile,
France, sommet des nations!
Toi que l’idée a pour asile,
Mère des révolutions!
Aux choses dont tu fais le moule
Tout l’univers travaille en foule;
Ta chaleur dans ses veines coule;
Il t’obéit avec orgueil;
Il marche, il forge, il tente, il fonde;
Toi, tu penses, grave et féconde... —
La France est la tête du monde,
Cyclope dont Paris est l’œil!
Te détruire? — audace insensée!
Crime! folie! impiété!
Ce serait ôter la pensée
A la future humanité!
Ce serait aveugler les races!
Car, dans le chemin que tu traces,
Dans le cercle où tu les embrasses,
Tous les peuples doivent s’unir;
L’esprit des temps à ta voix change;
Tout ce qui naît sous toi se range! —
Qui donc ferait ce rêve étrange
De décapiter l’avenir?
Te bâillonner? — Rois! Dieu lui-même
Pourra vous le prouver bientôt,
Ce siècle est un profond problème
Dont la France seule a le mot.
Ce siècle est debout sur la rive,
D’une voix terrible ou plaintive,
Questionnant quiconque arrive,
Tribuns, penseurs, — ou rois, hélas!
Il propose à tous, dès l’aurore,
L’énigme inexpliquée encore,
Et, comme le sphinx, il dévore
Celui qui ne le comprend pas!
T’insulter? — mais, s’il se rencontre
Des rois pour courir ce danger,
Vois donc les choses que Dieu montre
A ceux qui voudraient t’outrager!
Vois, sous l’arche où sont nos histoires,
Wagram, les mains de poudre noires,
Ulm, Essling, Eylau, cent victoires,
Défiler au bruit du tambour!
Dieu, quand l’Europe te croit morte,
Prend l’empereur et te l’apporte,
Et fait repasser sous ta porte
Toute ta gloire en un seul jour!
T’insulter! t’insulter! ma mère!
Mais n’avons-nous pas tous, ô ciel!
Parmi nos livres, près d’Homère,
Quelque vieux sabre paternel?
Nos pères sont morts, France aimée!
Mais de leur foule ranimée
Peut-être on ferait une armée
Comme on en fait un Panthéon!
Prêts à surgir au bruit des bombes,
Prêts à se lever si tu tombes,
Peut-être sont-ils dans leurs tombes
Entiers comme Napoléon!
*
Toi, héros de ces funérailles,
Roi! génie! empereur! martyr!
Les temps sont clos; dans nos murailles
Rentre pour ne plus en sortir!
Rentre aussi dans ta gloire entière,
Toi qui mêlais, d’une main fière,
Dans l’airain de ton œuvre altière
Tous les peuples, tous les métaux;
Toi qui, dans ta force profonde,
Oubliant que la foudre gronde,
Voulais donner ta forme au monde
Comme Alexandre au mont Athos!
Tu voulais, versant notre sève
Aux peuples trop lents à mûrir,
Faire conquérir par le glaive
Ce que l’esprit doit conquérir.
Sur Dieu même prenant l’avance,
Tu prétendais, vaste espérance!
Remplacer Rome par la France
Régnant du Tage à la Néva;
Mais de tels projets Dieu se venge.
Duel effrayant! guerre étrange!
Jacob ne luttait qu’avec l’ange,
Tu luttais avec Jéhova!
Nul homme en ta marche hardie
N’a vaincu ton bras calme et fort;
A Moscou, ce fut l’incendie;
A Waterloo, ce fut le sort.
Que t’importe que l’Angleterre
Fasse parler un bloc de pierre
Dans ce coin fameux de la terre
Où Dieu brisa Napoléon,
Et, sans qu’elle-même ose y croire,
Fasse attester devant l’histoire
Le mensonge d’une victoire
Par le fantôme d’un lion?
Oh! qu’il tremble, au vent qui s’élève,
Sur son piédestal incertain,
Ce lion chancelant qui rêve,
Debout dans le champ du destin!
Nous repasserons dans sa plaine!
Laisse-le donc conter sa haine
Et répandre son ombre vaine
Sur tes braves ensevelis!
Quelque jour, — et je l’attends d’elle! —
Ton aigle, à nos drapeaux fidèle,
Le soufflettera d’un coup d’aile
En s’en allant vers Austerlitz!