10.

Ils séjournèrent quelques jours à Rome pendant que Nico s’occupait de ses affaires. Toute la journée, il vaquait à ses rendez-vous ou s’enfermait dans son bureau pour travailler à son ordinateur ou tenir de longues conférences téléphoniques.

Mais la nuit, il était tout à elle. Tina frissonna en pensant à leurs ébats. Elle ne se lassait pas de découvrir les joies d’une vie sexuelle épanouie. Il suffisait à Nico de poser une main sur sa hanche pour que tout son être se mette à vibrer de désir. Quel bonheur de fondre et de se perdre dans l’oubli des sens !

Il la possédait. Il était maître de son corps. Peu importait de quelle manière il la menait au paroxysme du plaisir, c’était toujours voluptueux et étourdissant. Elle n’aurait pas été davantage à lui s’il l’avait marquée au fer rouge.

C’était… choquant. Effrayant, aussi. En si peu de temps, elle était devenue complètement dépendante, comme droguée.

— Tina ? Reviens sur terre !

Assise en face d’elle au restaurant, son amie Lucia agitait les doigts devant ses yeux.

— Excuse-moi, répondit Tina avec un sourire. J’étais perdue dans mes rêves.

— J’imagine lesquels. Quelle chance tu as ! Niccolo Gavretti est si beau !

— Cela ne suffit pas, dans un mariage, remarqua Tina avec une moue désabusée.

Elle avait tout raconté à Lucia, jusqu’à son mariage précipité à Gibraltar. Loin d’avoir l’air horrifiée, son amie battait des mains, tout excitée.

— Peut-être, mais c’est sûrement très agréable. Dis-moi… Est-il à la hauteur de sa réputation d’amant fabuleux ?

Tina rougit.

— Lucia, je ne…

Comme elle s’interrompait, bredouillante, Lucia s’écria :

— Tu n’es tout de même pas tombée amoureuse de lui ? Ce n’est pas le genre d’homme auquel on peut s’attacher.

— Non, non, bien sûr.

Même si Niccolo Gavretti avait alimenté ses fantasmes d’adolescente, c’était de l’histoire ancienne. L’amour n’avait rien à voir avec ses rêves de jeune fille éprise d’absolu qui attendait le prince charmant.

Tina balaya d’un geste la remarque de Lucia.

— Rassure-toi, je suis enceinte, mais pas stupide.

— Je ne comprends pas pourquoi tu l’as épousé. De nos jours, on ne se marie plus parce qu’on attend un bébé. On n’est d’ailleurs pas non plus obligée de le garder.

Tina faillit se mettre en colère, mais se raisonna.

— Je sais. Mais je ne veux pas avorter. Et Nico a beaucoup insisté.

Tout à coup, Lucia s’immobilisa, la fourchette en l’air, en écarquillant les yeux.

— Mon Dieu ! Tu es marquise, maintenant ! Quelle surprise, pour les filles de Sainte-Catherine, si elles l’apprenaient !

— Elles n’y croiraient pas.

— Heureusement, ce temps est révolu.

— Oui, soupira Tina en posant une main protectrice sur son ventre. Jamais je n’enverrai mon enfant dans un endroit pareil, tu peux en être sûre. Ni aucun autre pensionnat.

— Dire que tu vas être maman ! Je suis si heureuse pour toi ! C’est étonnant que ce soit justement arrivé la toute première fois !

— Oui…

— Tu as peur ?

Tina serra la main de son amie.

— Non. Je me documente beaucoup.

Le matin qui avait suivi leur arrivée à Rome, lorsqu’elle s’était réveillée, Nico était au lit à côté d’elle, l’ordinateur portable allumé devant lui.

— Regarde, cara, c’est le site dont je te parlais. Si tu t’inscris, tu peux participer aux discussions et consulter les témoignages.

Les yeux rivés à l’écran, il semblait fasciné par les photos et les explications. Avec un pincement au cœur, elle repensa à l’expression de son visage. Même s’il ne parlait jamais de ses émotions, il n’était pas indifférent. Non ? Se trompait-elle ?

— Quand vas-tu annoncer la nouvelle à ta mère et à Renzo ? demanda Lucia. Ils ont le droit de savoir, eux aussi.

Avec une grimace, Tina s’appuya contre le dossier de sa chaise.

— Quand ils reviendront…

C’était un sujet douloureux, car elle avait vraiment l’impression d’avoir trahi sa famille. Que se serait-il passé si sa mère et son frère n’avaient pas été en vacances au bout du monde ?

Pour l’instant, Dieu merci, rien n’avait encore transpiré dans les journaux…

Après déjeuner, les deux amies firent un peu de shopping avant de se séparer. Tina remonta alors dans la voiture avec chauffeur que Nico avait insisté pour mettre à sa disposition. Il avait même affecté deux gardes du corps à sa protection, ce qu’elle jugeait ridicule. Heureusement, ils avaient leur propre véhicule et se montraient d’une discrétion exemplaire.

Ils étaient intervenus une seule fois, place d’Espagne, pour la débarrasser d’un vendeur de roses à la sauvette un peu trop insistant. Lucia ne s’était aperçue de rien et elles avaient poursuivi leur flânerie tout l’après-midi.

A présent, gagnée par la lassitude, Tina était heureuse de rentrer à l’appartement. Elle regrettait presque la quiétude du castello di Casari, avec sa piscine et son jardin paisibles.

Cela faisait quelques jours qu’elle n’avait pas consulté son portefeuille de titres et d’actions. Elle adorait l’excitation qui accompagnait une transaction risquée. Et quel plaisir, lorsque son audace payait et que le montant de ses gains grimpait en flèche !

Elle excellait dans les opérations boursières périlleuses. Renzo, qui ignorait ses activités, les aurait désapprouvées. Cela flattait son orgueil de subvenir aux besoins de sa petite sœur, dispensée de travailler.

Et Nico, qu’en penserait-il ? Accepterait-il de l’employer dans son entreprise, ainsi qu’il l’avait évoqué dans l’avion ? Elle ne devait pas trop se faire d’illusions. Il avait sans doute dit cela sans réfléchir et sans véritable intention.

En pénétrant dans l’appartement, Tina surprit l’écho d’une conversation dans le bureau, dont la porte était grande ouverte. Frappée par la froideur et l’amertume de Nico, elle allait se manifester quand elle entendit une voix de femme, hautaine et aristocratique. Elle se figea sur place. Puis elle se rendit compte qu’il avait mis le haut-parleur pour parler avec sa mère au téléphone.

— Tu es un fils ingrat, Niccolo, lança cette dernière avec colère. J’ai tout sacrifié pour toi.

— Oh ! vraiment ? Ne joue pas les martyres, mère, s’il te plaît.

— Tu es exactement comme ton père. Tu te désintéresses complètement de moi. De toute façon, tu as toujours pris son parti.

— Non, gronda Nico. J’étais un enfant, incapable de décider qui avait tort ou raison. J’avais seulement conscience d’être de trop et de vous gêner.

— C’était difficile, admit sa mère au bout d’un silence. Nous avons sauvé les apparences jusqu’à ce que tu sois en âge d’aller à l’école. Ensuite, ce n’était plus la peine de se fatiguer.

— Oui, et quand je réclamais de rentrer à la maison, tu n’étais jamais disponible. En voyage à l’étranger, ou en cure de thalassothérapie. La vie était très dure pour toi, mère, en effet !

Tant de souffrance, chez Nico, serra le cœur de Tina. Quel enfant solitaire et malheureux il avait dû être ! Complètement indésirable… Sa mère était d’une cruauté inouïe. Comment pouvait-on se comporter ainsi avec son fils unique ?

— Elle est très dure pour moi en ce moment, reprit la vieille marquise. J’ai supporté pendant des années les infidélités de ton père et ses humiliations. Mais au moins, je n’avais pas peur de vieillir dans le dénuement. Hélas, maintenant que tu as l’héritage, je suis obligée de me traîner à tes pieds pour quémander une aumône.

— Tu n’as rien d’une mendiante, protesta-t-il d’une voix dure où perçait néanmoins une émotion mal contenue. Je te verse une pension généreuse. Dorénavant, tu devras t’en contenter sans vivre au-dessus de tes moyens comme tu l’as toujours fait. Je ne braderai pas mes parts de sociétés pour satisfaire tes caprices.

— Ne dramatise pas, tu es ridicule ! lança-t-elle. Il ne s’agit pas de cela. Tu es un fils cruel et ingrat qui se plaît à voir souffrir sa mère.

— Il est temps de clore cette conversation, dit Nico.

— Je n’ai pas fini…

— Moi, si.

On n’entendit plus rien. Il avait raccroché.

Une boule dans la gorge, Tina s’approcha. Quelle horreur, d’avoir pour mère une femme pareille, glaciale, dénuée de tendresse… Même si Tina n’avait pas connu son père, elle avait été choyée par une mamma pétrie d’amour et de générosité.

Leur mère avait tout fait pour les rendre heureux, Renzo et elle. Quand elle les grondait ou les punissait, très rarement, c’était toujours mérité. En tout cas, Tina n’avait jamais eu l’impression d’être un fardeau.

Les épaules voûtées, Nico avait la tête dans les mains, dans la posture d’un homme accablé par les soucis. A sa vue, Tina se sentit bouleversée. Tout son être se tendit vers Nico. Elle avait envie de le prendre dans ses bras pour le consoler et lui dire qu’elle l’aimait.

Une émotion intense l’emportait, tel un maelström. Désemparée, elle pressa une main sur sa bouche. Non, ce n’était pas de l’amour qu’elle ressentait. De l’empathie, plutôt. De la compassion, parce qu’elle ne supportait pas de le voir aussi malheureux.

Elle dut faire du bruit, car il leva les yeux à ce moment-là.

— Je ne savais pas que tu étais rentré, dit-elle en s’efforçant de surmonter son trouble.

Elle avait la sensation de se tenir au bord d’une falaise, avec la peur de perdre l’équilibre et de tomber dans le vide.

Il se leva et fourra les mains dans ses poches.

— Ma réunion s’est terminée plus tôt que prévu.

Réfrénant son envie de le serrer dans ses bras, elle essaya de sourire comme si de rien n’était. Comme si son cœur n’était pas en train de se briser.

— J’ai déjeuné avec mon amie Lucia. Cela m’a fait du bien de sortir un peu.

Au regard qu’il lui lança, elle regretta sa dernière remarque, pourtant anodine. En s’exprimant ainsi, elle avait l’air de se plaindre.

— Tu n’es pas ma prisonnière, Tina. Tu es libre d’aller et venir comme bon te semble.

Il était fâché à cause de sa mère, pas contre elle, songea Tina.

— Ce n’est pas ce que je voulais dire. J’ai été contente de me promener avec mon amie, c’est tout.

Il se passa la main dans les cheveux et lui tourna le dos.

— J’ai du travail, Tina.

Elle s’approcha pour lui toucher le bras, mais se ravisa.

— Tu as envie de parler, Nico ?

Brusquement il fit volte-face, en pointant l’index sur le téléphone.

— De quoi ? De ma mère ? Cela ne changera rien à la situation, cara.

— Je sais. Mais parfois, cela fait du bien de se confier.

Il partit d’un rire dur et amer.

— Tu ne sais rien de ma vie, Tina. Tu ne peux pas exiger de moi des confidences sous prétexte de me réconforter.

— Tu serais peut-être soulagé.

— Tu n’es qu’une enfant ! s’écria-t-il, plein d’une rancœur injustifiée. Une femme naïve qui ne sait rien des relations humaines. Tu as grandi dans l’amour et la tendresse, choyée par les tiens. Tu n’imagines pas ce qu’a été mon existence. Le seul intérêt que je représentais pour mes parents, c’était d’être un garçon, héritier du titre !

Blessée par son jugement, Tina refusa néanmoins de capituler. Même si elle ignorait la condition d’enfant ballotté entre ses deux parents, elle connaissait un peu la solitude…

— Si cela te console de reporter sur moi le mépris qui t’étouffe, ne te gêne pas, je suis assez forte pour le supporter.

Il la fixa pendant une minute interminable, avec une expression terriblement douloureuse. Puis il recula en poussant un juron.

— Va-t’en, Tina. Laisse-moi seul. Je me remettrai vite. Ce n’est pas grave.

*  *  *

Assise sur la terrasse avec une tasse de thé et son téléphone, Tina communiquait par textos avec Faith, comme si tout allait bien. Elle avait reçu une photo de Renzo et Domenico qui l’avait beaucoup émue et emplie de nostalgie. Connaîtrait-elle un jour le même bonheur avec Nico ? Pour le moment, cela paraissait compromis.

Elle se sentait coupable de garder le silence sur sa grossesse et son mariage. En tout cas, son frère n’était pas au courant, Dieu merci ! Mais elle n’osait pas penser à sa fureur quand il apprendrait les derniers événements de son existence.

Faith l’invitait à les rejoindre, mais Tina déclina son offre, prétextant qu’elle partait à Tenerife avec Lucia. Malgré son horreur du mensonge, elle ne pouvait guère annoncer les dernières nouvelles par SMS.

Quand les messages cessèrent, Tina resta un instant encore à contempler le dôme de Saint-Pierre et à écouter les bruits de la rue, en contrebas.

Rome bruissait d’activité. Même si elle adorait cette ville, elle aurait séjourné avec plaisir au paisible castello di Casari, l’endroit où Nico lui avait demandé sa main. Un bref instant, elle y avait cru…

— Tina.

Elle se retourna. Debout dans l’embrasure de la porte, il la regardait, les mains dans les poches. Il était vêtu avec décontraction, d’un jean délavé et d’une chemise blanche, et chaussé de mocassins. Quand il s’approcha, elle eut envie d’appuyer sa joue contre sa paume. Tu l’aimes, murmura une petite voix intérieure.

Non, ce n’était pas de l’amour. Juste de la compassion.

— Tu as fini ton travail ? s’enquit-elle un peu vivement.

Elle ne voulait surtout pas lui montrer à quel point ses paroles, tout à l’heure, l’avaient blessée.

Il tira une chaise pour s’asseoir en face d’elle.

— .

Puis il se tut. Au bout d’une longue minute, il sortit un écrin qu’il plaça sur la table, devant elle.

Le cœur de Tina se mit à battre la chamade.

— Qu’est-ce que c’est ?

— Un cadeau. Pour m’excuser et réparer un oubli.

A l’intérieur du boîtier, un magnifique diamant d’au moins six carats brillait de mille feux, serti de pierres plus petites. Très élégante, la bague avait dû coûter une fortune.

— Elle est superbe.

Paradoxalement, elle se sentit triste. Ce bijou ne signifiait rien pour Nico, en tout cas pas ce qu’elle aurait souhaité. Elle aurait préféré qu’il lui parle, au lieu de lui acheter une bague pour se faire pardonner.

Qu’avait-elle donc espéré ?

Il glissa la bague à son doigt, et elle leva sa main pour la contempler.

— Si elle ne te plaît pas, tu peux la changer.

Tina secoua la tête. Elle était vraiment très belle, d’un raffinement exquis, faite pour une marquise.

— Merci, dit-elle en gardant les yeux baissés pour ne pas lui montrer son amertume.

— Je suis désolé de t’avoir rabrouée, déclara-t-il, comme s’il lisait en elle à livre ouvert.

— Tu étais ennuyé.

— Tu n’y étais pour rien. Je n’aurais pas dû m’en prendre à toi.

— J’ai eu tort de me mêler de tes problèmes.

Elle saisit son téléphone avant d’ajouter :

— Je suis mal placée pour te donner des conseils. Je ferais mieux de résoudre les miens. Je n’ai encore rien dit à ma famille…

— Ils ne cesseront pas de t’aimer pour autant. Renzo sera forcément très en colère au début, mais il finira par se calmer.

— Tu n’en sais rien, protesta-t-elle. Il te déteste, je l’ai trahi… Il ne voudra peut-être plus me voir.

Nico soupira.

— Pourquoi m’as-tu parlé de ce bébé ? Tu n’étais pas obligée. Et cela t’aurait évité beaucoup de soucis.

La gorge de Tina se serra.

— Tu oses me poser ce genre de questions alors que tu as refusé de me répondre tout à l’heure ?

Elle secoua la tête et attendit un instant.

— Eh bien, je vais te prouver qu’on peut dire sur soi-même des choses intimes et très graves, sans que le monde s’écroule pour autant. Si j’ai tenu à t’annoncer ma grossesse, c’est parce que je n’ai pas connu mon père. Malgré mon insistance, ma mère a toujours refusé de me parler de lui. Je ne voulais pas reproduire cette situation avec mon enfant. Et je ne m’attendais pas du tout à une proposition de mariage.

— Non, tu voulais continuer à vivre de ton côté, en m’autorisant quelques visites quand cela t’arrangerait. Si toutefois ton frère n’en décidait pas autrement !

Elle baissa les yeux pour ne pas croiser son regard.

— Je ne le nie pas. Franchement, je ne t’imaginais pas intéressé par la paternité. J’espérais que tu jouerais un rôle dans la vie de cet enfant, mais je n’y croyais qu’à moitié.

— Pourquoi ?

— On ne compte plus tes maîtresses. Tes liaisons tapageuses défraient la chronique.

— Les histoires sentimentales finissent toujours mal.

— Tu juges d’après tes expériences personnelles ou des observations en général ? Ce n’est pas du tout pareil !

Il sembla hésiter un instant, puis son expression se durcit de nouveau.

— Mes parents m’ont donné une image catastrophique du mariage.

— Il s’agit de deux personnes qui ne représentent qu’elles-mêmes.

— C’est l’exemple que j’ai eu sous les yeux en grandissant. Ils auraient dû divorcer il y a des années, au lieu de rester ensemble et de s’empoisonner l’existence.

— Et de te rendre malheureux, ajouta-t-elle d’une voix douce.

Tina s’attendait à un nouvel éclat de colère, mais Nico se massa la nuque en disant :

— Oui. Encore aujourd’hui.

— Pourquoi m’as-tu épousée, Nico ? demanda-t-elle à brûle-pourpoint.

Il détourna les yeux, comme s’il avait un peu peur de l’affronter.

— Tu le sais.

— Oui, sans doute. Mais que se passera-t-il après la naissance du bébé ?

Il haussa les épaules.

— Nous aviserons en temps voulu, Tina. Je te promets que cet enfant ne souffrira jamais comme j’ai souffert. Nous agirons pour le mieux, toi et moi. Notre expérience nous aura servi de leçon. Nous ne serons pas de mauvais parents.

Nico était en train de lui parler librement, songea-t-elle tout à coup avec une pointe d’émotion.

— Je suis très sensible à cette conversation. Je comprends mieux certaines choses, maintenant.

— Lesquelles ?

— Tu as eu l’air mal à l’aise, quand Giuseppe t’a présenté ses condoléances, expliqua-t-elle sur un ton embarrassé. Et tu as réagi de la même façon avec moi, comme si tu te sentais obligé de jouer un rôle.

Nico resta silencieux pendant un long moment. Il avait du mal à contenir ses émotions.

— La vérité, c’est que je méprisais mon père, dit-il enfin. Mais je l’avais adulé durant des années et j’aurais fait n’importe quoi pour conquérir son affection, qui m’a davantage manqué que l’amour de ma mère. En cela, elle a raison. J’ai pris son parti en grandissant. Elle était si… mesquine et capricieuse, à la différence de lui, toujours très digne et maître de lui. Mais il ne s’intéressait qu’à lui-même.

Tina lui prit la main pour la serrer très fort.

— Je suis désolée, Nico.

Il ne se dégagea pas, mais pressa ses doigts entre les siens.

— J’enviais l’atmosphère de votre maison, confia-t-il. Je venais très souvent chez vous parce que j’avais envie de faire partie de votre famille. Ta mère était si douce, si gentille… J’adorais manger chez vous, à la table de la cuisine. Ce sont les meilleurs repas que j’aie jamais faits.

— Moi, j’aimais beaucoup tes visites, avoua Tina. Et Renzo te considérait comme son frère.

Quand il s’écarta, elle regretta d’être sans doute allée un peu trop loin. Mais c’était vrai. Renzo et lui avaient été très proches.

Nico se renferma de nouveau sur lui-même.

— Cela fait bien longtemps ! observa-t-il avec raideur.

— Tout pourrait redevenir ainsi. Si seulement Renzo et toi discutiez ensemble…

— Maledizione !, la coupa-t-il avec virulence en se dressant sur ses pieds, le corps vibrant de colère. Tu ne comprends donc pas ? Je suis un Gavretti. Je détruis tout ce que je touche.

S’éloignant à grands pas, il retourna à l’intérieur, la laissant seule et désemparée.

Pas tout, j’espère, se dit-elle, en regardant la coupole de Saint-Pierre s’illuminer au soleil couchant.