2.

Nico éprouva une sorte de malaise. L’inconnue de Venise serait la petite sœur de son ancien ami ? Cela paraissait difficilement crédible…

Valentina mentait. Elle avait concocté une ruse avec son frère pour se venger. En tout cas, il serait déçu de la découvrir aussi impitoyable que Renzo. Elle qui était si timide, autrefois…

Il ignorait comment elle avait appris les détails de l’épisode vénitien, mais il ne tomberait pas dans le piège.

Il détailla le corps de Tina en essayant de se rappeler la femme qu’il avait rencontrée cette nuit-là sur l’embarcadère, devant le palazzo. Elle frissonnait et semblait au bord des larmes. Il avait craint qu’il ne lui soit arrivé quelque chose.

Son innocence l’avait charmé, bien qu’il ait habituellement une préférence marquée pour des partenaires plus expérimentées. D’ailleurs, il avait été très surpris de découvrir qu’elle était vierge.

Ce n’était pas elle qu’il avait en face de lui. C’était impossible. D’une manière ou d’une autre, Valentina D’Angeli et son frère connaissaient l’autre femme et utilisaient la situation à leur avantage.

— Vous mentez ! déclara-t-il avec aplomb.

Blessée par sa remarque, elle tressaillit.

— Pourquoi ferais-je une chose pareille ? Qu’aurais-je à y gagner ?

Une fureur noire s’empara de Nico. En plus, elle jouait les innocentes !

— Je suis riche, noble. Et en ternissant ma réputation, le P.-D.G. de D’Angeli Motors se réjouirait de mettre des bâtons dans les roues de son entreprise concurrente.

Elle se leva en fronçant les sourcils. Aussitôt, Nico éprouva un désir subit, inattendu. Tina était très belle, avec une jolie peau lisse et une cascade de boucles auburn qui retombaient sur ses épaules. Il se serait souvenu d’une chevelure pareille. Et puis, la jeune femme de Venise avait les cheveux raides…

Les poings sur les hanches, des étincelles de colère dans ses yeux violets, Tina lui fit face.

— Vous n’aviez pas encore hérité de votre titre de noblesse il y a six semaines, et mon frère a autant d’argent que vous. Quant à vos rivalités d’affaires, je m’en moque éperdument.

Nico s’efforça de maîtriser l’attirance qu’il éprouvait pour ce corps aux formes généreuses.

— Elle avait les cheveux raides, énonça-t-il d’un ton froid.

Un instant, elle sembla désarçonnée. Il crut avoir triomphé. Mais presque aussitôt, elle se ressaisit en riant et tira sur une mèche.

— Si vous me donnez vingt minutes, un séchoir et un lisseur, je peux très facilement me recoiffer comme ce soir-là.

Il se crispa.

— Ce n’est pas une preuve.

Elle s’approcha tout près, d’un air provocant. Plus troublé qu’il n’aurait dû, il faillit l’embrasser, comme pour vérifier quelque chose. Mais la voix de la raison lui commanda de se retenir.

Elle releva le menton et le foudroya du regard. Elle avait du tempérament ! L’adolescente silencieuse qui se cachait jadis derrière ses cheveux avait beaucoup changé.

— Dois-je vous rappeler tous les détails de cette nuit-là ? reprit-elle en le regardant droit dans les yeux. En commençant par le moment où vous m’avez adressé la parole sur l’embarcadère pour me demander si tout allait bien ? Je peux aussi vous décrire votre chambre à l’hôtel Danieli. Vous répéter vos paroles quand vous avez éteint la lumière : « Pas de noms, ni de visages. » Ensuite, vous m’avez enlevé ma robe…

Ecarlate, elle s’interrompit tandis que Nico, troublé, se remémorait cette brève rencontre. Aucune femme ne l’avait autant fasciné. Le matin, en se réveillant seul, il avait ressenti un curieux mélange d’amusement et de tristesse, avec l’impression d’avoir été utilisé.

En fait, malgré ce qu’il avait prétexté sur son désir d’anonymat, il aurait voulu la revoir. Pour explorer ce je-ne-sais-quoi de mystérieux éprouvé à son contact. Et il ne se contentait généralement pas d’une seule nuit avec les femmes qui lui plaisaient.

Il avait essayé de se renseigner auprès du personnel de l’hôtel. Le veilleur de nuit l’avait vue partir en gondole aux environs de 2 heures du matin, mais sans remarquer dans quelle direction.

Une enquête auprès des gondoliers qui travaillaient cette nuit-là n’avait rien donné non plus, et Nico s’était résigné à ne pas la revoir.

— Ces détails ne prouvent rien, déclara-t-il. Quelqu’un a pu vous les raconter.

Elle baissa la tête.

— C’est ridicule !

Puis, de nouveau très pâle, elle se rassit sur le canapé.

— Voulez-vous un autre biscuit ? demanda-t-il avec une pointe de remords. Du thé, peut-être ?

— Non merci.

Elle eut soudain une moue dédaigneuse.

— Vous avez raison, bien sûr. J’ai inventé toute cette histoire avec Renzo pour vous mettre dans l’embarras. Un bébé nuirait à votre réputation de play-boy et de mauvais garçon, n’est-ce pas ?

Comment osait-elle se moquer de lui ?

— Je ne sais pas ce que Renzo et vous avez en tête, rétorqua-t-il avec colère. Vous avez peut-être envie de légitimité et de respectabilité, tout simplement. Certaines personnes s’abaisseraient à toutes sortes de compromissions pour s’approprier un titre de noblesse.

Elle devint livide.

— Vous êtes si plein de vous-même et de votre propre importance ! J’ai eu tort de vous demander cette entrevue. Je pensais très naïvement que vous aviez le droit de savoir. En tout cas, soyez sans crainte, je n’attends rien de vous. Maintenant, j’aimerais me reposer un peu. Je ne vous raccompagne pas…

Indécis, Nico s’attarda un instant. Elle semblait vraiment ébranlée. Puis, un détail lui revint à la mémoire.

— Vous avez oublié un point important, cara. Votre informatrice ne vous a pas tout dit. J’ai peut-être des mœurs dissolues, mais je suis un homme responsable. J’utilise toujours une protection.

— Malheureusement, les préservatifs ne sont pas infaillibles. La contraception n’est jamais efficace à cent pour cent.

— Vous ne m’avez pas convaincu, bella. Dites à Renzo de trouver autre chose.

A ces mots, il tourna les talons et referma la porte derrière lui.

*  *  *

Tina réfréna son envie violente de jeter un objet dans sa direction. Mais cela demandait trop d’efforts et elle se contenta de rester assise sur le canapé à boire du thé et grignoter des biscuits pour calmer ses nerfs.

Elle aurait dû se féliciter d’avoir bien agi, mais elle ne ressentait qu’un mélange de colère et de frustration. La vieille querelle qui avait divisé Nico et son frère continuait à causer beaucoup d’animosité.

En tout cas, elle venait de prendre une décision : même si Renzo insistait, elle ne lui révélerait pas le nom du père de son bébé. A vingt-quatre ans, elle était adulte et tout à fait capable d’assumer les conséquences de ses actes. Finalement, il valait peut-être mieux que Nico ne la croie pas. Maintenant, elle n’avait plus besoin d’en parler à personne.

Sa mère la soutiendrait. N’avait-elle pas elle-même vécu la même situation ?

Tina fronça les sourcils. Pauvre maman ! Elle avait eu tant d’histoires d’amour malheureuses… En ce moment, elle était à Bora Bora avec son nouvel amant, et Tina espérait de tout son cœur que c’était enfin le bon. Personne plus que sa mère ne méritait d’être heureuse et aimée. Elle avait travaillé dur et consenti d’énormes sacrifices pour aider Renzo à monter son affaire.

Tina soupira. Au moins, elle disposait d’un peu de répit. Sa mère était au bout du monde et son frère en vacances sur son yacht dans les Caraïbes, avec Faith et leur bébé. Renzo avait subi une intervention chirurgicale qui lui permettrait de recouvrer le plein usage de sa jambe accidentée. Elle ne voulait surtout pas perturber sa convalescence.

Même si Tina aurait adoré parler de sa grossesse avec sa belle-sœur, un peu de solitude ne lui ferait pas de mal. Lorsque tout le monde reviendrait, du temps aurait passé et elle aurait davantage confiance en elle.

Elle commença à se sentir beaucoup mieux en début d’après-midi et décida de quitter Rome le lendemain matin pour s’installer quelque temps à Capri, dans la maison de vacances familiale. Après son entrevue éprouvante avec Nico, elle avait besoin d’échapper à l’agitation de cette ville où il habitait et continuerait à vivre comme si de rien n’était.

Le bon air de Capri, avec son délicieux parfum de citronniers, la rassérénerait. Mais avant de partir, elle allait essayer de dîner avec Lucia, à laquelle elle n’avait pas encore tout raconté, malgré son insistance. Ce serait l’occasion de lui annoncer la nouvelle.

Après avoir laissé un message sur le portable de son amie, Tina sortit se promener pour s’éclaircir les idées. Elle enfila un jean et des sandales, noua un foulard autour de son cou et se mit en route en direction de la piazza Navona et du Panthéon.

C’était son monument préféré à Rome. Traversant le portique et sa forêt de colonnes, elle se retrouva dans la rotonde, sous l’immense coupole baignée par la lumière du jour. Ignorant la foule des touristes, elle s’assit sur un banc, en face de l’autel ajouté tardivement, lorsque le temple avait été converti en église.

Levant la tête, elle suivit des yeux un petit nuage blanc. Cet endroit avait toujours eu le pouvoir de l’apaiser. Une fois, à la fin des vacances scolaires, alors qu’elle n’avait pas envie de repartir en pension, elle s’était échappée de chez Renzo pour se réfugier ici. Elle était restée cachée pendant plusieurs heures, jusqu’à ce que des vigiles travaillant avec son frère finissent par la découvrir.

— Elle avait une cicatrice…

Elle sursauta au son de cette voix qui résonnait à son oreille au-dessus du brouhaha. Puis elle se tourna vers l’homme qui, malgré elle, faisait toujours battre son cœur. Il l’avait suivie !

— Ici, poursuivit-il en montrant un point entre la hanche et le nombril, du côté droit.

— J’ai été opérée de l’appendicite il y a quatre ans.

Une ombre voila les yeux gris argent de Nico.

— Vous ne voudriez pas me montrer votre cicatrice, j’imagine ?

— Si. Mais pas tout de suite, si cela ne vous dérange pas. Et même dans le cas contraire, d’ailleurs.

L’intensité de son regard ne faiblit pas.

— A supposer que vous soyez véritablement cette femme que j’ai rencontrée à Venise, reprit-il, comment avez-vous su qui j’étais ?

Elle leva de nouveau les yeux vers le cercle parfait que formait l’ouverture de la coupole. Un oiseau volait, les ailes déployées.

— J’ai soulevé votre masque. Et je me suis enfuie aussitôt.

— Qui me dit que c’est la vérité ? Vous m’avez peut-être tendu un guet-apens.

Elle lui fit face et ressentit aussitôt des picotements dans le ventre. C’était une sensation troublante, qu’elle n’avait jamais éprouvée avec personne d’autre.

— Si j’avais voulu vous tendre un piège, je m’y serais sans doute prise autrement. Quand on veut séduire, on ne joue pas à l’enfant craintive et désemparée.

— Pourtant, cela a marché.

Tina se redressa, furieuse.

— Croyez ce que vous voulez, à la fin, mais laissez-moi tranquille et cessez de me tourmenter avec vos théories ! D’accord ? Pour ma part, maintenant que je vous ai dit ce que j’avais à vous dire, j’en ai terminé. Je n’attends rien de vous, Nico. Il m’a juste semblé de mon devoir de vous parler de cet enfant, pour le cas où vous souhaiteriez le connaître.

Elle se leva, mais il la força à se rasseoir en lui empoignant l’épaule. Incapable de supporter le contact de ses doigts, elle se libéra d’un geste vif et croisa les bras.

Il se pencha pour lui parler à l’oreille.

— Si vous portez mon enfant, Valentina, il est évident que je tiendrai ma place dans sa vie. Je refuse de payer une pension alimentaire et de le voir uniquement lorsque j’y serai autorisé par une quelconque décision de justice. Si vous portez mon enfant, vous êtes mienne.

La lueur de ses yeux gris perça les fragiles défenses de Tina pour s’infiltrer jusque dans son âme. Elle faillit céder. Puis, soudain, elle se ressaisit. On ne lui avait pas inculqué les principes exigeants d’une éducation sévère pour qu’elle se soumette aussi facilement. Nico Gavretti ne disposerait pas d’elle comme il l’entendait.

Elle le toisa d’un air glacial.

Cette fois-ci, il ne la retint pas lorsqu’elle mit son sac en bandoulière et se leva. Mais il semblait aussi dangereux qu’une charge de dynamite prête à exploser.

— Vous n’avez aucun droit sur moi, Nico. J’ai envie que notre bébé connaisse son père, et nous trouverons bien une solution. Mais je refuse d’être un pion dans le conflit qui vous oppose à Renzo.

Elle eut conscience d’avoir allumé la mèche… C’était comme si elle lançait un défi à Nico, qui ne manquerait pas de le relever. Il adorait ce genre de situations. C’est pour cela qu’il passait sa vie à battre des records de vitesse sur des motos toujours plus puissantes et qu’il enchaînait les conquêtes. Il ne s’avouerait pas vaincu.

Il prendrait peut-être son temps, mais il réagirait. Et cette pensée effraya Tina.

— Trop tard, cara, susurra-t-il d’une voix doucereuse. Tu es déjà à moi.