Nico approcha son visage et Tina ferma les yeux dans l’attente de son baiser. Elle en avait tellement envie et depuis si longtemps… Même si elle avait tort, bien sûr, de capituler ainsi, c’était plus fort qu’elle.
Mais il ne l’embrassa pas. En tout cas pas comme elle l’espérait. Il effleura sa joue du bout des lèvres, avant de déposer un chaste baiser sur son front.
Une immense déception envahit la jeune femme quand il l’aida à se relever.
— Il y a beaucoup à faire, tesoro. Il faut que tu prépares un petit sac de voyage.
Elle cligna les paupières.
— Nous partons quelque part ?
Il la prit par les épaules et elle s’embrasa à son toucher.
— Oui, à Gibraltar, annonça-t-il.
— Gibraltar ?
— Tu n’ignores pas la rapidité des procédures de mariage dont on peut bénéficier là-bas, j’imagine ?
Une horrible appréhension s’abattit sur la jeune femme.
— Oui, mais… Je croyais…
Il lui lança un regard plein de pitié. Que croyait-elle ? Qu’elle aurait une cérémonie normale, bien que précipitée ? Qu’elle passerait le mois qui venait à choisir sa robe, les fleurs, le menu, et à organiser la réception ? Qu’elle parviendrait à persuader Renzo d’oublier sa rancune pour la mener à l’autel ?
Exactement comme n’importe quelle autre femme, elle s’était imaginé un mariage de conte de fées.
Quelle déconvenue ! Depuis le début, elle avait fait tout à l’envers. Et maintenant, cet homme qu’elle connaissait à peine, mais qu’elle avait accepté d’épouser, allait l’emmener à Gibraltar pour s’acquitter d’une simple formalité administrative. D’ici à vingt-quatre heures, elle serait la signora Gavretti…
Ou plutôt, la marquise di Casari.
Tina vacilla sur ses jambes, et Nico l’entoura de ses bras puissants pour l’attirer contre lui.
— Cela ne sert à rien d’attendre et de perdre du temps, déclara-t-il.
— Mais ma famille…
Il la foudroya du regard.
— Ta famille, c’est moi désormais, Tina.
* * *
A la nuit tombée, ils embarquèrent à bord du jet privé de Nico à destination de Gibraltar. Assis en face d’elle, Nico travaillait, les yeux fixés sur son écran d’ordinateur. Tina tentait vainement de se concentrer sur son roman.
Sa vie avait changé si vite… Il y avait seulement deux mois de cela, elle choisissait un déguisement pour assister à un bal masqué avec son amie Lucia. En l’espace d’une seule nuit, toutes ses certitudes avaient volé en éclats, en même temps que son existence.
Elle avait juste voulu s’amuser un peu. Elle avait saisi l’occasion d’être pour une fois une jeune femme libre et spontanée, différente mais maîtresse d’elle-même.
Quelle ironie !
Avec Niccolo Gavretti, il n’était plus question de contrôler quoi que ce soit. Glissant un regard dans sa direction, elle retint son souffle, subjuguée, comme chaque fois, par le charme irrésistible de son beau visage. Elle avait envie de tendre la main pour le caresser et effacer le pli de son front soucieux, mais elle avait tout autant envie de s’enfuir en courant pour oublier le tourment qu’il lui infligeait.
Il leva les yeux à ce moment-là et éteignit son ordinateur.
— Je sais que les choses ne se déroulent pas comme tu l’espérais, dit-il. Mais c’est mieux ainsi.
— Pour qui ? demanda-t-elle machinalement.
— Pour nous. Pour le bébé.
— C’était inutile de se précipiter ainsi. Un mois de plus n’aurait rien changé.
Il haussa les épaules.
— Quand je prends une décision, je passe à l’action sans tarder.
Lui seul comptait. L’opinion des autres n’avait pas d’importance.
— Et ta mère ? Elle aurait sans doute aimé assister au mariage de son fils.
Il éclata d’un rire amer, qui la glaça.
— Elle se moque éperdument de moi. Pour le moment, elle est surtout furieuse parce que je refuse de rien ajouter au montant de sa pension alimentaire. Elle ne m’offrirait même pas une goutte d’eau si je mourais de soif devant sa porte.
Une grande tristesse perçait néanmoins dans la voix de Nico.
— Elle est sans doute très affectée par la mort de ton père, dit Tina pour le consoler.
Il lui jeta un regard incrédule.
— Pas du tout ! La seule chose qui l’ennuie, c’est d’être obligée de s’adresser à moi pour réclamer de l’argent.
— Je suis désolée, murmura Tina.
— Toutes les familles ne sont pas unies comme la tienne.
Tina baissa les yeux. Oui, il avait raison. Malgré tout, elle n’osait pas imaginer les réactions de Renzo et de sa mère quand elle leur annoncerait son mariage.
Renzo, surtout, serait fou de rage.
Le téléphone de Nico sonna à ce moment-là et il prit la communication. Quelques instants plus tard, l’avion se posait sur l’aéroport de Gibraltar.
Il faisait nuit. Une limousine les attendait pour les conduire à un palace où une suite leur était réservée. Dès qu’ils entrèrent, une inquiétude sourde s’empara de Tina. Il n’y avait qu’une chambre, avec un grand lit.
— Il nous faut une deuxième chambre, déclara-t-elle.
Elle n’était pas préparée à passer la nuit avec Nico. Pas ainsi, alors que le contrôle de son existence lui échappait brutalement. Si au moins il l’avait embrassée, sous la pergola… Elle aurait cédé, comme une fleur ployant sous la bourrasque.
Mais ce n’était pas le cas. Pendant les heures qui avaient suivi, Tina avait eu tout le loisir d’y réfléchir. A partir du moment où elle avait donné son consentement, Nico avait accéléré le mouvement. Il se comportait en homme d’affaires pressé de conclure un marché.
Que croyais-tu donc ? lança une petite voix perfide dans son for intérieur.
Nico ouvrit les grandes portes-fenêtres pour sortir sur le balcon. De l’autre côté de la baie, couleur d’encre, on apercevait les lumières d’Algésiras.
— Tu devras te contenter de cette chambre, annonça-t-il quand Tina le rejoignit.
Elle croisa les bras sur sa poitrine, le cœur battant.
— Tout va beaucoup trop vite pour moi, Nico.
Il se tourna vers elle, une expression énigmatique sur le visage.
— L’hôtel n’a rien d’autre à nous proposer, expliqua-t-il. Nous nous arrangerons.
Il avait l’air tranquille, confiant, alors qu’un affolement sans borne la gagnait au souvenir de la dernière nuit, la seule, qu’ils avaient partagée. Toutes les sensations lui revenaient, la douceur des draps et des caresses, les corps emmêlés, le moment parfait où elle avait découvert la sensualité et la passion…
— Je dormirai sur le divan, proposa-t-elle.
Il s’approcha et elle recula d’un pas sans pouvoir s’en empêcher. Il était si grand, si imposant ! Quand il s’arrêta, à quelques centimètres, elle fut obligée de lever la tête pour le regarder. Elle aurait dû remettre ses talons aiguilles, songea-t-elle.
Il prit une mèche de ses cheveux et l’enroula autour de son poing fermé.
— Tu es sûre ?
Elle acquiesça avec empressement.
— Ta pudeur est un peu déplacée, tu ne crois pas ?
Elle s’empourpra.
— Je n’ai accepté de me marier… que pour t’empêcher de nuire à ma famille, bredouilla-t-elle.
Il approcha son visage du sien.
— Ah, tu t’es sacrifiée ?
— Non…
— La sexualité fait partie du mariage, ajouta-t-il sur un ton implacable.
— Bien sûr. Mais ce sont deux choses différentes, n’est-ce pas ? Nous ne nous connaissons pas vraiment.
— Nous nous connaissions encore moins à Venise, ce qui rendait l’aventure plus excitante, il me semble. Dois-je me procurer des masques pour te mettre à l’aise ?
Elle baissa les yeux.
— Les circonstances étaient très différentes, et ont eu des conséquences imprévisibles.
— Qui n’ont strictement rien à voir avec ce qui nous préoccupe pour l’instant. C’est moi qui ne te plais pas, Tina ?
Comment le détromper sans abdiquer sa fierté ?
— Je… C’est moi… je ne suis pas prête.
— Ah oui ? murmura-t-il en la lâchant.
Puis il s’écarta pour rentrer dans la chambre. La gorge nouée, Tina avait conscience de l’avoir atteint dans son amour-propre, alors qu’elle cherchait seulement à préserver le sien. Mais comment se reconnaître dans des émotions confuses qu’elle ne comprenait pas elle-même ?
Nico se dirigea vers le bar et se servit un scotch avant de se retourner vers elle.
— Contrairement à ce que tu penses, cara, je maîtrise ma libido. Tu te trompes en imaginant que je cherche à te séduire. Tu peux dormir sans crainte dans le même lit que moi. Il ne t’arrivera rien.
Il vida son verre en une gorgée et attrapa son porte-documents.
— J’ai du travail, et pas la moindre envie de t’imposer quelque chose qui, manifestement, te répugne.
* * *
Tina se réveilla le lendemain matin dans le lit, alors qu’elle s’était endormie sur le canapé. Dans la salle de bains, on entendait l’eau de la douche qui coulait. Quelques minutes plus tard, Nico apparut, vêtu d’une simple serviette nouée autour des reins. Elle rougit d’embarras… et de désir.
— J’étais très bien sur le canapé, dit-elle pour rompre le silence pesant. Il fallait me laisser.
— Non. Tu étais mal installée, et tu avais l’air d’avoir froid.
Il ouvrit un placard pour en sortir un pantalon. Tina ferma machinalement les yeux quand la serviette tomba, mais les rouvrit presque aussitôt. Nico lui tournait le dos, si bien qu’elle pouvait se rassasier de sa vue sans être gênée. Il avait des épaules larges, musclées, une taille et des hanches étroites, des cuisses longues et puissantes. Un désir violent, incoercible, s’empara d’elle.
Elle ne se souvenait pas d’avoir été transportée dans le lit, mais un détail, cependant, lui revint à la mémoire. Toute tremblante de froid, elle s’était serrée contre un corps chaud et réconfortant. Elle se mordit la lèvre. Que s’était-il passé exactement ?
Nico enfila une chemise et surprit son regard.
— N’aie crainte, cara. Il ne t’est rien arrivé. Je préfère une partenaire active et consentante.
— Je n’en doute pas. En tout cas, merci de m’avoir réchauffée.
Il commença à boutonner sa chemise avec nonchalance.
— Tu es la mère de mon enfant, Tina. Je veillerai sur toi comme sur la prunelle de mes yeux.
Tina sentit sa gorge se nouer. Elle n’était qu’un réceptacle, à ses yeux. Cette pensée la blessa. Comme ce serait différent d’épouser un homme qui l’aimait vraiment ! Qui aurait réellement envie de fonder une famille au lieu de s’y résigner…
— J’ai des rendez-vous d’affaires, annonça-t-il en partant. Le mariage aura lieu ce soir. En attendant, tâche de t’occuper et de te distraire.
Il ressemblait à Renzo, songea Tina. Toujours très occupé et dictant aux autres leur conduite. Sauf que Faith ne s’était pas laissé faire. Elle avait continué à travailler le temps de trouver quelqu’un pour la remplacer. Encore maintenant, elle gérait son carnet de rendez-vous tout en s’occupant du bébé. Son macho de frère était bien obligé de composer et de la traiter d’égal à égal.
C’est d’ailleurs cet exemple qui avait redonné à Tina l’espoir de décrocher un poste de comptable chez D’Angeli Motors, en dépit des résistances de Renzo. Il croyait sa sœur trop fragile pour supporter le stress de la vie professionnelle, et elle comptait bien lui prouver le contraire. Malheureusement, ce n’était plus d’actualité…
Tina se doucha et prit son petit déjeuner. Avant d’aller à la piscine de l’hôtel, elle consulta ses messages. Sa mère passait un séjour inoubliable à Bora Bora. Quant à Faith et Renzo, qui avaient envoyé une photo de Domenico, ils semblaient très heureux. Comment n’aurait-elle pas éprouvé une pointe de nostalgie ?
Après avoir nagé un peu, elle s’installa à l’ombre d’un parasol et faillit appeler Lucia. Mais pour lui dire quoi ? Pour lui annoncer un mariage de pure convenance, parce qu’elle était tombée enceinte par accident ?
Le cœur serré, elle retourna à la suite. Dès qu’elle ouvrit la porte, elle se figea de stupéfaction. Un immense portant offrait à sa vue toute une collection de robes somptueuses, accrochées à des portemanteaux. Comme d’habitude, Nico ne l’avait même pas consultée. Depuis qu’il l’avait retrouvée au Panthéon, il décidait pour elle, autoritairement.
Elle se sentait de plus en plus dépossédée d’elle-même et de sa liberté. Cela devenait insupportable. Très en colère, elle se dirigea d’un pas décidé vers la pièce voisine.
Nico n’était pas seul. Devant l’irruption furieuse de la jeune femme, en Bikini et paréo, les deux hommes qui se trouvaient avec lui s’éclipsèrent.
Les poings sur les hanches, dans une posture de défi, Tina foudroya Nico du regard. Puis, en remarquant la façon dont il détaillait sa poitrine à peine couverte, elle faillit battre en retraite. Mais elle refusa de se laisser intimider.
— Qu’y a-t-il, Tina ?
Elle s’avança, frémissante.
— Des robes de mariée ? Tu as osé choisir pour moi ?
Dans sa fureur, elle avait du mal à articuler.
— Pas du tout, répondit-il avec calme. J’ai commandé quelques modèles pour que tu puisses choisir, justement.
Elle serra les poings. Comment pouvait-il se montrer aussi indifférent ?
— Je n’en veux aucune, déclara-t-elle d’un ton rageur.
Inexplicablement, elle était au bord des larmes.
Nico se contenta de répondre avec un geste vague.
— Eh bien, renvoie-les, si aucune ne te plaît. Il n’y a pas de quoi te mettre dans un état pareil.
— Tu ne comprends rien ! hurla-t-elle. Depuis toutes petites, les femmes vivent dans le culte du mariage. Elles attendent le jour de la cérémonie comme le couronnement de leurs rêves les plus beaux. Et toi, tu te comportes comme un goujat… Mais… Que fais-tu ?
Il contournait le bureau pour se diriger vers elle. Reculant devant lui, elle se retrouva vite coincée contre le mur. Quand il la prit dans ses bras, elle poussa un petit cri de surprise. Puis, il la pressa contre lui et l’embrassa avec fougue.