Sur le moment, Tina se figea, paralysée. Mais cela ne dura pas.
Même si son esprit lui commandait de résister, ses mains, comme mues par une volonté propre, se glissèrent sous la chemise de Nico tandis qu’elle se pressait contre lui. Enfouissant les doigts dans la masse de sa chevelure, Nico l’obligea à renverser la tête en arrière.
Des réactions se succédèrent, telles des étincelles se propageant le long d’une mèche. La jeune femme étouffa un gémissement.
C’était encore plus exaltant et éblouissant que dans son souvenir. Elle avait l’impression de se consumer tout entière pendant qu’il pillait sa bouche impétueusement.
Avait-elle éprouvé la même ardeur, à Venise ? Oui… et non. Certes, il avait manifesté de la passion, mais avec une certaine retenue. Maintenant, il ne montrait plus aucune réserve, comme s’il donnait libre cours à ses instincts sauvages, animaux. Et Tina accueillait cette fougue avec un bonheur égal au sien.
Ce baiser la bouleversait, tout en suscitant un désir plus profond.
Nico glissa une main sous le haut de son Bikini pour caresser ses seins, tout en appuyant une paume au creux de ses reins pour lui faire sentir la force de son désir. Elle fondit littéralement, impatiente de l’accueillir en elle. Comme elle avait envie de se perdre dans le tumulte des sens, dans un oubli total…
Elle ne s’était jamais sentie aussi belle, aussi vivante, aussi merveilleuse que la nuit où elle avait fait l’amour avec lui. Elle voulait revivre cette expérience à n’importe quel prix, même si elle devait en souffrir ensuite. Même si le réveil risquait d’être brutal, et les regrets amers.
Peu importait. Elle se moquait de tout.
Anxieuse de retrouver la texture de la peau de Nico, Tina sortit sa chemise de son pantalon. Mais au même moment, un bruit, dans la pièce voisine, la fit sursauter, la contraignant à reprendre pied dans la réalité.
Mais avant même qu’elle recouvre assez d’énergie pour le repousser, Nico recula. Les yeux brillants, l’air égaré, il était lui aussi en proie au désir le plus vif.
— Voilà pourquoi nous nous marions, déclara Nico froidement en remettant sa chemise dans son pantalon. Pas pour réaliser un rêve ou vivre une histoire d’amour romantique. Nous nous marions parce qu’une passion sensuelle nous pousse l’un vers l’autre, cara. Et que cette passion, comme tu me l’as dit hier soir, a entraîné certaines conséquences.
Il retourna à son bureau en ajoutant :
— A présent, va te choisir une robe. Ou renvoie-les toutes. Mais ne viens plus pleurer comme une petite fille parce qu’on a soi-disant détruit tes beaux rêves d’enfant !
— Il ne s’agit pas de cela, protesta Tina, avec la sensation désagréable de paraître ridicule.
— Maledizione !, tonna Nico. Pourquoi m’as-tu dérangé, alors ?
— Tu disposes de moi et décides de tout sans me consulter, expliqua-t-elle en s’avançant résolument, une main sur le cœur.
Elle voulait qu’il comprenne. C’était important.
— Je suis une personne, Nico. Avec des besoins et des désirs. Tu n’as pas à me dicter ma conduite. Je veux aussi donner mon avis.
Il ramassa un stylo et le fit tourner entre ses doigts. Puis il le reposa et, les coudes sur le bureau, mit la tête dans ses mains.
— Que veux-tu, Tina ? Qu’est-ce qui te rendrait heureuse ?
La jeune femme sentit sa gorge se serrer. Elle se sentait penaude, tout à coup. Comment Nico avait-il réussi, en quelques secondes, à transformer sa colère en embarras, puis en culpabilité ?
Ne s’était-il pas donné beaucoup de mal pour elle ? Après avoir quitté l’Italie précipitamment, ils étaient arrivés à Gibraltar la veille au soir. Et il avait néanmoins réussi le tour de force de lui faire livrer toute une collection de robes merveilleuses, juste pour son bon plaisir.
En fait, tout allait beaucoup trop vite. Tina n’avait pas le temps de s’adapter à la réalité. Nico non plus, d’ailleurs. Ils étaient comme deux promeneurs perdus dans une vaste forêt, sans carte ni boussole. Ils hésitaient, trébuchaient, repartaient, sans jamais être sûrs d’être sur le bon chemin.
Et ils souffraient, tous les deux.
Elle savait ce qu’elle aurait voulu. C’était impossible, mais elle le formula malgré tout à voix haute.
— J’aimerais remonter le temps jusqu’à cette nuit où nous nous sommes rencontrés, à Venise, chuchota-t-elle. Pour tout effacer.
Il lui lança un regard dur, sévère.
— Comme cela ne risque pas de se produire, je te suggère de trouver une autre solution pour être heureuse.
Si seulement c’était possible…
* * *
Tina finit par choisir une robe. Avec un bustier sans bretelles et une jupe évasée à partir de la taille. Elle était très simple, sans broderie ni dentelle, mais très belle, justement, à cause de cette simplicité même.
Une jeune employée de l’hôtel monta pour l’aider à s’habiller et se préparer. Tina releva ses cheveux en un chignon dans lequel elle piqua quelques marguerites. Une petite cérémonie serait célébrée dans la chapelle du palace. Tina s’avancerait seule vers l’autel. Nico lui avait proposé l’escorte d’un de ses gardes du corps, mais elle avait refusé.
— Vous êtes ravissante, mademoiselle, lui dit la femme de chambre. Votre fiancé sera fier de vous.
Tina força un sourire sur ses lèvres.
— Merci, Lisbeth.
En fait, Nico serait content quand la corvée serait terminée…
— C’est tellement romantique ! poursuivit Lisbeth. Affréter un avion spécial pour transporter toutes ces robes et vous faire la surprise !
Tina serra nerveusement son bouquet. En revoyant Nico la tête dans les mains, elle eut l’impression de s’être comportée comme une petite fille capricieuse et ridicule. Elle l’incriminait alors qu’il se donnait un mal fou pour lui faire plaisir…
Une autre image lui vint à l’esprit. Il était chez eux, assis à la table de la cuisine, en train de rire avec Renzo et sa mère. Elle, dans un coin, essayait de se comporter avec naturel en dissimulant l’adoration qu’elle avait pour lui.
Il s’était endurci, depuis cette époque. Pourtant, tout à l’heure, il avait montré une vulnérabilité déconcertante, comme si un fardeau inattendu pesait brusquement sur ses épaules.
Tina avait honte, maintenant, de son comportement. Centrée sur elle-même, elle n’avait même pas essayé de se mettre à sa place, de comprendre son point de vue…
Si Nico avait insisté pour lui proposer le mariage, c’était pour le bébé, et certainement pas de gaieté de cœur. Cela représentait un tel changement de vie ! Personne n’avait envie de se voir imposer pareil bouleversement.
Lisbeth conduisit Tina jusqu’à la chapelle. Nico était déjà là, en smoking, devant la porte, la mine sévère.
— Il y a une dernière formalité à accomplir avant la cérémonie, dit-il en l’entraînant dans un petit bureau adjacent.
Les deux hommes qu’elle avait aperçus un peu plus tôt dans leur suite, des juristes, achevaient de préparer des papiers.
— Il est préférable d’établir un contrat, déclara Nico.
— J’en ai tout à fait conscience, répondit Tina.
Malgré tout, elle était choquée par le sang-froid et l’efficacité avec lesquels il avait tout orchestré. Après s’être quelque peu attendrie, elle éprouvait, de nouveau, de la colère. Pourquoi attendre le dernier moment pour aborder cette question ? Pour lui forcer la main ?
— Asseyons-nous, proposa-t-elle le plus froidement possible. Je ne peux pas signer n’importe quoi à la va-vite.
Il pinça les lèvres, ce qui la conforta dans sa détermination.
— C’est un contrat équitable, dit Nico. En cas de divorce, je te verserai un dédommagement substantiel, ainsi qu’une pension à vie.
Tina feuilleta les pages pour lire le paragraphe où il était question d’argent.
— Tu es très généreux, commenta-t-elle. Néanmoins, tu as commis une erreur.
L’un des juristes se gratta la gorge, mais elle lui jeta un regard noir qui le réduisit au silence.
— Pietro a tout vérifié, intervint Nico avec un demi-sourire.
Elle pointa son stylo sur un chiffre.
— Cette somme est soumise à l’inflation. Ce n’est pas la même chose de divorcer au bout d’un an ou de vingt.
— Exact.
— Tu n’as pas pris en compte mes biens personnels.
— Je ne veux pas de l’argent de Renzo.
Tina le fixa sans ciller.
— Je ne parle pas du sien, mais du mien.
Il haussa les sourcils.
— Tu as un capital ?
— J’ai beaucoup investi.
— Peu importe, la coupa-t-il sèchement. C’est sans intérêt pour moi.
Quel mépris ! Même si elle n’était pas aussi riche que lui ou que Renzo, elle touchait des dividendes de placements judicieux, dont il n’était pas question de se déposséder.
— Dans ce cas, tu ne vois pas d’inconvénient à ajouter une clause, j’imagine ?
Furieux, Nico se pencha pour corriger un chiffre et rédiger un nouveau paragraphe, conformément au souhait de la jeune femme.
Après l’avoir lu, les hommes de loi hochèrent la tête et tendirent les feuillets à Tina.
— Satisfaite ? interrogea Nico.
— Je dois lire le document en entier avant de me prononcer.
Cela lui prit vingt bonnes minutes, à l’issue desquelles elle apposa sa signature d’une main ferme.
— Grazie, cara.
Quand Nico lui prit la main pour l’aider à se lever, elle ne put s’empêcher de frissonner. Elle ne maîtrisait pas tout, et encore moins les réactions de son corps…
Comme s’il s’en rendait compte, Nico pressa ses lèvres sur sa peau, déclenchant un frémissement tout aussi incoercible.
— Bien, allons nous marier, maintenant.
Tina s’obligea à sourire.
— Allons-y.
Même si Nico lui faisait parfois l’impression d’un prédateur prêt à fondre sur sa proie, elle lutterait pied à pied pour ne pas se laisser dévorer.
* * *
Ils repartirent pour l’Italie dès la fin de la cérémonie. Nico fut tenté de prolonger leur séjour d’une nuit, mais des obligations importantes l’en empêchèrent.
Il avait du mal à croire qu’il était marié. Il n’avait jamais eu cette intention, en tout cas pas dans un avenir proche. Pas même pour léguer son titre à sa descendance, ce qui n’avait pas beaucoup d’importance à ses yeux.
Mais contre toute attente, il avait mis un terme à son célibat pour épouser la femme la plus improbable entre toutes. Assise en face de lui, Tina portait encore sa robe de mariée. Il ne lui avait pas laissé le temps de se changer. Elle lisait, complètement absorbée, comme si c’était la chose la plus naturelle du monde de lire dans cette tenue.
Elle était magnifique. Ses boucles rebelles étaient retenues en un chignon élégant, dont quelques mèches s’échappaient pour retomber sur ses tempes. Ses longs cils jetaient une ombre sur ses pommettes. Si elle n’avait pas eu l’air aussi concentré, on aurait pu la croire endormie.
Ses épaules nues se soulevaient au rythme de sa respiration, dévoilant la naissance de ses seins ronds. Il se remémora leur baiser enfiévré de l’après-midi, lorsqu’elle avait fait irruption dans le bureau, avec pour tout vêtement ce Bikini minuscule… Il le lui aurait arraché si quelqu’un n’avait pas fait du bruit, dans la pièce voisine. Depuis, le désir le tenaillait.
Incapable de fixer son attention, Nico referma ses dossiers et éteignit son ordinateur. Quand Tina releva la tête pour croiser son regard, l’air se chargea d’électricité. Ils éprouvaient tous les deux la même urgence…
Comme il serait bon de la serrer, nue, entre ses bras…
— Tu n’as pas envie de te changer pour passer un vêtement plus confortable ? demanda-t-il.
Elle haussa les épaules.
— J’aurai besoin d’aide pour dégrafer ma robe.
— Je suis volontaire !
Une lueur s’alluma au fond de ses grands yeux violets.
— J’aurais peur que tu la déchires, murmura-t-elle.
— L’impatience risque de me rendre maladroit, en effet.
— Ce serait dommage. Si nous avons une fille, j’aurai peut-être envie, un jour, de lui donner ma robe.
La possessivité de Nico se réveilla soudain. Pourquoi la perspective d’avoir un enfant le mettait-elle dans des états pareils ? Il avait l’estomac noué et le cœur battant…
Tina s’humecta les lèvres.
— Malgré tout, je vais sans doute accepter ton offre. Je ne vois pas qui d’autre pourrait m’aider.
Nico eut envie de la prendre au mot et de l’entraîner sur-le-champ dans la chambre, à l’arrière de la cabine. Mais ils avaient décollé depuis presque une heure et ne tarderaient pas à se préparer pour l’atterrissage. Il n’était pas question de se précipiter. Il voulait prendre son temps pour la déshabiller, mais aussi pour la caresser, jusqu’à ce qu’elle le supplie…
Il n’avait pas d’autre alternative que de maîtriser l’impétuosité de ses élans.
— D’accord, Tina. Attendons d’être arrivés.
Comme à regret, elle se replongea dans sa lecture, et sa déception manifeste accentua encore la violence du désir qu’il éprouvait. A Venise, il avait cru que cette jeune femme serait comme toutes les autres. Mais il n’avait pas pu oublier la sirène dont il avait pris la virginité et qui l’avait ensorcelé, cette nuit-là.
Pourquoi ? Il s’était vainement interrogé, chaque jour qui passait.
S’il avait su qui elle était, il n’aurait pas posé la main sur elle, même pour attiser la colère de Renzo. Il se souvenait avec trop d’émotion de l’adolescente timide qui se cachait derrière sa frange pour l’observer en rougissant.
Elle était charmante, et tellement ingénue ! L’adoration qu’elle lui portait l’amusait beaucoup, mais il avait pris garde de ne pas la blesser. Elle paraissait très fragile.
Tina avait beaucoup changé depuis, et elle ne le regardait plus avec cette fascination troublante. Dommage ! Cela lui manquait. Elle était devenue plus distante, presque froide et indifférente par moments. Mais ce n’était sans doute qu’une apparence.
— Que lis-tu ? Tu as l’air passionnée, dit-il pour dissiper ses pensées.
Elle releva la tête.
— Oh ! un article d’économie. Sur la théorie de la spéculation et les produits dérivés.
Sa réponse sidéra Nico.
— Tu t’intéresses à l’économie ?
Il aurait dû s’en douter, à la façon dont elle avait épluché le contrat de mariage. Elle avait de solides connaissances en matière de finances.
Elle lui plaisait décidément de plus en plus. Outre sa beauté, Tina possédait une intelligence aiguisée, qu’elle savait exercer dans des domaines où peu de femmes osaient s’aventurer.
Elle lui lança un regard féroce.
— Qu’y a-t-il de si étonnant à cela ? J’ai une licence de gestion, obtenue avec mention très bien.
Jusque-là, il ne lui avait posé aucune question sur ses goûts ou ses études. Les femmes qu’il avait l’habitude de fréquenter, même si elles avaient un vernis culturel, se passionnaient surtout pour les vêtements et la parfumerie…
— Tu m’impressionnes, observa-t-il avec sincérité. Avec ta formation et tes compétences, je m’étonne que tu ne travailles pas avec ton frère.
— Renzo a des idées bien arrêtées là-dessus, répliqua-t-elle avec une colère rentrée. Il juge que ce n’est pas ma place.
— Il a tort.
Une petite étincelle s’alluma dans les yeux de Tina.
— Tu crois vraiment ? Tu autoriserais ta femme à exercer une activité professionnelle au sein de Gavretti Manufacturing ?
— Peut-être.
En fait, il n’en avait aucunement l’intention. Elle restait une D’Angeli et représentait donc un danger potentiel. Il ne se leurrait pas. Même mariée avec lui, elle garderait sa loyauté envers Renzo.
— Je ne demanderais pas mieux, répliqua-t-elle.
Puis elle émit un rire cristallin.
— Tu imaginais sans doute que je lisais un roman d’amour ou un de ces classiques de la littérature que tout le monde prétend connaître sans les avoir jamais lus.
Elle avait un rire contagieux.
— Comme quoi, par exemple ? lança-t-il.
— Oh ! l’Ulysse de James Joyce, ou Moby Dick. Un chef-d’œuvre, sans doute, mais totalement indigeste et interminable…
Nico mit la main sur le cœur avec une expression horrifiée.
— J’adore Ulysse !
Elle fit mine de redevenir sérieuse.
— Oh ! désolée. Je n’ai jamais osé m’y attaquer. Mais c’est sûrement fascinant…
— Rassure-toi, je plaisantais.
Elle secoua la tête.
— C’est très vilain de te moquer de moi.
Il lui prit la main pour caresser l’intérieur de son poignet. En la sentant frémir, il songea avec impatience au moment où il allait enfin la faire sienne. Très bientôt. Heureusement, car il ne pouvait plus attendre.
— J’adore me comporter en mauvais garçon, murmura-t-il en lui mordillant le bout des doigts.
Pour toute réponse, elle frissonna.