15. – RENÉ CHAR À PAUL CELAN
RECHERCHE DE LA BASE ET DU SOMMET SUIVI DE PAUVRETÉ ET PRIVILÈGE
à Paul Celan
Cher compagnon,
songeant à vous, dans le
pays du Rhône, j’étais
heureux de vous imaginer
semant des roseaux et
cultivant la vigne,
avec les beaux outils
de vos poèmes… C’est
vrai, la terre1, la poésie
vous aiment. Mon amitié
s’en réjouit.
René Char
[Paris ?, après le 28. 1. 1955]
Dédicace au-dessus (avant « cultivant ») et au-dessous du faux titre (encre noire) d’un exemplaire de la première édition de : René Char, Recherche de la base et du sommet suivi de Pauvreté et privilège, Paris, Gallimard, [achevé d’imprimer : 28 janvier] 1955 ; BK III (544). NPC.
16. – RENÉ CHAR À GISÈLE ET PAUL CELAN
POÈMES DES DEUX ANNÉES
1953-1954
à Gisèle et à Paul Celan
Longues amitiés, cha-
leureuses pensées.
R. C.
[Paris ?, février 1955 ?]
Dédicace sous le faux titre (encre noire) d’un exemplaire hors commerce de : René Char, Poèmes des deux années 1953-1954, Paris, GLM, [achevé d’imprimer : février] 1955 ; BK I (513). NPC.
17. – PAUL CELAN À RENÉ CHAR
[Tübingen, 3. 2. 1955]
Au milieu de choses de plus en plus sombres, cette tour qui, elle aussi, est allemande2 …
J’ai beaucoup pensé
à vous
Paul Celan
« Universitätsstadt Tübingen. / Neckar mit [souligné par PC] Hölderlinturm und Alter Aula / Echte Photographie. » Carte postale (encre bleu sombre) à : Monsieur René Char / 4, rue de Chanaleilles / Paris 7e / 03 2 55 — 20 (146) TÜBINGEN 1 / Collection particulière.
18. – RENÉ CHAR À PAUL CELAN
Paris 7 février3 55
Cher Paul Celan
J’attends votre signe qui me dira que vous êtes à Paris et que nous pouvons nous voir. J’en suis impatient. Ma pensée à votre compagne et à vous.
Votre
René Char
P.S. J’ai reçu Texte und Zeichen (la revue et le règlement). Nous sommes là tous deux4. Je m’y sens bien.
Lettre ms. sous enveloppe (1 f. r. ; encre noire) à : Monsieur Paul Celan / 5, rue de Lota / Paris 16e / 18 H 30 6 [sic] — 2 1955 GARE MONTPARNASSE PARIS / Ex : R. Char 4 rue de Chanaleilles / Paris 7e / NPC.
19. – RENÉ CHAR À PAUL CELAN
[Paris, 17 ?. 2. 1955]
Cher Paul Celan
Voici l’adresse d’André du Bouchet à qui j’ai parlé de vous : 15 rue Malebranche Paris 5e Tél. Odéon 80-465.
J’ai la grippe ou une fièvre approchante depuis hier. Et le lit est encore la meilleure des chaises6…
Votre ami
René Char
J’espère que Madame Celan n’aura pas été déçue par Hayter7.
Lettre ms. sous enveloppe (1 f. r. ; encre noire) à : Monsieur Paul Celan / 5, rue de Lota / Paris 16e / 20 H 45 17 — 2 1955 RUE CLER (7e) PARIS VII / NPC.
20. – PAUL CELAN À RENÉ CHAR
[Londres, 3. 3. 1955]
Cher René Char,
voici l’œil ailé, un œil, me dit-on, souverain —
Je serai à Paris dans deux jours8 et espère beaucoup vous revoir —
Paul Celan
« British Museum / Anubis and winged eye of Horus / Glazed composition pectoral / From Egypt / XIXth Dynasty or later, after 1250 B.C. » Carte postale (encre bleue) à : Monsieur René Char / 4, rue de Chanaleilles / Paris 7e / France / 1155 AM 3 MAR 1955 LONDON W.C. / Collection particulière.
21. – RENÉ CHAR À PAUL CELAN
[Paris,] 3 mars9 [1955].
Merci pour l’œil ailé. Envie, désir de sa souveraineté ! Mais aussi dormir, pouvoir dormir derrière lui10…
Venez une soirée de la semaine prochaine, si vous êtes libre vendredi, samedi ?
Meilleures pensées à tous deux
R. C.
Lettre ms. (1 f. r. ; encre noire). NPC.
22. – PAUL CELAN À RENÉ CHAR
[Paris] Samedi [12. 3. 1955] —
Cher René Char,
les mots me manquent pour vous remercier comme j’aimerais le faire : c’est là, hélas, la raison pour laquelle je ne vous ai pas écrit.
Trop généreux, vous m’avez permis de penser qu’avec mes silences même je peux venir frapper à votre porte…
J’ose le faire, ce soir, vers quatre heures et demie11, à tout hasard, mais si vous êtes pris ou absent, je resterai, croyez-le, heureux d’avoir pu me diriger vers vous.
Paul Celan
Lettre ms. sous enveloppe (1 f. r. ; encre sombre) à : Monsieur René Char / 4,rue de Chanaleilles / Paris 7e / Pneumatique / 13 H 12 — 3 1955 RUE MONTEVIDEO PARIS 78 / Paul Celan / Poste restante, Rue de Montevideo / Paris 16e /12 — 3 1955 R. DE GRENELLE (7e) PARIS 44 / Collection particulière.
23. – RENÉ CHAR À PAUL CELAN
[Paris,] dimanche [17. 4. 1955]
Merci, cher Paul Celan, d’avoir pensé à me faire lire ces très beaux “Écrits en prose” de Hofmannsthal12. J’avais aimé beaucoup autrefois la Lettre de Lord Chandos. Que de noblesse, de justesse, d’intuition dans l’Entretien sur la poésie13 !
Que devenez-vous ?
Si vous passez dans mon quartier, montez14, je vous prie, malgré l’horrible vestibule et les animaux pétrifiés dans l’escalier15 ! Je suis habituellement chez moi après 18 heures. Avant 6 heures je suis occupé par mes travaux alimentaires16, hélas !
J’espère à bientôt.
Votre
René Char
Lettre ms. sous enveloppe (1 f. r. ; encre noire) à : Monsieur / Paul Celan / 5, rue de Lota / Paris 16e / 12 H 45 18 — 4 1955 RUE DE GRENELLE (7e) PARIS 44 / Ex : R. Char 4 rue de Chanaleilles / Paris 7e / NPC.
24. – RENÉ CHAR À PAUL CELAN
[Paris] Vendredi [29. 4. 1955]
Cher Paul Celan
Je ne sais pas partager avec un ami son mal-être, son chagrin ou cet innommable qui s’installe en nous comme une fumée affreuse, en le lui disant, oui, je ne sais pas lui montrer à l’aide de la parole trop peu précise et balsamique que je le comprends… Pourtant j’étais avec vous hier17, je le sais aujourd’hui, sans mot, à la façon d’un nageur qui en accompagne un autre dans l’épaisseur des eaux affectueuses18, nageant vers quoi, je ne sais, mais vers quelque chose qui nous est dû…
Votre ami
René Char
Lettre ms. sous enveloppe (1 f. r. ; encre noire) à : Monsieur Paul Celan / 5, rue de Lota / Paris 16e / 19 H 15 29 — 4 1955 RUE DE GRENELLE (7e) PARIS 44 / NPC.
25. – PAUL CELAN À RENÉ CHAR
5, rue de Lota (16e)
Paris, le 2 juillet 1955.
Cher René Char,
Puis-je espérer que vous ne m’en voulez pas trop d’avoir laissé sans réponse les lignes si amicales que vous m’avez adressées il y a bientôt deux mois19 ?
Il y avait eu, dans mes vagues et maladroits propos de la veille20, une vraie angoisse où étaient venus se mêler, sous un regard qui n’ignorait point la légèreté qui présidait à sa promptitude, les espoirs abandonnés et les craintes nouvelles. Si je n’ai pu vous écrire depuis, c’est que, à l’encontre de ce que j’avais par trop fait jusqu’ici, j’hésitais à étoffer la Peur par la Parole.
Mais voici, enfin, un seuil franchi21 : nous avons, depuis le six juin, un petit garçon qui, né à sept mois, est bien décidé à m’apprendre le langage de la Vie22. Permettez-moi de lui souhaiter de rencontrer, au milieu de l’Inconnu sans lequel on ne saurait vivre23, votre Poésie et votre Personne.
Paul Celan
Lettre ms. sous enveloppe (1 f. r./v. ; encre noire), non acheminée par la voie postale, à : Monsieur René Char / 4 rue de Chanaleilles / Paris 7e / Voir Cahier iconographique, doc. 7. Collection particulière.
26. – PAUL CELAN À RENÉ CHAR
VON SCHWELLE ZU SCHWELLE
À René Char,
ces poèmes enluminés
par son nom et sa présence24
Paul Celan
Paris, juillet 1955.
Dédicace sous le faux titre (encre noire) d’un exemplaire de la première édition de : Paul Celan, Von Schwelle zu Schwelle (voir DS), Stuttgart, Deutsche Verlags-Anstalt, [vers le 20 juin] 1955 ; le livre accompagnait-il la lettre qui précède ? Collection particulière.
27. – RENÉ CHAR À GISÈLE, ÉRIC ET PAUL CELAN
[BONNE GRÂCE D’UN TEMPS D’AVRIL]
Mes vœux et mes
pensées amicales
à tous les trois. Ma tendresse
aussi au petit garçon entre vous.
R. C.
Paris, 6 juillet 55.
Mèches25, au dire du regard,
Désir simple de parole ;
Ah ! jongle, seigneurie du cou
Avec la souveraine bouche,
Avec le bûcher allumé
Au-dessous du front dominant.
J’aimerais savoir vous mentir
Comme le tison ment aux cendres
Mèches, qui volez sans m’entendre
Sur le théâtre d’un instant.
3 avril 1955
Dédicace au verso de la page de titre de l’exemplaire « 40/48 PAB » de : René Char, Bonne grâce d’un temps d’avril, [Alès,] PAB, [1955] ; sous enveloppe (encre noire) à : Monsieur et Madame / Paul Celan / 5, rue de Lota / Paris 16e // 19 H 45 6 — 7 1955 R. CLER (7e) PARIS VII / Une note de GCL jointe à l’enveloppe vide permet de savoir que celle-ci contenait l’opuscule mentionné, mais également un second : Le Chien de cœur (Paris, GLM, 1969 ; ex. 207/885) ; l’exemplaire n’est pas enregistré dans BK. SGCL.
28. – RENÉ CHAR À PAUL CELAN
[Paris] Le 30 août 55.
Cher Paul Celan
J’ai eu le plaisir, la semaine dernière, de pouvoir longuement parler avec Heidegger, de passage à Paris26. J’ai été conquis par l’homme et par le philosophe, si ouvert à la Poésie27, si avisé de son cœur et de ses drames28. Sa simplicité, l’attention qu’il met à recevoir comme à donner, sont fort rares aujourd’hui… Il tient en grande estime votre poésie et connaît parfaitement votre œuvre. Sans doute je ne vous apprends rien en vous écrivant cela29… Mais je devais vous le dire.
J’ai appris que votre bébé se développe et grandit bien, par Madame Caetani que vous avez vue30. Je m’en suis réjoui sincèrement.
Mon souvenir, je vous prie, à Madame Celan. À vous avec amitié
René Char
Lettre ms. sous enveloppe (1 f. r. ; encre noire) à : Paul Celan / 5, rue de Lota / Paris 16e / 1 H 31 — 8 1955 R. CLER (7e) PARIS VII / Ex : René Char 4, rue de Chanaleilles / Paris 7e / ____________ / Lettre exposée à la BNF en 2007, reproduite dans BNFRC, p. 193. NPC.
29. – PAUL CELAN À RENÉ CHAR
PAUL CELAN
[Paris, après le 3. 12. 195531 ?]
Mémoire
De figues se nourrisse le cœur
en qui l’heure se souvient
de l’œil-amande du mort.
Qu’il se nourrisse de figues.
Escarpé,
sous le souffle marin,
le front échoué,
frère des écueils.
Blanche,
augmentée de tes cheveux,
la toison
du nuage paissant.
ANDENKEN // Feigengenährt sei das Herz, / darin sich die Stunde besinnt / auf das Mandelauge des Toten. Feigengenährt. // Schroff, im Anhauch des Meers, / die gescheiterte / Stirne, / die Klippenschwester. // Und um dein Weißhaar vermehrt / das Vlies / der sömmernden Wolke. / [La Ciotat, 27. 9. 195432]
Argumentum e silentio
À René Char
Rivée à la chaîne,
entre l’or et l’oubli :
la Nuit.
Empoignée par l’un et par l’autre,
soumise.
Pose, toi aussi,
pose près d’elle,
ce qui songe à poindre
quand poindront les jours :
la Parole
survolée d’astres,
inondée d’océans.
À chacun sa parole,
la parole qui pour lui se fit chant
quand la meute l’attaqua, sournoise ;
à chacun la parole
qui avant d’être glace
fut chant.
Mais à la Nuit la Parole,
survolée d’astres,
inondée d’océans ;
à elle, la Parole,
fruit du silence,
et dont le sang
survécut aux syllabes
transpercées par la dent à venin.
À elle la Parole de silence.
Pour porter enfin témoignage
contre les autres qui, aguichés
par l’oreille de l’écorcheur,
gravissent le temps et les âges ;
pour témoigner, à la fin,
quand seules des chaînes résonnent,
de la Nuit qui gît-là,
entre l’or et l’oubli,
leur sœur de tous temps.
Car où, dis-moi, poindrait
une aube sinon près d’elle
qui dans le lit de sa larme
montre aux soleils qui immergent
les semailles
encore et toujours ?
ARGUMENTUM E SILENTIO // Für René Char // An die Kette gelegt / zwischen Gold und Vergessen: / die Nacht. / Beide griffen nach ihr. / Beide ließ sie gewähren. // Lege, / lege auch du jetzt dorthin, was herauf- / dämmern will neben den Tagen: / das sternüberflogene Wort, / das meerübergossne. // Jedem das Wort. / Jedem das Wort, das ihm sang, / als die Meute ihn hinterrücks anfiel – / Jedem das Wort, das ihm sang und erstarrte. / Ihr, der Nacht, / das sternüberflogne, das meerübergossne, / ihr das erschwiegne, / dem das Blut nicht gerann, als der Giftzahn / die Silben durchstieß. // Ihr das erschwiegene Wort. // Wider die andern, die bald, / die umhurt von den Schinderohren, / auch Zeit und Zeiten erklimmen, / zeugt es zuletzt, / zuletzt, wenn nur Ketten erklingen, / zeugt es von ihr, die dort liegt / zwischen Gold und Vergessen, / beiden verschwistert von je – // Denn wo /dämmerts denn, sag, als bei ihr, / die im Stromgebiet ihrer Träne / tauchenden Sonnen die Saat zeigt / aber und abermals? / [1954 : avant le 30. 9]
Soir des Paroles
Soir des paroles, sourcier,
avançant sur le sol du silence.
Un pas, puis un autre,
un troisième :
sa trace résiste à ton ombre.
La cicatrice du temps
s’ouvre béante,
inondant la contrée de ton sang —
Les dogues,
les dogues de la nuit des paroles
aboient dans ton cœur ;
ils fêtent la soif la plus sauvage,
la faim plus rageuse…
Une lune, la dernière,
t’apporte son aide :
elle lance à la meute
un os d’argent, immense,
— nu, tel ton chemin parcouru —
mais point de salut pour toi :
le jet que tu fis sourdre
approche avec son écume,
charriant un fruit
qui porte l’ancienne
trace de tes dents.
ABEND DER WORTE // Abend der Worte – Rutengänger im Stillen! / Ein Schritt und noch einer, / ein dritter, des Spur / dein Schatten nicht tilgt: // die Narbe der Zeit / tut sich auf / und setzt das Land unter Blut – / Die Doggen der Wortnacht, die Doggen / schlagen nun an / mitten in dir: / sie feiern den wilderen Durst, / den wilderen Hunger… // Ein letzter Mond springt dir bei: / einen langen silbernen Knochen / – nackt wie der Weg, den du kamst – / wirft er unter die Meute, / doch rettets dich nicht: / der Strahl, den du wecktest, / schäumt näher heran, / und obenauf schwimmt eine Frucht, / in die du vor Jahren gebissen. / [1953]
Retroussées et de nuit,
les lèvres des fleurs ;
croisées,
enchevêtrées,
les hampes des pins ;
rembrunie la mousse,
ébranlé le rocher ;
éveillés pour le vol infini,
les choucas du glacier :
C’est le pays où font halte
les autres, enfin rejoints.
Ils ne nommeront pas l’heure,
ni ne dénombreront les flocons,
ni ne suivront les eaux vers la digue.
Ils se tiennent isolés dans le monde,
chacun du côté de sa nuit,
chacun du côté de sa mort,
rogues, nu-tête, givrés
d’Immédiat, givrés
de Lointain.
Les voici, porteurs de la faute
qui anima leur départ ;
ils s’en acquittent
en faveur d’un mot
existant à tort, tel l’été.
Un mot — tu sais bien :
un mort.
Lavons-le,
peignons ses cheveux,
tournons son œil
vers le ciel.
NÄCHTLICH GESCHÜRZT // Nächtlich geschürzt / die Lippen der Blumen, / gekreuzt und verschränkt die Schäfte der Fichten, / ergraut das Moos, erschüttert der Stein, / erwacht zum unendlichen Fluge / die Dohlen über dem Gletscher: / dies ist die Gegend, wo / rasten, die wir ereilt: // sie werden die Stunde nicht nennen, / die Flocken nicht zählen, / den Wassern nicht folgen ans Wehr. // Sie stehen getrennt in der Welt, / ein jeglicher bei seiner Nacht, / ein jeglicher bei seinem Tode, / unwirsch, barhaupt, bereift / von Nahem und Fernem. // Sie tragen die Schuld ab, die ihren Ursprung beseelte, / sie tragen sie ab an ein Wort, / das zu Unrecht besteht, wie der Sommer. // Ein Wort – du weißt: / eine Leiche. // Laß uns sie waschen, / laß uns sie kämmen, / laß uns ihr Aug / himmelwärts wenden. / [Paris, 9. 9. 1952]
Shibboleth
Avec mes pierres, les grandes,
pleurées derrière les grilles,
on me traîne sur la place publique,
où se déroule un drapeau
à qui nul serment ne me lie.
Flûte,
double flûte de la nuit,
souviens-toi du sombre
rougeoiement jumelé
de Vienne et de Madrid.
Mets en berne ton drapeau,
Souvenir.
En berne,
pour aujourd’hui et pour toujours.
Cœur :
même ici, manifeste-toi,
ici, sur la place publique.
Clame le Shibboleth
dans ton pays étranger :
Février. No pasarán !
Licorne :
tu sais ce qu’il en est des pierres,
tu sais ce qu’il en est des eaux ;
viens,
je t’emmène avec moi
vers les voix d’Estrémadoure.
SCHIBBOLETH // Mitsamt meinen Steinen, / den großgeweinten / hinter den Gittern, // schleiften sie mich / in die Mitte des Marktes, / dorthin, / wo die Fahne sich aufrollt, der ich / keinerlei Eid schwor. // Flöte, / Doppelflöte der Nacht: / denke der dunklen / Zwillingsröte / in Wien und Madrid. // Setz deine Fahne auf Halbmast, / Erinnerung. / Auf Halbmast / für heute und immer. // Herz: / gib dich auch hier zu erkennen, / hier, in der Mitte des Marktes. / Ruf’s, das Schibboleth, hinaus / in die Fremde der Heimat: / Februar. No pasarán. // Einhorn : // du weißt um die Steine, / du weißt um die Wasser, / komm, / ich führ dich hinweg / zu den Stimmen / von Estremadura. / [La Ciotat, automne 1954 ; avant le 30. 9. 1954]
In memoriam Paul Éluard
Pose dans sa tombe les paroles
qu’il prononça pour vivre.
Couche sa tête parmi elles,
fais-lui sentir
les langues du songe inquiet,
les tenailles.
Sur les paupières du mort
pose la parole qu’il refuse
à celui qui lui disait tu ;
la parole
que le sang de son cœur esquiva
quand une main aussi nue que la sienne
pendit à l’arbre du lendemain
celui qui disait tu.
Sur ses paupières pose la parole ;
peut-être qu’alors,
dans son œil encore bleuissant,
montera un azur plus étrange ;
et celui qui lui disait tu,
avec lui pourra rêver :
Nous.
IN MEMORIAM PAUL ELUARD // Lege dem Toten die Worte ins Grab, / die er sprach, um zu leben. / Bette sein Haupt zwischen sie, / laß ihn fühlen / die Zungen der Sehnsucht, / die Zangen. // Leg auf die Lider des Toten das Wort, / das er jenem verweigert, / der du zu ihm sagte, / das Wort, / an dem das Blut seines Herzens vorbeisprang, / als eine Hand, so nackt wie die seine, / jenen, der du zu ihm sagte, / in die Bäume der Zukunft knüpfte. // Leg ihm dies Wort auf die Lider: / Vielleicht / tritt in sein Aug, das noch blau ist, / eine zweite, fremdere Bläue, / und jener, der du zu ihm sagte, / träumt mit ihm: Wir. / [Paris, 21. 11. 1952]
Copie dactylographiée, non datée, de la traduction de six poèmes non datés (7 f.r.), sous enveloppe non affranchie adressée à : Monsieur René Char / 4 rue de Chanaleilles / Paris 7e / Les textes en langue originale ont été ajoutés par l’éditeur ; ils correspondent à ceux publiés dans KG, p. 79, 86 sq., 77, 80, 83 sq. et 82 sq. Collection particulière.
30. – PAUL CELAN À RENÉ CHAR
29 bis rue de Montevideo
[Paris] (16e)
le 14 décembre 1955
Cher René Char,
J’ose à peine vous écrire… Jean-Pierre Wilhelm m’a dit, avant son départ pour l’Allemagne33, combien mon impossible silence m’a éloigné de votre amitié34. Mais vous avez toujours été présent dans mes pensées, toutes ces lettres que je ne vous [ai] pas envoyées étaient, au milieu de mon espoir, comme les étapes brûlées sur le chemin de la Lettre que j’aurais tant voulu vous écrire35 ! Il m’était insupportable de m’entendre parler si médiocrement près de vous36, j’avais besoin de me prouver que je méritais votre amitié — voilà la seule raison de mon silence.
Vous avez vu, lors de ma dernière visite37, quel était mon désarroi ; depuis, des craintes se sont heureusement dissipées ; la poésie, après tout cela, est longue à revenir38.
Je vous prie d’excuser mes maladresses !
Vous m’avez accueilli comme si je savais parler. Je ne le sais, vous le voyez bien, qu’à moitié. Mais ma main n’oublie pas d’avoir pu serrer la vôtre39. Elle s’obstinera à croire que c’est une chance qu’elle a su garder.
Paul Celan
Lettre ms. sous enveloppe (1 f. r./v. ; encre noire) à : Monsieur René Char / 4, rue de Chanaleilles / Paris 7e / 16 H 30 14 — 12 1955 RUE MONTEVIDEO PARIS 78 / Paul Celan, 29 bis Rue de Montevideo / Paris 16e / Collection particulière.
1. Voir infra, p. 129, no 64, n. 3.
2. La formule préfigure la réponse de PC à l’enquête de la librairie Flinker (Paris) de 1958 : « La lyrique allemande prend, je crois, d’autres chemins que la lyrique française. Les choses les plus sombres en mémoire […], elle ne peut plus, quoi qu’on fasse pour réactualiser la tradition où elle est prise, parler la langue que des oreilles bienveillantes semblent encore attendre d’elle » (M&p, p. 31). PC a envoyé, le même jour, la même carte postale à son ami et compagnon d’exil Isac Chiva (1925-2012 ; rescapé du pogrom de Iaşi du 27 juin 1941), après y avoir inscrit le commentaire : « Voici la tour où est mort Hölderlin — elle est bien solitaire au milieu de ce malheureux pays — » (Collection particulière.) Voir aussi la lettre de PC à sa femme du 1er février 1955 au sujet de Tübingen et de Friedrich Hölderlin, PC/GCL I, p. 71 sq.
3. Il faut lire « 6 février » : voir le cachet postal.
4. Cette revue littéraire bimensuelle allemande éditée chez Luchterhand (Neuwied) a paru entre 1955 et 1957. La traduction par PC d’« À la santé du serpent » de RC figure au sommaire de son premier numéro publié le 15 janvier 1955 : « Der Schlange zum Wohl », p. 81 sqq. PC y est aussi présent à travers cinq de ses poèmes, parmi lesquels figurent « Argumentum e silentio » qui est dédié à RC, ibid., p. 74-80 (voir infra, p. 79, no 29 et DS, p. 116-117, 110-113, 106-109, 76-77 et 30-31) ; BK IV (484). Deux mois plus tôt, l’écrivain et éditeur de la revue Alfred Andersch (1914-1980) avait écrit à RC, en français, pour lui demander l’autorisation de publier dans le premier numéro du périodique dont il était l’éditeur « À LA SANTÉ DU SERPENT […] traduit d’une manière admirable » par PC, « épreuve extraordinaire de la prose lyrique française » (lettre du 8 décembre 1954 citée d’après le double carbone conservé dans le NPC : D 90.1.1092).
5. Le poète et traducteur André du Bouchet (1924-2001), avec Jacques Dupin (1927-2012), fait alors partie des amis proches de RC appelés « Les compagnons dans le jardin » ; voir Greilsamer, p. 324 et OC, p. 381 sqq. (la dédicace aux deux poètes présente dans La Parole en archipel — 1962 — a disparu dans la « Pléiade », édition publiée sous l’autorité de RC). PC fit la connaissance de Du Bouchet, par l’intermédiaire de RC, en mars 1955. Sur les relations qu’entretinrent PC et André du Bouchet, voir : Bertrand Badiou, « “Vivant et redevable à la Poésie” », Europe, no 986-987, juin-juillet 2011, p. 208-231.
6. Sic ; la lecture orthonymique « des choses » est quasi impossible.
7. RC venait sans doute de recommander GCL au peintre et graveur britannique Stanley William Hayter (1901-1988) avec qui il était sans doute déjà, tout comme plusieurs de ses amis, en contact avant la Seconde Guerre mondiale. Hayter, qui avait été un des maîtres pour la gravure de Vieira da Silva, avait publié, par exemple, chez Guy Lévis Mano, en 1938, un portfolio comprenant un poème qu’Éluard lui avait dédié, accompagné de huit gravures : Facile proie. De nombreux peintres, parmi les plus célèbres, réalisèrent des gravures dans son atelier (Atelier 17). Pour acquérir les techniques de la gravure, GCL travaille alors chez Johnny Friedlaender (1912-1992), l’autre figure parisienne importante de cet art, qui avait ouvert un atelier en 1949. Si l’on en croit la lettre de GCL à PC du 24 mars 1954, l’ambiance qui y régnait ne lui convenait pas, pour le moins : « Je pars chez Friedlaender voir cette petite armée de cons devant les acides. N’ayez aucune inquiétude, je ne vous trahirai pas. Jamais. » (PC/GCL I, p. 45, lettre du 24 mars 1954.) On ignore si GCL a effectivement rencontré Hayter.
8. Dans l’Égypte ancienne, on attribuait des vertus magiques à l’œil souverain du dieu-roi Horus, abondamment représenté sur des bijoux et amulettes.
PC mentionne dans son agenda son voyage entre le 27 février et le 3 mars 1955 à Londres, où il retrouve sa tante paternelle, Berta Antschel. Il visita à cette occasion non seulement le British Museum, mais aussi la National Gallery ; voir PC/GCL I, p. 72 sq. et, dans le dossier iconographique, doc. 22, la photo de PC en compagnie de ses amis Klaus Demus (1927-) et son épouse Nani Maier (1925- ; née Anna Maier) sur le Tower-Bridge prise durant ce séjour. Il n’est pas exclu que le pronom indéfini dans la tournure « me dit-on » désigne K. Demus, qui est historien de l’art.
9. La date est erronée : il faut sans doute lire le « 4 » ou le « 5 mars », car RC n’a pas pu recevoir le jour même la carte postale de PC postée à Londres le 3.
10. Sur les insomnies de RC, voir Greilsamer, p. 308 et 316 sq., ainsi que le « Chant d’Insomnie » dans la « Lettera amorosa » (1953), OC, p. 342.
11. Dans son agenda PC n’a noté qu’un seul rendez-vous avec RC en mars, le samedi 19 mars 1955 : « 6 15 René Char » (Nk 3), et plus aucun autre cette année-là.
12. Correction autographe : « Hoffmannsthal ».
13. « Lettre de Lord Chandos » et « Entretien sur la poésie » dans Écrits en prose, Avant-propos de Charles du Bos, Traduction d’E. H[ermann]., Paris, J. Schiffrin, 1927 ; voir respectivement p. 39-55 et 151-171 (ce volume ne figure plus dans la bibliothèque de RC). Quelques mois auparavant, en novembre 1954, PC avait offert un exemplaire de ce livre de Hugo von Hofmannsthal (1874-1929) à son épouse (collection particulière). La phrase exclamative est un ajout autographe.
14. Voir supra, no 22, n. 3 de la lettre du 12 mars 1955.
15. Il s’agit de lions en faïence (l’information est fournie par une lettre de Pierre Naville à RC d’octobre 1955 ; ARRC).
16. RC n’ayant jamais de sa vie été salarié et n’ayant jamais accompli de petits travaux rémunérés, il fait vraisemblablement allusion ici à une de ses sources de revenus : la réalisation de copies de ses propres poèmes destinés à être enluminés par des peintres avant d’être vendus à des collectionneurs ; voir par exemple à ce sujet « Six patiences pour Joan Miró » dans BNFRC, p. 108-110, et les manuscrits reproduits dans le hors-texte qui précède la sixième partie de Greilsamer ; voir aussi Leclair, p. 306.
17. Les causes de trouble abondent en cette période. Après avoir subi des attaques antisémites de la part de deux critiques littéraires allemands, PC venait d’apprendre que sa demande de changement de nom (il souhaitait en effet porter le seul nom de Celan et non plus son patronyme d’Antschel), déposée en même tant que celle de naturalisation, avait été rejetée par l’administration française (voir PC/GCL II, p. 499 sqq.) Profondément marqué par la mort de son fils François en octobre 1953, PC s’était-il ouvert à RC sur ses inquiétudes vraisemblablement au sujet de la santé de sa femme et de l’enfant dont elle est alors enceinte ? GCL avait-elle eu un malaise le 28 avril faisant craindre une fausse couche ? (Voir PC/GCL II, p. 493 sq. et 500 sq.) PC s’était-il plaint d’une relative traversée du désert du point de vue de sa production poétique ? À cette date, il n’a en effet écrit que trois poèmes, dont un très bref, depuis le début de l’année (GP, p. 16-17, 20-21 et 26-27).
18. La fin de la phrase, « eaux affectueuses […] quelque chose qui nous est dûe [sic dans l’original] », est un ajout autographe.
19. Il faut lire : « il y a plus de deux mois » : la lettre de RC est à dater du 29 avril 1955 (voir supra, p. 72, no 24).
20. L’agenda de PC ne permet pas de dire si ses propos furent tenus, le 28 avril 1955, lors d’une rencontre ou d’une conversation téléphonique.
21. Le deuxième volume de poèmes de PC intitulé Von Schwelle zu Schwelle — De seuil en seuil avait paru à la mi-juin en Allemagne ; il contient l’épitaphe « Grabschrift für François » (DS, p. 50-51).
22. Sic, avec majuscule ; voir les deux dédicaces de PC dans son deuxième livre de poèmes, Von Schwelle zu Schwelle, paru en Allemagne en juin 1955 avec la dédicace imprimée « Für Gisèle » : « À vous, mon âme vive, / mon âme-qui-vit, / sur le chemin grand ouvert / de notre Éric / Paul / Paris, le 20 juin 1955 » et « * Éric Celan // À Éric, / notre fils, / pour ses yeux ouverts sur la Vie / Son père, près de sa mère / Paris, le 29 juin 1955 » (PC/GCL I, p. 75).
PC a barré une virgule erronée après « décidé ».
23. Cf. l’aphorisme de RC dans Fureur et mystère : « Comment vivre sans inconnu devant soi ? », OC, p. 247 ; voir infra, p. 141, no 72, n. 3.
24. Le volume contient, p. 62 sq., le poème « Argumentum e silentio » qui porte la dédicace imprimée : « Für [Pour] René Char ». PC n’ignorait pas le compagnonnage de RC avec les peintres qui, au bénéfice de tous les intéressés, « enluminaient » ses manuscrits (voir supra, p. 71, no 23, n. 5 à la lettre du 17 avril 1955).
25. Le poème est imprimé en p. 3 de l’opuscule constitué d’une feuille presque carrée, pliée en deux. Voir PC/GCL I, p. 43 sq., 63, 76 et 84 : l’apostrophe « Mèches » a vraisemblablement inspiré à PC un petit nom pour GCL (« Mèche », « petite Mèche ») et un autre pour son fils (« Mèchillon ») ; le billet à son épouse commençant par « Petite Mèche » (43 sq.), qui est daté conjecturalement de mars 1954, ainsi que celui qui s’ouvre avec « Moulte-Mèche » (p. 63), ont vraisemblablement été écrits après le 6 juillet 1955. Voir infra, p. 275, Chronologie, Après le 6 juillet ? 1955.
26. Il s’agit de la première rencontre de RC avec Martin Heidegger (1889-1976), au cours d’un dîner chez Jean Beaufret (1907-1982), passage Stendhal, à Ménilmontant. Voir Jean Beaufret, « L’entretien sous les marronniers » dans le numéro de L’Arc consacré à RC, Aix-en-Provence, 1963 (réédition de mars 1990, L’Arc, Librairie Duponchelle), p. 1-7, citation, p. 1 : « Au cours de mon voyage en France, avait écrit Heidegger, je serais très content de faire la connaissance de Georges Braque et de René Char. » Voir aussi Greilsamer, p. 313 sq. : « La scène se joue sous les marronniers de ce coin tranquille de Paris. Les deux “étrangers” s’observent avec bienveillance. […] Char parle beaucoup ; Heidegger écoute. » Le catalogue de l’exposition de la Bibliothèque nationale consacrée à RC en 2007 donne accès à des témoignages et documents éclairants à ce sujet : voir BNFRC, p. 186-195.
27. L’« hommage » de la philosophie à la poésie que RC perçoit dans les propos de Heidegger est déterminant pour lui, même si les méditations du philosophe lui sont parfois indifférentes ou inaccessibles ; cf. Greilsamer, p. 366 sq. RC se montre ouvert à l’homme Heidegger, jusqu’au refus de voir : « Il [lui] arrive de classer les humains en trois catégories : les gentils, les merdeux et les génies. Il range le philosophe Martin Heidegger dans la troisième. Il lui passe tout. Du plus véniel au plus grave… […] Son aveuglement politique […] Excusé ! » (Greilsamer, p. 365.) Greilsamer rejoint dans son jugement celui de Paul Veyne : « Quant à l’aveuglement de René, il porte un nom : Beaufret. » (René Char en ses poèmes, Paris, Gallimard, 1990, p. 309.)
28. Correction autographe (lecture conjecturale) : « sonses drames ».
29. À cette date, PC n’a publié que deux volumes de poèmes : Mohn und Gedächtnis (1952 ; PM) et Von Schwelle zu Schwelle (1955 ; DS), et aucune traduction non alimentaire en allemand sous forme de livre. Ces titres ne sont plus présents dans la bibliothèque de Heidegger conservée. D’après Hadrien France-Lanord, qui se réfère à des informations en provenance du fils du philosophe, Hermann Heidegger : « Des exemplaires [de livres de PC] que possédait son père ont vraisemblablement été offerts à des proches, soit par Heidegger lui-même à la fin de sa vie, soit par son épouse après la mort de son mari. » (Paul Celan et Martin Heidegger. Le sens d’un dialogue, Paris, Fayard, 2004, p. 259.) Il est donc impossible de savoir si les deux volumes mentionnés portaient des dédicaces ou s’ils présentaient des marques de lecture. On connaît l’esquisse d’une dédicace de PC à Heidegger, « dem Denk-Herrn [au maître-penseur, selon la traduction d’H. F.-L.] », datant de l’automne 1954, qui n’est peut-être pas dépourvue d’ironie : au seigneur de la pensée ; le mot forgé « Denk-Herr » joue avec le mot « Denker », « penseur » et « Herr », « monsieur », « seigneur », « maître » (ibid., p. 225 sq.). PC à la différence de RC fut un lecteur attentif et critique de Heidegger comme le manifeste le millier de marques de lecture heideggeriennes enregistrées dans Bph, p. 338-418 ; voir aussi PC/GCL I, p. 550, ainsi que l’échange de PC avec I. Bachmann, dans IB/PC, p. 149-151 et 153 sq. ; tous ces documents apportent des informations précieuses à ce sujet et permettent d’en avoir une approche nuancée.
30. Marguerite Caetani, principessa di Bassiano (1880-1963), était directrice de publication de la revue Botteghe Oscure (An International Review of New Literature), qu’elle avait fondée en 1948 à Rome. Égérie de Paul Valéry, elle avait fondé, en 1924, la revue Commerce. RC, qui a fait sa connaissance en août 1949, lui prête main-forte dans le travail d’édition de la revue. Leur commerce fut aussi amoureux entre avril 1951 et 1963, année de la disparition de la princesse (voir Greilsamer, p. 268, 285 sq., 310 et 311). RC tout comme PC y ont publié des poèmes : le premier y a publié plusieurs poèmes dans les cahiers III en 1949, V en 1950, VII en 1951, et récemment, en 1954, dans le cahier XIII (OC, p. 1283 sq.) ; le second, en 1956, dans le cahier XVII, son poème programmatique « Vor einer Kerze » (« Devant une bougie » ; DS, p. 60-63), puis il a édité, avec Ingeborg Bachmann, en 1958, la partie du cahier XXI des Botteghe consacrée à la scène littéraire allemande contemporaine (voir IB/PC, entre autres p. 306). On ne sait rien de cette rencontre de PC — vraisemblablement la première — avec celle qu’il appelle souvent dans ses lettres « Die Prinzessin », « la princesse » (voir par ex. IB/PC, p. 87 et 94).
31. PC a fait figurer son nom au-dessus du titre de chacun des dactylogrammes des six poèmes qui suivent comme il le fait lorsqu’il adresse un choix de ses poèmes à une revue.
Ces traductions correspondent, à quelques rares détails près, à celles qui sont jointes à la lettre de Jean-Pierre Wilhelm à PC du 2 décembre 1955, dont quatre seront publiées en avril 1956, sous le seul nom de Jean-Pierre Wilhelm, dans les Cahiers du Sud, bien que PC ait collaboré activement à leur élaboration comme le montrent plusieurs dactylogrammes abondamment corrigés de sa main : « Soir des paroles », « Mémoire », « Retroussées et de nuit » et « Argumentum e silentio » (no 334, p. 403-407). Rien ne prouve en revanche que PC ait revu les traductions de « Schibboleth » et « In memoriam Paul Éluard », qui sont restées, elles, inédites. Voir à ce sujet le dossier publié en annexe de Paul Celan, Choix de poèmes, traduction et présentation de Jean-Pierre Lefebvre, Paris, Gallimard, 1999, « Poésie », p. 313-329. Pour plus d’informations sur cette publication et une analyse fine de ces traductions, on se reportera à la thèse de Dirk Weissmann, Poésie, judaïsme, philosophie. Une histoire de la réception de Paul Celan en France des débuts jusqu’en 1991, Paris-III, Sorbonne nouvelle, 2003 (http://publikationen.ub.uni-frankfurt.de/volltexte/2009/113938/). Voir aussi la traduction de ces six poèmes par V. Briet dans DS, p. 75, 87, 97, 95, 83, 111, 113. RC possédant déjà le livre d’où sont extraits ces poèmes, PC n’a pas jugé utile d’y adjoindre leur version originale (voir supra, p. 74, no 26).
32. La datation ainsi que le texte des poèmes en langue originale se fondent sur KG.
33. Le traducteur et un peu plus tard galeriste allemand Jean-Pierre Wilhelm (1912-1968 ; de son vrai nom : Kurt Wilhelm), né de père viennois, dans une famille juive aisée de Düsseldorf, qui avait obtenu peu de temps après la Seconde Guerre mondiale la citoyenneté française, partage alors son temps entre Paris, où il dispose d’un appartement boulevard Diderot (12e) et Düsseldorf, où vit sa mère. RC tout comme PC étaient sensibles au parcours de cet ami des arts hors du commun. Wilhelm, après des études supérieures à Berlin (philosophie et psychologie), fuit l’Allemagne nazie et décide de poursuivre ses études à Paris et Madrid (romanistique). Vers 1934, il fait la connaissance du compositeur Wolfgang Simoni, né dans une famille juive berlinoise, qui venait d’émigrer à Paris, avec qui il aura une liaison qui durera jusque dans les années 1950 (voir PC/GCL I, p. 71). En 1939-1940, il est interné en qualité d’allemand d’origine autrichienne dans des camps français. Après juin 1940, il se réfugie dans le sud de la France dans un milieu amical de résistants et obtient — en 1943 — tout comme son ami des faux papiers : ils s’appelleront désormais Jean-Pierre Wilhelm et Louis Saguer (1907-1991). RC a entretenu une correspondance avec Wilhelm entre 1952 et 1966 ; PC, entre 1955 et 1964 : il y est avant tout question de traduction. Wilhelm, qui est le maître d’œuvre du choix de poèmes de RC en langue allemande (voir p. 285, Chronologie, printemps 1959), est aussi l’auteur de la présentation et de la traduction (revue et corrigée confidentiellement par PC) de quatre poèmes de PC, publiées à Marseille en avril 1956 dans la revue Cahiers du Sud (t. XLII, no 334, p. 401 sq. et 403-407 ; voir le dossier publié par Jean-Pierre Lefebvre en annexe de sa traduction du Choix de poèmes de Paul Celan, Paris, Poésie/Gallimard, 1998, p. 313-329, ainsi que Susanne Rennert : « “Alles ist im Fluss. Rien n’est figé.” Jean-Pierre Wilhelm, die Galerie 22 und Düsseldorfs Aufbruch zu einer neuen Kunst » dans “Le Hasard fait bien les choses”. Jean-Pierre Wilhelm, Informel, Fluxus und die Galerie 22, éd. Susanne Rennert, Sylvia Martin et Erika Wilton, Cologne, Walther König [2013], p. 14-31 et ibid., p. 182, lettre de PC à J.-P. W. du 11 août 1957, p. 188, lettre de J.-P. W. à RC du 4 mai 1962, en partie sur la RDA, et 212-221).
34. J.-P. Wilhelm venait d’écrire à ce sujet à PC : « Mon cher Paul, / je pars pour l’Allemagne ; c’est un peu brusqué, il est vrai. Sous ce pli (comme on dit), je vous envoie la dernière, sinon l’ultime version des traductions [voir supra, p. 78, no 29, n. 1]. […] / J’ai eu beaucoup de peine d’avoir dû vous transmettre les réactions de Char. Pourquoi, cette “mission” ingrate, affligeante m’est-elle échue à moi ? Le fait est que je ne pouvais pas m’y soustraire. Mais je me sens mal à l’aise, presque un peu coupable, abstraitement. Peut-être cela s’arrangera-t-il ? » (Lettre du 2 décembre 1955 ; D 90.1. 2550.)
35. Il s’agit très certainement d’une façon d’exprimer le désir d’écrire : aucune lettre à RC non envoyée de cette période n’est conservée dans le NPC.
Correction autographe : « que je ne avous » ; « la Lettre [sic] ».
36. Voir supra, p. 56, no 3, n. 2 à la lettre de RC du 27 août 1954. Le « si » constitue un éventuel ajout dans la marge.
37. S’agit-il de la rencontre du 19 mars 1955 (voir supra, p. 70, no 22, n. 3 à la lettre du 12 mars 1955) ou d’un rendez-vous ultérieur non enregistré dans l’agenda de PC ?
38. PC n’a écrit que sept poèmes en 1955 ; dont trois après septembre 1955 ; à l’exception d’un seul, ils ont tous trouvé place dans Sprachgitter [Grille de parole] ; voir GP, p. 16-17, 20-29, et KG, p. 646-648 et 920, voir aussi supra, p. 72, no 24, la fin de la n. 1 à la lettre à dater du 29 avril 1955.
39. Sur la portée de la poignée de main pour PC, voir ce qu’il écrit dans sa lettre à Hans Bender, datée à Paris du 18 mai 1960 : « Seules des mains vraies écrivent de vrais poèmes. Je ne vois pas de différence de principe entre une poignée de main et un poème. » (M&p, p. 44.)