1956

31. – RENÉ CHAR À PAUL CELAN

[Paris] Le 7 janvier [1956]

Cher Paul Celan,

Je dois vous dire les vœux que je forme pour Madame Celan, votre bébé, pour vous. Souhaits dorés, du doré naturel de l’air.

Le mal dont vous êtes anxieux parfois, n’est pas rare au point de n’appartenir qu’à un seul. D’autres que vous glissent dans cet entonnoir de silence, d’erreurs bizarres1 que le cœur se refuse à connaître. J’ai pu jusqu’ici préserver de mon mal les êtres qui m’importaient, qui m’importent. Au prix d’efforts certains. Mais c’est au prix souverain2 que l’échelle se mesure. Je le crois. Sans doute ne réussirai-je pas toujours… J’ai été, comment dire ? surpris de votre facile renoncement, tout en le comprenant, croyez-le. Je suis reconnaissant à votre lettre de sa luminosité.

Bien à vous

René Char

Lettre ms. (encre noire) sous enveloppe à : Monsieur Paul Celan / 29 bis rue de Montevideo / Paris XVIe / 10 H 45 7 — 1 1956 R. DE GRENELLE (7e) PARIS 44 / NPC.

32. – PAUL CELAN À RENÉ CHAR

Le Moulin

Rochefort-en-Yvelines

(Seine-et-Oise)3

3 août 1956.

Cher René Char,

j’ai mille chagrins. Et au cœur de tout cela il y a la douleur de ne pas avoir su garder votre amitié.

J’avais reçu votre dernière lettre à Genève, où j’étais allé chercher un Ailleurs qui n’a fait que multiplier les désespoirs. Je dis bien : les désespoirs, au pluriel et avec un d minuscule. Non pas celui qui déchire, mais les autres, les petits, qui vous rongent4.

Dans votre lettre, vous vous étonniez de me5 voir renoncer avec tant de facilité. Mais je n’avais nullement renoncé, René Char, bien au contraire. Et à tout ce qui paralysait déjà ma pensée et ma parole6 est venue s’ajouter la consternation d’avoir pu dire, dans la lettre que je vous avais adressée, des choses qui se prêtaient à cette interprétation…

Permettez-moi de venir vous voir, René Char !

J’ai besoin de vous et de votre amitié.

Paul Celan

Lettre ms. sous enveloppe (1 f. r./v. ; encre noire) à : Monsieur René Char / 4, rue de Chanaleilles / Paris 7e / 13 H 4 — 8 1956 ROCHEFORT-EN-YVELINES SEINE-ET-OISE / Paul Celan, Le Moulin, / Rochefort-en-Yvelines / (Seine-et-Oise) / Collection particulière.

33. – RENÉ CHAR À PAUL CELAN

[Paris] Le 6 août 567

Cher Paul Celan

Je vous reverrai avec plaisir. (Je vous l’écris comme cela me vient, le plus simplement.)

Pourquoi les chagrins nous constellent, poètes, qui possédons (mais non !) le pouvoir (l’image) de nous survoler, mais de ne rien retenir, cependant, entre nos mains qui assure éloigne et guérisse8 ? Tout au moins permette le toucher de quelque fraîche verdure, au plus lancinant moment ?

N’ayez aucun chagrin9 à mon égard en tous cas. Depuis le temps, je sais un peu… Votre lettre a été bien accueillie.

Je serai de nouveau à Paris, en septembre. Je pars tantôt pour une randonnée dont les étapes sont pour la plupart, heureusement, dans l’inconnu10. Si peu d’appétit, à vrai dire, qu’il me faut me soulever et m’enlever par la peau des épaules et les os du cou11 !

Au revoir, cher ami, je pense à vous affectueusement

René Char

Votre adresse à Paris n’a-t-elle pas changé ? Je vous écrirai ; à mon retour, pour vous en avertir.

Lettre ms. sous enveloppe de format C5 (1 f. r./v. ; encre noire) à : Monsieur Paul Celan / Le Moulin / Rochefort-en-Yvelines / Seine et Oise [sic, sans traits d’union] / 15 H 15 6 — 8 1956 GARE DU MONTPARNASSE PARIS 52 / Ex. : René Char 4 rue de Chanaleilles Paris 7e / NPC.

34. – RENÉ CHAR À PAUL CELAN

POUR NOUS, RIMBAUD

R. C.

Exemplaire de

Paul Celan

[Paris, 6. 8. 195612 ?]

Ex-libris de la main de RC (encre noire) sous le justificatif de tirage de l’exemplaire 64/75 de : René Char, Pour nous, Rimbaud, Paris, GLM, [achevé d’imprimer : juin] 1956 ; BK I (521). NPC.

35. – PAUL CELAN À RENÉ CHAR

29 bis rue de Montevideo

Paris 16e

/Trocadéro 36-49/

jeudi, 20 septembre 1956.

Cher René Char,

Êtes-vous à Paris ?

Votre lettre d’il y a trois semaines a été un grand soulagement13, le grand soulagement.

Je rentre d’un voyage en Allemagne, où, comme ailleurs, on m’accable d’Infamie14. Je viens frapper aux portes de ceux qui savent de quoi il s’agit : on s’esquive, on n’a pas le temps, on est déçu de me voir chercher justice15.

Permettez-moi de vous parler de tout cela de vive voix, de vous demander conseil16.

Je vous en remercie

Paul Celan

Lettre ms. sous enveloppe (1 f. r. ; encre noire) à : Monsieur René Char / 4, rue de Chanaleilles / Paris 7e / Pneumatique / 10 50 21 — 9 1956 RUE MONTEVIDEO PARIS 78 / Paul Celan, 29 bis rue de Montevideo, Paris 16e / 11 23 DNA 21 SEP 56 / 11 35 21 — 9 —56 R. DE GRENELLE (7e) PARIS 44 / Collection particulière.

36. – RENÉ CHAR À PAUL CELAN

WHICH RIMBAUD

Exemplaire de Paul Celan

R. C.

[Paris ?, automne 1956 ?]

Ex-libris paraphé (encre noire) sur la première page du tiré à part « Hors-Commerce no 19/30 », paraphé « R. C. » (encre verte) de : René Char, Which Rimbaud [il s’agit de la traduction d’« Arthur Rimbaud », préface de l’édition des Œuvres procurées par RC au Club français du livre, OC, p. 727-734], traduit par David Paul ; publié dans le no XVIII de Botteghe Oscure, [Rome, automne 1956], p. 85-92 ; non décrit dans BK. NPC.

37. – RENÉ CHAR À PAUL CELAN

HYPNOS WAKING

À Paul Celan

son ami fraternel

R. C.

[Paris ?, octobre 1956 ?]

Dédicace (encre noire) sous le faux titre d’un exemplaire d’Hypnos Waking. Poems and Prose by René Char, selected and translated by Jackson Mathews, with collaboration of William Carlos Williams et al., New York, Random House, [octobre] 1956 ; édition bilingue ; pour plus de précisions, voir OC, p. 1436. Titre non enregistré dans BK. NPC.

38. – RENÉ CHAR À PAUL CELAN

[Paris] Dimanche [28. 10. 1956]

Cher Paul Celan

Je dois voir, pour vous, mon ami avocat Maxime Fischer mercredi soir. Je n’ai pu le faire jusqu’ici car Fischer était en voyage à l’étranger. Je prendrai un rendez-vous pour vous17. Je pense que Fischer vous dira la meilleure marche à suivre pour “l’affaire” qui vous tourmente et qui devra se volatiliser18 !

Amitiés et bonnes pensées

René Char

Lettre ms. sous enveloppe (1 f. r. ; encre noire) à : Monsieur Paul Celan / 29 bis, rue de Montevideo / Paris XVIe / 18 H 30 28 — 10 1956 GARE MONTPARNASSE PARIS / Ex : René Char / 4 rue de Chanaleilles / Paris 7e / NPC.

39. – PAUL CELAN À RENÉ CHAR

29 bis rue de Montevideo

[Paris] Mardi [30. 10. 1956] —

Cher René Char,

merci, merci mille fois pour votre lettre, merci de bien vouloir parler à Maître Fischer de cette malheureuse “affaire” dont j’ai encore pu, lors d’un nouveau voyage en Allemagne, percevoir quelques beaux échos19… Je ne crois pas pouvoir laisser tant d’infamie sans réponse — si Me Fischer veut bien me fixer un rendez-vous, je me tiens à sa disposition n’importe quel jour20.

Nous avons vécu, tous ces derniers jours, le cœur serré à propos des événements de Hongrie21 — le cœur serré sur un espoir qui voulait naître. Mais voici aujourd’hui les nouvelles venant d’Israël22, nous retombons dans la confusion.

 

J’ai vu récemment Mme Klee-Palyi : c’est, je crois, malgré ses enthousiasmes multiples et difficiles à partager, une très brave personne et qui aime, à sa manière, la Poésie23. Comme elle m’a parlé de ses intentions de traduire (et de publier) un de vos recueils24, je me suis permis de lui dire ma conviction qu’une Poésie [telle] que [la] vôtre ne saurait être traduite autrement qu’en profondeur. Vous savez combien je souhaite contribuer valablement à une telle tâche ; hélas, mes instruments s’avèrent25, pour le moment du moins, bien insuffisants ; mais je ne désespère pas. Ce sera une très grande joie pour moi que de pouvoir vous soumettre un jour une version allemande de vos poèmes26.

De tout cœur

Paul Celan

Lettre ms. (1 f. r./v. ; encre sombre). Collection particulière.


1. Ajout autographe sur-linéaire : « d’erreurs bizarres » ainsi que la virgule qui précède.

2. Ajout autographe sur-linéaire : « souverain ».

3. Ancien moulin à eau sur la rivière dénommée Rabette, non loin de Rochefort-en-Yvelines, aujourd’hui dans le département des Yvelines : résidence secondaire de la famille Lestrange, dont GCL et PC profitaient à l’occasion. PC aimait y travailler, mais aussi y pêcher à la ligne.

PC, qui a enregistré l’envoi de cette lettre dans son journal de correspondance à la date du 4 août 1956, en a conservé une esquisse : « J’ai devant moi vous votre [sic] lettre du… Je l’ai reçue à Genève, où j’ai été chercher un ailleurs qui   mes désespoirs. Je dis bien : désespoirs, <au pluriel et> avec un d minuscule. Non pas ceux qui vous déchirent, mais les autres, les petits, qui vous rongent. » (D 90.1.3245 ; après des notes de lecture de Was heißt Denken? [Qu’appelle-t-on penser ?, traduit par Aloys Becker et Gérard Granel, Bris, PUF, 1959], de Heidegger datées du 21 septembre [1954] : voir Bph, p. 401-411.)

4. PC avait séjourné en Suisse du 2 janvier au 30 avril 1956 pour y exercer la fonction de traducteur au Bureau international du travail. Que faut-il entendre par « milles chagrins » et par « désespoirs » ? Dans sa tâche de traducteur, PC fut-il une fois de plus confronté au malaise linguistique qu’il éprouvait de façon récurrente depuis qu’il avait perdu l’usage quotidien de sa langue maternelle ? (Voir à ce sujet PC/GCL I, p. 22 et 79 ; voir aussi l’avant propos de Maurice Olender, p. 8 sq.). À défaut de pouvoir préciser ce à quoi PC fait allusion, on sait que la période qu’il vient de traverser est remplie de complications et d’événements désagréables : voir Chronologie, p. 277 et 280, mars, 28 avril - 2 mai, 6 mai et août 1956. Depuis 1953, PC subit les effets d’une campagne de calomnie avec accusations de plagiat menée par Claire Goll (1890-1977 ; née Klara Aischmann), veuve du poète expressionniste bilingue Yvan Goll (ou Ivan ; pseudonyme d’Isaac Lang ; 1891-1950). Par ailleurs on peut se demander si un événement survenu au début de son séjour à Genève ne pourrait pas être à l’origine d’au moins un de ses « désespoirs […] avec un d minuscule » : depuis octobre 1953, PC entretenait une liaison régulière et secrète avec Brigitta Eisenreich, une jeune Autrichienne vivant à Paris, qui avait découvert fin octobre 1955 qu’elle était enceinte. Ne pouvant ni ne voulant assumer cet enfant, elle décida d’avorter. L’opération, très onéreuse, nécessitait alors un voyage en Allemagne. PC lui vint en aide financièrement et c’est aussi pour combler ce déficit imprévu qu’il avait pris l’emploi de traducteur très bien rémunéré (voir L’Étoile, 71 sqq.).

5. Correction autographe : « de vo me ».

6. Pour PC, RC est alors le parangon de l’homme à qui les mots ne font jamais défaut : voir supra, p. 56, no 3, n. 2 à la lettre de RC du 27 août 1954.

7. Dans le bref journal de correspondance qu’il tient durant son séjour à Rochefort-en-Yvelines, PC a enregistré l’arrivée de cette lettre à la date du 7 août 1956 avec un mot de commentaire : « Réponse de Char. Soulagement. » (D 90.1.3238 ; trad.)

8. On peut observer sur le ms. deux ajouts, le premier, sur-linéaire, l’autre dans la marge : « (l’image) », « éloigne » ; ainsi que des corrections : « etmais de ne rien retenir », « deet guérisse ».

9. RC avait écrit d’abord : « n’ayant » ; cf. la lettre de RC à Claire Goll publiée infra, p. 292, Chronologie, 9 juin 1962 : « N’ayez pas de chagrin. »

10. Randonnées dans la vallée de Chevreuse et à Vernon dans l’Eure en compagnie d’Yvonne Zervos (1905-1970), épouse du critique d’art et écrivain français d’origine grecque, fondateur en 1926 des Cahiers d’art, Christian Zervos (1885-1970).

11. RC traverse alors une longue période difficile où il connaît malaises et insomnies ; ces expériences lui inspireront les poèmes et les illustrations de La Nuit talismanique (Genève, Skira, 1972 ; OC, p. 1257 sq.) ; voir Greilsamer, p. 316-319 et 540.

12. L’opuscule était sans doute joint à la lettre qui précède (voir le format de l’enveloppe de celle-ci).

13. PC se trompe : il s’agit de la lettre de RC du 6 août 1956, voir supra, p. 91, no 33.

14. Le mot désigne l’« affaire Goll ». Dès la fin janvier 1952, GCL désigne Claire Goll par l’épithète d’« infâme » (PC/GCL I, p. 18) ; la première occurrence connue du mot « Infamie » sous la plume de PC pour désigner l’affaire Goll date de fin juillet 1956 (lettre à Alfred Andersch ; GA, p. 230, 234 et PC/GCL II, p. 78). PC avait séjourné du 16 au 19 septembre à Stuttgart chez ses amis le romancier Hermann Lenz (1913-1998) et sa femme Hanne (1915-2010 ; née Trautwein) pour s’entretenir des suites à donner aux nouveaux agissements de Claire Goll. PC avait reçu, de Stuttgart (cachet de la poste du 8 mars 1956), par l’intermédiaire de son éditeur allemand, une lettre anonyme l’accusant d’être un « Meisterplagiator [maître plagiaire] ». En réaction à la publication de quatre poèmes de PC dans les Cahiers du Sud en avril, un dénommé Bluerse (nom qui n’a jamais pu être attribué à quelqu’un) avait adressé une lettre à la revue accusant PC d’avoir plagié Yvan Goll (voir p. 277, Chronologie, 6 mai 1956). Les rumeurs propagées par Claire Goll en 1953 avaient eu des répercussions les années suivantes sur la façon dont la critique percevait les poèmes de PC en Allemagne : dans les essais de Hans Egon Holthusen (« Fünf junge Lyriker : Paul Celan » dans : Ja und Nein. Neue kritische Versuche, Munich, R. Piper & Co., 1954, p. 154-165), ancien SS, et de Curt Hohoff, le nom de PC apparaît systématiquement dans le sillage de celui de Goll. Le critique Curt Hohoff, qui présente PC comme un protégé, un poète dans la dépendance de Goll (« von Ivan Goll patronisiert [patronné par Yvan Goll] »), va jusqu’à insinuer que la poésie de PC serait incompréhensible, voire vide, dans des propos confinant à l’antisémitisme : « La philologie vole en éclats au contact de ces poèmes comme au contact de ces fameux passages de la michnah où la science abdique. » (« Flötentöne hinter dem Nichts », dans : Geist und Ursprung. Zur modernen Literatur, Munich, Ehrenwirth, 1956, p. 241 sq.) Par ailleurs, Hohoff écrit, après une comparaison entre des vers d’Yvan Goll et de PC dans un essai sur la métaphore publié en 1956, pour affirmer la dépendance de PC vis-à-vis de Goll et l’absence d’originalité de sa poésie : « Chez Celan la variation sur des topoi poétiques est un principe stylistique » (« Die Metaphernsprache des neuen Gedichts », dans la revue publiée à Stuttgart Jahresring). Comparés à ceux de Goll (« Die Eber mit dem magischen Dreieckskopf / Sie stampfen durch meine faulenden Träume [Les sangliers avec leur magique tête triangulaire/ Piétinent en les traversant mes rêves pourrissants] », les vers de PC cités par Hohoff (« In Gestalt eines Ebers / stampft dein Traum durch die Wälder am Rande des Abends [Sous la forme d’un sanglier / ton rêve piétine les forêts à la lisière du soir] », DS, p. 38-39), continuellement repris dans la presse, revêtiront une grande importance dans l’Affaire. En vérité, le texte de Goll résulte d’une manipulation de Claire Goll : dans le poème authentique d’Yvan Goll, là où on lit « Traum [rêve] » apparaît le mot « Herz [cœur] ». En mai 1961, PC reconnaîtra sa dette envers… W. B. Yeats ! (Voir GA, p. 206-213 et KG, p. 627.)

15. PC fait surtout allusion à l’écrivain Alfred Andersch (1914-1980), éditeur de Texte und Zeichen (voir supra, p. 67, no 18, n. 2 à la lettre du 7 février 1955) à qui il avait adressé une longue lettre datée du 27 juillet 1956 dans laquelle il fait la chronique détaillée de l’Affaire (y apparaissent tous les points abordés dans la note précédente). Andersch ne répondit que le 6 septembre et brièvement, en lui conseillant de ne pas prendre tout cela trop au sérieux. PC en fut choqué et peiné. Des copies de la lettre de PC, qui est une sorte de lettre ouverte, furent adressées à d’autres de ses amis et connaissances, parmi lesquels des écrivains proches comme Klaus Demus, Hermann Lenz, mais aussi à Paul Schallück (1922-1976), Günter Grass (1927-), etc. (GA, p. 235.) Durant l’été, PC avait lancé des appels à l’aide ; dans la plupart des cas, les lettres qui lui parvinrent ne répondaient pas à son attente.

Ajouts autographes, le premier sur-linéaire, le second dans les marges : « de ceux » ; « n’a pas le temps, on ».

16. La lettre de RC qui suit (no 38) laisse supposer une rencontre récente entre les deux hommes qu’il est hélas impossible de dater précisément.

17. Maxime Fischer (1913-2007, dit Max F. et, entre 1942 et 1945, capitaine Anatole), avocat au barreau de Paris, né dans une famille juive française ; ancien sous-préfet chargé de l’épuration. Radié du barreau, il se réfugie à Carpentras. Début décembre 1941, il crée, à Sault, avec le lieutenant-colonel de réserve Philippe Beyne, dont il devient l’adjoint, l’unité combattante de Résistance du Vaucluse. C’est à la libération d’Avignon, en août 1944, qu’il se lie à RC, dont il a fait la connaissance quelque temps auparavant. M. Fischer est alors un des conseillers juridiques de RC. Leur amitié durera jusqu’à la mort de RC.

18. Correction autographe : « nvous dira » ; la fin de la phrase « et qui devra… » pourrait être un ajout.

19. PC s’était rendu en Allemagne le 16 septembre, pour rencontrer à Stuttgart ses amis Lenz (voir supra, p. 93, no 35, n. 3 à la lettre du 20 septembre 1956), puis, répondant à l’invitation de l’écrivain Paul Schallück, à Cologne pour participer les 13 et 14 octobre à un congrès du Grünwalder Kreis (le Cercle de Grünwald), organisation antifasciste de gauche créée à Grünwald (près de Munich) en 1955 par Hans Werner Richter, écrivain fondateur et « chef » du Groupe 47, qui a incarné le renouveau littéraire dans l’Allemagne de l’après-guerre. Dans les deux cas, mais de manière très différente, l’Affaire était présente. Autant les Lenz étaient pour PC de vrais alliés, autant les écrivains et personnalités du monde littéraire rencontrés à Cologne à l’occasion du second voyage de PC en Allemagne en 1956 se révélèrent au mieux indifférents. Plus tard, certains, des plus douteux, apportèrent leur soutien à Claire Goll : le critique et germaniste Clemens Heselhaus, ancien nazi, collaborateur de la revue fondée par Goebbels Der Reich, puis membre du comité scientifique de l’association et de la bibliothèque créées à Cologne en 1959 par Heinrich Böll sur une initiative citoyenne, Germania Judaica, consacrées à l’histoire du judaïsme allemand, instrument de lutte contre l’antisémitisme rémanent en Allemagne (voir PC/RhF, p. 607 sq. et 626) en est une des figures emblématiques. Un passage de la lettre qu’il envoie à son épouse le 12 octobre 1956 montre que PC ne se faisait guère d’illusions sur ses chances d’être entendu à Cologne : « Je verrai des tas de gens demain, venus des quatre coins de l’Allemagne, beau spectacle pour ceux qui savent regarder. » (PC/GCL I, p. 89.)

20. Les agendas 1956 de PC et de GCL n’ayant pas été conservés, il est impossible de savoir s’ils contenaient des notes relatives à ce rendez-vous. La rencontre de PC avec l’avocat résistant a-t-elle seulement eu lieu ? Aucune lettre de M. Fischer ni aucune copie de lettre de PC à ce dernier ne sont conservées dans le NPC. Ce qui ne fait pas de doute, c’est que PC ne donna pas une suite juridique à l’Affaire ; il ne porta jamais plainte pour diffamation et accusations mensongères, avant tout sans doute à cause de la complexité linguistique de l’Affaire : PC et C. Goll vivaient en France, mais ce dont il s’agissait concernait la scène littéraire allemande. Où trouver les personnes capables de prendre en charge la défense de PC ? Fallait-il intenter un procès en France ou en Allemagne ? Le livre de Barbara Wiedemann sur ce sujet, Die Goll-Affäre, sorte de dossier d’instruction de près de 1000 pages, qui présente un large choix de documents en langues allemande et française, laisse imaginer l’ampleur et la difficulté du travail qui aurait attendu les avocats et les juges s’ils avaient été saisis de l’Affaire (voir GA).

21. Allusion à l’Insurrection de Budapest entre le 23 octobre et le 10 novembre 1956 contre la politique menée par le gouvernement de la République populaire de Hongrie sous tutelle soviétique. Cette révolte spontanée qui commença par des manifestations estudiantines gagna rapidement tout le pays. Le 28 octobre, sans consulter Moscou, Imre Nagy forme un gouvernement pluripartite avec des exigences parlementaires — l’audace est sans précédent. D’abord dans l’expectative, l’armée soviétique finit par intervenir le 4 novembre, la révolte est écrasée en quelques jours : les événements font plusieurs milliers de morts et de blessés dans les deux camps. L’ennemi de Nagy, János Kádár, forme un gouvernement « ouvrier-paysan » et rétablit, avec le soutien de l’URSS, l’État socialiste. À la suite d’un simulacre de procès Nagy sera pendu le 16 juin 1958 dans une prison de Budapest. Voir la coupure de presse « Budapest : Staline abattu » que RC a commentée à l’intention d’Albert Camus : « Une glorieuse journée d’Automne ! Belle est la haine quand elle jette la tyrannie à bas » (photo de la statue du dictateur déboulonnée, France-soir, 30 octobre 1956 ; voir AC/RC, p. 152 sq.).

22. La « guerre de Suez » éclata le 29 octobre 1956 suite à la nationalisation du canal de Suez par l’Égypte, bloquant le trafic, en particulier des bateaux israéliens, entre la Méditerranée et la mer Rouge (« le canal est la propriété de l’Égypte », discours de Nasser du 26 juillet 1956). Elle opposa jusque début novembre Israël, la France et le Royaume-Uni, qui avaient signé un accord secret entre eux, à l’Égypte. Le 30 octobre, au lendemain de l’invasion israélienne en territoire égyptien, Guy Mollet adresse un ultimatum aux deux belligérants visant à obtenir le « retrait des forces de part et d’autre du canal ». Le président du Conseil précise à la fin de sa déclaration : « Au moment où notre ambassade d’Amman vient d’être lapidée, notre consulat de Jérusalem et nos établissements culturels d’Alep incendiés, chacun admettra que nous ayons besoin et que nous demandions des garanties matérielles à la bonne exécution de tout accord » (cité d’après le document publié par le service d’information et de presse du ministère des Affaires étrangères : www.cvce.eu/obj/ declaration_de_guy_mollet_30_octobre_1956-fr-83519932-30fa-4562-8b7d-6615c4 c14257.html). Une des conséquences de la crise de Suez sera, sur décision de Nasser, l’expulsion d’Égypte de tous les Juifs.

23. PC connaissait Flora Klee-Pályi (née Flora Pályi ; 1893-1961) depuis 1949. L’artiste graphique, illustratrice, traductrice et éditrice, née dans une famille juive hongroise, était une rescapée du camp de Theresienstadt. Elle avait publié, dans une édition bilingue, un choix de poèmes de Guillaume Apollinaire auquel PC et Jean-Pierre Wilhelm avaient collaboré en tant que traducteurs : Dichtungen, ausgewählt und herausgegeben von Flora Klee-Pályi, Geleitwort von René Char, Vorwort von Fritz Usinger, Wiesbaden, Limes Verlag, 1953. L’avant-propos de RC, daté du 16 mars 1953, est reproduit, sous sa forme manuscrite, en regard de sa version allemande (p. 4-5 ; l’exemplaire justificatif de la BPC présente quelques ajouts ms. de la main de PC ; y sont insérés des esquisses de traduction inédites de « La Chanson du mal-aimé » ; collection particulière). La date précise de la rencontre évoquée reste inconnue. L’anthologie de la poésie française, également éditée par Flora Klee-Pályi, à laquelle PC a collaboré en tant que traducteur de Nerval, d’Artaud et de Desnos, est alors encore en cours d’élaboration : Anthologie der französischen Dichtung von Nerval bis zur Gegenwart, Wiesbaden, Limes Verlag, 1958 (voir lettre de F. K.-P. à PC du 1er décembre 1957, D 90.1.1760). PC et RC ont échangé une correspondance avec F. Klee-Pályi, respectivement entre 1949 et 1958 et entre 1950 et 1960.

24. Le titre de ce « recueil » n’a pas pu être précisé. Flora Klee-Pályi avait proposé en 1954 sa traduction d’une dizaine de poèmes de RC à la revue Merkur ; ce choix fait par l’auteur lui-même devant paraître ensuite dans « un volume René Char » chez Limes à Wiesbaden (voir lettre de Joachim Moras à PC du 15 juin 1954, D 90.1.1991). L’éditeur de la revue était prêt, malgré ses réserves sur la qualité de la traduction, à la publier, une fois remaniée, à condition que PC rédigeât un petit essai pour l’accompagner. PC ne donnant pas suite à cette proposition, le projet resta sans lendemain. Voir p. 270, Chronologie, 2 mai et 10 juillet. Les traductions de F. Klee-Pályi parurent sous le pseudonyme Marie Philippe, avec d’autres de Jean-Pierre Wilhelm, la même année chez Limes dans un choix d’œuvres de RC intitulé Irdische Girlande (voir supra, p. 59, no 6, la dédicace datée de novembre 1954).

25. Corrections autographes, dont la seconde est sur-linéaire : « mais [lettre illisible] hélas, mes instruments sont s’avèrent ».

26. C’est deux ans plus tard que PC publia sa traduction des Feuillets d’Hypnos dans la revue du S. Fischer Verlag (voir infra, p. 127-128, nos 62-63, les dédicaces à dater de la fin novembre 1958). Sur la conception de PC de la traduction (cf. « ne saurait être traduite qu’en profondeur »), voir les propos théoriques tenus dans sa lettre au traducteur et slaviste allemand Karl Dedecius du 31 janvier 1960, exploitée et commentée avec sagacité par Angela Sanmann dans Poetische Interaktion, Berlin/Boston, De Gruyter, 2013, p. 388 sq.