49. – RENÉ CHAR À GISÈLE ET PAUL CELAN
L’UNE ET L’AUTRE
Pour Gisèle et pour Paul
Celan.
En 1958.
Vœux et pensée de
R. C.
[Paris ?, début janvier 1958]
Dédicace sous le faux titre (encre noire) de l’exemplaire no 43/75 de : René Char, L’une et l’autre, Alès, PAB, [achevé d’imprimer : 10 septembre] 1957 ; paraphé sous le justificatif de tirage : « R. C. » (encre violette). L’opuscule illustré de la reproduction d’un dessin de RC a été offert en étrennes ; BK I (525). NPC.
50. – RENÉ CHAR À GISÈLE ET PAUL CELAN
ÉLISABETH PETITE FILLE
Gisèle et Paul Celan
R. C.
[Paris ?, janvier 1958 ?]
Ex-libris de la main de RC au-dessus de l’achevé d’imprimer (encre noire) de l’exemplaire no 8/75 signé « PAB » (crayon noir) de : René Char, Élisabeth petite fille, Alès, PAB, [achevé d’imprimer : janvier] 1958 ; paraphé par l’auteur (encre rouge), orné par RC d’une lithographie en frontispice, rehaussée de couleurs à l’aquarelle et à la gouache blanche, représentant un scarabée. Était glissé à la fin d’Élisabeth petite fille le minuscule livre (4 × 2) de RC : Pour renouer, [Alès,] PAB, [achevé d’imprimer : juin] 1954 ; tiré à 20 exemplaires (non numérotés) ; BK I (526). SGCL.
51. – RENÉ CHAR À PAUL CELAN
[Paris, 21. 2. 1958]
Cher Paul Celan
Au moment de partir pour l’Isle, je vous envoie le double de ma lettre à la revue “Évidences1”. (Je regrette de n’avoir pas2 sous la main le morceau d’Étiemble, mais cette revue — là, où il a paru — est bien celle dont vous m’avez parlé au téléphone3 — siège, 30 rue La Boétie — publiée sous l’égide de l’American Jewish Committee4.) Heureusement “The Jerusalem Post5” sous la plume de Meir Mindlin a publié ces temps-ci l’article le plus intelligent qu’il m’ait été offert de lire6 depuis longtemps. Ceci compense cela.
J’espère bien vous revoir à mon retour de Provence. Ma très amicale pensée ainsi qu’à Madame Celan.
René Char
[Lettre de René Char adressée à Nicolas Baudy, directeur de la revue Évidences :]
Le 17 février 1958.
Monsieur le Directeur
de la revue Évidences
30, rue La Boétie
Paris, 8e
Monsieur,
Dans ma préface aux Œuvres de Rimbaud publiées par le Club français du livre j’ai noté dans un passage mon désaccord avec certaines attitudes prises à l’égard de Rimbaud par des écrivains et professeurs qui se sont occupés de la personne et de l’œuvre du poète. M. Étiemble, que je n’ai pas nommément désigné, s’est reconnu dans huit lignes. Il a eu raison, c’est parfaitement de lui dont il est question. Qu’il réplique, me contredise, pulvérise mes positions : rien de plus normal. Qu’il le fasse avec les moyens dont il dispose, moyens que la nature lui a donnés mais que la culture, on va le voir, ne lui a pas suffisamment développés, j’aurai la bonne grâce de l’accepter tel qu’il s’exhibe.
Après quelques sarcasmes : « M. Char a moins de goût encore que les pions qu’il dédaigne, et je le prouve7 » — je me permets de renvoyer vos lecteurs à son article d’Évidences de janvier 1958. Que nous prouve M. Étiemble ? Simplement (l’ouvrage du Club français du livre compte cent dix-sept textes de Rimbaud) que j’ai maintenu la ponctuation d’un point et virgule et d’une virgule dans deux vers de Rimbaud, extraits du poème Comédie de la Soif, à une place où lui, M. Étiemble, ne les veut pas ! C’est tout. Est-ce bien tout ? Oui. Une page entière de votre revue lui est nécessaire pour s’y livrer envers moi à des brutalités de collégien… Or, deux versions, TOUTES DEUX ÉCRITES DE LA MAIN DE RIMBAUD, se sont offertes à notre attention. La première — celle que nous avons préférée, précisément pour la ponctuation de ces deux vers — est empruntée au texte du manuscrit Barthou daté de mai 1872, comportant les titres du poème et des parties. (Fac-simile Messein. Les Manuscrits des Maîtres8, 1919.)
Descendons en nos celliers ; [point et virgule]
Après, [virgule] le cidre et le lait.
H. de Bouillane de Lacoste l’adopte pour son édition critique des Poésies9 d’Arthur Rimbaud (Mercure de France [1939]).
Cette ponctuation est aussi celle retenue par A. Rolland de Renéville et Jules Mouquet dans l’édition des Œuvres complètes (Bibliothèque de la Pléiade [1946]). Également par François Ruchon Nicolas Baudy dans l’édition des Œuvres complètes10 de Rimbaud (collection des Trésors de la Littérature Française. Skira, 1943).
La seconde version, laquelle n’a pas de titre en tête du poème et de ses diverses parties, publiée en pré-originale par LaVogue, no 7, juin 1886, porte :
Descendons en nos celliers : [deux points]
Après le cidre, [virgule] et le lait… [trois points]
M. Étiemble nous dit : « Infailliblement Char nous choisit la leçon la plus paresseuse, celle qui, hachant la phrase, en ruine d’un seul coup et le sens et le rythme. Rimbaud, nous le savons, avait écrit tout autre chose, quelque chose comme :
Descendons en nos celliers [sans ponctuation]
Après le cidre, [virgule] et le lait11. »
Le sens que M. Étiemble met à ces deux vers est ce que j’oserai12 appeler un sens ancillaire. En poésie, cette opération dont usent avec abondance les poètes mineurs et que les grands refusent, a nom « facilité de poursuite ». Ce que Rimbaud a voulu dire, c’est bien ce que M. Étiemble n’a pas entendu !
Le « quelque chose comme » est admirable ! Les sputations de M. Étiemble ne vont pas au-delà de cette sciure.
Bassesse de langage, vanité agressive, efforts grossiers pour creuser et élargir, à l’aide d’une argumentation fallacieuse, un fossé entre la connaissance stimulante, la chaude érudition des maîtres scrupuleux, et les poètes… M. Étiemble devrait s’éclairer à la lumière de sa profession. Je cherche en vain en lui les qualités solides, si manifestes chez la plupart de ses collègues. Je n’aurai pas le mauvais goût de continuer. Je ne me crois pas à l’abri des fautes, d’erreurs, dans un travail difficile qui ne s’est jamais proposé comme une nouvelle édition critique des textes de Rimbaud. Je n’ai pas prêté serment de virgule. La vérité très évidente est que j’exaspère M. Étiemble. Qu’y puis-je ? L’humeur de M. Étiemble est sans effet sur ma santé de poète.
Là se bornerait ma lettre si M. Étiemble était resté dans les limites permises de la polémique, mais je dois le suivre avec regret sur un autre terrain. M. Étiemble écrit : « Je me demande quelle tête ferait M. Char si je publiais les lettres où tout récemment encore, l’auteur de cet article [une jeune essayiste ; son article a paru dans les Cahiers du Sud13] qui loue Char à mes dépens, me suppliait…, etc. ». Quelle tête je ferais ? Je l’ignore ; mais je sais fort bien comment l’on devrait alors qualifier « la tête » de M. Étiemble. Notre jeune essayiste des Cahiers du Sud aura en chemin changé d’avis. N’est-ce point permis ? Dans le tome II du Mythe de Rimbaud, p. 435, M. Étiemble trouvait à un de mes poèmes — justement sur Rimbaud — assez de clarté et de compétence pour l’appeler en témoignage, bien que cela ne me fît pas plaisir…
Je vous serais très obligé, Monsieur, de porter cette lettre à la connaissance de vos lecteurs, et vous prie, avec mes remerciements, d’agréer l’expression de mes sentiments distingués.
René Char
Lettre ms. sous enveloppe (1 f. r. ; encre noire) à : Monsieur Paul Celan / 78, rue de Longchamp / Paris 16e / 21 II 58 10 15 BD PASTEUR (7e) PARIS 102 // Ex. : René Char / L’Isle-sur-Sorgue / Vaucluse / La pièce qui était jointe a été retournée à RC, conformément à sa demande (voir les lettres qui suivent). NPC.
52. – RENÉ CHAR À PAUL CELAN
[L’Isle-sur-Sorgue] Lundi [3. 3. 1958]
Cher Paul Celan
Je suis obligé de demeurer ici encore quelque temps, jusqu’à fin mars je pense. L’état de santé de ma sœur (lente agonie de l’esprit avec des éclairs de plus en plus espacés) pèse désormais lourdement sur ma liberté14.
Je vous envoie ainsi qu’à Madame Celan ma pensée amicale
René Char
P.S. Voulez-vous avoir la bonté de me renvoyer les “papiers Étiemble”, j’ai besoin de cette copie, n’en possédant pas d’autre, pour une revue qui la reproduira15. Merci.
« L’Isle-sur-Sorgue (Vaucluse) — Le partage des eaux. » Carte postale sous enveloppe (stylo à bille bleu) à : Monsieur Paul Celan / 78, rue de Longchamp / Paris 16e / 18 H 45 3 — 3 1958 ISLE-SUR-LA-SORGUE VAUCLUSE / Ex. : R. Char L’Isle-sur-Sorgue / Vse / NPC.
53. – PAUL CELAN À RENÉ CHAR
78, rue de Longchamp
Paris, le 5 mars 195816.
Cher René Char,
Je n’ai pas le droit, je crois, de mêler des mots à ce que vous vivez actuellement. Puisse votre présence allumer, dans cette nuit, des feux fraternels17 !
“À une sérénité crispée” est presque entièrement traduit18 — j’espère pouvoir, à votre retour à Paris, vous la montrer en même temps que “Les Feuillets d’Hypnos” : à de nombreux endroits, j’aurai encore besoin de votre aide19 avant de me dire que je suis resté, en parlant allemand, dans votre chemin.
Je joins à ces lignes la Réponse à Étiemble que vous avez bien voulu me confier. Serait-il possible que “Évidences” en refuse la publication20 ? Décidément, dans le dialogue, c’est encore le poète qui doit assumer les deux rôles21.
Essayant de vous suivre
Paul Celan
Lettre ms. sous enveloppe (1 f. r./v. ; encre bleu sombre) à : Monsieur René Char / L’Isle-sur-Sorgue / (Vaucluse) / 18 H 15 5 — 3 1958 R. DE LONGCHAMP (16e) PARIS 106 / Paul Celan, 78 rue de Longchamp / Paris 16e / Collection particulière.
54. – RENÉ CHAR À PAUL CELAN
[L’Isle-sur-Sorgue, 7. 3. 1958]
Merci, cher Paul Celan, pour les pensées d’amitié de votre lettre d’aujourd’hui. Je pense revenir à Paris vers la fin de la semaine prochaine et me mettrai aussitôt bien volontiers à votre disposition pour toute question concernant votre travail de traduction de mes textes22.
À bientôt. Amitié
René Char
P.S. La revue “Évidences” publiera dans son prochain numéro ma lettre23.
« La Camargue. » Carte postale (encre grise) à : Monsieur / Paul Celan / 78, rue de Longchamp / Paris 16e // 18 H 45 7 — 3 1958 ISLE-SUR-LA-SORGUE VAUCLUSE // NPC.
55. – PAUL CELAN À RENÉ CHAR
[Paris] Mercredi, 15 avril 1958
Cher René Char,
C’est avec plus de huit jours de retard que je viens vous déposer ma traduction — excusez-moi.
C’est une nouvelle version24, qui, je l’espère, ne décevra pas trop vos lecteurs allemands.
Toute ma gratitude
Paul Celan
RENÉ CHAR
EINER HARSCHEN HEITERKEIT
Ins Deutsche übertragen von
Paul Celan
Lettre ms. (1f. r. ; encre bleue ; la feuille déchirée dans le sens de la largeur au-dessus du pli a été raboutée avec du ruban adhésif) et dactylogramme (34 f. r.). Le lien entre la traduction d’« À une sérénité crispée » et la présente lettre a été rétabli par l’éditeur. Voir GW IV, p. 562-595 ; OC, p. 747-762. Collection particulière.
56. – RENÉ CHAR À PAUL CELAN
[Paris] Vendredi [18. 4. 1958]
Cher Paul Celan
J’aimerais que vous n’ayez pas gaspillé un peu trop de votre temps, de ce temps25 qui revient à vos poèmes, à la traduction de mes textes ? De cela je m’inquiète sincèrement, avec une sorte de remords.
Merci d’avoir pensé à m’envoyer la traduction de “À une sérénité crispée”. Je la montrerai à Pierre Souvtchinsky26 et peut-être à Beaufret27.
J’espère à bientôt.
Mes fidèles sentiments à tous trois.
Votre ami
René Char
Lettre ms. sous enveloppe (1 f. r. ; encre noire) à : Monsieur Paul Celan / 78, rue de Longchamp / Paris 16e / 12 H 30 18 — 4 1958 R. CLER (7e) PARIS VII / NPC.
57. – RENÉ CHAR À PAUL CELAN
[RIMBAUD]
Amitiés, cher Paul Celan
R. C.
[Paris ?] avril 1958
Dédicace au verso de la page de garde (encre noire) d’un tiré à part, plié en deux, de Die Neue Rundschau, 68e année, 2e cahier de l’année 1957, p. 224-230 : René Char, « Rimbaud », traduit en allemand par Jean-Pierre Wilhelm (OC, p. 727-734) ; enveloppe probablement non conservée ; non décrit dans BK. NPC.
58. – RENÉ CHAR À PAUL CELAN
[CINQ POÉSIES EN HOMMAGE À GEORGES BRAQUE]
Pour Paul Celan
René Char
[Paris ?, octobre 195828]
Dédicace et signature, disposées respectivement au-dessus et au-dessous du numéro de tirage en fin de volume (encre noire), dans l’exemplaire no 64/181 de : René Char, Cinq poésies en hommage à Georges Braque, Genève, Edwin Engelberts, 1958 ; BK I (504). NPC.
59. – PAUL CELAN À RENÉ CHAR
BATEAU IVRE — DAS TRUNKENE SCHIFF
À René Char,
sur un sentier sans fin.
Paul Celan
[Paris, octobre 1958 ?]
Dédicace (encre noire) sous le titre d’un exemplaire de l’édition (1500 exemplaires non numérotés) de : Arthur Rimbaud, Bateau ivre — Das Trunkene Schiff, Übertragen von Paul Celan, Wiesbaden, Insel Verlag, octobre 1958 (le premier tirage daté d’août 1958 a été retiré du marché à cause de l’inversion de deux pages). ARRC.
60. – PAUL CELAN À RENÉ CHAR
[Paris,] 31 octobre 1958.
Cher René Char,
J’ai lu (et relu) la traduction de29 ‘Nous Avons’ par Franz Wurm : je la trouve vraiment très bonne30.
Bien sûr, on pourrait lui reprocher un certain “purisme”, c’est-à-dire cette préférence (plus que contestable) donnée à des mots “purement” allemands31, ce qui conduit, par exemple, à traduire “burlesque” par “ridicule” au lieu de le rendre par son vrai équivalent, qui est bien “burlesk” ; mais ceci est secondaire et facilement réparable32.
Voulez-vous que je suggère à Francfort, chez Fischer (j’y serai vers le quinze novembre) qu’une partie des textes à traduire33 soit confiée à Franz Wurm ? Je le ferai volontiers.
Pasternak : il faudra que beaucoup de voix se taisent pour que nous retrouvions le poète34. Puisse-t-il être là, seul !
Cordialement
Paul Celan
Lettre ms. sous enveloppe (1 f. r./v. ; encre bleue) à : Monsieur René Char / 4, rue de Chanaleilles / Paris 7e / 18 H 15 1 — 11 1958 GARE ST LAZARE PARIS / Collection particulière.
61. – RENÉ CHAR À PAUL CELAN
[Paris] Mardi [4. 11. 1958]
Cher Paul Celan
Ne pensez-vous pas qu’il soit bien tard pour mettre en route de nouvelles traductions de mes poèmes ? Je crois qu’il faut nous borner à ce qui est fait, pour ne pas retarder l’éditeur. Je ne suis certes pas opposé à ce que des poèmes traduits par Franz Wurm prennent place dans l’ouvrage (*)35. (Wurm a traduit “La paroi et la prairie”, on m’a dit, excellemment, non paru en livre encore36.) Voulez-vous en décider vous-même ? Surtout je vous serais reconnaissant d’insister auprès de Fischer pour qu’une préface proprement dite ne figure pas dans mon livre. Comme “publicité” sur la couverture en papier, oui, des extraits d’études peut-être37. Mais que tout se borne là donnerait de la tenue et de la gravité.
Cordialement votre
René Char
Voici l’adresse de :
Franz Wurm Zeltweg 9
Zürich 3238.
(*) Par exemple Unser ist39.
Lettre ms. sous enveloppe (1 f. r./v. ; encre grise) à : Monsieur Paul Celan / 78 rue de Longchamp / Paris 16e / [de la main de RC (crayon noir) :] R[épondu] / 19 H 30 4 — 11 1958 R. CLER (7e) PARIS VII/ Ex : R. Char 4 rue de Chanaleilles / Paris 7e / NPC.
62. – PAUL CELAN À RENÉ CHAR
René Char
Hypnos
Traduction allemande
de
Paul Celan
________
1958
[HYPNOS. AUFZEICHNUNGEN AUS DEM MAQUIS (1943-44)]
À René Char, à Hypnos,
qui m’a fait confiance
avec toute la gratitude
de Paul Celan
[Paris, fin novembre ? 1958]
Dédicace (encre noire) au verso de la page de garde vierge du tiré à part (paginé 1-37) de Die Neue Rundschau, 69e année, [fin novembre] 1958, 4e cahier de l’année, p. 565-601 : René Char, « Hypnos. Aufzeichnungen aus dem Maquis (1943-44) / für Albert Camus », Übertragen von Paul Celan. Le frontispice sur la couverture cartonnée grise contenant les 40 pages cousues du tiré à part est de la main de RC (encre noire). RC possédait par ailleurs d’autres exemplaires de ce tiré à part (voir le document qui suit). À la différence de deux tirés à part du NPC, aucun des tirés à part en possession de RC ne présente les ajouts, sous forme de béquets, des nos 215, 230 et 231 qui manquent dans le texte publié (D 90.1.386 et collection particulière). Rien ne permet de dire si ce document a été acheminé par voie postale. Collection particulière.
63. – RENÉ CHAR À PAUL CELAN
[HYPNOS. AUFZEICHNUNGEN AUS DEM MAQUIS (1943-44)]
À Paul Celan
à qui je pensais40.
son ami reconnaissant
René Char
[Paris, fin novembre ? 1958]
Dédicace (encre noire) au verso de la page de garde du tiré à part de Die Neue Rundschau, 69e année, [fin novembre] 1958, 4e cahier de l’année, p. 565-601 (voir supra, no 62, la dédicace de PC à RC de la fin novembre ? 1958). NPC.
1. Le double de la lettre dactylographiée n’est plus joint : voir infra, p. 116-117, nos 52 et 53, le post-scriptum de la lettre de RC du 3 ainsi que la lettre de PC du 5 mars 1958. Le texte publié ici reprend, à l’un ou l’autre détail près, celui édité par RC lui-même dans Le dernier Couac, Paris, GLM, mai 1958 (non paginé, doc. « 3. Explication »). La revue Évidences l’avait publié, en mars 1958, après avoir proposé à Étiemble de retirer de la lettre de RC « les passages les plus injurieux à son égard », sous l’intitulé « Une lettre de René CHAR ». Était publiée ensuite la réaction d’Étiemble, non moins virulente, « Comment lire Rimbaud », dans laquelle RC est traité « de poète (ou faiseur […]) » — certes en invoquant Diderot ! —, avant d’être présenté comme quelqu’un de non « soucieux des rudiments de son métier » qui se contente de « coucher avec la Poésie » (no 70, p. 43, 44 sq.).
2. Le second élément de la négation est un ajout autographe sur-linéaire.
3. La présente lettre prolonge et précise une récente conversation téléphonique de PC avec RC, que leurs agendas et carnets ne permettent hélas pas de dater. RC se montre alors soucieux de prouver à PC qu’il n’est pas seul en proie à des attaques injurieuses. Il faut cependant avoir à l’esprit que « le morceau d’Étiemble » qu’il brandit à PC comme illustration et preuve de la similitude de leur situation était une réponse publique à une attaque engagée par lui, RC. Celui-ci venait en effet de moquer un certain professeur dans son introduction aux Œuvres d’Arthur Rimbaud publiées par le Club français du livre le 19 janvier 1957 : « Qu’il se trouve un vaillant professeur pour assez comiquement se repentir, à quarante ans, d’avoir avec trop de véhémence, admiré, dans la vingtième année de son âge, l’auteur des Illuminations, et nous restituer son bonheur ancien mêlé de son regret présent, sous l’aspect rosâtre de deux épais volumes définitifs d’archives, ce labeur de ramassage n’ajoute pas deux gouttes de pluie à l’ondée, deux pelures d’orange de plus au rayon de soleil qui gouverne nos lectures. Nous obéissons librement au pouvoir des poèmes et nous aimons par force. Cette dualité nous procure anxiété, orgueil et joie. » (Le texte est repris dans OC, pour le passage cité ici, voir p. 728.) Étiemble (1909-2002 ; René Étiemble dit), qui enseignait depuis 1955 à la Sorbonne, s’était senti visé par ces propos, et pas à tort : il est en effet question de sa thèse revue et publiée sous le titre : Le Mythe de Rimbaud. Structure du mythe (Paris, Gallimard, 1952). Esprit connu pour être prompt à la polémique, Étiemble ne manqua pas de répliquer à RC, et avec vigueur, en faisant paraître dans la revue Évidences un article intitulé « Savoir et goût » (no 69, janvier-février 1958, p. 31-36), dont RC cite dans sa lettre à Nicolas Baudy quelques passages bien choisis. RC a immédiatement ressenti la nécessité d’exposer lui-même le conflit qui l’opposait à Étiemble en éditant « un opuscule » comme « mise au point définitive de cette affaire misérable » ; il est constitué d’un ensemble de six documents : Le Dernier Couac (voir supra, p. 110, dans cette même lettre, n. 1 ; pour les mots cités, voir RC/JB, p. 60) ; un exemplaire ne portant pas de dédicace figure dans la bibliothèque de PC : BK I (513). Près de trente-cinq ans après, l’Université a fait pencher la balance en faveur du poète. Dans leur article intitulé « Char, Étiemble et l’établissement du texte de Comédie de la soif », Remi Duhart et André Guyaux, se fondant sur « un troisième manuscrit autographe » de « Comédie de la soif », excluent, dans la deuxième strophe du poème, « l’acception adverbiale du mot après » qui était l’enjeu du différend ; voir la lettre de RC à la revue Évidences qui suit et A. Guyaux (dir.), Arthur Rimbaud, Paris, L’Herne, « Cahier de l’Herne », no 64, 1993, p. 334-338 ; sont citées ici les p. 338 et 335.
4. Comité de défense mondial des droits et de la sécurité des Juifs fondé à New York en 1906.
5. Journal de langue anglaise israélien, à diffusion internationale, créé en 1932 sous le titre Palestine Post.
6. L’article du critique littéraire israélien Meir Mindlin, rédacteur des pages littéraires du Jerusalem Post, paru le 13 décembre 1957, est conservé dans les ARRC (RC y a ajouté de sa main le titre du journal et la date) ; il s’intitule : « An authentic Seer [Un voyant authentique] » (p. 8). Il s’agit de la recension critique des Poèmes et prose choisis de RC (1957, voir supra, p. 101, no 40-41, les dédicaces à dater de la fin octobre 1957) et du volume collectif René Char’s Poetry. Studies, rassemblant des contributions de Maurice Blanchot, Gabriel Bounoure, Albert Camus, Georges Mounin, Gaëtan Picon, René Ménard et James Wright (Rome, Éditions De Luca, [1957]). Placé sous l’épigraphe de Baudelaire, empruntée à une lettre au journaliste socialiste et antisémite Alphonse Toussenel du 21 janvier 1856 : « Il y a bien longtemps que je dis que le poète est souverainement intelligent, qu’il est l’intelligence par excellence, et que l’imagination est la plus scientifique des facultés, parce que seule elle comprend l’analogie universelle. » L’évocation du volume anthologique donne l’occasion à Mindlin de retracer le parcours de RC, « a difficult poet » qui est allé de l’écriture surréaliste jusqu’à celle, aphoristique et hermétique, de ces œuvres récentes — d’après Blanchot, placée sous le sceau d’Héraclite —, en passant par la poésie de la Résistance (Feuillets d’Hypnos). On y lit par exemple, au centre de l’article : « On pourrait établir un parallèle entre Cézanne, lorsqu’il voulait “vivifier Poussin sur nature”, et Char, qui, dans un sens, fait du Rimbaud avec les mots d’un humaniste du milieu du XXe (en ayant à l’esprit le monde qui les sépare !). / Il y a aussi quelque chose d’étrange, de quasi mystique dans son œuvre tardive, c’est comme si sa vision avait transpercé la surface et fixé le flux des choses. Mais il s’agit d’un mysticisme de ce monde, tranchant et précis : une intuition mystique qui n’est pas de l’ordre du savoir, mais une allégorie du savoir. Peut-être le terme d’hermétique conviendrait mieux que celui de mystique. » Il faut noter enfin que le nom de Rimbaud revient avec insistance sous la plume du critique (on en compte cinq occurrences). Dans les ARRC se trouve un autre article signé M. Mindlin paru dans le Jerusalem Post du 14 juin 1957 : « Rene [sic] Char at 50. »
7. Sic.
8. Albert Messein, libraire éditeur à Paris ; suit le nom de la collection dans laquelle l’ouvrage a paru.
9. Ce titre n’apparaît pas en italique.
10. Idem.
11. Dans la version publiée dans Le Dernier Couac qui est reproduite ici, on lit la note signée de ses initiales par RC : « Il est surprenant qu’un agrégé de grammaire vante un “descendre après”. M. Étiemble roule mieux les tonneaux qu’il n’étiquette les bouteilles. (Cette note n’a pas paru dans Évidences. R. C.) » RC répond ici à l’affirmation suivante d’Étiemble : « Rimbaud ne dit que ce qu’il dit (avec le sens familier d’après dans “il me court après”). » (Op. cit., doc. « 2. L’article ».)
12. Le verbe est au futur simple dans toutes les publications de la lettre.
13. Précision entre crochets dans le texte publié ; il s’agit de Marie Josèphe Rustan (voir RC/JB, p. 68 sq.).
14. RC s’occupe depuis plusieurs années déjà de sa sœur aînée Julia (1888-1965, dite Lily ; épouse Delfau), atteinte de démence. D’abord sous sa tutelle, il devra se résigner, au début de 1960, à la placer dans une maison de santé. Dans sa lettre à Jean Ballard, vraisemblablement écrite le « mardi » 4 mars 1958, RC écrit : « Je suis à L’Isle pour une triste situation. Ma sœur, ma bonne sœur, qui vit seule, atteinte d’une maladie mentale incurable est au bord de l’abîme. C’est terriblement pénible. » (RC/JB, p. 53 ; la lettre n’y est pas datée par l’éditeur.) Voir aussi à ce sujet le poème « Jacquemard et Julia », OC, p. 257, Greilsamer, p. 355 sqq. et p. 297, Chronologie, 31 mai 1965.
15. La lettre de RC a aussi paru dans les Cahiers du Sud, t. XLVI, no 345, avril 1958, p. 325 sq., sous le titre rédactionnel « Réponse de René Char adressée au directeur de la revue Évidences » ; voir aussi RC/JB, p. 60-62.
16. PC a enregistré l’envoi de cette lettre dans son journal de correspondance (Tb 2).
17. La formule doit être interprétée. PC n’accepte pas la comparaison implicite faite par RC entre son démêlé « littéraire » avec Étiemble et l’affaire Goll. D’un côté, il y a RC qui est à l’origine d’une polémique, de l’autre, PC qui est la victime d’une campagne de dénigrement d’un tout autre ordre : celle-ci touche à son intégrité, à son identité de poète, juif, dont les œuvres portent, parfois en filigrane, la marque du Génocide. Blessé par ce qu’il interprète comme un manque d’attention et de tact, PC doute pour la première fois de la compréhension et de la solidarité de RC, qui détient pourtant, selon lui, toutes les informations nécessaires à une parfaite compréhension des faits. Cette lettre témoigne de la première crise entre les deux hommes. Dans sa réponse, RC ignore, ou feint d’ignorer, les reproches implicites que lui adresse PC.
18. Dans le NPC, on trouve un dactylogramme avec corrections manuscrites ainsi que les placards corrigés de « Einer harschen Heiterkeit » (NPC, D 90.1.383). Sur la mise au net de cette traduction offerte à RC, voir infra, p. 120, no 55, lettre du 15 avril 1958.
19. Il n’est pas exclu que certaines des corrections manuscrites apportées au dactylogramme et double carbone de la traduction des Feuillets d’Hypnos conservés parmi les papiers de PC résultent de séances de travail avec RC (NPC, D 90.1.384).
20. RC avait appris la semaine précédente que sa lettre était acceptée par la revue : voir RC/JB, p. 52 (lettre datée « L’Isle, lundi » ; le contexte montre que celle-ci est à dater du 3 mars 1958).
21. Le rôle de celui qui prend le risque d’écrire et se trouve être victime d’attaques et de diffamation et le rôle de celui qui, à défaut de soutien venant d’autrui, prend lui-même sa défense et celle de ses écrits. C’était alors — et ça allait être — la position de PC dans l’affaire Goll. Accusé à tort, PC prendra souvent sa propre défense en mains, en particulier en fournissant documents et arguments à ceux qui étaient censés prendre sa défense en écrivant lui-même sur le sujet (par exemple la longue lettre à Andersch retraçant l’affaire qu’il diffusa lui-même telle une lettre ouverte ; voir supra, p. 94, no 35, n. 1 à la lettre du 20 septembre 1956) ; puis plus tard en collaborant activement à la rédaction d’un texte signé par les écrivains M.-L. Kaschnitz, I. Bachmann et K. Demus, prenant parti pour lui, publié en 1960 dans Die Neue Rundschau sous le titre « Entgegnung [Riposte] » ; voir PNA, p. 153-162, 207-210 et 886-925, où il est montré que PC a participé activement à la rédaction de ce texte. Plus tard, dans le journal qu’elle tient pour son mari, GCL note, à la date du 31 janvier 1961, dans le contexte de l’Affaire : « À nouveau désespoir de Paul : “Tout le monde me donne des conseils, personne ne m’aide.” / Toujours attendre — attendre quoi ? — Paul pense encore écrire lui-même — » (Nk 10 = Tb, D 90.1.32.60.)
22. PC ne note pas de rendez-vous avec RC avant le mercredi 2 avril 1958 : « 5 h 30 René Char » (Nk 6). RC écrit le « jeudi », très certainement le 6 mars 1958, à J. Ballard : « Je retourne à Paris mardi prochain. Là-bas m’attendent mes traducteurs qui préparent mes morceaux choisis en allemand, chez Fischer. Un gros livre qui sortira cette année. » (RC/JB, p. 55 ; la lettre n’y est pas datée par l’éditeur.) En réalité, le volume bilingue « Poésies / Dichtungen », qui compte 387 pages, ne parut à Francfort/M. que l’année suivante, en 1959 (voir infra, p. 159, no 80). Impossible de dire si RC a alors effectivement rencontré, en plus de PC, les autres traducteurs qui participèrent à l’élaboration de ce volume, à savoir : Johannes Hübner, Lothar Klünner et J.-P. Wilhelm. (Le nom de Wilhelm apparaît dans l’agenda 1958 de PC, en juin ; celui de Hübner, en septembre.)
23. Évidences, no 70, mars 1958, p. 43 sq. ; voir supra, p. 110, no 51.
Le post-scriptum est noté dans la marge.
24. Celle-ci correspond au texte publié dans Dichtungen (voir supra, p. 119, no 54, n. 1), p. 267-297. Mis à part les placards corrigés de cette traduction, seul un double carbone de dactylogramme est conservé dans le NPC (1 f. r = titre ms. et 34 f. r ; D. 90.1.383).
25. Ajout autographe sur-linéaire : « de ce temps ».
26. RC était en correspondance avec le pianiste, musicologue, amoureux des belles lettres, dès 1953. Émigré russe, lié à Stravinsky, Pierre Souvtchinsky (1892-1985) avait connu personnellement A. Akhmatova, A. Blok, O. Mandelstam et B. Pasternak, et, à Paris, M. Tsvetaïeva. RC, qui tenait en estime la sensibilité et les talents littéraires de ce musicien et musicologue, n’hésitait pas à recommander ses poèmes à son attention ; voir à ce sujet : Irina Akimova, Pierre Souvtchinsky. Parcours d’un Russe hors frontière, Paris, L’Harmattan, 2011, p. 11-14. RC lui dédiera des pages autobiographiques consacrées en partie à une tentative de cambriolage chez des voisins de palier, rue de Chanaleilles, intitulées « Sans grand’ peine » (dans Recherche de la base et du sommet, OC, p. 668 sq. et 1106). La lettre de P. Souvtchinsky à RC datée du 24 février 1958 nous apprend que, de toute évidence aussi pour des raisons de compétence linguistique, il avait dû accueillir, dans le cadre du Domaine musical, société de concert créée en 1954 par Pierre Boulez, « à l’arrivée à Paris […] un troupeau d’Allemands et d’Autrichiens » (ARRC). Sur les relations de PC avec cet homme de culture qui parlait aussi bien le français que l’allemand et qu’il ne manquait pas de rencontrer à l’occasion des concerts organisés par le Domaine musical à Paris, voir p. 301 et p. 302, Chronologie, septembre 1968 et mars 1969.
27. Jean Beaufret (1907-1982) : ancien élève de l’ENS, professeur de philosophie, résistant, avait fait la connaissance de Heidegger, dont il allait devenir le promoteur et le traducteur, en septembre 1946. Il est le dédicataire de la fameuse Lettre sur l’humanisme (Über den Humanismus, Brief an Jean Beaufret, 1947). À défaut de savoir si RC a soumis la traduction de PC à son jugement et comment PC envisageait pareille perspective, on sait que RC fit parvenir à son ami au printemps 1959, avec l’envoi « à mon cher Jean Beaufret », un exemplaire de Poésie/Dichtungen (voir supra, p. 119, no 54, n. 1), qui contient la traduction par PC d’« À une sérénité crispée », « Einer harschen Heiterkeit » (catalogue de vente Aguttes, Lyon, novembre 2013). Par ailleurs, on ne sait que peu de chose sur les relations de PC avec Beaufret (ni lettre ni livre dédicacé de la main de J. B. n’ont été retrouvés parmi les papiers posthumes de PC) : François Vezin affirme ne pas pouvoir « oublier le respect avec lequel Celan parlait toujours de Beaufret » (« René Char et Martin Heidegger » dans BNFRC, p. 187 ; c’est l’éditeur qui souligne).
28. La datation de la dédicace est proposée sur la base de l’information relative à la sortie du livre fournie par Marie-Claude Char dans Faire du chemin avec…, Paris, Gallimard, 1992, p. 189 (réédition du catalogue publié pour l’exposition Char au palais des papes d’Avignon en 1990).
29. Correction autographe : « des ».
30. L’avis de PC a dû changer entre ses premières lectures du manuscrit de la traduction et sa version intégrée à d’autres poèmes de RC publiés sous l’intitulé « Gedichte » dans Die Neue Rundschau en 1962 (75e année, cahier 2/3, p. 358-367), en effet, la traduction du poème « Nous avons — Wir haben » (p. 365 et 367 ; OC, p. 409 sq.) présente encore plus de corrections ou de contrepropositions de sa main en comparaison avec celles apposées aux autres poèmes traduits par Wurm (D 90.1.389) ; voir l’essai de Barbara Wiedemann consacré à ce document, « Wörtlichkeiten. Paul Celans Anmerkungen zu René Char-Übertragungen von Franz Wurm », dans Literarische Polyphonie (éd. J. Strutz et P. V. Zima, Tübingen, Gunter Narr, 1996, p. 51-63). Le jugement porté ici par PC sur Wurm traducteur de RC contraste, lui aussi, et de la façon la plus vive, avec ce qu’il a écrit, certes près de deux mois plus tard, dans son journal, et qui égratigne aussi RC : voir p. 283, Chronologie, 4 décembre 1958.
31. PC n’hésitait pas, lui, à rester proche, autant que possible, du terme français en allemand, et même dans ses traductions produites dans le cadre de l’enseignement du thème oral à destination des agrégatifs de la Rue d’Ulm, ce qui n’était guère recommandé dans les rapports du jury d’agrégation. Voir à ce sujet la thèse de doctorat de Patrick Difour : “— wo ich also lesen, wo ich vor- mit- und nachlesen kann —”. Paul Celans Lehrtätigkeit an den Écoles normales supérieures von Saint-Cloud und der Rue d’Ulm, Paris-Sorbonne, Paris IV, p. 329, n. 1196.
32. Il s’agit de l’avant-dernier aphorisme de « Nous avons » : « Poésie, unique montée des hommes, que le soleil des morts ne peut assombrir dans l’infini parfait et burlesque » (OC, p. 410). Le 7 novembre 1958, Franz Wurm répond à RC, qui lui avait transmis le 3, sous forme de citations quasi littérales, les observations de « quelqu’un de qualifié (Paul Celan) », dont il dit en conclusion de sa lettre qu’elles lui ont « fait grand plaisir » : « Merci pour m’avoir écrit les aimables paroles de Paul Celan. Vous savez déjà l’estime que j’ai pour lui, et son approbation m’en est d’autant plus flatteuse ; peut-être lui direz-vous à l’occasion combien j’admire sa traduction du “Bateau ivre”, et que j’ai regretté de la voir reliée tout de tort et de travers [dans le premier tirage d’août 1958, deux pages sont inversées, entraînant la non-correspondance du texte original et de la traduction]. — Si j’ai métraduit “burlesque” par “lächerlich” [Die Neue Rundschau, 75e année, cahier 2/3, 1962, p. 367] — ridicule, ce ne fut point par purisme (dont je n’ai cure et qui, si j’y tenais, m’aurait obligé à traduire tout aussi bien ou mal — “archipel… delta… urnes”), mais parce que “burlesk”, comme maint autre mot d’emprunt, pourrait avoir de sons [ou : sens] sens [au lieu de : dans son sens ?] français un sens légèrement différent, trop voisin du grotesque, de l’absurde, de la grimace exagérée. Je mettrai quand même “burlesk” si vous acceptez la petite déviation du sens, et la fadeur qui se dégage d’un mot d’emprunt que son contexte très dense ne saurait définir suffisamment. Mais peut-être pourriez-vous m’indiquer d’un mot l’ambiance de “burlesque” ? Cela m’aiderait à y trouver une correspondance. » Dans une lettre datée « Mercredi », RC conclut sur cette question en écrivant à Wurm : « Cher ami / Merci pour le soin que vous avez apporté à l’impression de Wir haben et pour l’accompagnement du texte en français. Cela vous honore (ce mot “désuet” reste bien vivant pour moi, en pareil cas). Ainsi traduction et impression sont également satisfaisantes. L’adjectif “burlesque” — kurzweilig [en vérité on lit : kurzweiligen] n’est pas une trahison. À la rigueur, on peut l’entendre de la sorte, selon le vent que l’on sent, lecteur à ses tempes ou sous les narines… » (NFW et ARRC.)
33. Corrections autographes : « que’une une partie des textes restant à traduire ».
34. La mention du nom de Boris Pasternak (1890 -1960) paraît ici abrupte : manquerait-il une lettre de RC ? ou PC venait-il de s’entretenir avec lui au sujet de l’attribution du prix Nobel de littérature à Pasternak — le 23 octobre 1958 —, en grande partie motivée par Le Docteur Jivago qui avait paru l’année précédente ? L’événement provoqua alors une tempête médiatique, autant sur la scène littéraire que politique. RC avait reçu quelques mois auparavant une carte postale de Pasternak, non signée (pour contrecarrer la censure) ; datée du 6 mai 1958, elle est reproduite et transcrite dans Marie-Claude Char, Pays de René Char, Paris, Flammarion, p. 32. Il ne fait pas de doute que la poésie russe était alors au centre des préoccupations de PC, en particulier A. Blok (qu’il avait traduit en février 1958), et O. Mandelstam. PC, qui avait une opinion plus que réservée sur le roman de Pasternak, avait fait l’acquisition le 21 février 1958 d’une anthologie bilingue de ses poèmes parue chez Einaudi à Turin en 1957 (traduction d’Angelo Maria Ripellino) ; une esquisse de traduction notée dans son exemplaire, puis mise au net sur papier libre et insérée dans le livre, révèle son intérêt actif pour le poète, intérêt qui ne déboucha cependant pas sur une publication. Malgré ses distances vis-à-vis de l’œuvre du poète, PC resta attentif au « destin de Pasternak » comme en témoignent les articles parus dans la presse à la mort de l’écrivain qu’il a conservés (voir la présentation de Christine Ivanović dans « Kyrillisches, Freunde, auch das »… Die russische Bibliothek Paul Celans im Deutschen Literaturarchiv, Marbach/Neckar, Deutsche Schillergesellschaft, 1996, p. 97-99). Sur l’intérêt que portait RC au poète russe, voir « Vent (quatre fragments à propos de Blok) » de Pasternak dans l’anthologie de poèmes traduits : La Planche de vivre, op. cit., p. 48-51 ; le volume contient entre autres des traductions de poèmes de Shakespeare, Dickinson et Mandelstam.
Corrections autographes : se taisent, avant que nous pour que nous retrouvions ».
35. F. Wurm n’a pas collaboré au volume Poésies — Dichtungen paru chez Fischer au printemps 1959 (voir infra, p. 159, no 79, n. 1) ; ce n’est donc pas sa traduction de « La Paroi et la prairie », restée, semble-t-il, inédite, mais celle de Johannes Hübner, Lothar Klünner et Jean-Pierre Wilhelm, qui a été retenue pour ce volume : « Die Felswand und die Wiese » (voir OC, p. 349-354).
36. Ajout autographe sur-linéaire : « on m’a dit, excellemment ».
37. Sur le choix de poèmes de RC traduits en allemand, qui parut, avec une préface d’Albert Camus, sans autre texte critique sur les rabats de la jaquette, voir infra, p. 159, no 79, n. 1, et AC/RC, p. 208-212.
38. RC a noté par ailleurs pour PC l’adresse de F. Wurm sur une feuille de papier à lettres à en-tête (« 4 RUE DE CHANALEILLES / PARIS VII » (D 90.1.2693).
39. Il ne peut s’agir ici que de la traduction en allemand non définitive du titre « Nous avons », texte que F. Wurm publiera dans Die Neue Rundschau en 1962, sous l’intitulé : « Wir haben » (voir supra, p. 123, no 60, n. 2 à la lettre du 31 octobre 1958) et, effectivement, sous le même titre, à l’automne 1963, avec la traduction de quatre autres textes, dans Hypnos und andere Dichtungen (p. 120 sq. et p. 117-122 ; voir infra, p. 159, no 79, n. 1 à la lettre du 9 août 1963). RC se réfère sans doute ici à un document de travail, qui ne semble pas avoir été conservé.
La note de RC à sa lettre est inscrite en marge.
40. RC venait-il de recevoir le tiré à part que lui avait adressé PC au moment où il s’apprêtait, lui aussi, à lui en envoyer un, dédicacé ?