70. – RENÉ CHAR À PAUL CELAN
L’Isle, 3 janvier 61
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Je vous remercie, cher ami ; ma pensée va aussi vers vous, Madame Celan et votre fils. Elle vous dit mes vœux amicaux et une route aimée1.
René Char
« Isle-sur-Sorgue / Bords de la Sorgue à Ville-Vieille. » Carte postale (encre grise) à : Monsieur / Paul Celan / 78, rue de Longchamp / Paris 16e / 18 ? H 45 3 — 1 1961 L’ISLE-SUR-LA-SORGUE VAUCLUSE / NPC.
71. – PAUL CELAN À RENÉ CHAR
[Lettre non envoyée]
78, rue de Longchamp
Paris, le 21 février 1961.
Cher René Char,
Je me suis permis, en décembre, de vous parler de l’histoire qui m’arrive2. Elle a pris, depuis, des proportions invraisemblables. (Voici les anciens nazis me demandant des comptes sur ma vie. Textuellement. Je viens de recevoir un vrai questionnaire à ce propos3.)
Puis-je venir vous parler de tout cela plus longuement ? Je vous prie de me le dire.
Nous pensons souvent à vous
Paul Celan
Lettre ms. (encre noire). NPC.
1. Cf. « Encart » dans Le Nu perdu : « Les routes qui ne promettent pas le pays de leur destination sont les routes aimées. » (OC, p. 466.)
2. Cette conversation a eu lieu à l’occasion de la visite de PC à RC le 13 décembre 1960 : voir supra, p. 133, no 68, n. 1 à la dédicace du 13 décembre 1960. Ajout autographe dans la marge : parler de ».
3. PC venait de recevoir ce « questionnaire » intégré à la lettre de Fritz Martini (1909-1991) datée du 15 février 1961. Ce professeur d’esthétique et de littérature générale à la Technische Hochschule de Stuttgart depuis 1943 avait été membre du parti nazi et avait publié avant 1945 des écrits qui portent manifestement l’empreinte de l’idéologie hitlérienne. Les réponses à ces questions relatives aux relations de PC avec Yvan et Claire Goll devaient permettre à Reinhardt Döhl (1934-2004), élève doctorant du célèbre germaniste, membre de l’Académie de Darmstadt, de rédiger dans les meilleures conditions un rapport qui allait paraître dans l’annuaire de l’Académie de Darmstadt (Jahrbuch 1960 der Deutschen Akademie für Sprache und Dichtung, Darmstadt, avril-mai 1961, p. 101-132 ; GA, p. 346-363). Dans cette même lettre, Martini prie PC de lui faire parvenir dans de brefs délais, afin de pouvoir étayer la démonstration de l’intégrité de son œuvre, des repères biographiques (« eine kurze Vita ») ainsi que des copies des protestations publiques et autres documents relatifs aux attaques de Claire Goll. Dans l’esquisse de sa réponse, PC réagit sans ambages : « Mes poèmes sont mes poèmes. Il n’ont pas besoin d’être défendu de légi[timation] biogr[aphique] ; il suffit de les lire : quant à vos diverses questions et en particulier à vos questions relatives à ma vita, il me faut vous inviter à réfléchir. Moi, Monsieur le Professeur, je ne vous ai jamais posé de questions sur votre vita. mes poèmes sont ma vita. » Dans sa lettre envoyée à Martini, PC n’a gardé que la formule finale, lourde de sens, qui résume sa position vis-à-vis de tout ce qui est de l’ordre du biographique en ce qui le concerne : « meine Gedichte sind meine Vita ». Voir GA, p. 519-523 et PNA, p. 175 et 798 sq.