1966

89. – GISÈLE CELAN À RENÉ CHAR

78 rue de Longchamp

Paris 16e

Poi 39 63

5 janvier 1966

Cher Monsieur,

J’ai été extrêmement touchée de votre lettre et m’excuse de n’y répondre qu’aujourd’hui, mais j’étais absente de Paris pendant les vacances de Noël1.

Mon mari, vous le saviez sans doute, est malade déjà depuis de longues années et il est bien difficile de l’aider, depuis quelques mois son état avait beaucoup empiré, après des semaines de malheur, de souffrance et de drame, il est actuellement en clinique depuis le 28 novembre. Il y est rentré de façon dramatique et ce n’est que depuis quelques jours qu’il accepte de se faire soigner. L’avenir est très angoissant, les médecins ne sont pas optimistes et je ne sais quelle solution pourra être envisagée pour lui, pour mon fils, pour moi-même lorsque le problème de sa sortie de clinique pourra être envisagé2.

J’ai été extrêmement déboussolée moi-même, tiraillée entre un fils de dix ans qui a trop vu, entendu, souffert et qu’il faut élever dans le calme et un mari qui vit un destin difficile de poète, de juif et que je n’arrive plus à aider. Je ne peux me décider à sacrifier l’un ou l’autre, il me faudra trouver la solution la moins mauvaise pour chacun. Ce n’est pas facile.

Puisque vous me le proposez si cordialement, je me permettrai dans quelques jours, si vous le voulez bien, de vous téléphoner, j’aimerais pouvoir vous parler de cette situation si terrible. J’ai vu tant de médecins ces derniers mois, j’ai entendu tant de noirceur, on m’a laissé si peu d’espoir !

Avec mes meilleurs vœux pour 1966, je vous prie de croire, cher Monsieur, à toute ma gratitude

Gisèle Celan.

Lettre ms. sous enveloppe (1 f.r./v. ; encre bleu sombre) à : Monsieur René Char / 4 Rue de Chanaleilles / Paris 7e / 17 H 45 5 — 1 1966 R. SINGER (16e) PARIS XVI / Collection particulière.

90. – RENÉ CHAR À GISÈLE CELAN

René Char

[Paris,] mercredi [12. 1. 1966]

Madame,

J’espère que les postes vous porteront le plus vite possible vos gants restés sur le fauteuil où vous étiez assise3.

Avec ma fidèle et respectueuse amitié

René Char

Lettre ms. à en-tête imprimé (nom) sous enveloppe de format C 5 (1 f. r. ; encre noire ; l’enveloppe tout comme le papier à lettres présentent des plis provoqués par les gants de GCL joints) à : Madame / Gisèle Celan / 78, rue de Longchamp / 75 Paris XVIe / 10 H 45 13 — 1 1966 RUE CUJAS (5e) PARIS 91 / Ex. : René Char / 4, rue de Chanaleilles / Paris 7e // SGCL.

91. – RENÉ CHAR À GISÈLE CELAN

Pour Gisèle Celan

 

LA PROVENCE POINT OMÉGA

R. Char

[Paris, entre le 12 et le 17. 1. 1966]

La dédicace précède le titre (p. 1) suivi de la signature (encre noire) d’un exemplaire de : René Char, La Provence point oméga, Paris, 1965 (Imprimerie Union, Paris 15e © René Char). L’exemplaire était-il joint aux gants (voir supra, lettre du 12 janvier 1966) ? L’opuscule, qui s’achève avec la mention de la date « L’Isle-sur-la-Sorgue, le 24 octobre 1965 » ne présente aucune annotation, mais un petit article critique, non signé, extrait du journal Le Monde du 12 novembre 1965 y a été inséré (par qui ?) : « Poésie des silos… ou la littérature de combat. Un tract en forme de poème. » Voir infra, n. 1 au tract d’avril 1966, p. 186, no 100. BK I (522). SGCL.

92. – RENÉ CHAR À GISÈLE CELAN

[FLUX DE L’AIMANT]

 

Exemplaire pour

Gisèle Celan

René Char

[Paris, 17. 1. ? 1966]

Dédicace (encre noire), p. 7, après la page de titre de l’exemplaire no 107/300 de : René Char, Flux de l’aimant, [Veilhes, Tarn], G.P [sic ; i. e. Gaston Puel], [achevé d’imprimer : 15 octobre] 1965. Si l’on en croit une enveloppe vide — de format C5 — conservée dans la SGCL, RC a sans doute posté l’opuscule le 17 janvier 1966 (Madame Gisèle Celan / 78 Rue de Longchamp / 75 Paris XVIe / 13 H 30 17 — 1 1966 RUE CLER (7e) PARIS VII). L’exemplaire, qui a été entièrement découpé, présente la correction d’une coquille de la main de l’auteur, mais aucune marque de lecture ; BKI (518). Un deuxième exemplaire de cette œuvre est conservé dans la bibliothèque de GCL ; il porte la mention « 20. 2. 69 | G. C. ». SGCL.

93. – GISÈLE CELAN À RENÉ CHAR

78 rue de Longchamp

Paris 16e

19 janvier 1966

Cher Monsieur,

J’ai été tellement touchée de recevoir “Flux de l’aimant” ! J’ai lu et relu ce si beau texte, certains passages déjà vivent avec moi, faisant revivre aussi les peintures, les gravures de Miró4 que j’aime.

Vous savez si bien exprimer ce que vous sentez. L’autre jour, j’aurais voulu noter tout ce que vous disiez pour ne pas l’oublier et savoir me le répéter5. Tant de vérités entendues ! si dures parfois et révoltantes qu’on a du mal à accepter de les faire siennes. La mémoire fait un choix, souvent infidèle et ne garde que le moins douloureux, rejetant l’insupportable. Avoir le courage de vivre avec la vérité entière ! La vie me semble par moments si injuste et si méchante. Cette solitude, cette quête incessante, cette marche pressée, affamée des êtres qui peuplent la terre, anxieux, je sais que c’est le sort des hommes. Avec par moments comme des parenthèses de joie, de rencontre, d’amour, qui permettent de respirer, qui justifient tout le reste. Mais vous le savez, pour moi en ce moment tout est si difficile, tout ce à quoi l’on a cru qui s’écroule et la terrible tentation de l’espoir.

Vous m’avez encouragée dans mon travail, l’accueil de M. Hugues, que je reverrai vendredi aussi m’a aidée6. J’ai repris un beau cuivre vierge prêt à recevoir, prêt à refuser, j’aime cette résistance du noble matériau avec lequel on ne peut pas tricher, qui ne pardonne pas. Mais je sais mal m’exprimer7.

“[…] Miró engage au plus près l’espace matériel sur lequel il travaille : le papier, le cuivre, le grain de [la] toile, la toile de sac rêche rôdent autour de l’outil comme pour l’assaillir, […].” “[…] Ce qui doit se livrer attire et provoque la ligne de Miró. Ce qui l’attend au bout, l’appelle8.”

Permettez-moi de vous remercier simplement pour votre compréhension, pour votre aide, pour Flux de l’aimant, pour la Provence point oméga.

Gisèle Celan.

Avez-vous vu comme la Seine charrie ses9 glaçons. C’est si beau !

Lettre ms. sous enveloppe (1 f. r./v. ; encre noire) à : Monsieur René Char / 4 Rue de Chanaleilles / Paris 7ème / 17 H 45 20 — 1 1966 R. SINGER (16e) PARIS XVI / Collection particulière.

94. – RENÉ CHAR À GISÈLE CELAN

Lunéville 27. 1. 66

Chère Madame et Amie

Le cercle d’une bougie quand c’est Georges de La Tour qui l’élève, nous avons parfois besoin de son étroit sommet scintillant, une fois encore je suis venu dans cette terre d’est en quête de cette parole bénéfique et secrète10. J’ai pensé à vous, je vous ai remerciée d’être parmi les rares, au privilège exorbitant et presque inemployé qu’on peut saluer comme on ne salue plus la Beauté, de nos jours.

J’ai montré vos gravures à Maryse Lafont, de chez Maeght11. Elle les apprécie beaucoup. Elle vous12 téléphonera, l’a déjà fait peut-être. Votre proche et fidèle ami

René Char

« Dans les forêts de France par Barbier Petit » ; la photographie représente une laie suivie par un marcassin dans un sous-bois. Carte postale sous enveloppe (encre noire) à : Madame / Gisèle Celan / 78, rue de Longchamp / 75 Paris XVIe // 15 H 27 — 1 1966 NANCY MEURTHE-ET-MOSELLE / SGCL.

95. – GISÈLE CELAN À RENÉ CHAR

78 rue de Longchamp

Paris 16e

dimanche 1er février 1966.

Cher René Char,

Votre carte m’a tellement touchée, je vous en remercie, il y a des moments où de telles pensées, même si on ne se sent pas à leur hauteur, aident à vivre au milieu des heures de malheur, de souffrance, de misère, de doute.

Je viens de nouveau vous demander un service. Mon mari a été hier transféré à la Clinique du Professeur Delay par les soins de Monsieur Deniker13. Après avoir dû attendre près de trois semaines, cette décision a été prise en quelques minutes, je ne comprends pas encore pourquoi et n’a pas été réalisé selon les promesses que l’on m’avait faites. Une chambre à quatre était prévue, j’avais déjà eu du mal à accepter cette idée, mais hier j’ai appris que mon mari avait été placé dans une salle de dix-sept malades. J’étais bouleversée. J’ai obtenu la presque certitude pour lundi d’une amélioration en ce sens

Pénible, vous savez [ce qu’est] l’accueil d’un hôpital : administration, paperasses, signatures d’abord, à côté, le mystère et l’inconnu de l’anonymat. On m’a rendu toutes ses affaires. Vêtements, livres, papiers, notes bouleversantes. Tout ce qu’il ne disait pas est là14 —

Je sais que vous connaissez M. Deniker et je vous serais très reconnaissante si vous pouviez par un mot lui recommander Paul, le personnalisant ainsi au milieu de cette foule de malheureux. Il a déjà tant souffert ces derniers mois, vécu dans une telle misère morale. Cette nouvelle épreuve risque à nouveau de l’enfoncer et j’aimerais qu’au plus vite on s’occupe de lui, le mieux possible et avec les égards qu’il mérite, comprenez- moi —

Si vous le pouvez, mettez-lui un mot, recommandez-lui mon mari (ANTSCHEL-CELAN15). Merci. Merci.

J’ai été touchée de votre démarche auprès de cette amie, à la Galerie Maeght, je n’ai pas reçu de téléphone mais qu’elle connaisse et aime un peu mes gravures, cela les fait vivre déjà.

Malgré tout je travaille. Je cherche où je suis, je crie ma révolte sur le cuivre16. Une fois même, ces jours-ci, je l’ai fait mordre si méchamment… jusqu’à son épuisement, le trou, il a fallu tout recommencer, remettre en question. L’heure où l’on ne comprend plus rien, où l’on n’accepte plus, où c’est vraiment trop lourd17. Tenter de vivre, de s’échapper tout en étant là, tiraillée entre…, meurtrie par…

Dans ce chaos, un enfant, les yeux grands ouverts, qui sait regarder, voir, aimer, pour lequel il faut aussi vivre la lumière, le Beau. Savoir sourire le jour et garder les larmes pour la nuit.

Très amicalement

Gisèle Celan

Lettre ms. sous enveloppe (2 f. r./v. ; encre bleue) à : Monsieur René Char  / 4 Rue de Chanaleilles / Paris 7ème / Prière de / Faire suivre / 16 H 1 — 2 1966 GARE D’AUSTERLITZ PARIS / Collection particulière.

96. – MARIE-MADELEINE DELAY À RENÉ CHAR

[Paris,] 5. 2. 66

Cher Ami,

on me téléphone18 pour me recommander un poète du nom de Paul Célan19, transféré du sinistre Château de Suresnes dans le Service de Jean. Je ne le connais pas, mais parce qu’on m’a assuré qu’il était un de vos amis, je l’ai aussitôt confié, personnellement au Surveillant général — M. Duval — du Service des Hommes20. Nous avons trouvé qu’il était inscrit sous un autre nom21. Dès lundi, nous ferons en sorte qu’il ait une petite chambre à lui22.

Il est soigné par Deniker. Si vous désirez que Jean le voie lui-même23, vous me le diriez n’est-ce-pas ?

M. Duval m’assure qu’il est calme. Il veillera bien sur lui.

Fidèlement

M. Madeleine Delay

Lettre ms. sous enveloppe (1 f. bleue r./v. ; encre bleue) à : M. René Char / 4, rue de Chanaleilles / Paris VIIe. / Faire Suivre / 18 H 6 2 1966 GARE ST LAZARE PARIS / Mme Jean Delay / 53 avenue Montaigne / Paris VIIIe. Collection particulière.

97. – PIERRE DENIKER À RENÉ CHAR

DOCTEUR PIERRE DENIKER

Le 8 février 1966

PROFESSEUR AGRÉGÉ

À LA FACULTÉ DE MÉDECINE DE PARIS

21 AVENUE PIERRE Ier DE SERBIE

PARIS XVIe

PASSY 13-64

Monsieur René Char

Les Busclats

L’ISLE-sur-Sorgue — 84

Cher Monsieur,

Vous pouvez compter que je ferai le maximum pour M. CELAN qu’on24 m’avait demandé d’aller visiter à la clinique et que, par mesure d’assistance, on a transféré dans mon service de la Clinique universitaire du Professeur DELAY.

En attendant que la situation économique du patient soit éclaircie25, il pourra y recevoir les soins énergiques que réclame son état26 qui est des plus préoccupants. Il est certain que le cadre n’est pas celui d’une clinique27, mais l’ambiance y est, à mon avis, excellente car nous avons une majorité d’intellectuels parmi nos patients28.

Cependant il est certain que si M. CELAN pouvait être pris en charge par la Mutuelle de l’Éducation Nationale à laquelle il aurait pu s’inscrire en qualité de lecteur à l’École Normale29, les possibilités de choix des établissements de soins seraient plus souples.

Je reste à votre disposition et vous prie d’agréer, cher Monsieur, avec mon meilleur souvenir, l’assurance de mes sentiments les plus dévoués,

P. Deniker

Lettre dactylographiée (1 f. r. ; signature à l’encre noire) à en-tête imprimé (nom et adresse) sous enveloppe (adresse dactylographiée) à : Monsieur René CHAR / Les Busclats / 84 — L’ISLE-sur-Sorgue16 H 15 9 — 2 1966 R. DE CHAILLOT (16e) PARIS / Collection particulière.

98. – RENÉ CHAR À MARIE-MADELEINE DELAY

[Paris,] mercredi 9 janvier30 66

Chère Amie,

Merci très vivement pour votre lettre. Je viens de rentrer de voyage, porteur d’une grippe bien plus lourde que mes valises ! Je me permettrai de vous joindre au téléphone aussitôt que j’aurai retrouvé tête et voix… “Bientôt” disent les cachets. Croyons-les.

Votre pensée, celle de Jean Delay, me touche infiniment. Paul Celan dont le nom est ANTSCHEL, je crois, est le meilleur poète allemand actuel. Il m’a traduit, ainsi que Valéry, Rimbaud et Michaux31. Il est marié à une Française32 ; il est père d’un jeune garçon33. Sa réputation de poète, en Allemagne, est très grande34. L’aider serait m’aider. C’est tout le vœu que j’adresse à votre cœur. Sa femme, [qui,] il y a quelque temps, m’a écrit le malheur qui les frappait, m’avait indiqué le Docteur Deniker comme médecin traitant. Je lui avais écrit — au Dr Deniker — pour lui recommander Celan. Mais ceci est récent, somme toute.

Allez-vous mieux ? La Lorraine, l’Alsace, manquaient de froid réel. C’était un bourbier ! Aussi rhumatismes et grippe ont fondu sur moi !

Tout mon fidèle attachement — ainsi qu’à Jean Delay.

Votre René Char

Lettre ms. sous enveloppe (1 f. bleue r./v. ; encre bleue) à : Madame / Jean Delay / 53, avenue Montaigne, Paris 8e/ Pneumatique / 16 30 9 2 66 R. DU FOUR PARIS (6e) / Ex. : René Char / 4, rue de Chanaleilles / Paris 7e / 17 10 2 66 R. LA BOETIE PARIS (8e). Bibliothèque Jacques Doucet (Paris).

99. – MARIE-MADELEINE DELAY À RENÉ CHAR

[Paris] Ce jeudi matin,

10. 2. 66

Cher Ami,

Aux dernières nouvelles — ce matin même — Paul Cèlan35 était calme. Il a pu écrire à sa femme, et il attend sa visite, qu’il désire, et qui a été autorisée, cet après-midi36. M. Duval m’a assuré qu’il s’était bien adapté à sa condition. Il ne faut pas s’étonner qu’un être — s’il est “l’un des nôtres” — en arrive à souhaiter un retrait qui effrayerait tout autre37. Il n’est pas seul dans sa chambre, mais avec trois autres malades. Ceci m’a beaucoup contrariée. J’avais oublié que le Service des Hommes était encore si pauvre qu’il ne comptait pas de chambres particulières. M. Duval m’a dit que je ne devais pas m’en préoccuper davantage que P. C. lui-même qui ne s’en plaignait pas. Mais dit-il la vérité38 ?

Jean me prie de vous dire qu’il l’examinera dès demain, vendredi. Certes Deniker est sûr mais sans doute Jean pourra-t-il davantage pour un homme qui aurait pu être de sa famille.

Pour ma part, j’ai passé une partie de la nuit à regarder, puis à lire, puis à comprendre le livre des Poèmes de P. C. que vous m’avez fait adresser : Die Niemandsrose39, qui sont d’une grande et terrible beauté. Si dernièrement, je songeais à la condition heureuse du Poète (le vrai) qui tient dans sa seule main, mariées, la Poésie et la Vie. Ces deux dépareillées, qui l’une et l’autre sans l’Autre ne sont rien40, j’ai réalisé cette même nuit le péril grandissant auquel41 il est exposé à mesure qu’il avance et grandit jusqu’à atteindre le domaine réservé au divin (je ne sais qualifier autrement cet accès très rare aux mortels). Alors, toutes les mains, qui ressemblent à la mienne, doivent se tendre vers lui, parce qu’il n’est plus, ce dieu, qu’un isard dans la nuit poursuivi par la foudre. Toutes ces choses — que je ne puis confier qu’à vous — je les ai lues dans ces Poèmes (par ailleurs si beaux physiquement42) et ressenties. Aussi bien pouvez-vous compter sur moi pour lui absolument. Et je me dis qu’en plus de mon rôle d’intermédiaire avec le triste hôpital et les médecins, je peux aussi l’aider plus directement, car je suis rendue à cet état de santé qui chez moi se manifeste par un bonheur si particulier et si vaste qu’il doit bien être entendu quelque part pour le bien de quelques autres — que je ne connais même pas.

Je crois, et je sais, que vous-même irez bientôt comme vous aimez aller. Mais n’oubliez pas pour autant le chemin de ma maison.

Votre

Madeleine Delay

Lettre ms. sous enveloppe (2 f. bleues r./v./ et 1f. r. ; encre bleue) à : M. René Char / 4, rue de Chanaleilles / Paris VIIe / Pneumatique / 16 H 10 266 R. LA BOÉTIE (8e) PARIS VIII / Mme Jean Delay / 53 avenue Montaigne / Paris VIIIe / 16 25 10 266 R. DE GRENELLE (7e) PARIS 44 / Collection particulière.

100. – RENÉ CHAR À GISÈLE CELAN

[Paris,] 19 — 4 — 66

Chère Gisèle Celan

Il ne faut pas vous soucier de ce qui, non universellement, me fait distinct de vous. Le feu est mon signe et le vent de mes sentiments l’agite contradictoirement43, parfois. La souffrance, qui-n’est-pas-hasard-de-dieu, mais prend le masque de sa volonté, m’indigne. Oh, mon indignation tombe vite puisque je la soupçonne en moi d’être44 alliée souterrainement à de l’orgueil. On ne guérit pas de la révolte qui n’est pas concept mais choc sur la source, sur l’humain.

Je ne puis “comprendre” votre mal puisque à mon insu je le partage, étant à l’orée de moi. Je vous souhaite de travailler, de créer ce qui vous créera ; vous possédez45 l’un et l’autre. Il faut aller vers votre accomplissement, non pas contre, mais en dépit de ce qui souffre en vous et constitue votre vigile et votre limitation46 à la fois. Pardon de suggérer, d’allumer une lampe devant votre visage, de désirer l’accalmie des enfers.

Je me réjouis profondément de l’amélioration qui se manifeste dans la santé de Celan. La lucidité rencontre le cœur et aussi le juste, peut-être, sans aucunement les solliciter. J’espère en tout pouvoir qui vous rendra le souffle exempt de maux, s’il se peut — et à lui la liberté de vous admirer, et de savoir, de réaliser jusqu’aux étoiles de son destin47 l’alliage réconcilié de son amour et de sa poésie. Et nul poème n’est innocent.

Votre ami

René Char

Mes vœux pour l’Exposition. L’œuvre m’avait beaucoup ému48.

FUSÉES DE PROVENCE49

Il est encore temps de faire échec raisonnablement au projet d’implantation de missiles en terre de Provence.

Selon les premières estimations et après sondages :

— Le sol du plateau d’Albion, de par sa nature particulière, se révèle impropre aux travaux tels qu’ils ont été décidés.

— Le problème de l’adduction d’eau s’est de jour en jour compliqué. Il en coûterait d’énormes sommes pour l’amener sur l’objectif et aux environs en quantité suffisante.

Or, les géologues et les géographes signalent :

— En 1810, la rivière proche de Murs, qui, à Véroncle, alimentait une douzaine de moulins, tarit en une nuit à la suite d’un imperceptible séisme ; ce fut la ruine définitive pour les meuniers de la région.

— Il y a quelques années, l’étang de Saint-Christol, au lendemain d’un curage, disparut sans retour dans le sous-sol du plateau aux innombrables avens et cheminées. On pourrait multiplier les exemples. D’autre part, il y a deux ans, des expériences de coloration des eaux, effectuées dans le torrent de la Nesque, près de Sault, pour déterminer les relations éventuelles entre les eaux de ce secteur et celles de la Sorgue, furent concluantes : à trente kilomètres en aval, à Fontaine-de-Vaucluse précisément, les traces des matières colorantes réapparurent dans la Sorgue.

Nous nous trouvons donc en présence d’un système hydrographique fort complexe, presque exclusivement souterrain, qui risque d’être dangereusement perturbé par une révolution de son sol. Il est permis de penser, qu’en cas d’accident sur les lieux des silos à fusées, les eaux de la Sorgue et celles d’autres cours d’eau de la région deviendraient radioactives.

Aucune stratégie globale, si subtile ou impérative soit-elle, ne peut justifier le choix d’un tel emplacement.

 

Et qu’en sera-t-il pour la vie des êtres ?

Les aménagements souterrains, la percée de plusieurs routes et chemins, l’importante infrastructure militaire, les expropriations prévues dont la première tranche atteint déjà 36 000 hectares, montrent l’ampleur des bouleversements que subirait la région.

Concentrer sur un espace si réduit trois usines atomiques d’orientation militaire (l’usine de Pierrelatte représente à elle-seule près de 10 % du coût total de la Force de Frappe), plus une base de fusées, c’est, pour le moins, exposer une population nombreuse, dans une admirable région agricole et touristique, à l’angoisse et à la terreur en cas de tension internationale. Et s’il y avait guerre ? Destruction immédiate et sans doute totale, sans chance de salut. Le 27 mars dernier, les élus des départements concernés ont réaffirmé une fois de plus leur conscience du péril.

 

Nous envisagions pour cette région un autre destin, à audace égale et à moindres frais : favoriser sa vocation paysanne (développement, rénovation de son agriculture et de son élevage), son essor touristique, culturel, mettre en valeur sa situation climatique, enfin implanter dans ses villes des industries nouvelles, alimentées — pourquoi pas ? — par l’énergie atomique, qui ne seraient pas des industries de guerre.

Ajoutons qu’il est des sites — Albion, Montsalier50, Lure, le Ventoux, le Lubéron, la Fontaine de Vaucluse — qu’on se doit de conserver tels qu’ils nous ont été transmis. Et tous ces sites tiennent ici en un seul miroir !

Avril 1966

René Char

Lettre ms. sous enveloppe (2 f. r./v. et r. ; encre noire) à : Madame Gisèle Celan / 78, rue de Longchamp / 75 Paris XVIe / 13 H 30 19 4 1966 R. D’ALLERAY (15e) PARIS XV / Le tract (1 f. r./v. ; dactylogramme ronéotypé) retrouvé parmi les lettres de RC à GCL sous enveloppe était peut-être joint à la présente lettre de RC (la feuille de format A4 a été pliée en quatre) ; l’accent sur le « E » de « Fusées » a été ajouté à la main. SGCL.

101. – GISÈLE CELAN À RENÉ CHAR

78 rue de Longchamp

Paris 16e

8 juin 1966

Cher René Char,

Votre dernière lettre, comme chaque signe de votre part, m’a été précieuse et je vous en remercie.

Mon mari va bien mieux et il semble que les soins décidés par Monsieur Deniker aient été une réussite51. Il rentrera à la fin de la semaine. Je n’espère pas de miracle, je sais la gravité de son état, je sais aussi que des périodes de rémission sont possibles, j’en espère une pour un temps. Rien ne sera facile, j’essaierai. Depuis sept mois, je suis passée, vous le savez, par le désarroi et la révolte. Le travail m’a aidée, j’ai fait beaucoup de gravures52 et grâce à cela j’ai pu me retrouver un peu. Je vois mieux où je suis, ce que je fais. J’essaierai de garder cela, comme aussi une sorte de liberté retrouvée qui m’est une force.

Je me souviens [de] ce qu’a été pour moi votre lettre en janvier, je me souviens de votre aide pour mes gravures53, pour moi-même.

Savoir que le poète René Char, l’homme René Char est là, c’est pour moi beaucoup.

Je vous remercie pour vos démarches auprès du Professeur Delay.

Je vous remercie pour tout.

Avec toute mon amitié

Gisèle Celan

Lettre ms. sous enveloppe (1 f. r./v. ; encre bleue) à : M. René Char / 4 rue de Chanaleilles / Paris 7e / 17 H 45 8 6 1966 R. SINGER (16e) PARIS XVI / Collection particulière.

102. – JEAN DELAY À RENÉ CHAR

PROFESSEUR JEAN DELAY

[Paris,] le 9 juin [1966]

Cher René Char,

C’est avec joie que j’ai confié mon bulletin de vote à Jean Paulhan lundi dernier, car je n’ai pu voter que par correspondance — étant obligé d’assister à la séance du Tricentenaire de l’Académie des Sciences, à la même heure. Le Prix des Critiques est bien peu de chose par rapport à la grandeur de votre œuvre, mais je suis heureux que vous l’ayez accepté54.

Croyez-moi bien fidèlement votre ami

Jean Delay

Je viens de revoir ce matin Paul Celan qui sort demain de mon service très amélioré55.

Lettre ms. à en-tête imprimé (nom) sous enveloppe (stylo à bille ? bleu) à : Monsieur René Char / L’Isle sur Sorgue / Vaucluse / ? H 10 ? — 6 1966 R. SINGER (16e) PARIS XVI / [d’une main non identifiée (encre bleue) :] Pr Jean Delay 53 avenue Montaigne Paris / Collection particulière.

103. – PAUL CELAN À RENÉ CHAR

[Paris, le 29. 6. 1966]

Cher René Char,

dans un moment plutôt sombre, il y a eu votre amitié, témoignée par les lettres que vous avez bien voulu adresser aux Professeurs Delay et Deniker56 — à partir de ce moment, les choses, infléchies par votre voix de poète, ont recommencé à s’ouvrir, à m’acheminer vers une porte, vers une nouvelle-et-ancienne-confiance.

J’espère bien vous voir en automne57, à Paris, et de vous remercier de vive voix.

Bien cordialement

Paul Celan

Le 29 juin 1966

Lettre ms. (encre noire) sous enveloppe (1 f. r. ; encre bleue) à : Monsieur René Char / “Les Busclats” / Route de Saumane / Isle-sur-Sorgue / (Vaucluse) / 12 H 1 ? — 7 1966 R. CLER (7e) PARIS VII / [d’une main non identifiée : 4 Rue de Chanaleilles / Paris / (7e)] / Paul Celan, 78 rue de Longchamp, Paris 16/ 19 H 15 4 — 7 1966 L’ISLE-SUR-LA-SORGUE VAUCLUSE / Collection particulière.

104. – PAUL CELAN À MARIE-MADELEINE DELAY

[SPRACHGITTER58]

À Madame Delay,

avec mes respectueux hommages,

Paul Celan

[Paris, été ? 1966]

Au-dessus de l’emblème du S. Fischer Verlag, dédicace (encre noire), p. 3, d’un exemplaire de la troisième édition (7. bis 9. Tausend) de : Paul Celan, Sprachgitter (voir GP), Francfort/M., S. Fischer, [mars ?] 1966. Collection particulière.

105. – RENÉ CHAR À PAUL CELAN

LES BUSCLATS

L’ISLE-SUR-SORGUE

(VAUCLUSE)

5 juillet 66

Cher Paul Celan

votre retour — que m’avait annoncé Jean Delay — et votre santé retrouvée ont été une nouvelle très heureuse. Ce qui est réellement sombre et qui advient à chacun de nous, en quelque moment, ne pouvait avoir pour vous une durée insupportable. Ce souhait, nous étions nombreux à le formuler.

J’espère vous voir en automne à Paris ainsi que Madame Celan et votre jeune fils59.

Bien cordialement,

René Char

Lettre ms. à en-tête imprimé (adresse) sous enveloppe (1 f. r. ; encre noire) à : Monsieur Paul Celan / Moisville par Nonancourt / 27 Eure / ? H 5 — 7 [1]96[6] L’ISLE-SUR-SORGUE VAUCLUSE / NPC.

106. – RENÉ CHAR À PAUL CELAN

RETOUR AMONT60

À Paul Celan

son ami

René Char

[Paris, entre le 5 et la mi-juillet 1966]

Dédicace sous le faux titre (encre noire) dans l’exemplaire no 176/ 3500 de : René Char, Retour amont. Poèmes, Paris, Gallimard, [achevé d’imprimer : 11 mai] 1966 ; y était inséré le brouillon ms. de la traduction offerte à RC : « Letzter Gang Stufe » ; voir le document qui suit ; BK III (534). NPC.

107. – PAUL CELAN À RENÉ CHAR

René Char

LETZTE STUFE

Kopfkissen rot, Kopfkissen schwarz,

Schlaf, eine Brust dir zur Seite,

Zwischen Stern und Geviert,

Alle die Trümmerbanner!

 

Zurande kommen mit euch,

Dem kufenhörigen Weinmost gleich,

Gegoldete Lippen erhoffend.

 

Nabe der gründenden Luft,

Weiß-Sümpfe härtend,

Leidfern und endlich leidlos,

Aufgenommen vom fröstelnden Wort,

Sag ich zum heißen Kreis: “Steige”.

________

À René Char, pour le remercier de “Retour amont”, cet essai de traduire en allemand “Dernière Marche”61.

Moisville62, 21 juillet 1966

Paul Celan

DERNIÈRE MARCHE

Oreiller rouge, oreiller noir,

Sommeil, un sein sur le côté,

Entre l’étoile et le carré,

Que de bannières en débris !

 

Trancher, en finir avec vous,

Comme le moût est à la cuve,

Dans l’espoir de lèvres dorées.

 

Moyeu de l’air fondamental

Durcissant l’eau des blancs marais,

Sans souffrir, enfin sans souffrance,

Admis dans le verbe frileux,

Je dirai : « Monte » au cercle chaud.

Ms. accompagné d’une transcription dactylographiée portant la mention « /Deutsch von Paul Celan/ » (non reproduite) sous enveloppe (respectivement 1 f. r. ; encre noire) à : Monsieur René Char / “Les Busclats” / Route de Saumane / L’Isle-sur-Sorgue / /Vaucluse/ / 20 H 21 — 7 1966 DANVILLE EURE // Paul Celan, Moisville par Nonancourt / (Eure) / Le texte en langue originale a été ajouté par l’éditeur (OC, p. 438). Collection particulière.

108. – RENÉ CHAR À PAUL CELAN

LES BUSCLATS

L’ISLE-SUR-SORGUE

(VAUCLUSE)

25 juillet 66

Cher Paul Celan

Que “Retour amont”, grâce à vous, ait une première fenêtre ouverte sur l’est allemand, c’est une précieuse clarté qui pénètre dans la nuit étrangère de ce livre. Je vous remercie de votre pensée.

Bon séjour et travail à Moisville ! L’Eure est un département dont le nom m’a toujours enchanté, bien que je n’ai jamais su le situer exactement sur la carte63, Proust me barrant toujours les chemins, de sa silhouette voisine64

Bien à vous votre ami

René Char

Ci-joint une petite photo prise au Rassemblement populaire contre les fusées, à Fontaine-de-Vaucluse le 5 juin dernier65.

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[Légende de la main de René Char au verso de la photo :]

5 juin 1966

Fontaine-de-Vaucluse

________

La tribune

Hélène

Claude

Sénateur

Joliot-Langevin66

Bourdet67

Geoffroy68

RC, Docteur Thiébaux69

Lettre ms. (1 f. r./v. ; encre noire) à en-tête imprimé (adresse) accompagnée d’une photo légendée au verso (crayon noir). NPC.

109. – GISÈLE ET PAUL CELAN À RENÉ CHAR

Otterlo70, 10. 9. 66

Bien amicales pensées

Paul Celan

Gisèle Celan

« Vincent Van Gogh, Café-terras [sic ; il s’agit de la toile intitulée habituellement « Terrasse de café de nuit » ou « Café terrasse de la place du Forum »], Arles, 1888, Pavement café, Rijksmuseum Kröller-Müller, Otterlo, Holland. » Carte postale (PC : encre bleu sombre ; signature GCL : encre bleue) à : Monsieur René Char / “Les Busclats” / Route de Saumanes / L’Isle-sur-Sorgue / (Vaucluse) / France / Cachet postal illisible. Collection particulière.

110. – RENÉ CHAR À GISÈLE CELAN

[Paris,] 12 déc. 66

Chère Madame

Je prie mon ami Dominique Fourcade71 de rapporter chez vous les gravures que vous aviez bien voulu me confier72, au moment de la maladie de Celan, et sur ma demande. Fourcade vous téléphonera afin que vous lui indiquiez la meilleure heure pour cela.

Veuillez agréer, chère Madame, ainsi que Paul Celan, mes fidèles pensées d’amitié.

René Char

Lettre ms. sous enveloppe (1 f. r. ; encre noire) à : Madame / Gisèle Celan / 78, rue de Longchamp / Paris 16e17 H 45 13 — 12 1966 R. ST-ROMAIN (6e) PARIS VI / SGCL.

111. – GISÈLE ET PAUL CELAN À RENÉ CHAR

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Morceaux de sommeil, coins

poussés dans le nulle-part :

nous restons égaux à nous-mêmes,

l’étoile ronde manœuvrée

alentour

nous approuve.

Le poème imprimé « Schlafbrocken, Keile » accompagné de la gravure (eau-forte, 7,5 x 10) offert à RC — avec dédicace ? — ne figure plus dans les ARRC (voir supra, p. 33, Notice éditoriale). Le poème est le premier écrit après la sortie de Sainte-Anne : PC/GCL I, p. 471, 473 et PC/GCL II, p. 332 sq. Le tirage à cent exemplaires de ce poème avec gravure a été envoyé, accompagné de vœux, à de nombreux amis et connaissances des Celan. Une note dans un registre de GCL apporte les précisions suivantes : « 27/100 Char (12. 1966) ». Voir COGCL, p. 125. Collection particulière.

112. – RENÉ CHAR À GISÈLE CELAN

Avec mes vœux, en

retour, et mes fidèles

pensées.

René Char

[Paris ?] 20 — 12 — 66

« Le grant kalendrier et compost des Bergiers / CARTES GLM. » Sous la gravure reproduite au recto représentant deux personnages et les signes du Capricorne et du Verseau, on lit : « Janvier / S’EN ALLANT VERS LE NORD, PASSENT LES becs-croisés et des étourneaux. / La mahonia et l’ellébore noir fleurissent. / À la Saint-Antoine les jours croissent du pas d’un moine. / Gelée le jour de la Saint-Maur, la moitié de l’hiver est dehors. » Carte postale (encre noire). SGCL.

113. – GISÈLE CELAN À RENÉ CHAR

Rue du Château d’Eau

Saint-Cézaire-sur-Siagne

A[lpes-]M[aritimes]

30 décembre 1966

Cher René Char,

J’ai été très peinée lorsque votre ami est venu me remettre les gravures que j’aimais savoir chez vous. Peinée car je n’ai pas compris ce geste. Mon silence de ces mois-ci en est peut-être la cause ou quelque autre maladresse de ma part que je ne m’explique pas.

Il m’est douloureux de penser que j’ai pu perdre votre amitié.

Je vous avais écrit en octobre, peut-être un manque de simplicité de ma part a empêché cette lettre de vous parvenir. Je la joins aujourd’hui.

Fatiguée je suis venue retrouver dans la solitude de ce joli village un peu de calme dont j’avais besoin.

Je marche par les chemins des collines, j’écoute un brin d’herbe le tit-tit-tit d’une mésange qui m’entretient du haut d’un pin de sa vie d’oiseau, je regarde, j’aime la terre rouge, les rochers gris, les touffes drues qui sont là pour moi aussi. Les pans de montagne dans l’ombre me donnent un peu le vertige. L’austérité, le côté un peu sévère de ce repos ne me sont pas toujours faciles. Mais je prépare de nouvelles gravures tout doucement en moi73. Je les laisse mûrir, je les espère —

Je rentre à Paris le 6, pour retrouver mon fils, pour retrouver mon mari, pour retrouver ma vie74. Par moments je ne vois plus clair du tout et tout s’effrite de ce que je croyais savoir. Par moments je reconnais le chemin difficile mais chemin tout de même.

J’aimerais savoir que je ne vous ai pas fait de mal. Je détesterais cette idée.

Permettez-moi de tout cœur, de vous envoyer à nouveau pour l’année qui vient mes meilleurs vœux, mes meilleures pensées

Gisèle Celan

[Lettre jointe]

[Paris,] mercredi 5 octobre 1966

Je m’en veux un peu de ne pas vous avoir écrit, votre aide, votre générosité et vos lettres m’ont été d’un tel secours au début de cette année si difficile pour moi que leur présence m’est encore toute proche.

L’état actuel de mon mari n’est pas merveilleux, mais son délire l’a quitté dans une très grande mesure et ses rapports avec les humains en sont facilités, malheureusement il est très déprimé et découragé et son désir de vivre n’est pas grand75.

Il est difficile sans doute après ce qu’il a vécu et souffert de recommencer encore.

Je ne sais dans quelle mesure la médecine si limitée devant les mystères de l’âme et de la vie pourra l’aider. Son médecin76 est intelligent et il a le respect de la liberté et de la personne humaine, mais le destin d’un être ne se soigne pas avec des médicaments. Enfin j’espère tout doucement sans trop y croire.

J’ai beaucoup travaillé cet été77, je m’accroche à ce moyen que j’ai de me réaliser, de vivre. J’essaye d’aider, ce n’est pas toujours possible, j’essaye de tenir78, de résister et pour le moment je vais bien. Excusez-moi de vous l’écrire ainsi, tout bêtement, mais votre amitié me le permettra.

J’ai terminé une petite série de gravures79 à laquelle je tiens beaucoup et qui m’est encore très proche car j’y ai mis mon acharnement, ma lutte, mon calme et un peu de joie retrouvés après la tempête. J’y ai mis sans doute aussi ma solitude. Vous m’aviez écrit : “Pardon de suggérer, d’allumer une lampe devant votre visage, de désirer l’accalmie des enfers80.” En regardant les onze petites gravures j’ai compris l’autre jour que la lampe était allumée. Je la veille.

Avec toute mon amitié

Gisèle Celan

Lettres ms. sous enveloppe (lettre 1 : 1 f. r./v., lettre 2 : 1 f. r./v. et 1 f. r. ; encre bleue) à : Monsieur René Char / 4 rue de Chanaleilles / Paris 7e / Prière de / Faire suivre / 8 H 31 12 1966 ST CÉZAIRE-SUR-SIAGNE ALPES-MMES / Collection particulière.


1. GCL avait accompagné son fils Éric à Montana (Suisse) ; les Celan avaient l’habitude d’y passer leurs vacances de neige.

2. GCL fait allusion à ses nombreuses discussions avec PC à l’automne 1965 sur la nécessité d’une séparation. PC sortira de clinique le 11 juin 1966. Durant ce séjour à Sainte-Anne, il a écrit un grand nombre de poèmes, dont il ne publiera qu’une partie sous le titre éloquent « Eingedunkelt — Enténébré » dans un volume regroupant des œuvres « abandonnées » ou fragmentaires préfacé par le directeur des Éditions Suhrkamp, Siegfried Unseld (Aus aufgegebenen Werken, Francfort/M., Suhrkamp, 1968, p. 49-161).

3. GCL a noté dans son agenda à la date du 12 janvier 1966 sa visite rue de Chanaleilles : « 14 h 30 René Char. » Sur le principal motif de sa visite, voir supra, p. 169, no 89, lettre du 5 janvier 1966. À la date du 14 janvier, GCL fait une nouvelle fois mention d’une visite rue de Chanaleilles, cette fois pour des raisons liées à son travail d’artiste : « 14 h 30 René Char — gravures » (SGCL) ; entre autres par ses amis et collaborateurs peintres, RC était en contact avec de nombreuses personnes liées au marché de l’art.

4. À ce sujet, l’achevé d’imprimer fournit les informations suivantes : « Le texte de René Char : Flux de l’aimant, accompagnant seize pointes sèches de Joan Miró, a fait l’objet d’une édition originale, dont le tirage, dans les ateliers de Maeght, éditeur, a été limité à soixante-quinze exemplaires. […] Cinquante exemplaires […] ont été justifiés par l’auteur comme suit : trente numérotés de I à XXX et vingt marqués de R. C. I à R. C. XX. Ces exemplaires sont ornés d’une gravure de Joan Miró signée par l’artiste et tirée dans les ateliers de l’imprimerie Lacourière, à Paris. » Sur la « complicité [de RC] avec Miró », voir BNFRC, p. 178-181. Il faut noter que GCL travaillait alors régulièrement chez Lacourière pour le tirage de ses propres gravures.

5. Lors de la rencontre du 12 janvier 1966, voir supra, p. 170, no 90, n. 1.

6. GCL fait mention dans son agenda d’un rendez-vous avec le libraire-éditeur, directeur de la galerie Le Point cardinal à Saint-Germain-des-Prés depuis 1961 (place de Furstenberg, 6e) le mardi 18 janvier 1966 : « 11 h Jean Hugues Pt Cardinal » ; puis d’un autre le vendredi 21 janvier : « 11 h Point cardinal » (SGCL). RC était depuis plusieurs années en contact avec l’éditeur parisien ; à cette date, il avait publié deux ouvrages chez J. Hugues : Arrière-histoire du Poème pulvérisé, avec une lithographie en couleurs de Nicolas de Staël, 25 avril 1953 et, avec Paul Éluard, le 3 août 1960, un opuscule intitulé Deux poèmes, orné d’un portrait photographique d’Éluard en frontispice et, sur la couverture, d’une reproduction d’un dessin de RC à l’encre de Chine et de couleur.

7. En janvier 1966, GCL semble n’avoir achevé qu’une seule gravure à l’aquatinte : « Fond gris — Graugrund » (titre bilingue de PC) ; en revanche, les mois qui suivent ont été beaucoup plus féconds ; voir COGCL, p. 120 et 410, ainsi que 121-134 et 411-413.

8. Flux de l’aimant, op. cit., p. [18] et [14] ; OC, p. 696 et 694 sq. (« Avènement de la ligne »).

9. On peut à la rigueur lire : « des ».

10. RC a rejoint à Nancy celle avec qui il partage son quotidien depuis quelques mois et qu’il disait lui avoir été « envoyée par Georges de La Tour », Anne Reinbold, pour aller sur les traces du peintre né en 1593 à Vic-sur-Seille et mort en 1653 à Lunéville. Durant ce bref séjour en Lorraine, le couple se rendit au Musée historique lorrain, installé dans le palais ducal, pour y contempler les trois tableaux de De La Tour exposés : La Femme à la puce, Le Fumeur et La Découverte du corps de saint Alexis. C’est ce dernier tableau, que RC voyait alors pour la première fois, qui lui a inspiré le poème « Justesse de Georges de La Tour (conversation avec A. Reinbold, mai 2014) » : « L’unique condition pour ne pas battre en interminable retraite était d’entrer dans le cercle de la bougie, de s’y tenir, en ne cédant pas à la tentation de remplacer les ténèbres par le jour et leur éclair nourri par un terme inconstant. […] » Il faut noter que ce poème, daté du 26 janvier 1966, et « Ruine d’Albion », écrit le 24 février, où il est question de l’implantation de fusées nucléaires en Provence (voir infra, p. 184, 195 et 205, nos 100, 108 et 116) sont rassemblés sous le titre « Sur un même axe ». (Voir OC, p. LXXI sq., p. 455 sq. ; BNFRC, p. 136 ; Greilsamer, p. 358 sq. ; Leclair, p. 423 sq.) Le couple se rendit aussi à Croismare, à quelques kilomètres de la ville natale de De La Tour, dans le massif des Vosges, où RC avait été cantonné durant la drôle de guerre (voir « La halte de Croismare », OC, p. 798 sq.). Le peintre lorrain est présent dans l’œuvre de RC, dès les Feuillets d’Hypnos, à travers le tableau capital pour lui qu’est Le Prisonnier (OC, p. 218). Sur la longue liaison de RC avec cette jeune femme née dans le Bas-Rhin, alors âgée de vingt-deux ans, qui était venue le voir dans la perspective d’un travail universitaire sur Le Marteau sans maître et qui, plus tard, écrira sur de La Tour, voir BNFRC, en particulier p. 122 (« Anne Reinbold “qui m’apparut en 1965 dans le voile de mariée de la bougie de Georges de La Tour” »), 136, 168 sq. ; sur Georges de La Tour dans l’œuvre de RC, voir aussi OC, p. 664 (« Madeleine qui veillait »). Anne Reinbold est l’auteure d’un ouvrage consacré au peintre lorrain : Georges de La Tour, Paris, Fayard, 1991.

11. La poétesse française Maryse Lafont (1918-2001), qui avait alors publié quatre livres chez GLM, travaillait à la galerie Adrien Maeght (42, rue du Bac, Paris 7e). RC avait eu une longue liaison avec elle que reflète la correspondance amoureuse et littéraire qu’ils ont échangée entre 1951 et 1966 (521 lettres — dont 3 contiennent un poème écrit pour Maryse Lafont — et cartes postales de RC, qui représentent environ 750 pages de documents) : voir le catalogue de vente Binoche-Renaud-Giquello, Paris, 5, rue La Boétie, 19 et 20 mai 2008, p. 48-54 ; voir aussi Greilsamer, p. 321 et 334.

12. Ce qui suit est noté en marge de la carte postale. Cet appel téléphonique ne semble pas avoir laissé de traces.

13. Il s’agit de la Clinique de Faculté (section hommes), qui occupait alors au sein de l’hôpital Sainte-Anne de Paris (1, rue Cabanis, 14e) le pavillon Benjamin Ball (dans l’angle sud-est du site). Celle-ci était alors dirigée par une sommité de la psychiatrie et neurologie française, Jean Delay (1907-1987), titulaire de la chaire de clinique des maladies mentales depuis 1946. Avec le psychiatre, médecin-chef de service, Pierre Deniker (1917-1998) et d’autres, il mène alors de nombreuses études cliniques sur la chlorpromazine, dont les effets furent mis en évidence par Henri Laborit en 1951. Cette molécule est utilisée dans le traitement des psychoses, dont les troubles bipolaires et diverses formes de délire. J. Delay avait été élu à l’Académie de médecine en 1955 pour ses travaux en psychopharmacologie.

14. Il est difficile de dire exactement de quels papiers il s’agit. Peut-être GCL a-t-elle pris connaissance à cette occasion du journal tenu par PC juste avant la crise qui l’a conduit à être interné le 28 novembre, dans lequel on lit, par exemple, à la date du 17 novembre 1965 : « État misérable. Pleurs. / Il faut que j’aille dans une clinique : pour Éric et Gisèle, il est impossible à la longue de supporter cela. Mais où ? // Devenir en plus une pâture pour les psychanalystes ? » (Tb 17, D 90.1.3304 ; trad.) Dans un autre journal, rédigé en 1965, en partie en français et pour GCL, à la clinique du Vésinet, la détresse et la volonté de résister de PC s’expriment sans voile : « Mardi [11 mai], vingt heures : Gisèle, mon amour, mon aimée, c’est très très dur. // (Où ai-je abouti ? Ce docteur Gérard et ses visites me font un mal terrible, bien pire que celles de Citrom [psychiatre qui s’était occupé de PC lors de son internement à Épinay-sur-Seine en janvier 1963]. Il faut tenir tête — à un moment où j’ai besoin d’aide, d’aide véritable.) // Il faut tenir, je sais, pour vous et le fils. Il le faut, il le faut absolument. » (PTb 6.)

15. Le nom « Celan » résulte de l’anagramme, obtenue par inversion des syllabes de la graphie roumaine du patronyme « Antschel » : ANCEL. Bien qu’il souhaitât absolument changer de nom, PC dut reculer devant la complexité des démarches à entreprendre pour obtenir ce changement. Il souhaitait néanmoins que les siens portent le nom qu’il s’était donné (voir à ce sujet PC/GCL II, p. 475, 477 et 500 sq.). Pour GCL comme pour Éric Celan, le nom d’Antschel demeura un nom à usage strictement administratif. Le 7 février, PC écrit à GCL de la clinique : « Je m’appelle, ici, Paul Antschel […] Le mieux, c’est Paul Antschel-Celan, — comme ça on s’habituera aux deux noms. » (PC/GCL I, p. 361.)

16. Durant le mois de février, GCL a produit au moins cinq gravures, dont une qui porte le titre donné par PC : « Enténébré — Eingedunkelt » ; voir COGCL, p. 120 et 410 sq. (le titre français de la gravure y est mal orthographié).

17. Cf. le poème de PC « Und schwer [Et lourd] », PC/GCL I, p. 126 sq.

18. La personne qui venait de téléphoner à l’épouse du professeur Jean Delay, Marie-Madeleine Delay (née Carrez, dite Madeleine), n’a pas pu être identifiée.

19. Sic.

20. Le nom de cet infirmier ayant une fonction d’encadrement apparaît sous la plume de PC et de GCL : voir PC/GCL I, p. 444 et 464.

21. PC était inscrit sous son patronyme : Antschel (voir supra, p. 176, no 95, n. 2 à la lettre du 1er février 1966).

22. Cela s’avéra impossible, mais PC quitta très vite le dortoir installé sous les combles du pavillon Benjamin Ball (voir supra, p. 175, no 95, n. 2 à la lettre du 1er février 1966) pour partager une chambre avec trois autres patients (voir PC/GCL I, p. 363).

23. Le 11 février 1966 PC écrit à sa femme : « Ce matin, j’ai été reçu par le Professeur Delay, puis par son voisin de bureau, le Professeur Pichon, que nous avons connu à l’Institut autrichien, et qui m’a tout de suite reconnu, puis m’a tout de suite, sur la demande du Professeur Delay, reçu pour un entretien. » (PC/GCL I, p. 363 sq.)

24. Il s’agit certainement de Madeleine Delay.

25. Dans sa situation PC ne peut pas prétendre au remboursement du ticket modérateur. L’adhésion à la Mutuelle générale de l’Éducation nationale permettait de réduire significativement la quote-part personnelle. PC a-t-il souscrit ou non à une mutuelle, cela n’est pas clair.

26. Chimiothérapie et traitement à l’insuline inspiré par la cure dite de Sakel (ou choc insulinique ; thérapie préconisée alors par exemple dans le traitement de la schizophrénie ; elle consistait à provoquer un coma par injection intraveineuse d’insuline). PC ne semble pas en effet s’être vu imposer une véritable cure de Sakel, et il est certain qu’il n’a jamais subi d’électrochocs. (Voir à ce sujet PC/GCL I, p. 368, 395, 434, 451 et 462, ainsi que PC/GCL II, p. 297.)

27. Il faut lire : « une clinique privée ».

28. Ce n’est qu’en mai que PC évoque dans une lettre à sa femme un de ses compagnons de chambrée (voir PC/GCL I, p. 462). Rien dans le journal qu’il tient durant cette période ne laisse supposer de possibles relations intellectuelles avec d’autres patients.

29. PC était lecteur d’allemand à l’École normale supérieure (45, rue d’Ulm, Paris 5e) depuis l’automne 1959.

30. Il faut lire : « février ».

31. PC a publié, ici dans l’ordre chronologique : d’Arthur Rimbaud, Das Trunkene Schiff (voir supra, p. 123, no 59) ; de RC, un choix de poèmes (voir supra, p. 161, no 81) ; de Paul Valéry, Die Junge Parze (La Jeune Parque), Insel, 1960 ; traducteur de poèmes de Michaux parus dans des revues, PC est éditeur et traducteur, avec Kurt Leonhard, du premier volume d’œuvres de Michaux, Dichtungen, Schriften qui est alors en préparation chez S. Fischer (Francfort/M., octobre 1966).

32. PC qui s’était marié à Paris, le 23 décembre 1952, avec Gisèle de Lestrange (née en 1927), avait la nationalité française depuis le 8 juillet 1955.

33. Éric, alors âgé de dix ans.

34. Très présent dans les médias, PC était alors déjà titulaire de plusieurs prix prestigieux, en particulier du prix de littérature de la Ville de Brême (janvier 1958) et du prix Georg Büchner (octobre 1960 ; voir M&p, p. 55-58 et 59-84).

35. Sic.

36. Suite aux événements dramatiques survenus à la fin novembre 1965 (voir supra, p. 167, no 88, n. 1 à la lettre du 23 décembre 1965), PC est en situation administrative de « placé d’office » ; il est donc privé de sa liberté. Dès le début de son internement à Suresnes, il avait été en contact épistolaire avec sa femme, voir PC/GCL I, p. 322-360. La première lettre de PC à GCL écrite à Sainte-Anne et à laquelle Madeleine Delay fait ici allusion est datée du 7 février 1966 ; voir ibid., p. 361. Sur la visite de GCL, voir ibid., p. 363 sq.

37. Le pronom relatif est suivi d’un verbe biffé difficile à lire : « ferait » ; le verbe qui suit, « effrayerait », d’une première formulation du complément d’objet : « tous les autres » ; dans les deux cas, il s’agit de lectures conjecturales.

38. PC ne se plaint pas non plus des conditions de vie à l’hôpital dans ses lettres à sa femme ; le 22 mai 1966, il décrit cependant une scène pénible dont il est le témoin : voir PC/GCL I, p. 460. GCL n’ignore pas que l’année précédente lors de son hospitalisation dans une clinique privée du Vésinet, PC ne s’était pas non plus plaint dans ses lettres de ses conditions de vie, alors qu’il enregistrait au même moment dans son journal son amertume et sa rage (PTb 6 ; cité supra, p. 29, n. 3 de la préface, et p. 176, no 95, n. 1 à la lettre du 1er février 1966). Sa femme en revanche, s’en inquiète, mais de façon elliptique : voir par exemple PC/GCL I, p. 432.

39. Publié à Francfort/M., chez S. Fischer, en 1963. RC a-t-il prêté à M.-M. Delay son propre exemplaire de La Rose de personne ? Voir supra, p. 162, no 82, la dédicace de novembre 1963.

40. Les propos de M.-M. Delay sont sans doute inspirés par la lecture d’un des derniers poèmes de La Rose de personne : « Es ist alles anders — Tout est autrement », où, en particulier dans le contexte de l’évocation du poète russe Ossip Mandelstam, à la mémoire duquel le volume est dédié, la « main » apparaît de façon insistante : « Le nom d’Ossip vient à ta rencontre, tu lui racontes / ce qu’il sait déjà, il le prend, il t’en décharge, avec des mains, / tu détaches le bras de son épaule, le droit, le gauche, / tu ajustes les tiens à leur place, avec des mains, des doigts, des lignes. » (RP, p. 139.)

41. Correction autographe : « auxquels ».

42. Allusion sans doute à la forme même, à l’image des poèmes de PC, aux vers par endroits monosyllabiques, qui confèrent à plus d’un une silhouette émaciée, giacomettienne, qui les distingue entre beaucoup.

43. Si on entend « signe » au sens astrologique, il faut préciser que RC est né le 16 juin 1907, à 9 h 30, à L’Isle-sur-Sorgue (Vaucluse), sous celui des Gémeaux, ascendant lion. Se trouvent donc conjugués un signe d’air et un signe gouverné par le Soleil. De surcroît, l’élément feu est manifestement omniprésent dans sa poésie. Sur le thème astral de RC, voir « Horoscope d’un poète », par Yves de Bayser, publié dans René Char, Le Deuil des Névons, orné d’une gravure de Louis Fernandez, s. l., Le Cormier, octobre 1954, non paginé.

44. Ajout autographe sur-linéaire : « en moi d’être ».

45. Le mot est difficile à lire.

46. Il semble que RC remplace ici un mot illisible par celui de « limitation ».

47. Le mot « étoiles » semble remplacer un mot rendu illisible par surcharge.

Ajout autographe sous-linéaire : « de son destin ».

48. Le mot « œuvre » désigne Atemkristall [Cristal de souffle], cycle de vingt et un poèmes de PC accompagnés de huit gravures de GCL (Paris, Brunidor, 1965 ; éd. tirée à quatre-vingt-cinq exemplaires numérotés, signés par les auteurs), qui occupait la place centrale dans l’exposition de trente-neuf gravures de GCL qui eut lieu à l’Institut Goethe de Paris, du 18 avril au 6 mai 1966 ; voir PC/GCL I, p. 431 sqq. et PC/GCL II, dossier iconographique, no 71. Le cycle de poèmes a paru ensuite, sans gravures, dans Atemwende [Renverse du souffle], dont il constitue la première partie (voir RS, p. 7-33). RC, qui fut certainement convié au vernissage (le carton d’invitation n’a pas été retrouvé dans les ARRC), n’y assista pas. GCL lui avait montré ses gravures mais aussi Atemkristall (dont l’achevé d’imprimer date du 23 septembre 1965) plus de trois mois auparavant (peut-être le 12 ou le 14 janvier 1966 ; voir supra, p. 170, no 90, n. 1 à la lettre du 12 janvier 1966).

49. Avec ce tract, RC sort du retrait dans lequel il avait choisi de se tenir depuis la fin de son action dans la Résistance. C’est la menace qui pèse sur son environnement immédiat, sur le paysage qui apparaît dans sa poésie et dans lequel celle-ci aime à se déployer, celui de Pétrarque, celui du maquis du Ventoux, tout comme sa vieille détestation du général de Gaulle, qui lui fait rompre sa réserve. Malgré ses désaccords massifs avec le PCF, il prend contact avec quelques-uns de ses membres et renoue à cette occasion avec Elsa Triolet et Louis Aragon. RC n’hésite pas à faire imprimer à ses propres frais tracts et affiches. Rien n’y fit cependant : le Poste de conduite de tir des fusées nucléaires du plateau d’Albion fut implanté à Villevieille, près de la commune de Rustrel (Vaucluse), pour y être opérationnel de 1970 à 1995. Sur toute cette affaire, voir Greilsamer, p. 361-365, BNFRC, p. 175-177 et RC/JB, p. 96-105.

50. Sur le tract, on lit : « Monsalier » ; dans RC/JB, p. 98, l’orthographe de ce toponyme est également erronée : « Monsalior. »

51. Voir supra, p. 179, no 97, n. 3 à la lettre du 8 février 1966.

52. Entre janvier et juin 1966, GCL a réalisé dix-sept gravures ; voir COGCL, p. 120-127 et 410-412.

53. GCL songe sans doute à la lettre de RC du 23 décembre 1965, à laquelle elle a répondu le 5 janvier 1966, et non bien sûr à la lettre du 12 janvier et à la carte postale du 27 janvier 1966. Il semble peu probable qu’une lettre de RC datée de janvier 1966 ait été égarée. Sur le soutien de RC apporté à l’artiste GCL, voir supra, p. 173 et 175, nos 94 et 95, les lettres des 27 janvier et 1er février 1966.

54. Ce prix créé en 1945, d’une dotation de 500 000 anciens francs, est attribué à RC pour l’ensemble de son œuvre (figuraient parmi les treize membres du jury : Georges Blin, Jean Delay, Jean Paulhan et Jean Starobinski ; neuf votèrent en faveur de RC) ; RC, qui avait d’abord l’intention de refuser la « récompense », se ravisa pour en faire don au comité contre l’implantation de fusées balistiques en Haute-Provence. Membre de l’Académie française depuis 1963, l’écrivain, critique et éditeur Jean Paulhan (1884-1968) dirige alors La NRF. Écrivain et auteur d’essais biographiques sur André Gide, Jean Delay avait été élu à l’Académie française en 1959.

55. Cette amélioration fut une embellie de courte durée, car, quelques mois après, fin janvier 1967, PC allait rechuter et porter la main sur sa femme avant de tenter de se suicider (voir PC/GCL II, p. 31 et 565 : la tentative de meurtre, par strangulation, ne pouvant alors pas être datée, celle-ci n’a pas pu y être mentionnée avec précision).

56. Il n’a pas été possible de consulter les lettres de RC aux deux médecins.

57. Dans son agenda, PC n’a noté aucun rendez-vous avec RC en octobre ; en revanche, le 3 novembre, il mentionne une conversation téléphonique avec lui : « 21 Uhr [heure] tél. à Char » (Nk 28, D 90.1. 3279) ; c’est l’avant-dernière mention du nom de RC dans les agendas de PC ; son nom apparaîtra encore une fois, à propos d’une rencontre au bureau de PC, le 21 novembre 1967, 45, rue d’Ulm : « abends [dans la soirée] : ENS Char » (Nk 31, D 90.1. 3281).

58. PC offre-t-il délibérément ce livre plutôt que son dernier paru, Die Niemandsrose, parce qu’il a appris — de la bouche de RC ? — que Madeleine Delay avait lu en février La Rose de personne (voir supra, p. 183, no 99) ?

59. Éric, qui vient d’entrer dans sa onzième année. La fin de la lettre ainsi que la signature sont inscrites en marge.

60. PC possédait un autre exemplaire de la première édition de Retour amont que lui avait apporté sa femme quelques jours avant sa sortie de l’hôpital Sainte-Anne ; celui-ci porte la date de la main de PC du « 5. 6. 1966 » (ex. no 1406/3500) ; BK I (538). PC avait écrit au sujet de ce livre le 3 juin 1966 : « J’espère que Retour Amont, qui est aussi, selon le journal que vous m’avez apporté, un hommage à Giacometti, est un beau livre. » (PC/GCL I, p. 475 sq.)

61. Retour amont, op. cit., p. 44 (OC, p. 438). Il s’agit de l’unique et ultime traduction connue, inédite, achevée et mise au net d’un poème de RC ; la copie dactylographiée conservée dans le NPC porte la mention manuscrite de PC : « An [envoyé à] R. Char, am [le] 21. 7. 66 (Moisville). » (D 90.1. 381.) Voir Chronologie, p. 299-300, début septembre 1966.

62. PC et GCL possédaient depuis le printemps 1962 une résidence secondaire dans cette petite commune située à une centaine de kilomètres de Paris, à la porte de la Normandie.

63. RC avait en fait une idée précise de ce département, car il lui était arrivé d’y accompagner son amie Yvonne Zervos lorsque celle-ci rendait visite à sa mère (Leclair, p. 307). Ses promenades dans l’Eure sont explicitement présentes dans son œuvre : voir « Je n’étais ce jour-là que deux jambes qui marchent », « Le Bois de l’Epte », La Parole en archipel (1962), OC, p. 371.

Contrairement à l’usage conseillé « bien que » est ici suivi de l’indicatif pour insister sur la réalité du fait.

64. La petite commune de Moisville est située entre Évreux et Dreux. Illiers, en Eure-et-Loir, qui se situe à une soixantaine de kilomètres au sud de Dreux, porte le nom d’Illiers-Combray depuis 1971, en hommage à l’auteur d’À la recherche du temps perdu. Sur le rapport de RC à Proust, voir OC, p. 712 (« Pages d’ascendants pour l’an 1964 ») ; sur celui de PC, voir en particulier PC/GCL I, p. 15 et 68, ainsi que PC/GCL II, p. 361.

65. Ce jour-là, RC avait pris la parole publiquement contre l’installation de fusées atomiques en Provence : voir supra, p. 186, no 100, n. 1 au tract joint à la lettre du 19 avril 1966.

66. Gabrielle Hélène Joliot-Curie (1927-), physicienne, ingénieure de l’École supérieure de physique et de chimie industrielles de la Ville de Paris, alors maître de recherches au CNRS, petite-fille de Pierre et Marie Curie (tous deux prix Nobel), épouse de Michel Langevin (petit-fils du prix Nobel de physique Paul Langevin). À l’exemple de ses illustres ascendants, elle milite pour un usage pacifique de l’énergie nucléaire.

67. L’écrivain et journaliste de gauche Claude Bourdet (1909-1996), compagnon de la Libération, était titulaire d’un diplôme d’ingénieur en physique technique de l’École polytechnique fédérale de Zurich. Entré dans la Résistance dès 1940, il fut déporté d’avril 1944 à la fin de la Seconde Guerre mondiale dans plusieurs camps de concentration allemands.

68. Homme politique français, membre de la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO), sénateur du Vaucluse, Jean Geoffroy (1905-1991) avait été déporté à Buchenwald pour fait de résistance.

69. M. Thiebaux, selon l’orthographe employée dans les nombreux articles parus dans Le Provençal, La Marseillaise, etc., début juin 1966, au sujet de ces protestations populaires (ARRC). Le prénom de ce médecin (généraliste ?), qui est alors secrétaire de la Fédération communiste du Vaucluse, n’apparaît sur aucun document accessible ; voir BNFRC, p. 176.

70. Le musée Kröller-Müller, situé à proximité du village néerlandais d’Otterlo (commune d’Ede, au sud-est d’Amsterdam), présente toujours la deuxième collection au monde de tableaux de Van Gogh.

71. Le poète et critique d’art Dominique Fourcade (1938-), qui a alors près de la moitié de l’âge de RC, entretenait avec lui une relation amicale depuis 1961. Greilsamer le présente comme « son ami, son aide de camp et son ambassadeur ». Trois mois avant la rédaction de la présente lettre, en septembre 1966, Fourcade avait été chargé, avec un autre jeune homme, de conduire Heidegger aux Busclats (Greilsamer, p. 348, 367 et 541). RC aimait en effet être entouré de jeunes poètes, ce qui irritait PC ; voir à ce sujet supra, sa lettre du 22 mars 1962, et en particulier la formule qui explicite la nature de sa méfiance : « Méfiez-vous de ceux qui vous singent » (il faut préciser que PC ne vise pas Fourcade !). Dans la bibliothèque de PC figure un exemplaire d’Une vie d’homme avec dédicace « à Paul Celan, / en témoignage d’admiration / Dominique Fourcade ». (Paris, GLM, 1969 ; BK I [1021].) Comme en témoignent plusieurs volumes de sa bibliothèque, GCL a suivi le parcours poétique de Fourcade après la mort de son mari (SGCL).

72. GCL a noté dans son agenda à la date du 14 janvier 1966 : « 14 h 30 René Char — gravures » ; deux jours auparavant elle avait déjà rencontré RC à la même heure. À défaut d’identifier les gravures dont il est question, on peut affirmer que celles-ci font partie de la production de GCL entre 1954 et 1966 ; peut-être s’agit-il d’œuvres figurant parmi la quarantaine produite au cours de cette année 1966 : voir COGCL, p. 82-134, et particulièrement les p. 120-134. Dans ses carnets et agendas, GCL n’a noté aucun rendez-vous avec Dominique Fourcade.

73. GCL a daté une seule gravure du début de l’année 1967, en l’occurrence celle intitulée « Dunkelheit — Obscurité » (janvier 1967), voir COGCL, p. 135.

74. GCL séjourne dans l’arrière-pays cannois chez son amie Françoise Bonaldi depuis le 20 décembre 1966 ; voir son échange épistolaire avec son mari durant cette période : PC/GCL I, p. 482-498.

75. Après sa sortie de Sainte-Anne, où l’avait conduit son délire, PC semble avoir connu, entre juin et septembre 1966, une période d’accalmie, qui lui a permis de faire, en compagnie de sa femme, un voyage en Allemagne, aux Pays-Bas et en Belgique (voir supra, p. 167, no 88, n. 1 à la lettre du 23 décembre 1965 et, p. 197, no 109, la carte postale du 10 septembre 1966 ; voir aussi PC/GCL I, p. 481).

76. Benoît Dalle, ancien interne des hôpitaux de Paris, ancien chef de clinique à la Faculté, avec lequel PC poursuit alors, dans un cadre privé, des entretiens psychothérapeutiques. Ce psychiatre exerçait alors au 72 boulevard Saint-Germain (Paris 5e).

77. GCL a produit au moins huit gravures datées de juin-juillet 1966 (aucune n’est datée d’août ou de septembre), voir p. 125-127.

78. GCL reprend ici en traduction le verbe devise « Stehen » cher à PC et omniprésent dans ses écrits (voir par ex. le poème portant le titre-incipit « Stehen [Tenir debout] » dans RS, p. 32-33).

79. Il s’agit de la Suite Moisville qui comportera en définitive dix gravures (voir PC/GCL II, Dossier iconographique, doc. 77).

80. Voir supra, p. 185, no 100, la lettre du 19 avril 1966.