CHRONOLOGIE

1907

14 juin : Naissance à L’Isle-sur-la-Sorgue (ou L’Isle-sur-Sorgue) (Vaucluse) de René Émile Char, cadet de quatre enfants, issu des secondes noces d’Émile Char, négociant, avec Marie-Thérèse Rouget.

Sa sœur aînée Julia est âgée de dix-huit ans.

1920

23 novembre : Naissance de Paul Antschel dans une famille juive de langue allemande à Cernăuți (ou Czernowitz, ancienne province de l’Empire habsbourgeois alors intégrée à la Roumanie), fils unique de Leo Antschel et Friederike, née Schrager. Son père, ingénieur du bâtiment, exerce le métier de négociant en bois.

1927

19 mars : Naissance à Paris d’Alix Marie Gisèle de Lestrange, troisième fille d’Odette Pastré et Edmond comte (plus tard marquis) de Lestrange.

1929

Décembre : Char adhère au mouvement surréaliste ; puis, dans ce contexte, publie dans des revues ; participe à des manifestations et signe des tracts.

1932

25 octobre : Mariage à Paris de René Char avec Georgette Goldstein, née dans une famille juive française ; il lui dédie Le Marteau sans maître (1934). Char ne divorcera d’elle qu’après la guerre (le 9 juillet 1949), une fois tous les risques et dangers de persécution passés.

1933

2 décembre : Le lendemain de l’anniversaire de la naissance de sa mère (1895), bar mitzvah de Paul Antschel.

1934

9 février : À Paris, Char participe à la manifestation à la gare de l’Est en riposte aux émeutes fascistes du 6 février.

1938

Automne : Celan entame sa première année de médecine à Tours avec succès (il obtient son certificat de physique-chimie-biologie en juin 1939). La déclaration de guerre l’empêche de poursuivre des études en France. Le numerus clausus étant appliqué aux étudiants juifs en Roumanie, il est contraint d’abandonner ses études de médecine.

1939-1945

Après sa mobilisation dans l’artillerie lourde entre septembre 1939 et mai 1940, René Char noue, en 1941, des rapports avec des partisans de la résistance à l’occupant allemand. Sous le nom de capitaine Alexandre, il commandera le Service action parachutage de la zone Durance (Basses-Alpes) ; en juillet-août 1944, Char est officier de liaison à Alger, avant de retrouver son unité au service de laquelle il demeurera jusqu’à la Libération.

Il enregistre ses expériences de résistant, les armes à la main, dans ses notes du maquis, où se mêlent petits récits, aphorismes et méditations répondant à l’idéal rimbaldien selon lequel « vers et lyres rythment l’action » (lettre à Paul Demeny, 15 mai 1871). Publiées sous le titre Feuillets d’Hypnos, elles constituent incontestablement le sommet de son œuvre.

1942

Internement de Paul Antschel dans des camps de travail sous autorité roumaine jusqu’en 1944 ; il réchappe aux persécutions nazies. Déportation de ses parents. Son père meurt du typhus à l’automne 1942 et sa mère, assassinée d’une balle dans la nuque au camp de Mikhailovka, au cours de l’hiver de la même année (près de Gaissin, Ukraine).

1943

18 juillet : Son oncle maternel, Bruno Schrager, qui vit à Paris (33, rue de Linné, 5e) est déporté du camp de Drancy à Auschwitz (convoi no 57), où il périt.

1946

30 septembre : Parution chez Gallimard de l’élogieux essai de Georges Mounin : Avez-vous lu Char ? L’enseignant, linguiste, militant communiste, avait fait la connaissance de Char durant les années de Résistance.

1947

Celan quitte Bucarest, où il vit depuis avril 1945, pour Vienne, avec l’idée de s’installer à Paris. Grâce à des passeurs, il réussit à franchir la frontière roumano-hongroise. À Budapest, il fait la connaissance d’Isac Chiva. Il n’emporte avec lui que ses poèmes dactylographiés et une lettre de recommandation de son mentor Alfred Margul-Sperber destinée à Otto Basil, dans laquelle son recueil Der Sand aus den Urnen [Le Sable des urnes] est présenté comme étant « […] le livre de poésie le plus important de ces dernières décennies, le seul équivalent lyrique de l’œuvre de Kafka… ». (Le volume de poèmes est alors encore inédit ; PC/GCL II, p. 479 ; voir infra, 1949, 6 novembre.)

1948

13 juillet : Arrivée de Paul Celan à Paris, après un séjour à Bucarest (1945-1947) et un passage par Vienne (janvier-juin 1948). Depuis son séjour à Bucarest, il porte le nom qu’il s’est choisi : il résulte de l’inversion des deux syllabes de son patronyme dans sa graphie roumaine (ANCEL). Ce nom est pour lui plus que son nom d’écrivain, il est son nouveau nom, le nom de son recommencement qui garde le souvenir de celui de ses pères ; le nom « bouleversé » qu’il souhaite transmettre à sa famille.

Septembre : Publication à compte d’auteur à Vienne de Der Sand aus den Urnen, chez A. Sexl (le volume de poèmes est financé par souscription). Celan, qui vit à Paris depuis quelques semaines, ne peut pas en corriger lui-même les épreuves. Le livre sera pilonné peu de temps après sa publication à cause du trop grand nombre de fautes de frappe altérant gravement l’intelligibilité du texte.

Automne : Celan loue une chambre au mois à l’hôtel d’Orléans (31, rue des Écoles ; il y habitera jusqu’en juillet 1953). Il assiste à quelques réunions du groupe surréaliste et continue à montrer l’intérêt qu’il avait dans sa jeunesse pour Breton et Éluard.

1949

Fin octobre - début novembre : Celan fait la rencontre fortuite d’Yvan Goll, chez Yves Bonnefoy, à l’hôtel Notre-Dame, quai Saint-Michel.

6 novembre : Première visite à Yvan Goll, alors atteint de leucémie ; il fait à cette occasion la connaissance de Claire Goll. Il dédicace à Goll un exemplaire corrigé de sa main de Der Sand aus den Urnen. Les poèmes de Celan influencent fortement l’écriture, en langue allemande, des derniers poèmes de Goll.

Novembre-février 1950 : Visites à Yvan Goll, à son domicile, puis à l’hôpital américain de Neuilly-sur-Seine. À la demande d’Y. Goll, il traduit en allemand des poèmes français de ce dernier, tirés des recueils Élégie d’Ihpétonga suivie de Masques de Cendre et de Les Géorgiques parisiennes.

1950

27 février : Comme Claire Goll, Celan est au chevet d’Yvan Goll le jour de la mort de ce dernier à l’hôpital américain de Neuilly.

2 mars : Celan assiste à l’enterrement d’Yvan Goll au cimetière du Père-Lachaise. Peu après, subvenant à ses besoins grâce à de petits travaux et des traductions, il accepte une commande de Claire Goll : il s’agit de traduire trois recueils de poèmes d’Yvan Goll : Élégie d’Ihpétonga, Les Géorgiques parisiennes et Chansons malaises. Il rencontre régulièrement Claire Goll pour ce travail jusqu’à fin 1951.

Juillet : Celan obtient sa licence d’allemand (son titre universitaire le plus élevé ; il a déjà fait des études de lettres à Cernăuți et, semble-t-il, à Bucarest).

1951

Début novembre : Lors d’une soirée à Saint-Germain-des-Prés avec ses compagnons Isac Chiva, Serge Moscovici et Guy Flandre, Celan fait la connaissance de Gisèle de Lestrange.

25 décembre : Claire Goll apporte au directeur du Pflug Verlag (Saint-Gall, Suisse), la traduction des Chansons malaises d’Yvan Goll qu’elle a commandée à Paul Celan. Quelques jours plus tard, à l’instigation de Claire Goll, Franz Vetter la refuse, sous prétexte qu’elle porterait la marque trop prégnante du traducteur.

1952

Parution de la première traduction en allemand d’une œuvre de Char : Das bräutliche Antlitz [Le visage nuptial], traduction de Johannes Hübner et Lothar Klünner, Francfort/M., Meta Verlag, K. O. Götz.

Janvier : Parution de la première traduction en français de la « Todesfuge », « Fugue de la mort », par Alain Bosquet, dans la revue belge Le Journal des poètes.

Conflit avec Claire Goll à cause du rejet de la traduction des Chansons malaises par le Pflug Verlag.

Celan refuse désormais tout contact avec Claire Goll qui vient de décider de faire publier sa propre traduction des poèmes de son mari. Il lui reprend l’exemplaire de Der Sand aus den Urnen offert à Yvan Goll et en détruit, sans doute immédiatement, la page portant la dédicace (voir supra, 1949, 6 novembre).

Mai : Première lecture publique et premier séjour en Allemagne dans le cadre d’une rencontre du Groupe 47, à Niendorf, petite station balnéaire sur la Baltique, non loin de Lübeck, où il retrouve Ingeborg Bachmann avec qui il entretient une liaison amoureuse depuis mai 1948.

Suivant son conseil, il y lit le poème qui lui assurera sa célébrité mondiale : « Todesfuge » (« Fugue de mort », PM, p. 83-89). Dans une lettre à Ingeborg Bachmann, il présentera plus tard ce poème comme l’unique tombeau de sa mère (IB/PC, p. 160).

21 novembre : La veille des obsèques de Paul Éluard (mort le 17 novembre), il écrit, à Paris, « In memoriam Paul Éluard ». Ce poème rappelle que l’auteur de « Liberté » avait refusé de signer, malgré la demande expresse d’André Breton, la lettre ouverte pour le recours en grâce de l’historien et théoricien tchèque Záviš Kalandra qui, après avoir survécu aux camps nazis, avait été condamné à mort pour trotskisme en 1950. Le poème est aussi écrit à la mémoire de Kalandra.

23 décembre : Mariage de Celan avec Gisèle de Lestrange, artiste peintre, née dans une famille catholique aisée de la vieille aristocratie française. Puis voyage de noce en Provence (Avignon, Saint-Rémy, Les Baux-de-Provence, Vallauris).

Fin décembre : Parution du premier volume de poèmes de Paul Celan en Allemagne : Mohn und Gedächtnis (PM), à la Deutsche Verlags-Anstalt, Stuttgart.

1953

3 janvier : Roger Munier jette les ponts pour une rencontre en écrivant à Char : « À ce propos [Il vient d’être question de Der Feldweg (Le Chemin de campagne, 1949) de Martin Heidegger], accepteriez-vous que j’écrive de vous à Heidegger ? Il me semble que s’il vous connaissait, il reconnaîtrait en vous un des ces “penseurs essentiels” dont les intuitions rejoignent les siennes. Heidegger allie toujours “die Denkenden und die Dichtenden”, les “penseurs et les poètes” dans une même estime. Je pense qu’il serait heureux et honoré de recevoir vos livres. » (ARRC.)

Février-mars et juillet-août : Celan lit la première partie de Sein und Zeit (Être et Temps, 1927), puis Holzwege (Chemins qui ne mènent nulle part, 1950) de Heidegger. L’approche critique des œuvres de Heidegger durant les années 1950 stimulera sa création poétique et nourrira ses réflexions théoriques sur la poésie. Celan lira toute sa vie, de façon intermittente, le penseur allemand (voir Bph, p. 338-418).

5 mars : Mort de Staline. Celan, qui apprend la nouvelle en achetant un journal boulevard Saint-Michel, déclare à ses amis Colette et Guy Flandre : « C’est le plus beau jour de ma vie ! » (Conversation avec Colette Parpais du 4 juin 2014.)

Juillet : Installation des Celan dans deux pièces de l’hôtel particulier du 5, rue de Lota (16e), propriété de la famille Lestrange.

Août : Claire Goll lance une campagne de diffamation en adressant une lettre circulaire anonyme à des écrivains, éditeurs, rédacteurs en chef et producteurs d’émissions radiophoniques, dans laquelle elle accuse Celan d’avoir plagié Yvan Goll.

7 octobre : Naissance du fils des Celan, François ; l’enfant meurt le lendemain des suites de l’emploi de forceps. Pendant la période d’hospitalisation de sa femme, Celan entame une liaison avec une jeune étudiante autrichienne installée à Paris, Brigitta Eisenreich, dont il a fait la connaissance quelques mois auparavant. Leur relation se prolongera jusqu’en 1962 (voir L’Étoile).

1954

Gisèle Celan-Lestrange commence à étudier la gravure à l’atelier Friedlaender, à Paris. Elle y pratiquera cet art jusqu’en 1957. Les relations avec Johnny Friedlaender et certaines personnes fréquentant l’atelier se révéleront très vite pénibles.

Mars-avril : Parution d’À la santé du serpent ; édition de tête avec une lithographie en couleur de Joan Miró et des dessins d’ornement.

7 avril : Parution de la deuxième édition de Mohn und Gedächtnis (PM).

2 mai : De Zurich, l’éditrice et traductrice allemande Flora Klee-Pályi écrit à Char : « J’ai imploré les directeurs de Merkur de donner vos poèmes en texte avec traductions. Ils m’ont dit que probablement ils feront cela avec vos poèmes, quoiqu’ils ne le fassent plus maintenant avec d’autres auteurs. Cela réduira l’importance du texte, mais je crois qu’il vaut mieux avoir moins de poèmes mais bilingues ! J’ai promis à ces messieurs que tous les traducteurs feront l’impossible pour donner des traductions qui seront mieux que celles parues dans la Neue Rundschau. Ces messieurs, quoique aimables, m’ont avoué qu’ils ont grande peine à “comprendre” vos poèmes et ils demandaient si vous consentiez qu’ils fassent faire une petite introduction par le poète autrichien Paul Célan [sic] qui vit à Paris et qui est devenu presque célèbre (en Allemagne) ces derniers temps. (Je ne le connais pas personnellement, il me semble qu’il a du talent et qu’il est souple, mais il est surréaliste.) En tous les cas, j’ai dit au Merkur que rien ne pourrait être fait sans votre consentement. — » (ARRC.)

10 juillet : De Wuppertal, Flora Klee-Pályi envoie à Char les lignes suivantes : « Paul Célan n’a pas écrit l’introduction (je ne sais pas pourquoi), et ils n’ont pas le courage de publier vos poèmes sans une préface. Il faut savoir qu’un groupe d’industriels pourvoit au [il faut lire : pallie le] déficit de cette revue, d’un numéro à l’autre, et que par conséquent cette pauvre revue est tout à fait dépendante de ces industriels qui voient du danger dans tout esprit nouveau ! (Ceci entre nous.) » (ARRC.)

26 juillet : Dans l’après-midi, première rencontre de Paul Celan et René Char au nouveau domicile parisien de ce dernier, rue de Chanaleilles (7e ; auparavant, Char habitait à l’hôtel de Lutèce, rue Jules Chapelain, 6e).

19 septembre - 30 octobre : Séjour de Paul et Gisèle Celan à La Ciotat (Bouches-du-Rhône), à la fondation Rustique Olivette, accueillant écrivains et artistes, créée par l’écrivain, mécène et militant trotskiste, Daniel Guérin. Celan y écrit plusieurs poèmes du futur recueil Von Schwelle zu Schwelle (DS, p. 59, 77, 83, 97, 107) : « Auch heute Abend [Ce soir aussi] » (première version datée du 19 octobre 1954, notée à la fin de son exemplaire de l’essai de Karl Löwith, Heidegger Denker in dürftiger Zeit, 1953), « Die Halde [La Halde] », « Andenken [Souvenir] », « Schibboleth » et « Im Meer gereift [Mûrie dans la mer] » (intitulé en définitive « Mit zeitroten Lippen [Les lèvres rouge temps] »). Il envoie une mise au net dactylographiée de ces deux derniers poèmes à Isac Chiva, accompagnée d’une lettre datée du 3 octobre 1954, contenant des commentaires à leur sujet : « Deux poèmes “couleur-du-temps” si l’on peut dire, “zeitrot [rouge temps]” plutôt, et que j’ai longtemps mâchés pour les rendre assez amers. J’aimerais beaucoup savoir ce que tu en penses, surtout ce que tu penses de celui que j’ai appelé “Schibboleth” (c’est un mot d’origine hébraïque qui se trouve dans l’Ancien Testament, en allemand cela veut dire à peu près “Erkennungszeichen [signe de reconnaissance]”, et où j’ai mis, tu le vois, le souvenir de l’insurrection ouvrière de Vienne et celui de Madrid révolutionnaire. Assez curieusement, la Licorne a voulu se faire conduire chez les chèvres de l’Estramadura : réminiscence, renouvelée ici, d’un flamenco que nous avons écouté chez toi. » (PC/GCL II, p. 498.)

20 septembre : Jean-Pierre Wilhelm écrit à Char : « J’ai eu par Schwerin des échos de la visite de Paul Celan chez vous. Il s’interroge beaucoup sur le sens de son travail. Nous en parlerons encore. » (ARRC.)

Automne ? : Parution de l’anthologie bilingue de poèmes de Char : Irdische Girlande, édition de Flora Klee-Pályi, traduit en allemand par Marie Philippe [i.e. Flora Klee-Pályi] et Jean-Pierre Wilhelm, à Wiesbaden, au Limes Verlag.

18 novembre : Celan se décide à envoyer à Char sa traduction d’« À la santé du serpent » faite en août 1954 (sur la base de l’édition qui venait de paraître chez GLM).

26 novembre : À 16 heures, rencontre rue de Chanaleilles.

28 novembre : De Paris, Celan écrit, en français, à Jean-Pierre Wilhelm : « Je me réjouis de faire votre connaissance — j’espérais vous rencontrer depuis le jour où Rudolf Wittkopf me dit que vous viviez à Paris — et je suis doublement heureux de voir notre rencontre se réaliser si près de René Char. » (NJPW.)

8 décembre : Alfred Andersch écrit en français à René Char : « ayant reçu votre manuscrit À LA SANTÉ DU SERPENT par monsieur Celan, qui l’a traduit d’une manière admirable, je vous prie de bien vouloir me permettre de publier cette traduction dans le 1er numéro du périodique “Texte und Zeichen” dont je suis l’éditeur. / […] / Je serais honoré par votre permission de pouvoir présenter au public allemand une telle épreuve extraordinaire de la prose lyrique française. » (Double carbone de la lettre envoyée à RC ; D 90.1.1092.)

9 décembre : À 13 heures, rencontre en compagnie du traducteur Hanns Winter (agenda de GCL ; SGCL).

9 et 15 décembre : Rencontre chez Gisèle et Paul Celan, rue de Lota (16e ; la seconde date est attestée par l’agenda de GCL ; SGCL). C’est sans doute à l’occasion d’un de ces dîners que Gisèle Celan-Lestrange offre pour la première fois à René Char une gravure ; celle-ci, réalisée en 1954, intitulée par Celan « À l’horizon — Am Horizont », porte la dédicace « Pour René Char » (ARRC ; voir COGCL, p. 85). Plus tard, Char fera l’acquisition de plusieurs gravures.

13 décembre : De Paris, Celan écrit en français à Jean-Pierre Wilhelm : « voici donc les deux poèmes : il faut espérer qu’il y a dans l’“Argumentum” [le second poème reste non identifié ; il s’agit très vraisemblablement d’un des poèmes envoyés à RC : voir supra, p. 78, no 29] aussi quelque chose qui mérite cette pérégrination que vous vous proposez de l’aider à faire ! » (NJPW.)

1955

Parution à Heidelberg de Auf das Wohl der Schlange (À la santé du serpent), traduction de Jean-Pierre Wilhelm, Profile Verlag.

15 janvier : Parution dans le premier numéro de la revue littéraire allemande Texte und Zeichen de la traduction par Paul Celan d’« À la santé du serpent » de René Char (« Der Schlange zum Wohl ») ; au sommaire de ce numéro figurent aussi cinq poèmes de Celan, dont celui qui est dédié à Char : « Argumentum e silentio » (DS, p. 110-113).

28 janvier : Parution de Recherche de la base et du sommet suivi de Pauvreté et privilège chez Gallimard.

Février : Gisèle Celan-Lestrange participe à l’exposition de groupe de l’atelier Friedlaender à la galerie La Hune, à Saint-Germain-des-Prés.

3 février : Après une lecture publique en Souabe, Celan visite les archives Hölderlin à Bebenhausen, près de Tübingen, en compagnie du poète Johannes Poethen.

13 février : À 21 heures, rencontre rue de Chanaleilles.

Après le 23 février : Esquisse de lettre à Denise Naville, traductrice de la Correspondance complète de Hölderlin (Gallimard, 1948) : « Chère Madame, / Je me rappelle très bien le jour où, peu de temps après mon arrivée à Paris, j’ai vu dans la devanture de la librairie Corti j votre traduction de Hölderlin. Sans doute était-il présomptueux de ma part qu’un jour la part de qn qui n’avait reçu presque aucune confirmation extérieure de ses rêves d’être poète, de penser qu’il pourr qu’un jour il pourrait peut-être montrer ses propres poèmes à la traductrice de Hölderlin. / Il y a trois ans, à Hambourg, Hans Erich Nossack, dont je venais de faire la connaissance, me demanda si je vous connaissais. J’ai dû dire non, tristement. Et voici que, grâce à René Char (à qui je dois tant de choses !) j’ai pu vous envoyer mon recueil [Mohn und Gedächtnis, 1952 ; PM], voici que vous m’écrivez… [La première lettre de D. Naville à PC est datée du 23 février 1955 ; D 90 .1. 2013] / Puis-je, maintenant que je maintenant vous remercier aussi de vive voix ? Et me permettez-vous de vous montrer de nouveaux poèmes ? / Croyez, Madame à toute ma gratitude / P. C. » (Le membre de phrase « n’avait reçu… poète » est commenté en marge par PC de trois traits verticaux ondulés accompagnés d’un point d’exclamation ; D 90.1.3241.)

24 février : Sur recommandation de Char, Celan fait la connaissance d’André du Bouchet.

Mars ? : Le poète belge Fernand Verhesen fait parvenir à Celan le no 1 de la revue éditée à Bruxelles Courrier du Centre international d’études poétiques avec la dédicace : « Pour Monsieur Paul Celan, / avec le regret de ne pas / le rencontrer, / et la très vive estime de / F. Verhesen / (de la part de René Char). » Dans l’article « Réflexions sur la Vocation de la Poésie » par René Ménard (p. 5-13), Celan a relevé plusieurs passages, dont un, par deux traits verticaux dans la marge accompagnés d’un point d’exclamation : « ! || Restaurer les hiérarchies, reconnaître les lois de la gravitation humaine (en nous-mêmes et entre les autres hommes), respecter des distances justement mesurées, telles sont les premières injonctions de la Poésie, respiration qui veut un monde respirable. » (p. 10 ; BK I ; collection particulière.)

7 mars : De Paris, Paul Celan écrit, en français, à Jean-Pierre Wilhelm : « J’ai été — Schroers vous l’aura peut-être appris entre temps — l’objet de manifestations antisémites [de la part des critiques H. E. Holthusen et C. Hohoff : voir supra, p. 93, no 35, n. 3], d’autant plus difficiles à supporter que mes amis me conseillaient, à leur propos, de “ne pas les prendre au sérieux” (!) / […] / J’ai vu René Char à deux reprises : il m’a semblé profondément triste, assailli de tous côtés par une réalité qui n’est pas à sa mesure. C’est une grande chance pour moi de pouvoir penser à lui, de savoir qu’il existe parmi nous. » (NJPW.)

19 mars : À 18 h 15, rencontre.

26 mars : De Locarno-Solduno (Suisse), Flora Klee-Pályi écrit à Char : « Voici les quelques comptes rendus parus en Allemagne et en Autriche […]. […] J’ai lu la traduction de Paul Célan [sic] dans une revue allemande, elle me semble fort belle. N’ayant pas le poème en texte je ne peux pas la comparer avec l’original mais je suppose qu’elle est fidèle. » (ARRC.)

6 juin : Naissance à Paris de Claude François Éric Antschel dit Celan.

Mi-juin : Parution à la Deutsche Verlags-Anstalt, Stuttgart, de Von Schwelle zu Schwelle [De seuil en seuil], avec la dédicace imprimée : « Für [Pour] Gisèle » ; y figure le poème dédié à René Char : « Argumentum e silentio. »

Juillet : Emménagement des Celan dans l’ancien appartement de la mère de Gisèle Odette de Lestrange, au 29 bis, rue de Montevideo (16e), où habite déjà une de ses sœurs aînées, Marie-Thérèse.

Après le 6 juillet ? : C’est sans doute après la réception du poème de Char « Mèches, au dire du regard » (voir supra, p. 75, no 27) que Celan écrit ce petit mot à l’intention de son épouse : « Moulte-Mèche, / […] / Et vous ? Ne vous en faites pas si cet imbécile de F[riedlander] a encore montré qui il est. / Un jour, nous ne verrons que des êtres comme Char. / Et moi je serai toujours là pour vous aimer. » (PC/GCL I, p. 63.)

8 juillet : Décret de naturalisation de Paul Antschel ; publié dans le Journal officiel du 17 juillet 1955.

Août : René Char fait la connaissance de Martin Heidegger chez Jean Beaufret à Ménilmontant.

23 septembre : Gisèle Celan écrit à Klaus et Nani Demus, proches amis de Celan et d’Ingeborg Bachmann : « Il n’a pas que des amis en Allemagne, oh, non ! / […] Et puis à Vienne il y aurait les amis, les seuls que nous ayons cela manque à Paris, nous voyons beaucoup de gens qui passent, mais des amis nous n’en avons pas. Seul René Char est pour Paul un ami, mais un ami que l’on voit si rarement et qui est tellement grand. » (PC/KND, p. 187.)

Septembre : Char annote l’article d’Alain Bosquet « René Char ou le verbe est une éthique » ; en marge du paragraphe qu’il relève d’un trait vertical « Et la lucidité tourmentée le reprend : doit-il être poète ou moraliste ? Il est important qu’il se pose la question. Comme E. M. Cioran et Henri Michaux, René Char réussit, dans dix ou quinze de ses affirmations (le temps en éliminera de nombreuses douzaines), à saisir une vérité dont on se surprend à ne vouloir analyser aucun élément, tant elle semble former une synthèse de la poésie et de la prose, vertu suprême de l’aphorisme ; […] », Char écrit lapidairement : « con » ; puis à la hauteur de « […] comme toujours, René Char évite les pièges que lui tend un René Char trop impatient, et c’est pour chanter la douleur, la plus solide des assises : Le devoir d’un Prince est, durant la trêve des saisons, […] » : « tata » ; et enfin, à côté du nom de l’auteur, chacune des deux gloses est relevée d’un trait vertical : « petite morve » (p. 123 et 126 ; les trois annotations sont au crayon noir ; voir infra, p. 300, novembre 1966).

Octobre : Vente de la propriété familiale de Char Les Névons.

16 décembre : Denise Naville écrit à Char : « Vous savez que je trouve parfaites les traductions de Jean-Pierre Wilhelm : quelle joie ! et quel plaisir aussi le si joli recueil de P. Celan [Von Schwelle zu Schwelle, 1955, DS]. Comment le remercier ? Assez envie d’en traduire l’un ou l’autre, du moins d’essayer. Cela répond beaucoup à certains des vôtres. Laissons mijoter. » (ARRC.)

1956

Janvier-juin : En compagnie de son épouse, Celan séjourne à Genève où il exerce les fonctions de traducteur au Bureau international du travail.

27 janvier : De Düsseldorf, Jean-Pierre Wilhelm écrit à Char : « Je vous remercie d’avoir eu la grande gentillesse de recommander mes traductions de Celan à Jean Paulhan de qui j’ai reçu un mot à ce sujet. Je lui ai répondu immédiatement qu’il y a quelques mois déjà, à la demande de René Ménard, j’avais confié ces poèmes aux Cahiers du Sud, mais que naturellement je serais très heureux de les donner à la NRF si jamais Balard ne se décidait pas à les publier. […] En ce moment-même je reçois une lettre de Balard me disant qu’il se fait une joie de publier les poèmes assez rapidement. » (ARRC.)

Mars : La Deutsche Verlags-Anstalt (Stuttgart) transmet à Celan, à son adresse à Genève, une lettre anonyme dactylographiée (émanant en fait de Claire Goll), adressée également, semble-t-il, à l’éditeur lui-même et à deux personnalités du monde littéraire allemand, le présentant comme un « Meisterplagiator [maître plagiaire] » (voir infra, 6 mai, et GA, p. 198 sq.).

Avril : Quatre poèmes de Paul Celan, extraits de Von Schwelle zu Schwelle (DS), traduits par Jean-Pierre Wilhelm paraissent dans les Cahiers du Sud (Marseille, no 334, p. 401-407). Dans la notice qui les accompagne, Wilhelm écrit : « Avec Paul Celan une nouvelle poésie était née. Il s’exprime dans une langue sobre, mais frissonnante, d’une richesse infinie par son poids d’associations touchant aux racines mêmes du langage. En outre il a trouvé un ton qui n’appartient qu’à lui, d’une si fascinante intensité que personne ne saurait s’y soustraire. Une des pièces les plus importantes du recueil, pièce désormais classique, entrée dans de nombreuses anthologies, c’est la “Todesfuge” (Fugue de la mort) qui évoque un sujet “intouchable” dépassant toute littérature et toute poésie, plaie à jamais ouverte, crime au-delà du crime : l’incinération des juifs dans les camps de la mort. […] La « Todesfuge » a eu en Allemagne un grand retentissement et a fait davantage pour la prise de conscience, pour l’assainissement du terrain spirituel que tout autre écrit ou “geste” d’après-guerre. / Le deuxième recueil, Von Schwelle zu Schwelle (De Seuil en seuil), paru en 1955, a révélé de nouveaux résultats d’une évolution étonnante et ne cesse d’atteindre outre-Rhin, un auditoire de plus en plus vaste et fervent » (p. 402).

28 avril - 2 mai : Lors de la rencontre franco-allemande organisée à Vézelay (Yonne), Celan est le témoin, dans le cadre d’une conversation privée, d’une déclaration d’antisémitisme vulgaire : « Je ne peux pas sentir les Juifs. » (PC/GCL II, p. 502 et 503.)

6 mai : Un dénommé N. Bluerse (derrière ce nom il faut sans doute de nouveau lire celui de Claire Goll) adresse aux Cahiers du Sud une lettre ciblée au sujet de la toute récente publication de quatre poèmes de Celan présentés et traduits par Jean-Pierre Wilhelm : « Je viens de lire dans le dernier numéro des CAHIERS DU SUD l’article sur Paul Celan et j’étais très étonné que son auteur a [sic] oublié (probablement sur la demande de Mr. Celan) de dire que ce dernier s’est fortement “inspiré” des recueils de poésies allemandes d’Yvan Goll “Traumkraut” (Limes Verlag, Wiesbaden) et “Abendgesang” (Wolfgang Rothe Verlag, Heidelberg). / Ce fait est parfaitement connu dans les milieux littéraires allemands. Les allusions à ce sujet, qu’on trouve dans les articles de presse et dans les livres traitant de la poésie actuelle, abondent, et au dernier Congrès des Écrivains Allemands à Berlin, en janvier 56, Georg Maurer a dit, au cours d’une discussion sur la poésie contemporaine : “Je n’ai qu’à citer le cas du maître-plagiaire Paul Celan, qui répète médiocrement dans ses vers ce qu’Ivan Goll a formulé avec maîtrise”. / La meilleure revue littéraire française, les CAHIERS DU SUD, devrait se renseigner à fond sur la valeur d’un poète, avant de publier son éloge. » (GA, p. 199 sq.)

Après le 26 mai : Alain Bosquet publie dans Combat, sous la rubrique « Lu… vu » une note de lecture sur le volume Yvan Goll publié par Seghers dans la collection « Poètes d’aujourd’hui » (no 50 ; y sont regroupés des articles de Jules Romains, Marcel Brion, Francis Carmody et Richard Exner) : « Il est peu d’œuvres récentes qui méritent, autant que celle, dispersée en plaquettes introuvables, d’Yvan Goll, d’être revues, non point qu’il faille le classer d’emblée parmi les premiers poètes de son temps. Ce travail, fait avec sérieux, lui aurait rendu une place très honorable. Quatre exégètes et critiques se sont réunis pour chanter sa gloire : il en résulte une hagiographie d’un ton déplaisant et d’une exagération constante. Les bons sentiments minent cet essai collectif, et lui donnent un aspect d’hommage qui, en fin de compte, nuit aux poèmes choisis. […] Quelle que soit la valeur intrinsèque de son œuvre, il demeure un témoin poétique auquel on aura recours dans l’avenir. » (Le compte rendu, non daté, est conservé dans le NPC.)

14 juillet : Jean-Pierre Wilhelm écrit de Düsseldorf à Jean Ballard, directeur des Cahiers du Sud :

« il y a quelque temps, Madame Ballard a bien voulu m’envoyer, à ma demande, une lettre d’un certain Monsieur Bluerse […]. […] / Pour comprendre la lettre que vous avez reçue il faut savoir certains faits. Dès son arrivée à Paris, Celan s’est lié avec Ivan Goll qu’il vénérait (sans aimer outre mesure sa poésie) comme un des derniers survivants expressionnistes, un des auteurs qui ont fait partie du fameux recueil “Menschheitsdämmerung [Crépuscule de l’humanité, éd. Kurt Pinthus, Berlin, Rowohlt, 1920]” ; après la mort de Goll, madame Claire Goll, pour des raisons personnelles et peu avouables [PC aurait refusé de céder aux avances insistantes de celle-ci], s’est mise à poursuivre Celan d’une haine implacable et qui n’a jamais désarmé. Dans son aveuglement elle a monté une cabale inouïe et s’est laissée aller à employer un moyen peut-être unique dans les annales de la littérature, je veux dire qu’elle a fabriqué une circulaire calomnieuse à l’égard de Celan ; […]. […] Bien sûr, elle n’a pas atteint son but ; Celan s’est imposé au public dans un succès de bon aloi, sans bruit publicitaire ; il est entré dans toutes les anthologies récentes. Mais vous connaissez l’adage : semper aliquid haeret. Certains critiques malveillants, mal guéris peut-être d’un racisme latent, ou mal disposés contre “le poète qui fuit sa patrie”, qui n’habite pas le pays de sa langue, n’étaient que trop contents qu’on leur fournisse des armes. […] / Celan, d’une sensibilité très vulnérable, ne saurait se défendre contre toutes ces attaques haineuses. Il ne sait qu’en souffrir. Je vous transcris la traduction d’une poésie dont il n’a pas voulu la publication (en France) à cause de son caractère “politique” [PC se sent tenu à une certaine réserve, car il n’a la nationalité française que depuis peu et se sait surveillé comme tous les anciens apatrides et étrangers.]. Elle lui a été inspirée par une notice biographique sur lui dans une anthologie d’Allemagne occidentale qui a voulu lui attribuer une attitude à la Kravtchenko. / [Suit le poème « Shibboleth » : voir supra, p. 78, no 29 ; le vers « on me traîne sur la place publique » y est souligné.] » (copie ; NJPW et NPC.)

20 juillet : René Ménard écrit de Paris à Jean-Pierre Wilhelm : « Jean Ballard m’a communiqué votre lettre au sujet de Celan. J’étais au courant des choses à la suite d’une rencontre fortuite avec Claire Goll, laquelle a eu lieu précisément au moment où se préparait la publication de vos traductions dans les “Cahiers du Sud” / Je n’ai attaché aucune importance à cette conversation, d’autant plus que l’œuvre d’Ivan Goll ne m’a jamais beaucoup séduit, et que le ton de sa veuve ne me semblait pas “juste”. J’ai flairé là des odeurs misérables et ce que vous écrivez confirme cette impression. / Ballard et moi sommes d’accord pour classer cet incident dont nous vous avons seulement informé par souci d’amitié loyale […]. / Amitiés à Celan, si vous avez l’opportunité de lui en faire part. » (NJPW.)

24 juillet : Wilhelm commente ce dernier incident ce jour-là à Celan, dans une lettre écrite en français : « Je ne pense pas que cette veuve abusive puisse vous faire beaucoup de mal. Elle est “brûlée” partout, détestée. […] Il faudrait les brûler [« les veuves […] du même genre »] comme aux Indes. Des sages, ces gens-là ! » (D 90.1. 2550.)

26 juillet : Celan écrit une lettre-fleuve à Alfred Andersch dans laquelle il retrace les événements de ce qui est en train de devenir l’affaire Goll.

Août : Celan prend connaissance des allusions calomnieuses à son égard publiées chez Seghers dans la partie de la monographie consacrée à Yvan Goll signée par un jeune universitaire enseignant aux États-Unis, Richard Exner, parue la même année dans la collection « Poètes d’aujourd’hui » (voir supra, après le 26 mai : « Déjà, la nouvelle génération lyrique est sensible à sa richesse et à sa nouveauté [celles d’Yvan Goll] et un des jeunes poètes — peut-être le plus discuté actuellement — porte visiblement la marque de l’influence de Goll, notamment la marque intemporelle de son œuvre de maturité, dont le style est relativement facile à imiter, au moins superficiellement. » (P. 79 ; ces perfidies avaient été en fait introduites dans le texte par la traductrice du volume, Claire Goll, sans l’accord de l’auteur ; voir respectivement PC/GCL II, p. 286 et GA, p. 213-215.)

23 octobre : Début de l’insurrection de Budapest qui sera réprimée dans le sang avec l’aide des troupes soviétiques le 10 novembre.

29 octobre : Guerre de Suez ; la nationalisation du canal de Suez par l’Égypte empêche le trafic, en particulier des bateaux israéliens, entre la Méditerranée et la mer Rouge.

10 décembre : De Wuppertal, Flora Klee-Pályi écrit à Char : « Cher Monsieur, / Je m’excuse d’avoir tardé si longtemps avec ces informations. Tout ce temps je suis occupée et préoccupée de mon pays natal la Hongrie. […] / La veille de mon départ de Paris, j’ai vu Paul Celan, pour qui nous avons le respect et la sympathie qu’il mérite. Il m’a conseillé de trouver un éditeur qui sera heureux de faire une belle édition bilingue d’une grande part de votre poésie, pareille à l’édition parue en Amérique. Il faudrait reprendre tout ce qui est déjà paru en Allemagne, avec une ou plusieurs traductions de chaque texte. Il faudrait travailler avec les anciens traducteurs, qui ont donné preuve de leur bonne volonté, mais il faudrait aussi trouver encore d’autres traducteurs intéressants. Si on donne des traductions littérales, peut-être pourrait-on se servir, parallèlement aussi des traductions un peu plus libres ? En tous les cas, les traducteurs devraient renoncer à ce qui est le grand ennemi de tout travail sérieux : à leur vanité ; ils devraient s’entraider. / Ce projet me paraît très bon […]. » (ARRC.)

1957

La sœur aînée de Char, Julia, montre les premiers signes de démence.

Juillet-août : Dans « Situation présente de René Char » publié dans Les Temps modernes (p. 272-288), Georges Mounin se propose de « faire le point » sur la poésie de Char à l’occasion du cinquantième anniversaire de la naissance du poète. Des passages tels que « J’admets aussi [Mounin vient d’attaquer Saint-John Perse] qu’on pourrait écrire un couplet sévère de réserves sur la poésie de R. Char » (p. 288) ou « Plus récemment, c’est Alain Bosquet qui descend dans l’arène [Il s’agit bien sûr d’un autre article que celui mentionné supra !]. Il croit constater “qu’il se produit depuis quelques années une certaine stagnation chez le poète” » (p. 283) provoquèrent la vive colère de Char.

Début août : Gisèle Celan écrit de Rochefort-en-Yvelines à Klaus et Nani Demus au sujet de son mari qui est « tout seul à Paris » : « Je sais qu’il lit beaucoup et qu’il reprend et réfléchit sur ses “i” (idées qu’il note au fur et à mesure pour les travailler et les faire évoluer dans la suite). / Il a aussi pas mal de traductions : le petit livre de Bazaine sur l’art abstrait, les deux pièces de Maïakovski et aussi des poèmes de René Char et… de la prose de Valéry, ce dont je suis particulièrement contente. » (PC/KND, p. 237.)

9 août : De Londres, Jean-Pierre Wilhelm écrit à Char : « Comme vous le savez, S. Fischer a signé le contrat avec Gallimard. J’en suis très heureux. Avant mon départ je me suis mis en rapport avec Hübner-Klünner d’une part, avec Celan de l’autre. Aux deux premiers j’ai demandé de m’envoyer tous leurs manuscrits et je leur ai promis la place qui leur revient. / À Celan j’ai accordé “Feuillets d’Hypnos”. Il y tenait beaucoup. À mon retour, vers la fin du mois, dès que je verrai plus clair, je vous écrirai pour vous soumettre tous les détails du projet. » (ARRC.)

11 août : De Paris, Celan écrit à Jean-Pierre Wilhelm : « Je veux donc bien traduire “À une sérénité crispée” et “Feuillets d’Hypnos”. De grandes parties de “Sérénité” sont déjà traduites, ici ou là il y a encore plusieurs points non éclaircis, je vais sans doute devoir demander à Char quelques clartés supplémentaires. Est-ce que cela vous convient si je vous envoie le manuscrit vers Noël ? Hypnos partira ensuite en voyage chez vous sans doute accompagné de salutations de Pâques. » (NJPW ; trad.)

11-13 octobre : À l’occasion d’un congrès littéraire à Wuppertal, Celan retrouve Ingeborg Bachmann et renoue avec elle une relation amoureuse.

24 octobre : Parution de Poèmes et prose choisis de René Char, Paris, Gallimard.

18-19 novembre : Emménagement des Celan au 78, rue de Longchamp (16e).

Fin novembre - décembre : Le Fer et le Blé, montage de poèmes de Char suivi de Claire (texte intégral) spectacle donné dans la petite salle du cabaret Agnès Capri, rue Molière, à Paris.

9 et 11 décembre : À Francfort/M., Celan discute avec des représentants du Fischer Verlag et de la revue Die Neue Rundschau, en particulier du projet de traduction en allemand d’œuvres de René Char.

1958

8 janvier : À 20 heures, rencontre (Nk 6, D 90.1.3256a).

26 janvier : Paul Celan, lauréat du prix de littérature de la Ville de Brême, y prononce un discours, dans lequel il aborde son rapport à la langue allemande (M&p, p. 55-58).

Fin janvier - mai : Controverse avec Étiemble au sujet de Rimbaud déclenchée par un propos de Char dans la préface de son édition de Rimbaud publiée par le Club français du livre en janvier 1957. Étiemble, en riposte, attaque Char au sujet de l’établissement du texte d’un des poèmes de Rimbaud.

Avril : Celan achève sa traduction en allemand d’« À une sérénité crispée » : « Einer harschen Heiterkeit ».

2 avril : À 17 h 30, rencontre (Nk 6).

Mai-juin : Fin de la liaison de Celan avec Ingeborg Bachmann ; celle-ci vient de tomber amoureuse de Max Frisch.

Septembre : Exposition de gravures de Gisèle Celan-Lestrange à la Galerie d’art graphique (Graphisches Kabinett) de Brême.

29 octobre : Vers 17 h 30, rencontre (Nk 6).

31 octobre : Celan envoie à Jean-Pierre Wilhelm sa traduction des Feuillets d’Hypnos avec une lettre d’accompagnement dans laquelle il revient sur son expérience de traducteur : « Il était difficile de traduire ce texte, car les ellipses y sont innombrables ; il est en fait une unique ellipse. L’allemand est en pareil cas, vous le savez bien, plus lent ; le signifiant reste plus longtemps accroché au signifié (et combien de choses en même temps ne sont pas signifiées, là où quelque chose est “signifié” !) ; la syntaxe obéit à d’autres lois ; en outre, chez Char, il y a des suites de mots qui semblent animés de leur volonté propre ; bon, je ne vais pas plaider plus longtemps pour ma (si problématique) cause. S’il vous plaît, lisez ce que j’ai traduit de façon attentive et comparez-le avec l’original — je vous serais reconnaissant de me dire où et pourquoi ici ou là une correction serait nécessaire. Je me suis efforcé d’être littéral, j’ai essayé de rendre le sens — dites-moi ce que je dois en penser. Ma traduction se fonde sur la première édition (Gallimard, coll. “Espoir”). Une édition ultérieure (Fureur et Mystère) est augmentée de deux notes, que je n’ai pas encore traduites. En outre, il importe à Char que soient ajoutées quelques notes de bas de page qui ne figurent pas dans les éditions ; cela devrait être fait dans les prochains jours. La note no 215 est restée non traduite : je n’ai pu, au moins jusqu’à maintenant, la répéter en allemand. » (Cité d’après le double carbone de l’original ; D 90.1.2951 ; trad.)

21 novembre : Celan apprend qu’à Bonn, lors de sa lecture publique du 17 novembre, on s’est moqué de son « pathos », de sa manière de lire, tout particulièrement ces vers de la fin de « Engführung [Strette] » : « […] les // chœurs, autrefois, les / psaumes. Ho, ho- / sanna. // Ainsi / il y a encore des temples. Une / étoile / a sans doute encore de la lumière. / Rien, / rien n’est perdu. // Ho- / sanna. » (GP, p. 103.) Un auditeur aurait fait circuler après la lecture une caricature antisémite : un esclave courbé sous le poids de ses chaînes, écumant et se révoltant contre elles, avec la légende suivante : « Hosiannah dem Sohne Davids! [Hosiannah au fils de David !] »

Fin novembre : Achèvement de la traduction en allemand des Feuillets d’Hypnos, « Hypnos. Aufzeichnungen aus dem Maquis ».

4 décembre : « Chez René Char. Sur la situation politique en France : ça donne envie de partir. (Récemment au téléphone : “[en français dans le texte : Ce pays qui s’effile comme une étoffe mitée]”.) Beaucoup de vanité, assez peu dissimulée, peut-être la vanité de celui qui se sent pressé de tout côté. Il prend pour cible quelques personnes qui ne le méritent sans doute pas. Mention d’une visite de Saint-John Perse, de la vanité, là aussi. Malgré toute sa “solitude”, il est quand même pas mal “dans le coup”, au sens très littéraire du terme. // Des traductions de ses poèmes par le Tchèque Franz Wurm. Je connais une traduction de lui : celle-ci me déçoit. Conversation très inconfortable à ce sujet, Char ne sachant pas un mot d’allemand. // Plus tard Greta Rau [avec qui RC a alors une liaison], une jeune Zurichoise, qui a écrit un petit livre sur lui [René Char ou La Poésie accrue, Paris, José Corti, 1957, 151 p.]. (Je me souviens de l’avoir feuilleté. Impression d’insignifiance.) Confirmation de cette impression. Peu de sensibilité. Bonne étudiante en littérature “avec de bonnes connaissances linguistiques”. Surprise (et pas non plus) : elle a vu Ingeborg, il y a deux jours au café Odéon, avec Max Frisch. Joie des Zurichois à l’idée que le plus grand prosateur allemand épouse la plus grande poétesse allemande. (Frisch va demander le divorce.) Rassérénant. Char s’intéresse beaucoup aux détails. » (PTb 1 ; trad.)

5 décembre : À 17 h 30, rencontre (Nk 6).

13 décembre : « Conversation téléphonique avec René Char à propos de la “mention” de lui dans la gazette de Zurich. Lui ai dit qu’à cette occasion aurait dû aussi être mentionné le volume à paraître chez Fischer. Il était sans nouvelles de Fischer et de Wilhelm et ne pouvait donc pas demander qu’il y soit fait mention. Beaucoup de paroles, beaucoup de vanité. — Quand j’y pense rétrospectivement : une vanité grandissante, un discours toujours plus indigent qui se répète. Confirmation de ma première impression — plus tard remise en question eu égard à l’homme — : poésie douteuse. / ___ / Le grand Thomas Wolfe — » (PTb 1 ; trad.)

1959

27 janvier : À 17 h 45, rencontre — sans doute la seule de l’année (enregistrée dans Nk 7, D 90.1.3257a). René Char et Paul Celan n’échangent pas le moindre signe écrit durant toute l’année.

Janvier ou février : Première rencontre de Celan avec Henri Michaux (Celan publiera en qualité d’éditeur et de traducteur le premier volume de choix de ses œuvres chez S. Fischer en septembre 1965).

2 mars : Ingeborg Bachmann écrit de Zurich à Celan : « Je t’écrirai plus tard à propos de la traduction de Char, je ne l’ai pas encore entièrement lue, on n’y arrive d’ailleurs pratiquement que par petits bouts. » (IB/PC, p. 136.)

12 mars : Celan écrit à Ingeborg Bachmann : « Je n’ai pas grand-chose à raconter. J’essuie tous les jours quelques bassesses, elles me sont copieusement servies, à chaque coin de rue. Le dernier “ami” à m’avoir (moi, ainsi que Gisèle) gratifié de sa fausseté s’appelle René Char. Pourquoi n’en serait-il pas ainsi ? Il est vrai que je l’ai traduit (hélas !), et son merci, dont j’avais déjà pu bénéficier auparavant, mais à plus petites doses, ne pouvait pas se faire attendre. / Le mensonge et l’ignominie, presque partout. / Nous sommes seuls et désemparés. » (IB/PC, p. 136 sq.) Ce qui motive les propos violents de Celan demeure inconnu.

15 mars : Klaus Demus écrit de Vienne à Celan : « Tu as très bien fait la traduction, celle de Char (mais lui n’est pas bien). » (PC/KND, p. 268 ; trad.)

17 mars : Jean-Pierre Wilhelm écrit à Char au sujet du volume Char à paraître en Allemagne chez S. Fischer : « Les traductions de Celan et de Hübner-Klünner sont excellentes. J’ai remis à Celan la liste de mes critiques peu importantes. […] / J’ai trouvé bonne la traduction de Franz Wurm, Zurich, que vous m’avez envoyée. » (ARRC.)

Avant le 19 mars : Parution de Sprachgitter [Grille de parole], à Francfort/M., chez S. Fischer.

Printemps : Parution des traductions des Feuillets d’Hypnos (« Hypnos. Aufzeichnungen aus dem Maquis ») et de « À une sérénité crispée » (« Einer harschen Heiterkeit ») de René Char, dans Poésies / Dichtungen, édité par Jean-Pierre Wilhelm avec la collaboration de Christoph Schwerin, Francfort/M., S. Fischer Verlag ; le volume regroupe des traductions de Paul Celan, Johannes Hübner, Lothar Klünner et Jean-Pierre Wilhelm.

Automne : Celan est recruté en qualité de lecteur d’allemand par l’École normale supérieure de la rue d’Ulm (Paris 5e) ; il y exercera cette fonction jusqu’à sa mort.

Octobre : Pendant la Foire du Livre de Francfort/M., Jean-Pierre Wilhelm est victime d’un infarctus du myocarde.

11 octobre : Parution dans le Tagesspiegel de Berlin d’une recension par Günter Blöcker de Sprachgitter confinant, selon Celan, à l’antisémitisme. Dans cet article intitulé « Gedichte als graphische Gebilde [Les poèmes comme figures graphiques] », on lit, entre autres, que Celan, « à cause de son origine » et de sa situation, use « avec une plus grande liberté de la langue allemande que la plupart de ses confrères poètes », ce qui l’amène souvent « à agir dans le vide ». Des poèmes comme la « Todesfuge [Fugue de mort] » et « Engführung [Strette] », où est inscrit le Génocide, sont évoqués par G. Blöcker comme des « exercices contrapuntiques sur du papier à musique ». (PC/GCL II, p. 133 sq.)

22 octobre : À la Bibliothèque nationale, Celan dépouille des numéros de la revue de Goebbels Das Reich, des années 1940 à 1944, à la recherche de noms d’écrivains présents sur la scène littéraire allemande de l’après-guerre.

23 octobre : De Francfort/M., au nom des Éditions S. Fischer, Christoph Schwerin envoie à Char les deux premiers exemplaires de Poésies / Dichtungen (tiré à 4 000 ex.).

Novembre : Parution du choix de poèmes d’Ossip Mandelstam traduits par Paul Celan, Gedichte, à Francfort/M., chez S. Fischer.

1960

4 janvier : Mort d’Albert Camus dans un accident de voiture sur une route de l’Yonne. Deux jours plus tard, Celan propose à ses élèves de l’ENS de traduire en allemand « un texte de Camus (“La mer au plus près”) », « préparé à la dernière minute » (extrait de L’Été, Paris, Gallimard, 1954 ; voir PC/GCL I, p. 112) ; ce même jour, il écrit à Char, dont il connaît les sentiments à l’égard de Camus, une lettre impérieuse et exigeante qu’il renonce à lui envoyer (voir supra, p. 129, no 64).

3 mai : Celan prend connaissance de la lettre ouverte à caractère diffamatoire, intitulée « Unbekanntes über Paul Celan [Du nouveau au sujet de Paul Celan] », publiée par Claire Goll dans une petite revue munichoise, Baubudenpoet (5e cahier). On y lit, entre autres, cette phrase qui affecte Celan au plus haut point, car elle touche à son identité, à sa vocation poétique : « Sa triste légende, qu’il savait évoquer de façon si tragique, nous avait bouleversés : ses parents tués par les nazis ; lui, apatride, un grand poète incompris, comme il le répétait sans cesse… » (PC/GCL II, p. 136 ; trad.) Ces calomnies seront rapidement propagées par des articles dans des journaux de grande diffusion : l’affaire Goll entre alors dans sa phase la plus violente. Pour assurer l’efficacité de ses accusations de plagiat, Claire Goll se livrait à des manipulations des poèmes posthumes de son mari Yvan Goll en y introduisant, avant de les publier, des formulations en provenance de poèmes de Celan.

10-14 mai : Voyage de Celan en Allemagne (Cologne, Bonn, Francfort/M.) pour rencontrer, dans la perspective d’une riposte aux attaques de Claire Goll, Otto Pöggeler, Rudolf Hirsch, directeur littéraire des Éditions S. Fischer, Th. W. Adorno et Klaus Demus, venu pour cette raison de Vienne. Le 12, Celan s’entretient avec l’avocat des Éditions S. Fischer.

Septembre : Char fait l’acquisition d’une maison à L’Isle-sur-Sorgue qu’il appelle : Les Busclats.

Début de l’amitié entre Char et Dominique Fourcade.

22 octobre : Lauréat du prix Georg Büchner, Paul Celan prononce à Darmstadt un discours intitulé Der Meridian, dans lequel, à travers une méditation sur l’œuvre de Büchner, il livre l’essentiel de sa pensée sur la poésie, sur sa poésie. Comme le révèlent de nombreuses esquisses et notes, ce discours peut aussi être lu comme une riposte aux accusations de plagiat lancées par Claire Goll (voir GA, p. 470-487) et une « Auseinandersetzung », une discussion polémique avec le discours de Martin Heidegger sur la poésie et l’Être. La version définitive du Méridien garde des traces quasi explicites des intentions de Celan : « Mais le poème parle ! De la date qui est la sienne, il préserve mémoire, mais — il parle. Il parle, certes, toujours, de la circonstance unique qui, proprement, le concerne. » (Traduction d’A. du Bouchet, Le Méridien, s. 1., Fata Morgana, 1994, p. 24 ; voir aussi M&p, p. 74.)

28 octobre : Celan enregistre dans son journal de correspondance l’envoi d’une lettre manuscrite à René Char, qui n’a pas été retrouvée (Tb 4, D 90.1.3291).

19 novembre : Celan écrit à Wieland Schmied au sujet des accusations lancées par Claire Goll : « Toute cette “question” n’est pas une question d’ordre littéraire. La psychologie a un mot pour qualifier cela : la projection. / Il y a en effet quelqu’un qui a été volé — qui a été volé à plusieurs reprises —, ce quelqu’un, c’est moi. / J’ai aidé ces gens : je récolte à présent leur remerciement. / […] / Des gangsters sont à l’œuvre ; on fait des citations fausses, on falsifie les dates de parution — tout cela est d’ailleurs facile à démontrer. » (GA, p. 515-517 ; trad.)

Vers le 20 novembre : Parution de la « Entgegnung » de Klaus Demus, « riposte » aux accusations de Claire Goll, dans la revue Die Neue Rundschau (3e cahier de l’année). Marie Luise Kaschnitz et Ingeborg Bachmann sont également signataires de ce texte écrit avec l’aide de Celan (PN, p. 207-210).

Décembre : Parution dans la revue Der Monat (no 147) d’un récit d’un dénommé R.C. Phelan, intitulé « Gibt es mich überhaupt ? Eine Erzählung [Est-ce que j’existe seulement ?] ». Y est évoquée la réussite d’un fermier texan qui, parti de rien, devient un écrivain célèbre. Il s’agit en fait d’un imposteur, dont les écrits sont l’œuvre d’une « machine à écrire automatique » (« automatische Schreibmaschine »), capable de produire des textes littéraires de tout genre et du plus haut niveau : personne (« Niemand ») n’est donc à l’origine de l’œuvre ni du succès de l’auteur ; ou plutôt, c’est une imposture qui est « créatrice ». Pour finir, le récit lui-même s’avère être une production de l’automate électronique. Celan voit dans cette fable le renversement de sa propre poétique, une provocation dans le sillage de l’affaire Goll, et interprète le nom de son auteur comme une allusion perfide au sien propre. Deux mois plus tard, son impression sera renforcée par la parution d’une lettre de Franz Koebner dans le courrier des lecteurs de la revue Der Monat (février 1961, no 149), qui débute par ces mots : « Monsieur Phelan, / Ne m’en veuillez pas. Je sais que vous n’êtes pas un plagiaire. Il arrive cependant qu’on ait, sans le savoir, son “précurseur”. » Peter Szondi, après des démarches auprès de la rédaction de la revue, informera Celan de l’existence bien réelle de R.C. Phelan, un scientifique new-yorkais, signant de son vrai nom (voir GA, p. 457-459 ; trad.).

13 décembre : À 17 h 30, rencontre, rue de Chanaleilles. En début d’après-midi Celan s’était entretenu avec Ingeborg Bachmann au sujet de l’Affaire. (Nk 9, D 90.1.3259a.)

1961

Celan et Char n’échangent que des vœux cette année-là.

21 janvier : Gisèle Celan note dans le journal qu’elle tient alors pour son mari : « Aucun courrier ! / Téléphone de Chiva propose de joindre M. Leiris, qui sait l’allemand et pourrait peut-être (avec René Char ?) faire quelque chose = prévenir l’arrivée de cette histoire en France et donner une leçon à l’Allemagne — / [Dieter] Roser [maire SPD de Eßlingen, où PC a fait plusieurs lectures publiques] à dîner, ne savait grand-chose. Paul le met au courant, il le croit, semble comprendre. Lorsqu’il a écrit à Hirsch pour signer la « Entgegnung [Riposte] » Hirsch ne lui répond même pas — / Très impressionné, respecte Paul (espoir ?!). Roser dit à Paul : “C’est une vraie affaire Dreyfus” en petit : vrai. »

23 février : Gisèle Celan note dans le même journal : « Lettre de Paul à [Virgil] Ierunca [poète roumain]. (Solidarité de Paul — aussi envers Char. Klaus D[emus]) ! pour la vérité. »

1er mars : Elle poursuit : « Téléphone [de] Paul à René Char : Un signe — ira le voir pour lui parler de la chose, lui demander nettement s’il sait quelque chose. Sans beaucoup d’espoir. R. Char ne comprendra sans doute pas, “bagatellisera” et ne croira pas Paul entièrement. » (Nk 10 = Tb, D 90.1.32.60a.)

4 mars : À 17 h 45, rencontre rue de Chanaleilles. (Nk 11, D 90.1.3261a.) Dans le journal qu’elle tient alors pour son mari, Gisèle Celan-Lestrange note : « Téléphone à Hirsch : vient le 15 à Paris — / [Clemens] Heselhaus [universitaire, critique littéraire] a publié quelque chose. “C’est seulement dans Sprachgitter que Paul s’est libéré de l’influence de Goll” ! / Le Méridien paraît normalement dans le commerce. /C[laire] G[oll] invitée à Francfort/M. le 23 mars pour une présentation d’une pièce de Y[van] G[oll] Hirsch prêt à envoyer des témoins de Paul — prêt aussi à ne pas lui serrer la main — / Paul voit René Char — On ne peut pas compter sur lui. Sa proposition de traduire Paul d’après un mot à mot ! Jolie réponse à une infamie — jolie réponse venant d’un poète — / Lorsqu’il apprend que [Georges] Schlocker [germaniste, traducteur, l’année suivante, éditeur d’Yvan Goll] a attaqué les traductions de Char, il propose qu’on fasse savoir que Schlocker avait le poste de Paul à l’E.N. avant lui et n’a pas été ravi qu’on l’ait renvoyé !!!!… » (Nk 10.)

30 mai : Rencontre de Celan avec Michel Leiris, par l’intermédiaire et en présence d’Isac Chiva, au sujet de la possibilité de publier une riposte aux accusations de Claire Goll signée par des écrivains français (Nk 10).

10-13 juin : Celan accueille son ami le romancier allemand Rolf Schroers, rue de Longchamp, pour lui montrer des documents relatifs à l’affaire Goll dans la perspective de la rédaction de nouvelles « ripostes » (Nk 10).

Automne : Graves difficultés d’ordre psychologique liées à l’Affaire : Celan envisage de consulter un psychiatre.

3 novembre : Les termes dans lesquels s’exprime Gisèle Celan sont par moments des citations sans guillemets de propos tenus par son mari : « Aujourd’hui téléphone raté (non abouti) à Zurich [sans doute à Ingeborg Bachmann]. C’est le lendemain de la première de la pièce de Frisch [Andorra], le jour où Hirsch, avant d’aller à Berlin est allé à Zurich. / Long téléphone à Böll qui depuis deux jours est à Cologne (retour de Rome), entre autres, Paul lui dit l’histoire du “Zusammenbruch” que Hirsch lui avait proposé de diffuser (Schroers, Vorwärts [c’est dans ce journal, organe de la SPD, et sous la plume du romancier qu’avait apparu relativement à PC le terme de “dépression nerveuse”], ainsi que la suggestion de [Otto] Pöggeler [philosophe, spécialiste de Hegel, fait la connaissance de PC en 1957] à propos du poète censé devenir “wahn-sinnig [sic : voir supra, p. 146, no 72, n. 4]”. — Böll acquiesçant lorsque Paul lui dit que l’on ne peut pas pervertir la personne en “Figur”. / Peu après arrive “Der Partisan” de Schroers [Der Partisan. Ein Beitrag zur politischen Anthropologie, Köln, Kiepenheuer & Witsch, 1961] : expression parfaite du nazisme rouge à notre époque, farci de citations juives et autres bien ajustées. Le Reich épaulé par la Pologne antirusse dont rêvent et que réalisent déjà les pédérastes germaniques coalisés. / Téléphone à René Char pour lui signaler brièvement la citation malhonnête de certains passages des “Feuillets d’Hypnos” dans le livre de Schroers. / “Der Partisan” calqué sur “Der Arbeiter [Le Travailleur, 1931]” de Ernst Jünger. / La provocation dans le texte (citation malhonnête du Méridien). Dans l’envoi (cynisme, emballage Luchterhand — Nossack, c’est la “tolerante Abwehr des Jüdischen [défense tolérante contre ce qui est juif]”) etc., etc. » (Nk 10.)

1962

Janvier : Celan écrit deux lettres qu’il n’enverra pas, l’une à l’attention de Marthe Robert, l’autre à celle de Jean-Paul Sartre ; la façon dont il leur présente l’affaire Goll montre à la fois un évident désarroi, une lucidité certaine, mais aussi le trouble profond qui l’habite : « une vraie affaire Dreyfus — sui generis bien entendu, mais bien caractérisée. C’est un vrai miroir de l’Allemagne, les voies — “nouvelles” — que sait prendre le nazisme — en collusion patente, dans ce cas, avec une certaine “gauche” à tendance national-bolchéviste, et aussi, comme souvent en pareil cas, avec un nombre considérable de “juifs” — y apparaissent clairement. » (Est citée ici la lettre à Sartre ; PC/GCL II, p. 534 sq.)

5 janvier : Il note dans son journal dicté à son épouse : « Dans “Die Zeit” de cette semaine, grand article de Enzensberger sur William Carlos Williams. (C’est un des traducteurs de Goll, un des traducteurs de Char aussi.) / Noter un jour tous les détails sur Enzensberger qui, très visiblement, jouit de l’appui d’un grand nombre de personnes ayant aidé Claire Goll. »

13 janvier : « Schlocker est mon prédécesseur comme Lecteur à l’École Normale, il a défait dans “Die Tat”, mes traductions de Char ; c’est un ami de Claire Goll, […] » (Tb 7, D 90.1.3294.)

31 janvier : Gisèle Celan enregistre dans le journal de correspondance l’arrivée de La Parole en archipel (portant l’achevé d’imprimer du 20 janvier) de René Char avec carton joint : « Hommage de l’auteur absent de Paris ». (Nk 14, D 90.1.3264a ; ce titre, qui ne figure plus parmi ceux de la bibliothèque de PC, n’est pas mentionné dans BK.)

4 février : « À la maison, autre exemplaire de La Parole en Archipel avec, daté de L’Isle-sur-Sorgue, un envoi de Char. » (Tb 7 ; cet exemplaire a lui aussi disparu : on ne connaît donc pas le texte de la dédicace qu’il contient.) Est mentionnée tout de suite après l’arrivée de deux livres de Heidegger Le Principe de raison (traduction d’André Préau, préface de J. Beaufret, Gallimard, 1962) et Chemins qui ne mènent nulle part (édité par François Fédier, traduction de Wolfgang Brokmeier, avec dédicace de ce dernier, Gallimard, 1962 ; voir Bph, p. 370 et 338.) Le lendemain, dans un agenda, GCL note de nouveau au sujet de La Parole en archipel : « Envoi de René Char avec dédicace de son livre. » (Nk 14.)

17 mars : Alain Bosquet publie dans Le Monde sous la rubrique « Le Courrier » un article incendiaire intitulé « “Parole en archipel” de René Char ou l’émiettement d’un poète » : « Il faut du courage pour dire à René Char que depuis dix ans, il fait fausse route, que ses poèmes se présentent comme de petites miettes insignifiantes […]. » Bosquet achève son papier avec ces mots qui auraient plutôt leur place sur le bulletin d’un élève dissipé : « Nous lui demandons de se ressaisir. »

Avril : RC réagit de façon violente et efficace à l’affront de celui qui se prétendait son fidèle admirateur en publiant en avril de la même année chez GLM sous le titre Dédicaces « les envois laudateurs qu’il avait reçus de Bosquet depuis 1946 […] face à quelques phrases extraites de l’article ». (BNFRC, p. 163 ; voir aussi Greilsamer, p. 328 et 349 sq.)

2 avril : Début de l’installation dans la maison de campagne que les Celan viennent d’acquérir à Moisville (Eure), à une centaine de kilomètres de Paris. Cette propriété sera appelée durant quelque temps : « Les Trois Bouleaux. »

9 juin : René Char répond à une lettre de Claire Goll qui n’a pas été retrouvée : « Chère Madame / Je vous remercie de votre pensée. N’ayez pas de chagrin : on lira encore Yvan et Claire Goll quand le nom du poéticien en questionx ne sera plus pour les lecteurs de poésie qu’une trace d’encre sur une quittance de loyer jaunie. / Bien à vous / René Char / [Note de la main de Claire Goll (crayon) :] « x Alain Bosquet ». (Fonds Goll, bibliothèque municipale de Saint-Dié et DLA, lettre datée du « 9 Juin 62 » adressée à « Madame Claire Goll / 47 rue Vaneau / Paris 7e » ; c. p. du 10.6.1962, 18 h 30, Paris, gare de Montparnasse ; la lettre est mentionnée dans GA, p. 576.)

13 septembre : Parution de la « Fugue de mort » (« Todesfuge ») et d’« In memoriam Paul Éluard », traduits par Lionel Richard, dans Les Lettres françaises, revue dirigée par Louis Aragon, avec des poèmes de Hans Magnus Enzensberger, Franz Fühmann, Stephan Hermlin, Peter Huchel, Karl Krolow, Georg Maurer et Nelly Sachs (no 943).

27 octobre : Ch. Schwerin annonce à Char son départ des Éditions S. Fischer (Francfort/M.), ainsi que celui de R. Hirsch, directeur.

7 novembre : De nouveau en proie à de graves difficultés psychologiques liées à l’affaire Goll, Celan écrit, dans un geste de conjuration et de résistance, le tercet : « Es muß Wahrheit geschehen / und / Liebe. [Il faut que la vérité advienne / et / l’amour.] » (PC/GCL II, p. 540.)

19-30 décembre : Vacances de neige en famille à Valloire (près de Saint-Michel-de-Maurienne, Savoie). Premières crises de délire. Celan agresse un passant et l’accuse d’être, « lui aussi, dans le jeu », c’est-à-dire complice de Claire Goll. Retour anticipé à Paris. Dans le train, il arrache du cou de son épouse son foulard de couleur jaune, qui lui évoque l’étoile jaune.

31 décembre : Premier internement dans une clinique psychiatrique privée d’Épinay-sur-Seine (Seine ; aujourd’hui Seine-Saint-Denis). Celan est dans un grave état d’agitation qui fait craindre des réactions violentes. C’est vraisemblablement à cette occasion qu’on lui passe la camisole de force. Dans une lettre à son ami d’enfance Gustav Chomed, il écrit au sujet de ces expériences : « Trois semaines dans une clinique psychiatrique — non sans essuyer quelques plaisanteries assez moyenâgeuses — » (Lettre du 20 avril 1965, PC/GCH, p. 42.) — Ayant rapidement retrouvé ses esprits, Celan lit, entre autres Marcel Granet et Margarete Susman, prend des notes, certaines relatives à Die Niemandsrose (RP) et d’autres de nature autobiographique.

1963

17 janvier : Celan est libéré de la clinique psychiatrique.

29 janvier : Poursuite des entretiens psychothérapiques commencés dans le cadre hospitalier avec le docteur Jean-Marc Peyrouzet. (Ces séances de psychothérapie auront lieu, à un rythme plus ou moins régulier, jusqu’en 1965.)

1er avril : De Milan, le poète et écrivain italien Vittorio Sereni écrit à Char : « Mon cher ami, / J’espère avoir enfin trouvé pour votre ami Celan le traducteur italien qu’il lui faut [il s’agit sans doute de Moshe Unkelbach-Kahn]. L’homme (Celan) est bien difficile, mais l’on va voir. » (ARRC.)

17 avril : À 18 heures, rencontre (Nk 16, D 90.1.3266.)

9 ou 10 mai : De Zurich, Franz Wurm écrit à Char : « Embarricadé derrière un tas de meubles empilés les uns sur les autres, enfoui parmi un tas d’objets dont je ne savais trop d’où ils avaient surgi, j’étais en train de chercher mon courage dans le café lorsque je fus surpris par un coup de téléphone de Paul Celan qui m’apportait vos salutations et qui, par conséquent, n’aurait pu être meilleur venu. Nous prîmes rendez-vous pour l’après-midi, et je suis heureux de l’avoir enfin rencontré. Comme ses poèmes, sa personne m’a donné l’impression d’une rare intégrité, d’un esprit nourri, soutenu par une très grande sensibilité qui ne craint pas de se faire mal (mais qui, peut-être, ne supporte pas qu’autrui lui en inflige et qu’il faut donc ménager) — bref des qualités peu communes parmi MM. les poètes de langue allemande. (Il y a longtemps que j’ai remarqué que vous attirez l’intégrité — ou ceux qui voudraient l’avoir — comme un aimant.) Notez que je ne juge pas : je dis mon impression. Il m’a parlé du projet de Fischer pour un nouveau choix de poèmes à réunir, à traduire [il s’agit de Poésies / Dichtungen II, paru en 1968 ; le nom de Wurm figure parmi les traducteurs, mais pas celui de PC], et je lui ai dit que j’aurai le plus grand plaisir à y collaborer, pourvu qu’on ne me demande pas de traduire ce qui dépasse mes pouvoirs. » (ARRC.)

13 mai : À 17 heures, Celan se rend, place du Panthéon (5e), à la bibliothèque Jacques Doucet, pour visiter l’exposition « Georges Braque-René Char », qui donna lieu à la publication d’un catalogue établi par François Chapon et préfacé par Georges Blin (Nk 16).

16 mai : Au sujet de la parution possible d’un choix de poèmes de Char en Allemagne, dans une collection à grand tirage, Celan écrit au lecteur des Éditions S. Fischer, Klaus Wagenbach : « Entre-temps j’ai rendu visite à Char : il est tout à fait d’accord avec la parution d’un choix dans votre nouvelle collection, mais il trouve la date de publication (automne 63) trop prochaine. C’est au fond aussi mon opinion. […] Je pense que nous devrions réfléchir encore une fois à tout cela quand vous serez à Paris […]. » (Double carbone de l’original ; D 90.1. 2949 ; trad.)

28 mai : À 17 h 30, rencontre en compagnie de K. Wagenbach, rue de Chanaleilles (rendez-vous fixé par téléphone le 16 mai, de la main de GCL dans Nk 15, D 90.1.3265, et Nk 16).

6 juin : À 14 h 30, rencontre ; le lendemain, Celan précise qu’il a envoyé une lettre à J. Hübner dans laquelle il est question de Char (Nk 15 et 16 ; dicté à GCL).

12 juin : À 17 h 15, rencontre (Nk 16).

27 juin : À 17 h 30, rencontre (Nk 16).

Vers le 9 août : Celan corrige les épreuves du choix de poèmes de René Char à paraître chez S. Fischer.

31 août : Mort de Georges Braque.

Octobre : Gisèle Celan-Lestrange commence à réaliser les gravures devant accompagner le futur Atemkristall [Cristal de souffle], parallèlement à la rédaction des poèmes. Parfois les gravures précèdent les poèmes en « ouvrant » à Celan « les chemins de la Poésie » (PC/GCL I, p. 254). Le travail sera achevé le mois suivant.

7 octobre : À 17 h 30, rencontre (Nk 18, D 90.1.3268).

Vers le 20 octobre : Parution de Die Niemandsrose [La Rose de personne], à Francfort/M., chez S. Fischer ; le volume est dédié à la mémoire d’Ossip Mandelstam (« Dem Andenken Ossip Mandelstamms »), en qui Celan reconnaît un frère : comme lui, il est d’origine judéo-polonaise, comme lui, victime de la terreur antisémite (dans le cas d’O. Mandelstam, stalinienne), comme lui, injustement accusé de plagiat (voir La Quatrième Prose de Mandelstam, 1929-1931).

25 novembre : À 17 h 30, rencontre (Nk 16).

27 novembre : À 17 h 30, rencontre en compagnie du poète et traducteur estonien Ilmar Laaban (1921-2000), qui vit et travaille en Suède depuis 1943 (Nk 18).

Fin novembre - début décembre : Parution du choix de poèmes de René Char, Hypnos und andere Dichtungen. Eine Auswahl des Autors, à Francfort/M., chez S. Fischer ; le volume édité par Paul Celan regroupant ses propres traductions et celles de ses collaborateurs Johannes Hübner, Jean-Pierre Wilhelm et Franz Wurm, revues par ses soins, qui avaient paru au printemps 1959.

1964

17 février : « Ai lu la traduction du Méridien par Denise Naville : inutilisable, fausse, ne serait-ce que du point de vue du ton — / Brève conversation téléphonique avec René Char. » (Nk 19, D 90.1.3269 ; trad.)

2 mars : Rencontre prévue à 18 heures annulée [Nk 21-22, D 90.1.3271-72].

23 novembre : Parution chez Gallimard de l’anthologie thématique de la poésie de Char avec une préface de Georges Blin : Commune présence.

21 décembre : Celan note dans son journal : « Lettre de Unseld — [directeur des Éditions] Suhrkamp (17.12), me propose de publier un choix de mes poèmes et un choix de poèmes de Char. » (Tb 10, D 90.1.3297 ; trad.)

22 décembre : Le rendez-vous avec Char prévu à 17 h 30 est annulé à la demande de Celan (Nk 21-22).

1965

19 février : Mort de Julia Char. Depuis 1957, Char s’occupait de sa sœur aînée atteinte de démence.

6 mai : Celan se souvient du cadeau que lui avait fait Char en lui offrant un galet (de la Sorgue ? du Luberon ?) portant un aphorisme autographe : « Der Stein von René Char : “Il n’y a pas de replis, seulement une patience millénaire sur laquelle nous sommes appuyés.” » (Tb 13, D 90.1.3300 ; voir Cahier iconographique, doc. 11.) Le geste de Char est difficile à dater. L’aphorisme a été publié avec d’autres sous le titre « Les Dentelles de Montmirail » en 1962 dans La Parole en archipel (OC, p. 413 ; voir infra, 23 avril 1966.).

31 mai : Celan dicte à son épouse : « Corrigé les traductions de Denise Naville, envoyées par Geneviève Serreau (Les Lettres Nouvelles) […] / De 16 à 18h chez Denise Naville : corrigé ses traductions. Elle accepte mes suggestions. Elle promet de m’envoyer des doubles. / […] Très désabusée quant à la politique, aux révolutions. Quand je lui dis qu’il y avait du nationalisme partout et que la Gauche allemande, elle aussi, est nationaliste, elle me répond : “Pourquoi ne le serait-elle pas, puisque tous les autres le sont ?” Je lui rappelle l’internationalisme, Trotski. Sa réponse : “Regardez où est Trotski.” / Elle m’apprend aussi que Char (qu’elle ne voit pas) a perdu sa sœur, morte après avoir été “internée”, et que c’était un coup dur pour Char. Me dit quelques gentillesses sur les poètes dans lesquels survit la Révolution. » (Tb 14, D 90.1.3301.)

Août : Char fait la rencontre d’Anne Reinbold.

23 septembre : Parution à Vaduz, chez Brunidor, d’Atemkristall [Cristal de souffle], cycle de vingt et un poèmes de Paul Celan avec huit gravures de Gisèle Celan-Lestrange.

21 octobre : « Times Literary Supplement : Éloge de Char, Foire du Livre à Francfort/M., avec des éloges de Wagenbach, Enzensberger, etc. » (Tb 16, D 90.1.3303 ; trad.)

26 octobre : De passage à L’Isle-sur-Sorgue, Celan écrit à son épouse : « Ma Chérie, / Avignon, notre ville nuptiale — je regarde mon alliance —, qu’y aurais-je pu faire sans vous ? Je vous le disais tout à l’heure : j’y reviendrai avec vous, avec notre amour retrouvé. / L’idée m’est venue d’aller voir René Char. Aussi pour sortir un peu des villes, en profitant des cars. Alors, dans la direction de la Fontaine de Vaucluse — te rappelles-tu : “… Und wir sangen die Warschowjanka. / Mit verschilften Lippen, Petrarca [Et nous chantions la Varsovienne. / Du jonc aux lèvres, Pétrarque]”, c’était, tournée vers la Sibérie des Exilés, vers la Poésie, Exil et Terre de la Fierté de l’Homme, vers cette “Judenlocke, wirst nicht grau [Boucle de juif, tu ne grisonneras pas]”, c’était, nous entourant, avec Éric, notre tenace raison d’être — cela l’est toujours —, alors point de Fontaine touristique, point de Poète-Terminus, point de Laure-l’Hostellerie. / Pris la Route de Saumane, trouvé la maison de Char — il n’y était pas. C’est bien ainsi. / J’ai fait quelques kilomètres à pied et j’ai revu ce paysage provençal que je ne sais point aimer sans vous. / J’attends un car. (Et, aussi, quelque chose au-delà du Car et du Parce que, me remettant d’aplomb.) / Vous voyez : je vous parle, encore et toujours. » (PC/GCL I, p. 317 et RP, p. 115 et 71.)

11 novembre : Celan note dans son journal : « Commémoration à l’École. / [Roger] Flacelière [helléniste, directeur de l’ENS de 1963 à 1971] absent, [Louis] Althusser aussi. / Me saluent l’intendant et le sous-intendant, puis [Roger] Martin, l’ancien bibliothécaire [logicien, bibliothécaire à l’ENS de 1950 à 1964]. / La cérémonie de la lecture des noms : comme les années précédentes, ce sont [Jean] Prigent et [Claude] Foussier qui lisent. / Chez José Corti [librairie, rue de Médicis] acheté : Char, L’Âge cassant / Fondane, L’Exode. (Corti était là par hasard.) » (PTb 7 ; trad.)

23 novembre : Celan rentre d’un séjour impromptu en Suisse (Bâle, Neuchâtel) ; la veille, à Genève, il a rencontré Jean Starobinski au sujet de son état de santé.

24 novembre : Retour à Paris. Lors d’une crise de délire, il tente de tuer son épouse avec un couteau : Gisèle Celan prend la fuite avec son fils pour se réfugier en pleine nuit chez leurs voisins et amis de la rue de Longchamp, Jacques et Jacqueline Lalande (née Lévy).

25-26 novembre : Visite éclair à sa tante, Berta Antschel, qui vit à Londres.

28 novembre : Internement à l’hôpital psychiatrique de Garches (Hauts-de-Seine).

Décembre : Publication à Paris, chez GLM, de Retour amont, avec quatre eaux-fortes d’Alberto Giacometti (non signées : l’artiste est alors mortellement malade).

5 décembre : Transfert dans une clinique psychiatrique privée de Suresnes.

1966

11 janvier : Mort d’Alberto Giacometti.

12 janvier : À 14 h 30, Gisèle Celan rencontre Char, rue de Chanaleilles (agenda 1966, SGCL).

14 janvier : À 14 h 30, rue de Chanaleilles, Gisèle Celan-Lestrange soumet un choix de ses gravures à Char, qui s’est proposé de lui apporter son soutien auprès de galeristes parisiens.

7 février : Celan est transféré de la clinique de Suresnes à l’hôpital psychiatrique Sainte-Anne, dans le service du Pr Jean Delay.

10 février : Gisèle Celan est autorisée à rendre visite à son mari à Sainte-Anne après neuf semaines de séparation.

4 mars : Gisèle Celan écrit à propos de « Redonnez-leur » (OC, p. 242) : « J’ai essayé hier à Moisville de lire quelques poèmes de René Char et, je ne peux le cacher, j’ai du mal. Je n’accroche pas tellement mais j’en ai trouvé un que je te transcris, tu me diras ce que tu en penses, je l’ai trouvé beau. » Celan n’a pas répondu à la question posée. (PC/GCL I, p. 384 sq.)

21 mars : Gisèle Celan écrit à son mari : « Paul, mon chéri, je n’ai vu Delay qu’assez peu de temps et il n’y a rien de bien nouveau à en dire. D’après ce que j’ai compris, la cure d’insuline n’est pas absolument décidée. Quant à ta sortie, ce dont bien sûr j’ai parlé, il ne pouvait non plus me donner de date. J’ai parlé avec lui de l’exposition et quoiqu’il trouve trop tôt de le décider aujourd’hui, cela sera peut-être possible et, je l’espère, que tu viennes au vernissage. / Il m’a dit et redit combien il était important que ton état s’améliore encore en profondeur et que dans la suite il te faudra bien sûr une aide médicale sérieuse. / Je n’ai pu lui parler très longtemps, tu peux imaginer comme moi combien il est sollicité, mais je l’ai trouvé sympathique et j’ai tout de suite vu qu’il s’intéressait particulièrement à toi et ferait tout pour t’aider et te sortir de ce mauvais pas. Il m’a redit combien René Char t’avait chaleureusement recommandé à lui. » (PC/GCL I, p. 394 sq.)

Avril : Début de la lutte de Char contre l’installation de fusées nucléaires dans le Vaucluse.

18 avril - 6 mai : Exposition d’Atemkristall de Paul Celan et Gisèle Celan-Lestrange, ainsi que de trente-neuf gravures de l’artiste au Goethe Institut de Paris. Malgré sa présence à Paris durant cette période, Char ne semble pas avoir pris part au vernissage de l’exposition ni même l’avoir visitée (voir PC/GCL I, p. 431 sqq.)

23 avril : Paul Celan écrit de mémoire à son épouse : « “Il n’y a pas de repli”, dit René Char, sur cette pierre qu’il nous a donnée, “mais une patience millénaire.” » (Voir supra, 6 mai 1965.)

11 mai : Parution de Retour amont, chez Gallimard.

3 juin : Celan, qui vient d’offrir le dernier livre de Char paru à son épouse, lui écrit : « J’espère que Retour amont, qui est aussi, selon le journal que vous m’avez apporté, un hommage à Giacometti, est un beau livre. » (PC/GCL, p. 475.)

Début septembre : À l’invitation de René Char, Martin Heidegger se rend au Thor, village près de L’Isle-sur-Sorgue. D’après Danièle Leclair, Char aurait joint à son invitation la copie de la traduction inédite de « Dernière Marche » qu’il avait reçue de Paul Celan vers le 22 juillet : « Letzte Stufe » (Retour amont ; l’essayiste confond ce poème avec « Dans la marche » ; voir Leclair, p. 458 et OC, p. 410 sq. et 438).

Novembre : Celan invite son épouse et son fils dans son bureau, rue de Longchamp, pour qu’ils écoutent sa lecture d’un texte de Saint-Pol Roux intitulé « Air de trombone à coulisse » (Paris, Mercure de France, [achevé d’imprimer : 17 octobre] 1966, p. 136) : « Les Trous-du-cul, ce sont maints critiques modernes. Ils ont deux fesses, disons faces, l’une de miel pour les faiseurs d’ignominie, l’autre de fiel pour les beaux gestes du génie. […] » (Conversation avec Éric Celan le 20 juin 2014 ; le livre porte la mention de la main de Celan sur la page de garde : « November 1966 (von André du Bouchet) » ; collection Éric Celan ; voir supra, septembre 1955.)

3 novembre : À 21 heures, Celan téléphone à Char (Nk 28-29, D 90.1.3278-79).

1967

25 janvier : La rencontre fortuite de Claire Goll au Goethe Institut suscite un profond trouble chez Celan.

30 janvier : Seconde tentative de meurtre de Celan sur sa femme (sans doute par strangulation), suivie d’une tentative de suicide : Celan s’enfonce un couteau dans la poitrine. Gisèle Celan le sauve in extremis. Celan est transporté au service chirurgical de l’hôpital Boucicaut (15e).

13 février - 17 octobre : Internement à l’hôpital psychiatrique Sainte-Anne, dans le service du Pr Jean Delay. Dans l’intervalle, Gisèle Celan a demandé la séparation à son mari.

Fin août : Publication à Francfort/M., chez Suhrkamp, d’Atemwende (RS).

Automne ou hiver 1967 ou 1968 : René Char en compagnie d’Anne Reinbold croise Claire Goll dans la rue à Paris. A. Reinbold se souvient : « Nous [avons] Char et moi rencontré un jour de 1967 ou 68 (c’était plutôt en saison froide) Claire Goll, rue Vaneau, et je ne me souviens pas que Char l’ait saluée. Par contre j’ai le souvenir d’un étonnement certain dans les yeux de cette femme âgée, lourdement maquillée, étonnement qui m’avait intriguée. Après que Char m’en eut parlé comme d’une amie de Rilke, l’entourant ainsi d’une aura à laquelle son apparence ne se prêtait guère et qui aviva ma curiosité, j’ai lu le récit que Claire Goll fit de cette relation, dans un ouvrage de caractère biographique, bien décevant à cet égard, dont je ne sais plus s’il faisait partie de la bibliothèque de Char ou si je l’avais alors acheté [La Poursuite du vent : voir infra, automne 1976]. » (Conversation téléphonique avec Anne Reinbold et courriels des 31 mai et 6 juin 2014.)

20 novembre : Celan emménage dans un studio meublé, au 24, rue Tournefort (5e), où il habitera jusqu’en novembre 1969.

21 novembre : Le soir, rencontre à la Rue d’Ulm. (Nk 31, D 90.1.3281.) Il s’agit de la dernière rencontre enregistrée par Celan. (Le nom de Char n’apparaît plus sous sa plume autobiographique — et sans doute aussi d’épistolier — après cette date.)

1968

Mai : Char subit une grave hémorragie cérébrale.

Septembre : Parution de Fadensonnen [Soleils de fil], à Francfort/M., chez Suhrkamp. Celan en envoie un exemplaire à celui qui depuis de nombreuses années était lié d’amitié avec René Char : « À Pierre Souvtchinsky, / sincère hommage de / Paul Celan. » (Collection particulière.)

Deuxième séminaire de Heidegger au Thor.

4 octobre : Parution de Dans la pluie giboyeuse, chez Gallimard.

15 novembre : Celan est victime d’une crise de délire : il agresse un voisin de palier, rue Tournefort, persuadé que ce dernier veut du mal à son fils. Intervention de la police et de l’assistante sociale de Sainte-Anne, Reine Arrieta, ainsi que du docteur Benoît Dalle, psychiatre. Transport à l’infirmerie psychiatrique près la préfecture de police, où il ne sort de son mutisme que pour répéter : « Je suis français », « J’ai été opéré d’un poumon » (PC/GCL II, p. 584).

1969

Mars ? : Celan envoie un exemplaire de la deuxième édition du choix de ses poèmes et de ses deux discours Ausgewählte Gedichte, Zwei Reden, qui avait paru l’année précédente à Francfort/M., chez Suhrkamp : « Für [Pour] Pierre Souvtchinsky, / in Verehrung [avec admiration]/ Paul Celan. » (Collection particulière.)

Septembre : Dernier séminaire de Heidegger au Thor.

1970

19-20 avril : Suicide de Paul Celan.

1er mai : La dépouille de Celan est retrouvée dans un filtre de la Seine près de Courbevoie.

12 mai : Enterrement laïque de Paul Celan au cimetière parisien de Thiais, où est inhumé le premier fils des Celan : François.

1971

Claire Goll adresse à René Char un exemplaire de Ballerine de la peur [Récit, Paris, Éditions Émile-Paul] avec la dédicace : « Pour René Char, cette Ballerine de la peur où il découvrira mon adolescence tragique / Claire Goll. » L’envoi est accompagné d’une carte de visite de Claire Goll, de l’Académie des sciences et des lettres de Mayence. (Courriel d’Anne Reinbold du 31 mai 2014.)

Après le 15 mars : Envoi du volume anthologique intitulé Strette. Poèmes, suivis du Méridien et d’Entretien dans la montagne de Paul Celan (traductions d’André du Bouchet, aussi en collaboration avec John E. Jakson, Jean-Pierre Burgart et Jean Daive, Paris, Mercure de France), accompagné d’un carton portant la formule dactylographiée : « de la part de Gisèle CELAN-LESTRANGE / et avec ses meilleures pensées » (l’exemplaire n’a pas même été feuilleté, semble-t-il).

25 novembre : Parution chez Gallimard, dans la collection de poche « Poésie », de la nouvelle édition augmentée de Recherche de la base et du sommet. Char n’y intègre pas la pensée à la mémoire de Paul Celan écrite en mai 1970 (voir supra, p. 237).

 

1972

Printemps : Gisèle Celan-Lestrange emprunte au poème de Char « Allégeance » une expression pour intituler une suite de cinq gravures (eau-forte, pointe sèche) : « Dans le temps divisé. » (OC, p. 278 ; COGCL, p. 164 sq.)

1976

Gisèle Celan-Lestrange quitte la rue de Longchamp pour s’installer au 45, rue Montorgueil (2e).

26 mai : Char écrit quelques lignes en mémoire de Martin Heidegger qui vient de mourir. Celles-ci seront intégrées à la nouvelle édition de La Recherche de la base et du sommet publiée en « Pléiade » (1983), dans la section « Grands astreignants » : « Martin Heidegger est mort ce matin. Le soleil qui l’a couché lui a laissé ses outils et n’a retenu que l’ouvrage. Ce seuil est constant. La nuit qui s’est ouverte aime de préférence. / Mercredi, 26 mai 1976. » L’hommage est le premier volet d’un diptyque dont le deuxième débute par les mots : « Il faut vivre Arthur Rimbaud. » (OC, p. 725 sq.)

Automne : Publication aux Éditions Orban (Paris) de La Poursuite du vent de Claire Goll, avec la collaboration d’Otto Hahn. On y lit au sujet de Paul Celan : « Tous les jours, un jeune poète allemand, Paul Celan, venait nous voir. Depuis longtemps, déjà, Goll le traitait avec une affection paternelle. Il lui montrait ses documents et ses manuscrits, et finalement voulut l’adopter. Goll lui payait chacune de ses traductions, mais Celan, une fois l’argent encaissé, tentait de publier les poèmes en exigeant de l’éditeur d’être à nouveau rétribué. / Lorsque Goll sut qu’il entrait à l’hôpital, il téléphona à Paul Celan. / — Ne laisse pas Claire seule à l’hôtel, demanda-t-il. Couche dans mon lit pendant une semaine. / Celan s’empressa de prendre sa place. Tout se passa bien pendant trois jours, mais la quatrième nuit, à la lumière de la veilleuse, je vis soudain au-dessus de moi la figure congestionnée de Paul Celan. Arrachant mes couvertures, il tenta de me violer, mais avant qu’il ne me touche, une gifle retentissante le renvoya en arrière. / Le lendemain, il frappa à ma porte. / — Pardonne-moi, j’ai agi dans un état somnambulique… / Il se jeta à mes pieds et avec un rictus hypocrite m’implora de garder le silence. / — Jure-moi sur la mort d’Yvan que jamais tu ne révéleras ce qui s’est passé cette nuit ! / Je jurai, et malgré la polémique qu’il déchaîna contre moi, je n’ai jamais dévoilé cet épisode. Mais ayant plagié Goll, il craignit tellement son ombre et la mienne, qu’il n’ouvrait sa porte qu’en demandant : “Avez-vous vu Claire Goll ?” Il agressait même ceux qui n’avaient jamais entendu parler de moi. “Si vous avez vu cette femme, ajoutait-il, hystérique, vous ne pouvez entrer chez moi.” Il finissait par avoir le complexe [de] Goll. / Pour fuir son remords ou ses angoisses, il se précipita dans la Seine. » (P. 274 sq.)

15 octobre : Au cours de l’émission télévisée Apostrophes, animée par Bernard Pivot, à laquelle participent aussi Clara Malraux et Philippe Jaccottet, Claire Goll réitère contre Celan ses accusations de tentative de viol ainsi que de plagiat. Philippe Jaccottet s’oppose à elle énergiquement. À Claire Goll qui accuse Celan d’avoir tout « copié des manuscrits » de Goll, il rétorque après une moue significative : « Il n’y a aucun rapport entre la poésie de Celan et celle d’Yvan Goll, excusez-moi ! », et Clara Malraux de renchérir : « Ça, c’est du délire pur et simple ! » Auparavant, le poète et traducteur qui vient alors de publier trois volumes regroupant des œuvres et des lettres de Rilke avait dénoncé le caractère diffamatoire du livre de souvenirs de Claire Goll et déclaré ne pas pouvoir accepter l’absence de toute évocation de « la grandeur poétique de Celan » et de son parcours marqué par « les souffrances » qui l’obligèrent à passer une partie de sa vie « dans des asiles psychiatriques ». (L’émission est aujourd’hui disponible sous forme de DVD INA : Apostrophe 1, émission no 2 [il s’agit en fait du no 75], Paris, Éditions Montparnasse, 2013, 56-58e minutes ; voir aussi D. Weissmann, op. cit., p. 120 sq.)

1977

30 mai : Mort à Paris de Claire Goll.

Octobre : Gisèle Celan adresse à René Char le numéro 38 de la revue Le Nouveau Commerce, qui contient un choix de dix-neuf poèmes de La Rose de personne publié par Martine Broda et Marc Petit (p. 13-71). Le remerciement de Char à cet envoi, daté du 26 octobre, constitue le dernier document connu de son échange avec Gisèle Celan-Lestrange.

1978

Juin : Suite au décès du propriétaire de son studio, Char quitte définitivement la rue de Chanaleilles (7e), pour le boulevard Edgar Quinet (14e), où il ne séjournera que très peu.

Août : Char fait un grave infarctus du myocarde.

1979

Après le 10 avril : Envoi de la traduction de Die Niemandsrose, La Rose de personne (Paris, Le Nouveau Commerce) : « Pour René Char, / l’hommage respectueux de / Martine Broda / (et le souvenir amical que / Gisèle Celan me prie de vous / transmettre » ; sur la page de garde recto de la main de RC (crayon noir ; le dernier chiffre est d’une écriture moins appuyée) : « 21 [= « Trinité, quadrunité »] 39 [= « Psaume » ; le carton portant la dédicace de M. Broda est inséré à cette page] / 59 [= « Quelque chose comme / la main » ; deux signets sont insérés à cette page : « Hommage de l’éditeur » et une publicité pour Le Nouveau Commerce]. » Le volume ne contient aucune autre marque de lecture. (ARRC.)

1983

17 mars : Parution des Œuvres complètes de René Char chez Gallimard, dans la « Bibliothèque de la Pléiade », avec une introduction de Jean Roudaut.

1985

Après le 20 janvier : Envoi de la traduction de Zeitgehöft — Enclos du temps (Clivages, Paris) : « Pour René Char, les derniers poèmes de Paul Celan, / hommage de / Martine Broda. » (L’exemplaire ne contient aucune marque de lecture ; ARRC.)

1988

19 février : Mort à Paris de René Char.

1991

9 décembre : Mort à Paris de Gisèle Celan-Lestrange.