Biographies et jugements
FULGENCE BUNANI
Il est né dans la région de Gitarama, de parents cultivateurs comme tous ses copains de la bande. Âgé de trente-trois ans l’année des tueries, il a trente-neuf ans au début du récit. Après avoir suivi le cycle primaire à l’école, il est devenu cultivateur à Kiganwa, colline de Kibungo. Catholique fervent, il officiait comme vicaire bénévole lors de cérémonies mineures à l’église de Kibungo, et suppléait le prêtre, qui, lui, partageait son temps entre plusieurs paroisses. Son épouse et ses deux enfants, âgés de douze et sept ans, habitent sur leur parcelle.
Il a été jugé par le tribunal de première instance de Nyamata, siégeant dans un édifice proche du pénitencier, loin de la bourgade et des collines, lors d’un procès qui regroupait une quarantaine de prisonniers. Accusé de crimes de génocide et de crimes contre l’humanité, il a plaidé coupable pour complicité de meurtres. Ses aveux ont été acceptés par le tribunal. Il a été condamné, le 29 mars 2002, à douze ans de réclusion au pénitencier de Rilima. Il n’a pas fait appel auprès de la cour de Kigali. Il est sorti le 21 janvier 2003 du pénitencier – après six années – et a été placé pour une période de quatre mois dans un camp de rééducation, à Bicumbi, au nord-est de la commune. D’où il a rejoint, le 5 mai 2003, en liberté conditionnelle, sa colline de Kiganwa.
PANCRACE HAKIZAMUNGILI
Il est né à Ruhengeri, colline de Kibungo, l’année où ses parents sont arrivés dans le Bugesera, en provenance de Gitarama. Âgé de vingt-cinq ans l’année des tueries. Il se dit lui-même plus doué pour les discussions entre amis au cabaret que pour la religion. Cultivateur, il est célibataire, d’une famille de quatre frères et sœurs. Sa mère s’occupe de l’exploitation de la parcelle familiale.
Il a été jugé au cours du même procès que Fulgence. Il a plaidé coupable pour certains meurtres. Ses aveux ont été acceptés par le tribunal. Il a été condamné le même jour à une peine identique : douze ans de réclusion. Il n’a pas fait appel auprès de la cour de Kigali. Lui aussi est sorti du pénitencier – après sept années –, en janvier 2003, pour être placé quatre mois dans le camp de Bicumbi, suite à un décret présidentiel destiné à diminuer drastiquement la population carcérale. Il est libre depuis le 5 mai 2003.
ÉLIE MIZINGE
Il est né à Gisenyi, une ville de l’Ouest, proche du Congo. Âgé de cinquante ans au moment des tueries. Il a donc bien connu l’Ancien Régime, puisqu’il avait quatorze ans à la mort du dernier roi tutsi, avant l’Indépendance. Militaire, il est arrivé dans le Bugesera en 1974, en quête d’une parcelle où investir les économies de sa solde. Il l’a trouvée à Karambo, colline de Muyenzi. Il a quitté l’armée pour devenir policier communal, puis a raccroché l’uniforme en 1992, plus ou moins limogé à la suite d’un meurtre, et s’est dès lors consacré entièrement à l’agriculture. Il est marié. Deux de ses trois enfants sont morts.
L’instruction de son dossier est close, mais il n’a pas été jugé avec les autres, sans doute à cause de son passé de militaire et de policier. Il le sera probablement par un tribunal populaire gaçaça, et sera vraisemblablement condamné à une peine de deux ou trois ans, guère plus en tout cas, de travaux d’intérêt général. C’est-à-dire une liberté conditionnelle, assortie de trois jours de travail par semaine dans une entreprise ou une administration d’État, non rémunérés. En attendant il a rejoint le camp de Bicumbi, où il reçoit une instruction civique avec ses camarades, puis attendra son procès chez lui, non en prison.
ADALBERT MUNZIGURA
Il est né à Ruhengeri, colline de Kibungo. Âgé de vingt-trois ans au moment des tueries. Ses parents, cultivateurs originaires de Gitarama, sont arrivés dans le Bugesera en 1970, pour s’installer à Ruhengeri, colline de Kibungo. Il est célibataire. De ses onze frères et sœurs, ils sont sept dont on est sûr qu’ils sont vivants. Il a terminé l’école primaire avant de travailler sur la parcelle familiale. Chef de la chorale de Kibungo, il était membre du MDR, parti nationaliste hutu, rival du MNRD au pouvoir.
Jugé au cours du même procès que Fulgence et Pancrace, il a plaidé coupable de certains meurtres. Ses aveux succincts ont été acceptés par le tribunal au grand dam des avocats de la partie civile et de certains magistrats. Il a été condamné à une peine de douze ans de prison. Il n’a pas fait appel.
Cependant, le jour du verdict, le parquet de Nyamata a envisagé publiquement de faire appel a minima, estimant sa peine trop légère au regard de ses responsabilités de chef et de ses activités de meneur avant et pendant les tueries. Il y a renoncé par la suite sans explication.
Adalbert est donc sorti du pénitencier fin janvier 2003, pour un séjour dans le camp de Bicumbi. Sur sa parcelle à Ruhengeri, sa mère, Rose Kubwimana, l’attend avec impatience depuis sa libération, le 5 mai 2003.
JEAN-BAPTISTE MURANGIRA
Il est né près de Gikongoro, une ville du centre. Âgé de trente-huit ans au moment des tueries. Il a suivi le cycle secondaire puis a intégré la fonction publique à un bon niveau, comme agent recenseur et commercial en chef de la commune. Mais il en a été renvoyé et est retourné travailler la terre. Il est marié avec une Tutsie, Spéciose Mukandahunga, qui a été épargnée pendant le génocide. Ce mariage n’est pas un signe de tolérance. Beaucoup de notables et officiers épousaient des Tutsies par snobisme. Son épouse habite toujours dans leur maison et cultive leur parcelle de Rugunga, un hameau de Tutsis, sur la colline de N’tarama. Il a six enfants, dont il n’a guère de nouvelles.
Il a été le premier de la bande à être jugé, quelques mois seulement après le retour des réfugiés du Congo, avant l’instauration de la politique de réconciliation nationale. D’où sans doute la plus grande sévérité des juges à son égard, qui l’ont condamné le 30 mars 1997 à quinze ans de réclusion. Il a plaidé coupable de certains meurtres et n’a pas déposé de recours à la cour d’appel de Kigali.
Il est sorti du pénitencier de Rilima en janvier 2003, après huit ans d’emprisonnement, et a été placé dans le camp de rééducation de Bicumbi. À sa sortie le 5 mai 2003, il a retrouvé son épouse tutsie, s’est installé sur sa parcelle, en attendant un poste dans la fonction publique, à N’tarama, Nyamata ou ailleurs.
IGNACE RUKIRAMACUMU
Il est né dans la région de Gitarama. Âgé de soixante-deux ans au moment des tueries. Comme Élie, il a vécu sous le règne des rois tutsis, puisqu’il avait un peu moins de trente ans à l’époque de la République et de l’Indépendance. Il est arrivé dans le Bugesera en 1973. Il a terminé sa quatrième année d’école primaire, puis il a travaillé comme maçon, avant d’acquérir une parcelle à Nganwa, colline de Kibungo. Son épouse est décédée. Plusieurs de ses enfants ont été tués après le génocide, mais il n’a de nouvelles précises d’aucun.
L’instruction de son dossier est close mais il ne sera pas jugé. Suite à un décret présidentiel concernant les prisonniers âgés de plus de soixante-dix ans, il a été libéré le 21 janvier 2003. Sans condamnation ni condition.
C’est donc le premier de la bande libre. Il cultive de nouveau sa parcelle à Nganwa, distille déjà de l’urwagwa, déambule le samedi au marché et se familiarise avec un nouveau cabaret, car celui qu’il fréquentait avant les tueries a été détruit. Mais il ne se montre guère bavard sur ces dernières années.
PIO MUTUNGIREHE
Il est né à Nyarunazi, colline de Kibungo. Âgé de vingt ans l’année des tueries. Il est célibataire, dans une famille de quatre frères et sœurs. Il jouait dans l’équipe de football de Kibungo, une équipe mixte, était supporter de celle du Bugesera Sports et choriste assidu de la chorale de Kibungo. Il a terminé le cycle primaire, puis a cultivé la parcelle familiale située entre Nyarunazi et Kiganwa.
Il a été jugé au cours du même procès que Fulgence, Pancrace et Adalbert. Il a plaidé coupable de certains meurtres et a été condamné à une peine identique, douze ans de réclusion, le 29 mars 2002. Il n’a pas fait appel. Lui aussi a été envoyé pour quelques mois dans le camp de rééducation de Bicumbi. Comme les autres, il en est sorti le 5 mai 2003, libre et dispensé des travaux d’intérêt général, comme tous ceux de la bande, sauf Élie et Alphonse.
En pleine forme, il lui tarde de reprendre le football.
ALPHONSE HITIYAREMYE
Il est né dans la région de Kibuye. Il a été amené en 1977 dans le Bugesera par un propriétaire tutsi qui l’a embauché sur ses parcelles. Puis il a acheté une parcelle à Nyamabuye, entre les collines de Kanzenze et de Kibungo. Habile en affaires, il a aussi possédé un commerce à Kanzenze qui s’annonçait prospère. Âgé de trente-neuf ans l’année des tueries. Il est marié et père de quatre enfants. Il a été un bon footballeur et un bon catholique. Son épouse vit et travaille sur leur parcelle.
Sa situation judiciaire est particulière. L’instruction de son dossier est close, mais, sans raison apparente, il n’a pas été appelé au même procès que Fulgence, Adalbert, Pio et les autres. Il a été libéré le 5 mai 2003 mais sera sans doute jugé par un tribunal gaçaça. Comme Élie, il risque donc une condamnation à quelques années de liberté conditionnelle assortie de travaux d’intérêt général. Ces travaux, toubib dans un dispensaire ou cantonnier le long des routes, sont aussi variables qu’imprécis.
JOSEPH-DÉSIRÉ BITERO
Il est né sur la colline de Kanazi, de parents cultivateurs. Âgé de trente et un ans l’année des tueries. Il est marié et père de deux enfants qui vivent sur la parcelle. Diplômé de l’École normale, il était enseignant et habitait Nyamata. Cousin du bourgmestre de la commune, il a adhéré très jeune au MNRD, le parti présidentiel au pouvoir. Responsable du Mouvement de la Jeunesse de ce parti, il a été nommé, en 1993, président pour la commune des interahamwe, la milice extrémiste hutue la plus importante du pays.
À ce titre, il est le seul de la bande à avoir été impliqué dans la préparation du génocide plusieurs mois avant que celui-ci commence. Sa maison du quartier Gatare, à Nyamata, a été confisquée à la suite de sa condamnation à payer des indemnités. Son épouse n’a pas été poursuivie, mais elle n’a pas retrouvé son emploi à la maternité Sainte-Marthe. Avec ses deux filles, elle est retournée vivre dans une maison familiale à Kanazi, pour cultiver la parcelle familiale qu’elle y a conservée.
Accusé de crimes de génocide et de crimes contre l’humanité avec préméditation, Joseph-Désiré a été jugé individuellement au cours d’un procès très suivi à Nyamata. Ses aveux superficiels et contradictoires ont été rejetés par la cour pour manque de sincérité. Il a été condamné à mort par le tribunal de première instance de Nyamata le 3 juillet 1998. Son recours a été rejeté par la cour d’appel de Kigali. Rescapé, du fait du verdict tardif, de l’exécution publique du 24 avril 1998, son avenir le plus probable est l’emprisonnement à perpétuité, en tout cas sous l’actuel régime du président Kagame.
LÉOPORD TWAGIRAYEZU
Il est né à Muyange, colline de Maranyundo. Âgé de vingt-deux ans l’année des tueries. Il est fils de cultivateur, comme tous les autres, d’une famille de quatre filles et un fils. Il a suivi le cycle primaire puis a cultivé la parcelle familiale. Il était membre du parti au pouvoir, le MNRD. Comme Joseph-Désiré Bitero, mais pendant deux ans seulement et sans responsabilités. Il est catholique pratiquant fervent depuis son enfance.
Accusé de crimes de génocide et de crimes contre l’humanité, il a plaidé coupable de nombreux meurtres et de ses responsabilités hiérarchiques. Il a été condamné en 2001 par le tribunal de première instance de Nyamata à une peine de sept ans de réclusion. L’efficacité de sa collaboration avec les instances policières et judiciaires lors de l’instruction et l’importance de ses aveux expliquent que sa peine soit plus légère que celles des autres. Il n’a pas fait appel.
Il a été libéré en décembre 2002, après avoir quasiment purgé sa peine, sans passer par un camp de rééducation. Toutefois, accueilli par les insultes et les menaces de ses voisins, lors d’une cérémonie officielle de pardon organisée pendant son incarcération, il n’est pas encore retourné sur sa colline de Maranyundo.