[septembre 1985]

Lettre n° 72 (extrait, p. 2)

C’est mon chum Mario qui m’a eu la job. On pourrait dire que tout ce qui s’est passé après est de sa faute, mais ça serais pas juste. Mais bon, ça a commencé quand on s’est donné rendez vous à La Ligne Rouge, une taverne sur la rue Atwater, pas loin du Forum. Les murs de la taverne étaient couverts de photos signées par des joueurs de hockey : Butch Bouchard, Johnny Bower, Alex Delvecchio, Boom Boom Geoffrion, Eric Nesterenko, Jean Béliveau. Je gage que tu connais pas la plupart de ces noms là. Même si on était de bonne heure le matin, il y avait un paquet de clients au bar et autour des tables dans la taverne. C’est comme si ce monde la vivaient ici et qu’ils allaient jamais chez eux. Mario était en arrière de la taverne. Il fumait une cigarette a côté du jukebox. C’était une toune de Dean Martin qui jouait.

Tout ce que je me souviens de ces jours-là, tu dois te dire que j’en invente la moitié. Mais je pense que je t’ai déjà expliqué que vue qu’en prison il y a pas de futur et que le présent est presque toujours pareil et ennuyant pour mourir, c’est seulement le passé qui compte vraiment, et quand tu le revis encore et encore dans ta tête, le passé, les choses deviennent de plus en plus clair, les mots que tu as dis et que tu as entendu, le monde que tu as rencontré, les choses que tu as vu, avec tout les détails, même les plus petits.

Mon chum Mario avait à peu près le même âge que moi, début de la trentaine. Pendant un bout de temps moi et lui on s’étaient entraînés ensemble au gym. Mais Mario prenait ça beaucoup moins au sérieux que moi. Il aimait faire le party et boire de la bière et il venait au gym parce qu’il était convaincu que les filles aimaient les hommes avec des gros biceps…

 

Et mon père, dans sa lettre, y va du compte rendu du reste de cette journée, et il m’a semblé qu’il s’agissait là d’une scène parfaite pour COMME UN INTRUS. Me restait qu’à embellir le tout un peu et à écrire les dialogues :

 

COMME UN INTRUS

Scène : « Chinois » Maliverne
INT. LA LIGNE ROUGE (TAVERNE) — JOUR

Mario voit Paul se diriger vers lui.

MARIO

Hé, Paul !

Paul et Mario se serrent la main.

MARIO

Je me demandais si t’allais venir ou pas. Tu veux une bière ?

PAUL

Il est un peu tôt pour moi.

Paul demande plutôt un café au serveur.

MARIO

Il est à peu près temps que t’acceptes ma proposition. Toi et ta job de misère…

PAUL

Ouais, bon, je suis désespéré. T’es certain que ça va marcher ?

MARIO

Paul, mon gars, arrête de t’en faire de même. La vie est trop courte.

PAUL

Tu peux ben parler, toi, t’as pas une femme et deux enfants, plus un autre qui s’en vient.

MARIO
(dans un éclat de rire)

Alléluia ! Comment t’as pu te ramasser dans une prison comme ça, je me le demande.

Paul s’allume une cigarette et semble réfléchir.

PAUL

Je sais pas si j’appellerais ça une prison… Les choses se sont passées vite… C’est sûr que des fois j’aimerais mieux être célibataire. Ça serait pas mal moins compliqué. Mais, mes enfants, je les adore… Tu devrais les voir. Ma petite fille… Mais, sérieusement, la job…

MARIO

C’est OK, je te dis. Ça fait trois ans que je travaille pour lui. En plus, si tu veux des petits contrats on the side, le patron est toujours intéressé à avoir des hommes fiables.

PAUL

Des petits contrats on the side ?

MARIO
(alignant Paul au-dessus de son verre de bière)

Ce gars-là trafique dans toutes sortes de magouilles.

PAUL
(d’une voix mal assurée)

Je sais pas si je veux me mêler à ce genre d’affaires, moi…

MARIO

Tu vas quand même pas changer d’idée à la dernière minute ! J’ai parlé de toi au patron. Il nous attend. Si tu viens pas, je vais avoir l’air d’un vrai cave.

PAUL

Oui, bon, arrête… OK, on y va.

Mario bondit sur ses pieds et vide son verre d’un trait.

 

EXT. RUE SAINTE-CATHERINE, MONTRÉAL — JOUR

Sainte-Catherine est encombrée en cette heure de pointe et les trottoirs fourmillent de gens pressés qui se dirigent vers leur travail au centre-ville.

Une équipe de cols bleus fait des travaux de creusage coin Sainte-Catherine et Saint-Marc. Une conduite d’égout crevée. Équipés de marteaux-piqueurs, d’une niveleuse et d’une excavatrice, les ouvriers creusent une tranchée du milieu de la rue jusqu’à la bordure du trottoir. Deux camions à benne basculante attendent sur place, prêts à transporter les débris de tuyaux et les fragments d’asphalte. Des barrières ont été mises en place et l’intersection est presque fermée. La circulation est chaotique, infernale. Une planche de bois, au-dessus du trou, fait office de trottoir et marcher dessus donne l’impression à Paul et Mario qu’ils sont des équilibristes de cirque.

Une fois passé le site des travaux, Paul et Mario peuvent enfin se parler tout en marchant sur le trottoir.

MARIO

Comme je t’ai déjà dit, le nom du patron, c’est Maliverne. Sylvain « Chinois » Maliverne.

PAUL

Pourquoi « Chinois » ?

MARIO

Parce qu’il a les yeux en amande. Mais il est pas pantoute Chinois. Il vient d’Europe, la Suisse, je pense. Ou la Belgique, je sais plus.

PAUL

Et comment il est ? Un bon gars ?

MARIO

Ouais, c’est un bon gars. Un peu bizarre…

PAUL

Qu’est-ce que tu veux dire, bizarre… ?

MARIO

Tu vas voir…

Mario attire l’attention de Paul sur l’enseigne d’un magasin : MEUBLES MALIVERNE INC.

 

INT. MEUBLES MALIVERNE (MAGASIN) — JOUR

Paul scrute le magasin et voit le reflet brillant des appareils ménagers sous un éclairage au néon, de même que la qualité douteuse des meubles : les divans en vinyle, des fauteuils à l’allure chambranlante, les vaisseliers aux poignées dorées, les canapés en similicuir, les tables assemblées à la va-vite.

Un vendeur s’approche de Paul et de Mario. Le colosse a la corpulence de quelqu’un qui peut vous vendre un réfrigérateur, puis vous le transporter sur ses épaules jusqu’au camion.

VENDEUR

Mario ! Comment tu vas ?

MARIO

Super !

Puis, en pointant un pouce en direction de Paul :

Lui, c’est Paul. On est ici pour voir le patron. Il nous attend.

VENDEUR

Tu sais où le trouver…

MARIO
(à l’intention de Paul)

Le bureau est en arrière du magasin.

Les deux hommes se faufilent à travers le labyrinthe de meubles de toutes sortes. C’est comme si la marchandise avait été disposée pour empêcher quiconque de prendre le bureau d’assaut en empruntant la ligne droite.

Mario frappe à la porte et attend le « Entrez » d’usage avant d’ouvrir.

Paul remarque la poignée de porte en forme de papillon et en or massif.

 

INT. LE BUREAU DE « CHINOIS »

« Chinois » Maliverne est campé dans un fauteuil de cuir derrière un bureau d’acajou libre de tout objet, à part une tasse en porcelaine, une théière et un téléphone noir.

« Chinois » est gras comme le roi Farouk et ses yeux en fentes se perdent dans une gigantesque tête à la Bouddha. Tout le corps de l’homme est une masse de chair enveloppée dans un costume italien d’au moins cinq cents dollars, dont la coupe et l’élégance réussissent presque à faire oublier l’obésité grotesque de son propriétaire.

Trois des murs du bureau sont couverts de papillons de dimensions et de couleurs variées exposés dans des boîtes vitrées, une boule de naphtaline dans chaque coin. L’autre mur, celui situé derrière « Chinois », est couvert de livres à reliure en cuir.

« Chinois » se croise les mains devant le menton comme un prêtre soucieux, puis invite ses visiteurs à s’asseoir sur le canapé, le seul autre meuble dans la pièce.

MARIO

Monsieur Maliverne, c’est Paul Lacroix, l’ami dont je vous ai parlé. Celui qui a besoin d’une job.

Paul se lève pour serrer la main de « Chinois », mais celui-ci lui fait signe de se rasseoir.

« CHINOIS »

Content de te rencontrer, Paul. Ça te va si je t’appelle Paul ?

PAUL

Ben sûr, Monsieur Maliverne.

« CHINOIS »

Bien… T’es du type robuste. C’est bien, ça. Certaines choses que tu devras transporter ne sont pas pour les femmelettes, comme vous dites ici. Tu comprends ce que je te dis ?

Paul fait un signe affirmatif.

« CHINOIS »

C’est bon. J’ai besoin de gars solides qui comprennent ce que je leur dis. Une chose que tu dois savoir à mon sujet, Paul, c’est que je ne tourne pas autour du pot. Je n’ai pas de temps à perdre. Je donne un ordre une fois et mes hommes doivent le suivre, et quand c’est fini, on passe à autre chose.

PAUL

Pas de problème avec ça.

« CHINOIS »

Je crois qu’on va bien s’entendre.

Paul et Mario sourient.

« Chinois » se sert une tasse de thé.

« CHINOIS »

Mario t’a parlé du travail, non ? Je trempe dans mille et un trucs, mais en ce qui te concerne, il y a deux fonctions. D’abord, il y a mon magasin. Je vends la plupart des meubles à crédit. Les gens qui n’ont pas de crédit ou les moyens de payer 149.95 $ comptant pour une télé ou 199.95 $ pour un poêle chez Eaton viennent chez moi, me donnent cinq dollars et s’en vont avec leur télé ou leur poêle. Comme ça, ils peuvent tout de suite regarder Cré Basile ou se faire à bouffer. Ils sont contents. Ensuite, ils me paient trois dollars par semaine. Bien entendu, j’ai droit à des compensations pour ce genre de service. Une fois payée, avec les intérêts, leur télé leur a coûté passablement plus que s’ils avaient payé comptant. Une bonne affaire pour moi.

Lorsque « Chinois » parle, des dépôts de salive s’accumulent aux commissures de ses lèvres. Cela donne la nausée à Paul et il essaie de ne pas trop le regarder.

« CHINOIS »

Après avoir presque tout payé pour l’achat de deux ou trois meubles, leur crédit est établi. Là, il faut les encourager à acheter d’autres meubles. On leur met un peu de pression, on leur fait comprendre à quel point ils seraient heureux s’ils avaient plus de meubles dans leur maison. J’appelle ça l’Art de Convaincre. Plusieurs de mes clients ont un appartement plein de meubles qui viennent du magasin Maliverne.

Le discours fait rire Mario.

« CHINOIS »

À la fin de chaque semaine, mes gars font la tournée des clients pour percevoir l’argent. Ou alors ils saisissent la marchandise si le client ne paie pas. C’est parfaitement dans les règles.

PAUL

Combien de gars travaillent pour vous ?

« CHINOIS »

Beaucoup. J’ai une grosse clientèle.

« Chinois » s’envoie son thé derrière la cravate comme si c’était de la tequila, avant de poursuivre son discours.

« CHINOIS »

Mais reprendre possession de la marchandise, ce n’est pas la chose idéale. J’ai besoin d’argent, pas d’un magasin rempli de meubles et d’accessoires usagés. C’est pour ça qu’il faut convaincre le client de trouver du fric pour me payer. Il arrive qu’on leur téléphone — lorsqu’ils ont le téléphone. On leur passe un coup de fil et on dit : « Vous êtes en retard pour ci ou pour ça, de cinq paiements. On va attendre encore quarante-huit heures et après… » Quelque chose du genre. Et le lendemain, on leur fait une visite surprise. Faut pas les terroriser, les clients. Surtout pas lorsqu’il y a des témoins autour. Mais tu peux leur dire que le non-paiement de dette est un acte criminel — même si ce n’est pas vrai — et que tu songes à en informer la police. Tu peux leur dire que tu vas informer leur employeur de leur mauvaise conduite à l’endroit d’un honnête marchand. Tu peux insinuer qu’il pourrait éventuellement y avoir des représailles.

PAUL

C’est légal ? Je veux dire, ce genre de pression-là… ?

« Chinois » grimace comme si tout à coup le soleil lui brillait dans les yeux.

« CHINOIS »

Légal… Ce qui compte c’est ce qui est juste. Ils me doivent de l’argent, et c’est juste pour moi de l’exiger. Mais, cela dit, faut pas exagérer. Nous ne sommes pas des sauvages. Tu ne veux pas que les gens du quartier se mettent à parler et qu’ensuite plus personne ne vienne à mon magasin. Il faut avoir un bon sens des affaires. Faut être fin renard.

Quelques coups à la porte précèdent l’entrée de la secrétaire de « Chinois ». Une de ses tâches consiste à s’assurer qu’il y a toujours du thé frais dans la théière. « Chinois » lui fait un léger signe de tête et attend qu’elle sorte du bureau avant de continuer la conversation. Il se concentre sur le téléphone posé sur son bureau et époussette le cadran rotatif avec son index. Puis il tamponne les coins de sa bouche avec son mouchoir.

« CHINOIS »

Ensuite, il y a l’autre aspect de mon business. Tu vois, par bonté de cœur, je prête de l’argent à des gens lorsqu’ils sont dans la dèche. Ils sont en chômage, ils ont perdu leur paye dans une partie de poker, ils doivent satisfaire un besoin de drogue… Peu importe. Moi, ça ne me regarde pas, ce qu’ils font. Mais je leur prête du fric pour qu’ils puissent continuer à vivre. On dit que la patience est une vertu. Mais, après un certain temps, lorsque le type peut pas payer ou, bien pire, ne veut pas payer, faut se faire rembourser d’une façon ou d’une autre. Je pourrais envoyer des gorilles pour briser une jambe au type ou menacer sa famille. Mais ce sont des tactiques de mafieux. À moins de ne pas avoir le choix. Cela arrive. Reste que de duobus malis, minus est semper eligendum.

Mario et Paul clignent des paupières.

« CHINOIS »
(étouffant un petit rire)

« De deux maux, on doit choisir le moindre. » Quoi, les gars, vous n’avez pas appris le latin à l’école… ?

Pas plus de réaction de la part de Mario que de Paul.

« Chinois » avale une gorgée de thé.

« CHINOIS »

Je disais donc… Normalement, en guise de réparation, ce que je fais, c’est de reprendre leurs biens. Tu me dois cinquante dollars et tu ne veux pas me payer ? Je saisis ta télé et ta radio. Je te prête mille dollars et tu continues à faire l’idiot et te voilà dans la merde et t’as pas de fric ? Je vais me contenter de ta Chevrolet. Encore une fois, c’est tout à fait dans la légalité, tout ça. Je ne suis pas un usurier de troisième classe, moi. J’ai une licence de compagnie de finance. Je prête de l’argent à des gens qui ont une cote de crédit pourrie, des types que les banquiers ne laisseraient même pas mettre le gros orteil sur le tapis de leurs bureaux. Donc, je comble un besoin essentiel, je rends service à notre belle société. D’un autre côté, c’est un business à risque et, à cause de ça, j’impose des intérêts élevés. Je ne suis tout de même pas une entreprise de charité.

La sonnerie du téléphone fait sursauter Paul.

« Chinois » empoigne le combiné. Tout en écoutant son interlocuteur, son regard balaie la pièce de droite à gauche, sans arrêt.

« CHINOIS »

C’est bon, vas-y.

« Chinois » raccroche et reste perdu dans ses réflexions pendant quelques secondes, avant de viser Paul du doigt.

« CHINOIS »

Ton job, Paul, ou plutôt ta mission, ça va être le recouvrement. Rien de compliqué. Tu saisis la marchandise et tu tires ta révérence, arrivederci. Mais tu dois toujours rappeler aux clients pour qui tu travailles. Ils doivent savoir à qui ils ont affaire.

PAUL

C’est dans mes cordes.

« CHINOIS »

À la bonne heure. Et je vais te dire autre chose, Paul : ces gens-là, ils sont heureux que tu sois là, parce qu’ils savent qu’ils sont dans leur tort. Ils sentent que tu leur enlèves le poids de leurs remords des épaules en saisissant leurs biens, et ils te laissent agir sans faire d’histoires. Ils sont reconnaissants. Tout ça, c’est une question de culpabilité, la base de notre charmante culture catholique.

Paul ne dit rien.

« Chinois » émet un rire qui est plutôt un couinement.

« CHINOIS »
(s’adressant à Mario)

Regarde ton copain. Il ne croit pas en mes conneries au sujet des remords et de la gratitude.

Mario sourit.

Paul ne sait pas comment réagir.

« CHINOIS »

C’est un sceptique. C’est bon. Comme ça, il ne va pas gober les sornettes que les clients vont lui servir.

« Chinois » s’assoit au fond de son fauteuil et soupire.

« CHINOIS »

Paul, tu vas te faire bombarder par tout le répertoire des misères et des malheurs : la grand-mère qui est décédée la veille, le mari qui est paralysé, l’enfant qui est atteint d’un cancer, le type qui vient de perdre son emploi et qui a le cul sur la paille. Les gens qui ne peuvent pas payer vont te sortir toutes les excuses possibles et impossibles pour se justifier. Ton travail est de ne pas écouter ces jérémiades, et surtout de ne jamais avoir pitié. Dans notre business, la pitié, c’est l’iceberg qui coule le Titanic. Ton rôle, c’est d’entrer dans une maison, trouver ce qui vient du magasin et me ramener tout ça. Tu vas faire équipe avec ton copain Mario. C’est un gars compétent et il va t’enseigner les trucs du métier. Vous commencez demain matin. Tout va bien aller, pas de doute. Et, en temps et lieu, tu pourras faire d’autres boulots pour moi, si le fric t’intéresse.

On frappe de nouveau à la porte.

« CHINOIS »

Entre !

C’est une jeune femme transportant un plateau. Elle est maigre, les membres longs, un cou d’autruche. Côté anatomie, elle est la parfaite antithèse du corpulent « Chinois ».

« CHINOIS »

Ah, Monique. À l’heure, comme d’habitude. Monique est une montre suisse. Elle me manucure une fois par semaine. J’aime avoir les lunules impeccables. [Ses doigts qui gigotent font penser à une araignée obèse.] Messieurs, vous devez partir, maintenant.

Mario et Paul se lèvent.

« CHINOIS »

Mario, ma secrétaire va te donner une liste d’endroits où vous devrez aller demain.

PAUL

Oui, Monsieur Maliverne.

« CHINOIS »

Bienvenue à bord, Paul.

PAUL

Merci, Monsieur Maliverne.

 

EXT. RUE SAINTE-CATHERINE — JOUR

Paul accepte une cigarette de Mario et les deux fument en silence.

La fébrilité du matin s’est calmée, la circulation sur Sainte-Catherine est fluide à présent. Il en est de même sur les trottoirs.

MARIO

Je t’avais bien dit qu’il est un peu excentrique.

PAUL

Un peu excentrique… Un peu malade dans la tête, oui. Et son latin, calvaire… Il se prend pour qui ? L’archevêque de Montréal ?

MARIO

Mais non. Il est toujours de même. Il voulait rien que te tirer la pipe. Te tester un peu.

Un camion de livraison, dont chaque paroi latérale affiche MEUBLES MALIVERNE INC., file devant eux.

PAUL

Et pourquoi il m’a pas serré la main ?

MARIO

Il fait ça avec tout le monde. Je pense que la seule personne qui peut lui toucher les mains, c’est Monique. Les microbes, tu comprends…

PAUL

Les microbes… Au moins, on va pas travailler dans son bureau, avec tous ces papillons dégueux.

MARIO

Dégueux ? Mais ils sont super beaux, ses papillons !

PAUL

Les ailes, oui, mais les corps me font penser à des petites momies. C’est comme s’il y avait des âmes d’humains prisonnières là-dedans qui essayent de s’échapper.

MARIO

Qu’est-ce que tu vas chercher là ? T’es un drôle de moineau, Paul.

PAUL

Elles me donnent la chair de poule, ces bestioles-là.