COMME UN INTRUS

Scène : Château Latour
INT. L’APPARTEMENT DE FLORIDA — JOUR

FLORIDA entre dans son appartement, les bras chargés de sacs, et se dirige vers la cuisine. Elle place la robe sur le dossier de l’une des chaises de la cuisine, la bouteille de bordeaux sur la table.

Elle récupère le tire-bouchon dans le tiroir à ustensiles. Ses mains tremblent légèrement. Elle se verse un verre. Le vin a la couleur du sang.

Florida prend une gorgée. Son plaisir est évident.

Elle ouvre le robinet, se lave les mains avec soin puis s’essuie avec la serviette laissée sur la poignée du four. Tout ça lentement, comme si elle esquissait ces gestes du quotidien pour la première fois.

Elle a besoin d’une autre lampée de vin avant de prendre la robe dans son sac de cellophane et de la porter dans sa chambre. La caméra la suit jusqu’au bout du corridor.

Florida enfile la robe. Ses mains tremblent toujours.

Elle se regarde fixement dans le miroir. Elle ne sourit pas. Elle n’a pas l’air particulièrement satisfaite de ce qu’elle voit. Puis elle enfile les gants blancs qui lui montent jusqu’aux coudes, juste assez haut pour cacher les piqûres qui marquent l’intérieur de ses avant-bras.

Avant de retourner à la cuisine, Florida s’arrête à la salle de bains, ouvre l’armoire à pharmacie et en sort une bouteille de comprimés. La bouteille est pleine. Florida referme le cabinet et observe son reflet dans le miroir, s’étudie de façon si intense qu’après un moment ses propres traits deviennent méconnaissables, le visage d’une totale étrangère. D’un mouvement brusque elle s’éloigne enfin du miroir.

Le tissu de sa robe produit un bruissement alors qu’elle se dirige vers la cuisine.

Sur la table, elle place avec soin le bordeaux, la bouteille de comprimés, le verre à vin.

Elle ouvre la petite fenêtre au-dessus de l’évier puis prend place à la table.

Elle n’ingurgite pas les comprimés d’un coup. Elle en prend deux, les fait descendre à l’aide du vin.

Ses mains ne tremblent plus. Elle n’a pas peur. Elle se sent calme. On dirait que jamais au cours de sa vie elle ne s’est sentie à ce point maîtresse de ses gestes, à ce point certaine de ce qu’elle veut faire.

Elle avale deux autres comprimés avec du vin. Le tout descend en douceur dans son gosier.

Florida avale tous les comprimés. Deux à la fois, jusqu’au dernier. La bouteille de vin est aux trois quarts vide. Elle peine à se lever de sa chaise mais, une fois debout, se dirige vers le comptoir.

Elle saupoudre l’héroïne dans une cuiller noircie et ajoute un peu d’eau. Puis, avec la flamme de son briquet, elle amène la concoction à ébullition.

Elle se rassoit à la table de la cuisine et fixe sa cheville droite. Il y a là une belle veine, jamais piquée, vierge, un réceptacle parfait pour l’aiguille.

Elle trouve la veine et injecte l’héroïne.

Florida ferme les yeux et appuie la tête sur ses bras croisés sur la table.