[septembre 1986]

Lettre n° 75 (extrait, p. 2-4)

Tu peux pas savoir combien de fois j’ai pensé à Chinois Maliverne. À ce qu’il m’a fait. Tout ce temps-là dans ma petite cellule à penser à lui, c’est plein d’idées de vengeance qui me sont venues. J’ai ma préférée. J’ai joué le scénario dans ma tête tellement de fois que c’est devenu comme une vue. Dans celle-là, je suis dans l’entrepôt à côté du magasin de Maliverne. L’entrepôt servait aussi de garage pour ses camions de livraison. Il y a un établi à l’arrière avec toutes sortes d’outils. Et des contenants de gaz. Personne travaille cette journée-là ; c’est dimanche. Mais je sais que Chinois est dans son bureau. Il est toujours là. À côté de l’établi, y a un frigidaire où les employés mettent leur lunch. J’ouvre le frigidaire et je prends une bouteille de lait et je la vide sur le plancher et je la rempli de gaz. Je trempe mon mouchoir dans la gazoline et je bouche la bouteille avec et je cache la bouteille dans mon manteau — on est en hiver. Après, je me dirige vers le magasin de Chinois avec une barre de fer que j’ai trouvé sur l’établi. Je frappe à la porte du magasin et un des bodyguards de Chinois m’ouvre et me demande ce que je fais là un dimanche matin et je lui réponds en lui balançant la barre de fer sur la tête. Je marche vers le bureau de Chinois. Le cœur me bat fort mais je suis prêt à tout. J’ouvre la porte du bureau et je sors le cocktail Molotov de mon manteau. Tout de suite Chinois devient blanc comme un fantôme quand il me voit avec le cocktail et mon briquet dans la main. Je dis rien. Je regarde seulement Chinois pendant une minute tout en gardant la pose. Juste pour lui donner la chienne de sa vie. Chinois se lève en tremblant il me demande ce que je fais là et il me dit de mettre le briquet dans ma poche. Parlons mon ami, qu’il me dit. « Parlons mon ami… » Ha ! À ce moment-là, je mets le feu à mon mouchoir et je lance la bouteille sur la table de toutes mes forces. Ça explose, mon vieux, de toute beauté ! Chinois en reculant s’accroche dans sa chaise et il tombe sur le dos. Je sors du bureau et place la barre de fer dans la poignée de porte en forme de papillon et je la tiens en place. J’entends le feu qui gronde et je vois la fumée qui s’échappe sous la porte. L’odeur du gaz qui brûle me donne envie de vomir mais je tiens bon. J’imagine les papillons de Chinois qui se ratatinent à cause de la chaleur et qui se transforment en petites boules de feu, et les flammes qui lèchent les murs et les boules à mites dans les casiers vitrés qui explosent en faisant pop ! pop ! pop ! comme une mitraillette. J’entends les cris étouffés de Chinois et les coups qu’il donne sur la lourde porte pour essayer de l’ouvrir. Mais, bientôt, on entend plus rien. Une belle histoire, tu trouve pas ? Quand j’ai lu dans le journal que Chinois était mort d’une crise de cœur je me suis dit qu’il était mort d’une trop belle mort le gros enfant de chienne.