[1965]

Lady Clairol

Est-ce vrai que les blondes ont plus de plaisir ?

Les portes s’ouvrent devant les blondes…

Les gens s’arrêtent pour les blondes…

Les hommes les adorent, font plus pour elles…

La vie est belle pour les blondes !

Pourquoi ne pas vous en rendre compte vous-même ?

Une blonde Lady Clairol avec des cheveux brillants et soyeux.

 ! chérie, voilà ta chance !

 

Maman mit de côté le roman-photo qu’elle était en train de feuilleter, le récit houleux d’un couple de jeunes aristocrates résidant à Saint-Tropez.

Gantée de caoutchouc, Colette venait de faire irruption dans la cuisine, les doigts bien droits et pointés vers le plafond, comme un chirurgien prêt à passer à l’action.

— J’ai la teinture, des serviettes, le séchoir à cheveux… Tout ce qu’on a besoin.

Maman m’envoya un clin d’œil et dit : « C’est bon, allons-y. »

Colette approcha une chaise de l’évier, déballa la trousse de teinture et lut le mode d’emploi.

— Blonde, cette fois, hein ?

— J’ai pas été blonde depuis un bon bout de temps, dit maman.

Colette ouvrit le robinet et s’assura que la température de l’eau était bonne.

— Assoyez-vous, très chère madame.

Maman se plaça la tête au-dessus de l’évier, une serviette enroulée autour du cou.

— Es-tu confortable ? Ton cou est pas trop plié ?

— Non, c’est bon.

Colette se mit à savonner les cheveux de maman.

— Il faut bien laver avant d’appliquer la teinture. C’est ce que dit le mode d’emploi.

Son corps étiré, la tête penchée vers l’arrière, le ventre bien rond, maman avait l’apparence d’un phoque échoué sur la banquise.

— C’est pas une sinécure, toutes ces teintures, dit maman au milieu d’un éclaboussement de rinçage. Mon rêve, ça serait d’avoir un placard avec tout plein de perruques. Une différente chaque jour… C’est un peu fou de penser comme ça, non ?

Colette s’esclaffa.

— Mais non, on a toutes nos petites bizarreries…

— C’est quoi, les tiennes ?

Colette se contenta de hausser les épaules.

Les femmes restèrent silencieuses pendant que Colette en finissait avec le shampoing de maman. Puis elle se mit à répandre la teinture dans la chevelure de sa sœur et à masser le tout jusqu’au cuir chevelu.

— Haaa… dit maman. Ça fait du bien.

Bientôt, la pièce fut envahie par l’odeur intense de la teinture.

— O.K., dit Colette, ça devrait aller.

Avec précaution, elle essuya la teinture sur le front et les oreilles de maman et lui mit un sac de plastique sur la tête.

— Tu peux t’asseoir maintenant.

Alors qu’elle se redressait, maman se mit la main sous le nez.

— Seigneur, dit Colette, tu saignes !

Elle se précipita vers la table de cuisine et tira un Kleenex de la boîte.

— Est-ce que ça va ? demanda-t-elle en lui tendant le mouchoir.

— Oui, oui. C’est un petit saignement de nez passager. C’est un des plaisirs d’être enceinte…

— Chanceuse, va…

Le saignement s’arrêta enfin, et maman alla s’asseoir à la table, le sac de plastique bien fixé sur de la tête avec des pinces à linge.

— Une élégante Lady Clairol, badina Colette.

En retour, maman lui tira la langue, comme quand elle était enfant.

— Je fais du thé. Tu en veux ?

— C’est pas de refus, répondit maman, tout en allumant une cigarette.

Colette versa l’eau dans la bouilloire et dit :

— Comment on se sent quand on est enceinte ?

— T’es drôle, Colette.

— Pourquoi tu dis ça ?

— Chaque fois que je suis enceinte, tu me poses la même question.

— Pis après ?

— T’as vécu l’expérience, une fois…

— Oui, mais j’étais tellement jeune et paniquée que je me souviens plus de rien, sauf de la nausée du matin. Et puis, de partager ton plaisir va pas te faire mourir, non ?

Maman prit le parti de ne pas faire de cas de la sortie de sa sœur. Elle se palpa le ventre et dit : « Bien d’abord, tu vois, ton corps se transforme, mais tu t’en rends pas compte. Au début, tu peux avoir des nausées le matin, comme tu disais, mais autrement… T’as pas vraiment l’impression d’être enceinte jusqu’à ce que ta grossesse devienne bien évidente et que les gens réagissent en te voyant. Ils veulent te toucher, comme si tu détenais un pouvoir magique. Et moi, ça me fait tout drôle de penser que le bébé se développe en-dedans de moi sans que je fasse quoi que ce soit de spécial. Le cœur du bébé se développe et ses traits se forment malgré moi. Je me lève pas le matin en me disant : “O.K., aujourd’hui, je vais lui faire grossir les oreilles et demain, les orteils…” »

Colette sourit.

— À sept mois, poursuivit maman, t’es toujours fatiguée. Ton corps a bien moins d’énergie. Pour te donner une idée, je suis plus capable de soulever Minou. Elle est encore petite, et elle adore ça quand je la prends dans mes bras et que je me promène dans la maison en lui chantant une de ses chansons préférées. Je faisais ça souvent dans notre ancien logement. Elle aime la musique comme une petite folle. Mais là, j’arrive plus à la lever.

— As-tu crié ?

— Quand j’ai accouché ?

— Oui.

— Le premier accouchement, c’est l’enfer.

Moi, dans mon coin, j’avais les oreilles qui se dressaient. Ces histoires de douleurs et d’accouchements, c’était bien mystérieux.

— As-tu des regrets ?

— Je regrette pas d’avoir eu mes enfants, pas une miette. Quoique, des fois, je te jure…

— C’est pas facile…

— Il y a rien de facile. C’est la vie qui est comme ça.

Colette déposa des tasses sur la table de cuisine.

— Des fois, dit maman, je me dis que j’aimerais que Marcel et Minou soient déjà adultes. Je dis ça, puis je suis encore enceinte…

— C’était un accident ?

— Disons que c’était pas planifié.

— As-tu peur ?

— Peur de quoi ?

— Je sais pas, que le bébé soit malade… Ou pire.

— Je pense à ça de temps en temps. Je prie pour que le bébé soit en santé. Faut accepter ce que Dieu veut bien nous donner, pas vrai ? T’espères pour le mieux.

— Amen.

La bouilloire sifflait. Colette s’approcha du poêle et remplit la théière.

— Est-ce que ça va, Colette ? Tu m’as pas l’air dans ton assiette…

— Je suis triste.

— À propos de quoi ?

— À propos de plein de choses… Y compris qu’on a pas d’enfants, Philippe et moi.

— Pourquoi vous en adoptez pas un ? Les crèches en ville sont pleines d’enfants qui ont besoin de bons parents.

— J’ai essayé d’en parler avec Philippe. Mais avoir une vraie conversation avec lui… Il sort jamais de sa bouche ce que j’aimerais entendre.

— Comment il va, Philippe, au fait ? Pas fort, il me semble. Je pensais qu’il s’était repris en mains.

— Pendant un certain temps, oui, après sa dépression. Mais là, il m’inquiète. Il a jamais été solide, mais c’est pire que jamais. Son alcoolisme, c’est comme un cheval fou. On dirait qu’il veut se tuer à boire de la vodka. Des fois, il est tellement paqueté et mêlé dans sa tête que j’ai peur qu’il fasse une autre dépression.

— Ça va si mal que ça ?

— Pour te dire, l’autre soir, il a passé la nuit sur le plancher du salon. Probablement qu’il était soûl et qu’il était en train de jouer avec Louis et il s’est endormi là, par terre. Quand je les ai trouvés, le matin, j’ai poussé un cri. Je pensais que Philippe était mort. Mais tout ce qu’il avait, c’était une gueule de bois carabinée.

Maman et Colette ne purent s’empêcher d’en rire.

— Je suis surprise que vous m’ayez pas entendu crier là-haut.

— Ouais, on a beau rire, mais de retrouver son mari de même…

— Tu peux le dire… Le pire, c’est qu’il lui arrive d’admettre qu’il a besoin d’aide, mais il fait rien. Dieu sait qu’il devrait. Les AA, un psychologue, un prêtre…

— Est-ce que tu essaies, toi, de l’aider ?

— Pendant des années, j’ai essayé. Des années… Mais il y a rien que je peux faire pour Philippe. Il m’écoute pas. Tiens, l’autre jour j’ai voulu le secouer, je lui ai dit qu’il était rien qu’un lâche, qu’il avait déserté notre relation, que tout ce qu’il voulait, c’était de se réfugier dans l’alcool, qu’il est rien qu’un ivrogne, chanceux d’avoir Joe pour pouvoir vivre comme un roi. Je lui tout garroché ça en pleine face.

— Qu’est-ce qu’il a dit ?

— Quelque chose de méchant. Quand il veut, Philippe a le don de me faire sentir comme une presque rien avec ses mots.

— Est-ce qu’il t’a déjà frappée ?

— Non. Philippe est jamais en manque de paroles.

— Qu’est-ce que tu veux dire ?

— C’est seulement quand un homme est à court de mots qu’il frappe sa femme.

— Je suppose que t’as raison.

— Et Paul, lui ?

— Quoi, Paul ?

— Est-ce qu’il a déjà levé la main sur toi ?

— Jamais, dit-elle. Quand même, je me dis que n’importe quel homme a une violence en lui, et ça peut exploser n’importe quand.

Les femmes sirotèrent leur thé dans une pause silencieuse.

— L’autre soir, dit Maman, Paul et moi on jasait… Il a encore en tête de partir d’ici à la fin de l’été. Il dit qu’il déteste vivre à Outremont et qu’on devrait retourner dans notre ancien quartier.

— T’es d’accord avec lui ?

— Mais non, tu le sais bien !

— Bon, ben d’abord, il faut trouver une raison assez bonne pour être certain que vous allez rester ici. Une fois que t’as vécu à Outremont, tu veux pas retourner à Ville-Marie. Ici, c’est comme vivre dans un autre pays. Un pays civilisé.

— Tu m’apprends rien, ma fille. Mais on a pas les moyens de vivre à Outremont pour toujours.

— Qu’est-ce que tu racontes ? Vous restez ici, un point c’est tout.

— On va pas payer le « tarif familial » pour toujours. Je suis certaine que Philippe…

— Philippe se fout de l’argent. En plus, il est bourré aux as. Sa business marche super bien.

— C’est certain que moi je veux pas retourner à Ville-Marie…

— L’idéal, ça serait de trouver une job à Paul près d’ici. Philippe a toutes sortes de relations, des entrepreneurs qui construisent des maisons à Westmount et Outremont. Ils ont toujours besoin de journaliers…

— C’est pas une si bonne idée que ça, j’ai bien peur. Paul l’admettrait jamais dans cent ans, mais il est jaloux de Philippe… C’est la principale raison qui le pousse à partir d’ici, je le sais très bien. Jamais il accepterait une job de Philippe.

Colette se tapa dans les mains.

— Je sais ce qu’on va faire ! On va inscrire Marcel et Minou à l’école de la rue Laurier, pas loin d’ici. C’est la meilleure de toute la ville. Je connais le directeur. Marcel va adorer cette école. C’est l’endroit parfait pour un petit gars intelligent comme lui. Avec une si belle opportunité pour vos enfants, vous allez devoir rester. Paul pourra pas contourner celle-là.

— Colette, ma chère, t’es une vraie démone.

Moi, on ne m’avait encore rien dit de cette nouvelle école que j’allais adorer ! Qu’est-ce que c’était que cette histoire ? Malheureusement, la conversation semblait avoir pris fin.

Une Colette toute souriante se leva.

— O.K., il est temps de rincer la teinture.

Maman repris sa position au-dessus de l’évier et Colette termina sa tâche. Quand tout fut complété, elle fit un turban à maman avec une serviette propre.

— Bon, dans une dizaine de minutes, je vais sécher tes cheveux, pis on verra ce que ça donne.

Maman retourna à la table de cuisine.

— Ah, en passant… dit Colette. On voyait qu’elle s’efforçait de prendre un ton aussi naturel que possible. J’ai parlé à maman hier, au téléphone.

— S’il te plaît, Colette, recommence pas avec tes histoires au sujet de maman.

— Tu penses pas qu’il serait temps que toi et maman vous arrêtiez de vous disputer ? Surtout que tu attends un bébé et tout…

— Dis lui ça à elle. C’est de sa faute, cette chicane. Sa façon de se conduire avec Paul… Sa manie de dire des choses épouvantables à son sujet et de lui lancer des insultes en pleine face. Le traiter de babouin devant tout le monde, ce soir-là, au restaurant. Tu t’en souviens ?

La propension au rire, chez les deux sœurs, prit le dessus.

— Maman a toujours été difficile, concéda Colette.

— Difficile ? Tabarnouche, elle était la pire des mères. Elle a toujours fait ce qu’elle a voulu, et ce qu’elle voulait était toujours plus important que n’importe quoi ou n’importe qui d’autre — papa, nous, tout le monde.

— Je sais… Mais faut dire qu’elle nous a aussi enseigné à être fortes et indépendantes. J’ai jamais connu une autre femme comme elle.

— Dieu merci, il y en pas d’autres comme elle.

— En tout cas, moi je pense que tu devrais quand même aller la voir. Elle se meurt, tu sais.

— Elle se meurt depuis des années…

— Non, non. Cette fois, je pense bien que c’est vrai. Son diabète est très sérieux. Elle voit presque plus rien. Et ses jambes… Elle risque de se les faire amputer. J’étais avec elle à l’hospice la semaine dernière. Elle a demandé à te voir.

— Ouais, bon…

— Ça fait quoi ? quatre ans que vos disputes ont commencé ?

— On s’est toujours chicané, elle et moi…

— Comment tu vas te sentir quand tu vas apprendre qu’elle est morte sans l’avoir revue une dernière fois ? Il faut que t’ailles la visiter.

Ma mère allait répliquer quand la sonnette d’entrée se fit entendre.

— Bon, dit Colette, qui ça peut être ?

Elle se dirigea vers l’entrée. Maman se réfugia dans une chambre, croyant que c’était sa mère qui arrivait. Colette était bien capable d’une telle ruse. Mais non, ce n’était pas sa mère.

 

Aimez-vous vous pomponner ? C’est la chance que vous avez aujourd’hui.

Si vous n’avez jamais expérimenté la félicité d’un nouvel arôme…

la douceur exquise d’une crème de nuit…

faire le choix d’un maquillage fait sur mesure pour vous,

dans la douceur de votre foyer…

une merveilleuse opportunité s’offre à vous à cet instant même.

« Voici Avon, madame. »