21

Marcus n’était pas enclin à la violence physique. Ce soir, toutefois, à la vue du sourire suffisant de Colin Bridgerton, il se sentait des envies de meurtre.

Ce dernier le salua d’un hochement de tête poli, ponctué d’un regard. Si Marcus avait été de meilleure humeur, il aurait peut-être pu trouver les mots pour expliquer ce que ce regard avait d’horripilant, en l’occurrence, il était d’une humeur exécrable. Pourtant, quelques instants plus tôt, tout allait bien. Et même très bien, en dépit de l’épreuve auditive qu’il venait de subir. Bien que ses tympans soient peut-être définitivement endommagés, il s’était senti heureux et fier face à Honoria qui avait bravement répété avec ses cousines avant de monter sur scène tel un bon petit soldat, prête à tout donner dans ce tribut à la famille. Pas une seconde elle ne s’était départie de son sourire, et Marcus avait deviné que ce sourire n’était pas destiné aux spectateurs, ni même à Mozart. Non, elle souriait aux gens qu’elle aimait. Et, l’espace d’un instant, il s’était autorisé à imaginer être l’un d’eux.

Dans le secret de son cœur, elle lui souriait à lui, Marcus.

À présent, en revanche, c’était à Colin Bridgerton, le charmeur de service aux yeux verts, qu’elle souriait.

Déjà Marcus avait eu bien du mal à supporter cette vision. Mais quand Colin Bridgerton lui avait rendu son sourire en inclinant la tête vers elle avec cet air de connivence…

Certaines choses étaient intolérables.

Avant de s’interposer, il avait dû mettre un terme à sa conversation avec Felicity Featherington, ou plus exactement avec la mère de celle-ci. Sans doute s’était-il montré grossier. Non, c’était une certitude : il s’était comporté en rustre. Mais à sa décharge, nul ne pouvait échapper à Mme Featherington en faisant preuve de diplomatie.

Finalement, après avoir quasiment arraché son bras à Mme Featherington, il avait foncé sur Honoria qui, radieuse, bavardait joyeusement avec Colin Bridgerton.

Il n’avait pas eu l’intention d’être agressif. Mais alors qu’il approchait, Honoria avait fait un petit pas de côté et il avait entrevu, pointant sous sa jupe, un petit triangle de satin rouge.

Ses escarpins porte-bonheur.

Et tout à coup, il avait vu rouge. Littéralement.

Il ne voulait pas qu’un autre homme voie ces chaussures. Il ne supportait même pas l’idée qu’un autre sache qu’elle les portait.

Il la salua froidement :

— Lady Honoria.

— Lord Chatteris.

Il détestait qu’elle l’appelle ainsi.

— Je suis heureuse de vous voir, dit-elle poliment. Vous connaissez M. Bridgerton ?

— Je le connais.

Bridgerton hocha brièvement la tête et Marcus l’imita. C’était apparemment le summum de l’échange qu’ils souhaitaient avoir.

Marcus attendit que Bridgerton trouve une excuse quelconque pour prendre congé. Ce crétin aux airs supérieurs allait sûrement comprendre que c’était la seule chose à faire.

Mais non, il restait là, à sourire bêtement.

Honoria se décida à meubler le silence chargé d’hostilité.

— M. Bridgerton disait à l’instant que…

Marcus déclara au même moment :

— Si vous voulez bien nous excuser, Bridgerton. Je dois m’entretenir en privé avec lady Honoria.

Honoria se retrancha dans un silence glacial.

Colin Bridgerton jaugea Marcus du regard et resta sans réaction, juste assez longtemps pour qu’une bouffée de colère envahisse ce dernier. Puis, comme si de rien n’était, Colin reprit son attitude désinvolte et s’inclina.

— Bien entendu. Je me disais justement que je mourais de soif et que j’avais très envie d’un verre de citronnade.

Sur un ultime sourire, il tourna les talons.

Honoria attendit qu’il se soit éloigné avant d’articuler, furieuse :

— Qu’est-ce qui te prend ? Tu es incroyablement grossier !

— Contrairement au jeune Gregory, ce Bridgerton-là a de la bouteille.

— De quoi diable parles-tu ?

— Tu ne devrais pas flirter avec lui.

— Je ne flirtais pas !

— Bien sûr que si. Je vous ai observés.

— Cela m’étonnerait bien, tu étais très occupé à discuter avec Felicity Featherington.

— Qui fait une bonne tête de moins que moi. J’ai très bien vu que vous fricotiez.

Le ton était si accusateur que Honoria en fut ulcérée. Marcus osait lui faire des reproches alors que c’était lui qui se conduisait comme un malotru. Quel culot !

— Sache que c’est ta tante qui l’a appelé. Tu ne voulais quand même pas que je le plante là alors qu’il est mon invité !

— Ma tante ?

— Oui, lady Danbury. Ton arrière-arrière-arrière-arrière-arrière…

Il la fusilla du regard. Elle poursuivit, pour le simple plaisir de l’embêter :

— … arrière-arrière-arrière-arrière…

Marcus grommela un juron.

— Lady Danbury est un fléau.

— Moi, je l’aime bien, riposta Honoria d’un air de défi.

Il ne répondit pas, mais il semblait hors de lui. Pourquoi ?

Honoria ne comprenait pas ce qui avait pu déclencher sa colère. C’était elle qui était amoureuse d’un homme qui la considérait comme un fardeau. En cet instant même, Marcus continuait d’honorer la promesse faite à Daniel et de chasser les soupirants qu’il estimait indésirables.

De quoi se mêlait-il ? S’il ne voulait pas d’elle, il aurait pu au moins ne pas ruiner ses chances de rencontrer quelqu’un d’autre.

— Je te laisse, déclara-t-elle, incapable d’en supporter davantage.

Elle ne voulait plus le voir, ni voir Capucine, ni Iris, ni sa mère, ni même M. Bridgerton qui s’était retranché dans un coin, son verre de citronnade à la main, pour roucouler avec la sœur aînée de Felicity Featherington.

— Où vas-tu ?

Honoria ne répondit pas. Cela ne le regardait pas.

Elle quitta la salle sans un regard en arrière.

 

 

Sacré nom de nom !

Marcus aurait aimé se lancer à la poursuite de Honoria, sauf que, bien sûr, cela aurait causé un esclandre. Déjà que leur dispute n’était pas passée inaperçue. Dans son coin, Colin Bridgerton ricanait derrière son verre, et non loin, lady Danbury arborait la mine satisfaite de celle qui sait tirer les ficelles.

Et il avait la désagréable impression qu’elle venait de lui faire un croche-pied.

Comme l’insupportable M. Bridgerton levait sa main bandée pour lui adresser un salut moqueur, Marcus décida qu’il en avait assez enduré et quitta la salle à son tour.

Au diable, les ragots. Si les commères se rendaient compte qu’il suivait Honoria et poussaient les hauts cris en exigeant qu’il demande la jeune fille en mariage, grand bien leur fasse. Il était tout prêt à se soumettre à leur désir.

Après avoir inspecté en vain le jardin, le salon, la bibliothèque et même les cuisines, il dénicha finalement Honoria dans sa chambre. Il n’était pas censé se trouver là, mais ayant séjourné maintes fois à Winstead House, il savait où se situaient les appartements privés.

Pensait-elle vraiment qu’il n’irait pas la débusquer ici après avoir fouillé toute la maison ?

À son entrée, elle sursauta.

— Marcus ! s’exclama-t-elle d’une voix suraiguë. Que fais-tu ici ?

— Bon sang, Honoria, qu’est-ce qui t’arrive ?

— Qu’est-ce qui m’arrive ? C’est plutôt moi qui devrais te poser la question ! rétorqua-t-elle en se recroquevillant contre la tête de lit.

— Ce n’est pas moi qui ai fui la réception pour aller bouder dans mon coin.

— Ce n’est pas une réception, c’est un récital.

— C’est ton récital.

— Et je boude si j’en ai envie.

Bras croisés, elle ajouta d’un ton plein d’animosité :

— Tu n’as rien à faire dans ma chambre. C’est inconvenant.

Il balaya cet argument d’un geste de la main.

— Je t’en prie ! Tu viens de passer une semaine dans ma chambre.

— Tu étais plus mort que vif !

Soit, mais si elle croyait s’en tirer ainsi, elle se trompait.

— Figure-toi que je te rendais service quand j’ai demandé à Bridgerton de déguerpir. Tu ne dois pas fréquenter un type pareil.

— Quoi ? s’écria-t-elle.

— Pas si fort, tout le monde va t’entendre.

— Je ne faisais pas de bruit avant que tu t’introduises dans ma chambre !

— Je te dis que Bridgerton n’est pas un homme pour toi.

— Je n’ai jamais dit le contraire. C’est lady Danbury qui l’a poussé dans ma direction.

— Cette femme est un fléau.

— Tu l’as déjà dit.

— Cela mérite d’être répété. Bon sang, tu ne comprends donc pas ? Elle essayait juste de me rendre jaloux !

Dans le silence qui suivit, Honoria se leva.

Marcus jeta un coup d’œil à la porte restée entrebâillée, puis s’en alla promptement la fermer.

Il pivota vers Honoria qui s’était pétrifiée, les yeux écarquillés dans cette expression ahurie qui l’avait toujours énervé. À la lumière de la bougie, ses iris prenaient un reflet argenté presque hypnotique.

Elle était belle. Il le savait déjà, mais sa beauté le frappa de nouveau avec une force qui faillit lui couper les jambes.

— Pourquoi lady Danbury voudrait-elle te rendre jaloux ? demanda-t-elle dans un souffle.

Il serra les dents, puis se força à répondre :

— Je ne sais pas. Sans doute parce qu’elle se croit toute-puissante.

Tout plutôt que d’avouer la vérité.

Il n’avait pas peur de lui dire qu’il l’aimait, mais le moment était mal choisi. Il ne voulait pas que les choses se passent ainsi, dans la colère et l’affrontement.

Honoria était toujours immobile. Seule sa gorge bougeait chaque fois qu’elle avalait sa salive.

— Et pourquoi te crois-tu investi d’une mission qui consisterait à me protéger des hommes que je ne suis pas supposée fréquenter ?

Il ne répondit pas.

— Pourquoi, Marcus ?

— Parce que Daniel me l’a demandé.

Il n’en avait pas honte. Il assumait même de ne pas l’avoir dit à Honoria. Il n’aimait cependant pas être ainsi mis au pied du mur.

Honoria prit une profonde inspiration, puis vida ses poumons dans un soupir tremblé. Elle porta la main à sa bouche, ferma les yeux et, l’espace d’un instant, il crut qu’elle allait fondre en larmes.

Puis il se rendit compte qu’elle s’efforçait juste de contenir son émotion. Que ressentait-elle ? Du chagrin ? De la colère ? Il n’aurait su dire, pourtant, pour une raison inconnue, une douleur fulgurante le transperça, comme si on lui avait enfoncé un épieu dans la poitrine.

— Daniel rentre bientôt, tu seras donc déchargé de ta responsabilité, articula-t-elle.

— Non.

Ce mot avait jailli tel un serment venu du tréfonds de son être.

— Comment cela « non » ?

Il fit un pas en avant. Il ne savait pas au juste ce qu’il allait faire, mais il était incapable de se contrôler.

— Non, répéta-t-il. Je ne veux pas être déchargé de cette responsabilité.

Les lèvres de Honoria s’entrouvrirent.

Il fit encore un pas. Son cœur battait à tout rompre et une onde brûlante était en train de l’embraser.

Il lui prit la main.

— Je te veux. Toi, dit-il sans détour.

— Marcus, je…

— Je veux t’embrasser, la coupa-t-il en caressant du doigt ses lèvres frémissantes. Te tenir dans mes bras. Je me consume pour toi.

Puis, lentement, il lui encadra le visage de ses mains et s’empara de ses lèvres. Il l’embrassa avec toute la fièvre et la passion qui brûlaient en lui depuis des jours et qu’il avait eu tant de mal à réprimer.

Cet amour, dont il n’avait pris conscience que récemment, était sans doute là depuis toujours, tapi dans son cœur, attendant juste d’être découvert et libéré.

Il l’aimait.

Il la désirait.

Il avait besoin d’elle.

Maintenant.

Toute sa vie, il s’était comporté en parfait gentleman. Il n’avait jamais été un coureur de jupons, n’avait même jamais flirté avec quiconque. Il détestait attirer l’attention sur lui, mais bon sang, il voulait que Honoria le regarde ! Pour une fois dans sa vie, il voulait mal se conduire, la prendre dans ses bras et la porter sur le lit. Lui ôter ses vêtements et rendre hommage à son corps nu. Lui prouver par ses actes ce qu’il était incapable de dire en mots.

— Honoria, chuchota-t-il en espérant qu’elle perçoive son émotion dans sa voix.

Elle lui frôla la joue, sans cesser de le scruter, puis s’humecta les lèvres.

Et soudain c’en fut trop. Il voulait l’embrasser de nouveau, la serrer dans ses bras, sentir son corps contre le sien. Si elle l’avait repoussé, si elle avait émis la moindre protestation, il aurait renoncé et serait parti. Mais elle ne le rejeta pas. Elle se contenta de le regarder, l’air émerveillé.

Alors il l’enlaça et reprit sa bouche.

Ses mains coururent sur ses courbes. Honoria poussa un gémissement qui lui mit le sang en ébullition. La plaquant contre lui, il fit descendre ses mains sur les délicieuses rondeurs de ses fesses, les empoigna pour la presser contre son érection.

Elle laissa échapper un petit cri de surprise, mais il n’était pas en état de la rassurer en lui expliquant le pourquoi d’une telle réaction physique. Elle était innocente et il aurait dû se montrer patient, la guider pas à pas. Il y avait cependant une limite au contrôle qu’un homme pouvait exercer sur lui-même, et celle-ci avait été franchie lorsqu’elle lui avait caressé la joue.

Honoria s’abandonnait entre ses bras, lui rendait ses baisers. Alors il la souleva dans ses bras pour l’emporter vers le lit où il la déposa le plus tendrement possible. Puis il s’étendit sur elle et, au contact de son corps alangui, un flot de sensations vertigineuses explosa en lui.

Il glissa la main sous la manche ballon de sa robe pour dénuder son épaule laiteuse.

— Honoria, souffla-t-il encore.

S’il n’avait été aussi enflammé de désir, il aurait peut-être ri de lui-même. Son prénom était le seul mot qu’il semblait encore capable d’articuler. Peut-être parce que c’était le seul qui comptât.

Elle leva les yeux sur lui. Ses lèvres étaient gonflées, ses yeux lavande flamboyaient de passion et sa poitrine se soulevait au rythme de sa respiration saccadée. Il n’avait jamais vu femme plus belle.

— Honoria, répéta-t-il, cette fois comme une question, ou peut-être une supplique.

Il se redressa et se débarrassa de sa veste et de sa chemise. Il avait besoin de sentir l’air frais sur sa peau surchauffée, et surtout de sentir sa peau à elle.

Lorsqu’il fut torse nu, elle lui tendit les bras en murmurant son prénom, et il oublia tout le reste.

 

 

Honoria ignorait à quel moment précis elle avait décidé de se donner à Marcus. Peut-être quand il avait prononcé son nom pour la première fois et qu’elle lui avait caressé la joue. Ou peut-être quand il avait posé sur elle ce regard affamé en avouant : « Je me consume pour toi. »

Elle avait plutôt l’impression que cela s’était produit quand il avait fait irruption dans sa chambre. À cet instant, elle avait su que cela arriverait, que s’il lui disait qu’il l’aimait, ou même simplement qu’il la désirait, elle serait perdue.

Elle était assise sur son lit, à se demander comment la soirée avait bien pu tourner au cauchemar, et soudain il était apparu, tel un esprit qu’elle aurait invoqué et qui se serait matérialisé devant elle.

Ils s’étaient disputés, et si un témoin de la scène l’avait interrogée à ce moment, elle aurait juré qu’elle n’avait qu’une envie : le chasser de la chambre et s’enfermer à double tour. Pourtant, dans le secret de son cœur, un déclic s’était produit et une douce chaleur était déjà en train de se répandre en elle.

Lorsqu’il avait franchi la distance qui les séparait et l’avait l’embrassée, elle n’avait pas été davantage capable de refréner son désir qu’elle n’aurait pu s’empêcher de respirer. Et quand il l’avait allongée sur le lit, elle avait senti que c’était là sa place, entre ses bras solides.

Il lui appartenait, c’était aussi simple que cela.

À présent il la couvait d’un regard où brûlait le feu d’un désir de possession primitif. Et elle voulait lui appartenir. Pour toujours.

Seigneur, elle en mourait d’envie.

Elle promena les mains sur son corps, se délecta de sa chaleur. Elle sentit son cœur battre follement sous sa paume.

Il chuchota son prénom. Il était si beau, si grave, si… généreux.

Marcus était un homme bien, un homme de cœur. Et sa bouche qui lui butinait le cou déclenchait des sensations délicieuses.

Elle avait ôté ses escarpins en entrant dans la chambre un peu plus tôt, et ne portait que ses bas. Doucement, elle fit remonter son pied gainé de soie le long de sa…

Elle s’esclaffa.

Marcus se redressa, l’air perplexe.

— Qu’y a-t-il ?

— Tes bottes, pouffa-t-elle.

Lentement, il tourna la tête et laissa échapper un juron.

Honoria rit encore plus fort.

— Tu devrais peut-être les enlever, non ?

— Cela va prendre du temps.

— Il n’est pas question que je t’apporte une paire de ciseaux pour régler le problème.

Il se résigna à s’asseoir, tira sur une botte qui finit par glisser et tomba sur le parquet.

— Tu vois, ce ne sera pas nécessaire, dit-il.

— Dieu merci ! murmura-t-elle en s’efforçant de garder son sérieux.

Il se débarrassa de l’autre botte avant de se tourner vers elle pour l’envelopper d’un regard ardent qui lui coupa le souffle.

Passant les mains dans son dos, il s’attaqua à la rangée de petits boutons qui fermaient sa robe. La soie glissa dans un doux chuintement. Spontanément, Honoria croisa les bras sur sa poitrine. Marcus ne tenta pas de l’en empêcher. Il se contenta de l’embrasser avec ferveur. Peu à peu, elle se détendit, jusqu’au moment où elle se rendit compte qu’il avait la main posée sur son sein.

Et c’était merveilleux.

Elle ignorait que son corps pouvait être si sensible et avide.

Les doigts de Marcus frôlèrent la pointe rose et Honoria tressaillit violemment.

— Marcus !

— Tu es si belle, murmura-t-il.

Elle se sentait belle. Quand il la regardait ainsi, qu’il la touchait ainsi, elle avait l’impression d’être la plus belle femme que la terre ait jamais portée.

La bouche de Marcus remplaça sa main et Honoria laissa échapper un petit cri de stupeur. Elle enfouit les doigts dans l’épaisse chevelure de Marcus. Elle devait se cramponner à lui ou elle allait tomber, tomber, comme du haut d’une falaise, ou peut-être s’envoler et se dissoudre dans l’air, disparaître purement et simplement, consumée tout entière par ce feu qui la dévorait.

Son corps lui semblait complètement étranger et, en même temps, toutes ces sensations lui paraissaient naturelles, dans l’ordre des choses. Ses mains savaient où se poser, ses hanches remuaient d’instinct, et lorsque la bouche de Marcus glissa sur son ventre après qu’il eut retroussé sa jupe, elle sut que tout cela était normal et qu’elle le voulait aussi. Qu’elle en voulait plus.

Il lui écarta doucement les cuisses et, docile, elle le laissa faire.

— Oui, souffla-t-elle. Marcus… s’il te plaît…

Alors il l’embrassa.

Elle ne s’y attendait pas du tout et crut mourir de plaisir. Elle pensait qu’il allait entrer en elle, mais au lieu de cela il lui rendait hommage avec sa bouche, sa langue, ses lèvres. Les sensations étaient décuplées, d’une intensité incroyable… Elle se tordait en gémissant, articulait des mots sans suite.

— Marcus… l’implora-t-elle.

Elle ne savait pas ce qu’elle réclamait. Elle savait juste que lui seul pouvait le lui donner. Lui seul avait le pouvoir d’éteindre ce brasier, de l’envoyer au paradis, puis de la ramener sur terre avec lui, où elle pourrait passer le reste de sa vie entre ses bras.

Il s’écarta un instant et elle faillit crier tant la sensation de manque était forte. Fébrile, il se débarrassa de son pantalon, puis s’étendit de nouveau sur elle et se positionna entre ses jambes.

Son regard se riva au sien.

— Prends-moi, haleta-t-elle.

Il entreprit de la pénétrer lentement. Elle se crispa d’instinct, puis, consciente qu’elle ne lui facilitait pas la tâche, elle s’efforça de se détendre. Avec précaution, il continua sa progression en elle, jusqu’au moment où, avec un petit cri de surprise, elle se rendit compte qu’il était totalement en elle.

Il frissonna de plaisir avant de commencer à se mouvoir en rythme. La tension grandit, devint presque insupportable tandis qu’elle murmurait des mots sans suite. Puis quelque chose se produisit. Une explosion de tout son être, comme si toute cette énergie accumulée se libérait d’un coup.

Presque simultanément, Marcus s’arc-bouta, donna un ultime coup de reins en laissant échapper un cri rauque avant de se déverser en elle.

Pendant de longues minutes, Honoria ne put que rester étendue, à savourer la chaleur de leurs deux corps réunis.

Puis Marcus se retira. Il ramena la couverture sur eux et ils se pelotonnèrent l’un contre l’autre comme dans un nid.

Honoria n’aurait pu imaginer moment plus paisible et complice. Et il en irait ainsi jusqu’à la fin de leur vie.

Marcus n’avait pas parlé de mariage, mais cela ne la préoccupait pas. Il ne l’abandonnerait jamais après une telle expérience. Il devait attendre le bon moment pour faire sa demande. Son cher Marcus ! Il avait toujours à cœur de faire les choses convenablement.

Cela dit, ce qu’ils venaient de faire n’était pas du tout convenable, songea-t-elle avec malice.

— À quoi penses-tu ? demanda-t-il.

— À rien, mentit-elle. Pourquoi ?

Il se hissa sur le coude et, la tête calée dans sa main, la dévisagea.

— Parce que tu as une tête effrayante.

— Comment cela, effrayante ?

— Tu as la tête de quelqu’un qui mijote quelque chose.

Il rit doucement, et les vibrations de son rire se répercutèrent dans le corps de Honoria. Reprenant son sérieux, il murmura :

— Il va falloir retourner là-bas.

— Je sais, soupira-t-elle. On va remarquer notre absence.

— Surtout la tienne.

— Je vais dire à ma mère que je ne me sentais pas bien, que… tiens, que j’ai sans doute la même maladie que Sarah. Qui se porte comme un charme, mais personne ne le sait. Sauf Sarah. Et moi. Et Iris. Et sans doute Mlle Wynter.

Marcus se pencha pour l’embrasser sur le bout du nez.

— Si je le pouvais, je resterais ici à jamais.

Elle sourit. Ses paroles la plongeaient dans une douce euphorie.

— En réalité, je pensais juste que ce que nous venons de faire avait un avant-goût de paradis, avoua-t-elle.

Il resta silencieux un instant, puis, d’une voix si basse qu’elle ne fut pas sûre de l’avoir bien entendu, il murmura :

— C’était bien mieux que le paradis.