« Un océan de larmes. Une mer démontée. Un corps restitué aux abysses qui avaient assuré sa célébrité. L’immensité de l’océan n’est-elle pas un reflet liquide de l’infinité de l’espace ? »
Le commentateur en rajoutait dans le pathos et les lieux communs.
L’écran gonflable hoquetait, problème de débit, molécules fatiguées. Ce qui n’empêchait pas Iliana Tobiak de regarder le documentaire sur la mort d’Abraham Flighenstein en versant une petite larme. Elle avait assisté au retour de l’astronaute en véritable fanatique. Le premier homme à avoir quitté le système solaire, puis le premier à avoir atteint une autre étoile. Depuis son plus jeune âge, Iliana Tobiak rêvait régulièrement qu’elle prenait son élan et s’envolait, elle s’élevait dans l’atmosphère de plus en plus vite, et se libérait de l’attraction terrestre à pleine vitesse. Le noir de l’espace clouté d’étoiles la saisissait d’un manteau de givre, mais elle ne ressentait pas le froid et planait entre les astres. Au réveil, ses draps étaient trempés… Iliana Tobiak était une sensitive. L’émotion la traversait en permanence, la terrassait parfois. Elle jouissait de toutes les expériences, de toutes les visions, de toute son imagination. Alors le sexe, vous pensez bien…
Elle avait obtenu son diplôme de médecine d’extrême justesse, sinon d’extrême justice. Arrivée cinquante-troisième, il lui fallut déployer un art « consommé » de la séduction pour que le numerus clausus fixé à cinquante-deux soit revu à la hausse une heure avant la proclamation officielle des résultats. Et ainsi de suite, gravissant les échelons en suivant les préceptes d’Hippocrate aussi bien que ceux d’Ishtar, elle avait profité de ses confrères pour se faire implanter à l’œil et subséquemment sur toutes ses zones érogènes force plastipressions à base de tentacules et de mains miniatures et dirigeait maintenant le service de soins intensifs de l’hôpital militaire de Narcose après avoir obtenu ses galons auprès du général Borges, grand adepte de la mégapompe anale et de la tablette testiculaire. Le commandant Tobiak pouvait ainsi actionner à son tour les leviers du pouvoir et favoriser l’admission dans son service de jeunes et fringants soldats aptes à satisfaire ses caprices. Son préféré était de garde à la « boîte noire ». Il s’appelait Clive Jurgens, avait vingt-quatre ans et une musculature digne des meilleurs péplums. La boîte noire était une salle excentrée, à l’accès sécurisé, équipée pour satisfaire toute intervention chirurgicale d’urgence ou soins intensifs prolongés. Elle était réservée aux patients qui, pour une raison ou une autre, devaient être maintenus au secret. Depuis quelques mois, le caisson de survie, qui ressemblait à un sarcophage égyptien translucide et ne laissait donc voir que la silhouette de son occupant, était occupé par un illustre inconnu en coma profond. Iliana Tobiak avait essayé d’en savoir plus, mais sans succès. Le caisson était programmé pour ne libérer son ouverture qu’en cas de réveil du patient. Au fil du temps, les muscles et le sexe de Clive Jurgens avaient supplanté dans son esprit l’inconnu qui moisissait dans le caisson de survie.
Iliana et Clive se léchaient, se mordillaient, se pénétraient comme des bêtes sur le sol moquetté de la boîte noire lorsqu’un bruit inhabituel zébra l’atmosphère feutrée des lieux. Clive, tout occupé à fouiner l’entre-fesses d’Iliana, n’entendit rien, mais le commandant Tobiak réactiva en un clin d’œil son statut de chef de service et dressa l’oreille. Il n’y avait plus rien à entendre, mais ce qu’il y avait à voir était stupéfiant. Les élytres du caisson de survie étaient relevés et l’illustre inconnu se redressait lentement, comme un vampire s’extirpant de son cercueil à la tombée de la nuit. Mais, plus étonnant, bien que toujours illustre, il n’était plus inconnu.
Iliana Tobiak avait totalement oublié qu’un jeune militaire lui broutait l’entre-fesses. Elle était raide comme une statue étrusque, à quatre pattes, la poitrine bombée, le regard figé sur l’homme qui s’extirpait du caisson.
Et cet homme n’était autre que son héros, son Ulysse interstellaire, l’astronaute Abraham Flighenstein.
Elle ouvrit la bouche, mais aucun son digne de ce nom n’en sortit. Juste un filet de voix geignard. Le soldat Jurgens, qui interpréta ce gémissement à son avantage, léchouilla de plus belle la raie culière d’Iliana qui le sentit à peine.
Le commandant Tobiak assistait à un événement aussi phénoménal que la résurrection du Christ.
Abraham Flighenstein arracha d’un geste rageur la forêt d’électrodes et de drains qui le reliaient au caisson de survie et se rua sur elle, sexe dressé tel un faune. Il l’empoigna sous les aisselles, l’arracha à la bouche de Jurgens et l’empala ruisselante sur son sexe dressé.
Iliana perdit connaissance.
Le temps que Jurgens recouvre ses esprits, Iliana était revenue à elle et grouinait sauvagement, ce qui était parfaitement en accord avec sa queue de porc.
Jurgens sortit son arme et la pointa sur Flighenstein.
— Je vous ordonne de… de… de vous retirer immédiatement du commandant Tobiak.
Flighenstein le regarda en souriant.
— Je n’ai plus baisé depuis bientôt mille ans, alors tu vas me faire le plaisir de la boucler en attendant ton tour !
Et d’un puissant crochet du gauche, il envoya le soldat Jurgens patienter dans les bras de Morphée.