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La brigade des corps au grand complet, de la standardiste stagiaire Nelly Rosenthal au capitaine Murdoc Mordecaï, débarqua au Lemno’s Club.

Des tentacules frémirent autour de verges moites, des polypes se décrochèrent de colons particulièrement bien graissés, des soies de porc cliquetèrent sur des faces de rat, mais les clients les plus paranos réalisèrent vite que ce troupeau de flics n’était pas là pour une gigantesque rafle mais bien pour goûter aux plaisirs de la boîte la plus déjantée de Narcose. Une fois n’était pas coutume.

On leur avait offert cette soirée exceptionnelle pour le départ à la retraite du capitaine Murdoc Mordecaï et, dans la foulée, pour la mise à pied volontaire du lieutenant Katleen Slobovtna. Ils quittaient tous deux la brigade dans une semaine exactement.

Certes, au sein de la grouillance animalière qui gesticulait sur les pistes de danse et se trémoussait dans les coques à viande en sirotant le cocktail du soir, un délicieux Sambra-Cruz bleuté corsé à la larve de crapoux, les flics – dont le règlement intérieur interdisait toute parure animalière visible, ce qui laissait tout de même le champ libre à des symbiotes anaux que n’aurait probablement pas renié Möbius, et à quelques incrustations génitales ou mammaires – faisaient un peu tache. Mais une fois branchés sur les canules à téter, ils s’envoyèrent en l’air comme tout lamantin ou rhinocéros qui se respecte.

 

Le lieutenant Katleen Slobovtna avait ingéré une demi-douzaine de scotch-benzédrine, trois Sambra-Cruz et un nombre indéterminé de Chupabombers et avait l’impression de marcher sur un tapis de fourmis.

— Regarde, David… Je n’ai plus besoin de bouger mes jambes pour avancer !

— T’es complètement raide, Katleen ! C’est le sol qui bouge.

— Et toi ?

— Quoi, moi ?

— Tu ne bois jamais ? Tu… tu… ne fumes jamais ? Tu ne t’injectes jamais rien nulle part ?

— Katleen !

Elle pouffa…

— Ouais… nulle part… C’est ce que j’ai dit… même si… ce n’était pas tout à fait ce que je voulais dire…

— Qu’est-ce que tu racontes ?

Katleen lui fit un clin d’œil.

— J’ai l’impression que tu ne baises pas trop non plus… Voilà ce que je veux dire…

David soupira.

— Depuis quand tu t’intéresses à ma vie privée ?

— Depuis le quatrième scotch-benzédrine, à moins que ce ne soit le deuxième Chupabomber, lui répondit-elle en grimaçant.

Elle trébucha.

— Attention !

Katleen tangua un instant puis bascula du tapis roulant qui les conduisait à la plage du Lemno’s Club.

David fit un petit saut de côté et la réceptionna dans ses bras. Les lèvres de Katleen frôlèrent sa joue puis s’immobilisèrent devant les siennes.

— Katleen, je… m’excuse, mais… je ne voulais pas…

Elle afficha un sourire béat.

— Tu n’es pas obligé de t’excuser…

Elle entrouvrit ses lèvres.

David l’embrassa.

Et elle vomit.