Lorsque Helen partait en mission, elle mettait sa combinaison la plus moulante et la plus échancrée. Pas dans l’idée de s’envoyer en l’air, mais pour déstabiliser un brin ses interlocuteurs. Elle évitait les incrustations semi-vivantes au niveau du visage pour ne pas rebuter les petites natures. Bref, elle essayait de mettre toutes les cartes de son côté. Et elle allait certainement en avoir besoin pour mettre à profit sa « descente » dans les locaux de la Compagnie Autonome de Navigation InterStellaire.
Elle tendit sa carte à la jeune fille qui avait l’air de s’ennuyer ferme à l’accueil. Le crâne surmonté d’une gerbe de tentacules mauves qui frémissaient au passage du moindre insecte, elle caressait machinalement la tête d’une chimère d’araignée et de poussin tout en pianotant sur son clavipaume.
— Charmant, votre petit animal de compagnie…
La jeune fille leva les yeux sans bouger le reste du visage.
— Elle s’appelle Bertha. Vous voulez la caresser ?
— Non, merci, répondit Helen en lui tendant sa carte. J’aimerais bien pouvoir discuter cinq minutes avec un collègue de boulot de Benjamin Sharkey.
La jeune fille redressa la tête.
— C’est dur de mourir d’une crise cardiaque à son âge. Y a vraiment pas de justice, vous ne trouvez pas ?
— Non, y a pas de justice, ça c’est sûr.
— Je ne sais pas trop si j’ai le droit de vous faire rentrer sans demander l’autorisation d’un responsable. Excusez-moi si vous trouvez cela un peu trivial, mais on ne fait pas rentrer un flic comme ça dans la boîte. Benjamin a fait quelque chose de mal avant de mourir ?
— Non, rassurez-vous, mais on a trouvé quelques unités de stockage bourrées de formules dans son conapt et on aurait voulu savoir si le labo avait envie de les récupérer.
— Ah… Catherine Meyer doit être au boulot à cette heure-là. C’était sa principale collaboratrice.
— Je pourrais aller la voir un petit instant ?
— Ah non. Ça c’est impossible. Il vous faudrait un mandat de perquisition ou bien l’accord signé du directeur. Mais je peux lui demander de venir, si vous le désirez ? Il y a un petit salon de discussion sur votre droite où vous pourrez être tranquilles, dit la jeune fille en lui faisant un clin d’œil de connivence.
Catherine Meyer était un lolitrans. Ce qui n’avait rien d’extraordinaire en soi, mais qui collait mal avec l’idée que l’on se faisait d’un chercheur en topographie des réseaux. Il avait l’air mal à l’aise et pressé de retourner dans son labo mais prit quand même le temps d’admirer la plastique alléchante d’Helen. Il lui proposa d’aller près de la machine à café plutôt que dans le petit salon.
— Vous êtes de la crime ?
— Non, police scientifique.
— Et on a fait appel à vous juste pour nous ramener des fichiers ?
— Eh bien…
— OK. Tournez-vous vers la machine. Il y a une caméra braquée sur nous mais pas de micro. Ceci dit on ne va pas pouvoir s’éterniser parce que ça va faire louche… Et prenez un café, même si vous n’en avez pas envie.
Helen s’exécuta.
— Sharkey a été assassiné.
— Je sais. Mais nous n’avons le droit de rien dire le concernant. Sharkey était un Observateur et il avait des problèmes avec la direction.
— Un Observateur ?
— Écoutez… Nous sommes déjà restés trop longtemps ensemble. Retrouvez-moi ce soir à dix-neuf heures, 77 rue de la Pompe, quartier Tamanoir.
Catherine se retourna et avala son café d’une traite. Helen suivit son exemple.
— Je suis désolé de ne rien pouvoir faire pour vous, dit le chercheur.
Il serra la main d’Helen et la quitta en lui adressant un petit sourire humide.
*
Trois heures plus tard, Helen pénétra rue de la Pompe en se disant qu’elle allait peut-être enfin en savoir plus, mais le gyrophare d’une ambulance qui criblait d’éclairs bleus l’hémorragie coruscante du soleil couchant la détrompa aussitôt.
L’ambulance était stationnée au niveau du 77. Helen accéléra le pas.
Elle reconnut tout de suite Catherine Meyer, étendu au milieu de la route dans une posture peu conforme à l’anatomie humaine.
— Vous vous rendez compte, le type qui l’a écrasé ne s’est même pas arrêté, lui dit une petite vieille qui portait une combinaison bien plus moulante que la sienne. Un os énorme lui traversait le nez.
Helen allait s’avancer pour mieux distinguer le corps lorsqu’une main se posa sur son épaule. Helen se retourna, la main gauche posée sur la crosse de son arme.
C’était Friedman.
— Inutile de s’exciter. Il est mort.
— Qu’est-ce que vous foutez là ?
— Et vous ?
Helen sentit que le terrain était miné et que tout le monde pouvait sauter d’un instant à l’autre.
— Vous l’avez tué, Friedman.
— Lorsqu’elle s’est fait écraser, je buvais un scotch-benzédrine au Lapin Farceur, juste en face. Vous le connaissiez ?
— Pas vraiment, mais…
— Tout ce qui concerne la Compagnie, vous oubliez… OK ?
Helen se caressa le menton d’un air faussement pensif.
— Si vous nous retiriez une bonne fois pour toutes l’enquête, ce ne serait pas plus simple ?
— C’est une idée. Je vais la soumettre à Crazy Horse.
— À mon avis, il y a déjà pensé.