La balle lui avait à moitié arraché la tête.
Il aurait dû mourir sur-le-champ. Mais apparemment ça l’incommodait à peine.
Un chat nu avec des tentacules en guise de moustache, c’est pas terrible, mais avec un côté zombie en prime, ça dépassait nettement l’entendement.
— Putain, c’est quoi ce foutoir ?
Je m’adressai à Ron car, malgré l’incongruité de la scène, je me disais qu’il devait connaître la réponse.
— Je ne savais pas que la chasse aux supionars était ouverte, dans le coin, bulbouilla Attila.
— Bordel, ce truc parle encore ! grommela Ron.
— C’est quoi un supionar ? ajouta Karen.
— C’est une interface biotique conçue à partir d’un céphalopode transgénique et tu le sais aussi bien que moi.
— Karen ! hurla le supionar. Je ne sais pas qui est le type à côté de toi, mais tu devrais t’en méfier. Il a pris du kindron et il a toute sa mémoire. Ou plutôt ses mémoires…
— Bon, le zombie, tu commences à me faire chier. Alors, ou tu essayes d’être compréhensible ou tu fermes ta demi-gueule !
— Tu ne vas tout de même pas écouter ce truc ? s’indigna Ron.
Eh oui, j’allais écouter ce « truc », car si je ne trouvais pas une explication à tout ce qui se passait dans les cinq minutes, il ne me restait plus qu’à me tirer une balle dans la tête.
— Si mon chat ne te plaît pas, dis-le tout de suite !
— Ce n’est pas le moment de plaisanter, Karen…
— Ah non, et pourquoi ça ?
— Sur ce point-là, monsieur a raison, dit Attila. Le temps presse. Il faut que tu retrouves ta mémoire.
— Laquelle ? Celle qui a été cramée à coups d’électrochocs ?
— Probablement. Alors, si je dis Narcose, tu penses à quoi ?
— Au sommeil.
— D’accord. C’est pas gagné.
— Et le lieutenant Katleen Slobovtna, tu en as entendu parler ?
— Oui. Ce nom m’évoque quelque chose…
— Nous sommes donc sur la bonne voie.
— Celle de la folie, on est bien d’accord ?
Je venais de saisir Attila par le cou et sa langue pendait entre ses maxillaires comme une vieille limace. Je le lâchai et il toussa à nouveau comme un phoque.
— Je viens de découvrir quelque chose d’intéressant, dit-il entre deux hoquets.
— Je t’écoute.
— Je sais qui est le monsieur à côté de toi.
— Tu te fous de ma gueule… c’est Rony Manfredo et je le sais depuis plus longtemps que toi.
— C’est bien son identité à Casablanca, mais à Narcose ?
— Quel que soit son nom, c’est un Observateur.
— Excellent, Karen. Je n’y avais pas pensé, mais maintenant que tu le dis…
Attila fut coupé dans son élan par une batte de base-ball qui fracassa en un doux craquement osseux ce qui restait de sa tête.
— T’es complètement cinglé, Ron !
Attila était allongé sur le bureau, la tête réduite en bouillie, mais il parlait toujours.
— Je te l’avais bien dit qu’il fallait se méfier de Ron. Il est là pour t’espionner. Et peut-être même te manipuler…
— Mais tu vas fermer ta grande gueule ! Supionar de merde !
La batte s’abattit trois fois de suite sur le corps d’Attila, le réduisant en charpie.
Je tordis le poignet de Ron, qui finit par lâcher la batte. Puis lui envoyai un direct du gauche suivi d’un crochet du droit. Il s’affala sur le bureau. Son nez pissait le sang.
— Avant d’être l’archétype du privé alcoolo, j’étais championne de boxe poids moyen dans l’équipe des flics de la ville. Et apparemment j’ai pas tout perdu…
— Ça, c’était à Narcose, pas à Casablanca, bredouilla Ron en crachant un morceau de dent.
Je lui en collai un nouveau dans la mâchoire.
— Mais arrête, ça fait mal !
Attila reprenait peu à peu forme féline. Les tentacules qui s’agitaient autour de ses babines ressemblaient de nouveau à des moustaches. Le seul problème, c’est qu’il n’avait pas plus de tenue qu’une salade de museau.
— Tu l’as tué parce qu’il allait me donner ta… véritable identité.
Je récupérai mon flingue et lui collai le canon contre la tempe.
— Alors, maintenant tu vas me la dire. Sinon je troue ta jolie petite gueule de part en part.
— Ce n’est pas Attila qui parlait mais Robert, le supionar de David. L’inspecteur David Mills.
— C’est pas la question que je t’ai posée, bordel !
Je lui tirai une balle dans le lobe de l’oreille. Il hurla.
— Putain, Karen, mais t’es dingue !
Ouais… j’étais dingue. David Mills, ça me disait quelque chose. Et ce n’était pas un inspecteur mais un lieutenant.
Ma main se mit à trembler.
— Dis-moi ton nom ou je t’éclate l’autre oreille !
— C’est idiot. Je peux te dire n’importe quoi. Tu ne pourras rien vérifier.
— Elle non, mais moi oui.
C’était Attila qui avait parlé. Ou plutôt une sorte d’hybride entre du fromage de tête et de la gelée de groseille.
Il avançait sur le bureau d’une démarche saccadée, comme si du ciment durcissait lentement autour de ses articulations. Sa peau fripée était jaune et vert, évoquant celle d’un citron envahie par la moisissure.
— Robert est de retour, à ce qu’il paraît, dis-je, l’air ravie. Alors, que tu parles ou pas, il me semble que tu vas déguster.
— Il n’est plus là, dit le chat zombie.
— Comment ça, il n’est plus là ?
— Pose ton flingue, sers-nous un verre de whisky et on va discuter calmement de tout ça.
Assez bizarrement, la seule chose qui me vint alors à l’esprit fut de savoir comment il allait pouvoir boire son Jack.