La maison quand il pleut est un coffret de dominos. Les sabots minuscules des moineaux trottent sur le toit.
Dans le piano s’endort un géant doux. Écoute, Adrien, mes histoires…
Je te raconterai le chevalier Bayard, Ivanhoé, le Cid Campeador, le grand Mamamouchi et le vaillant petit tailleur, le marchand de sable et les travailleurs de la mer, la baleine blanche, le Père Lustucru et son chapeau pointu.
Je te raconterai Noé, Zorro, Rintintin et Aristote, Robin des bois et d’Alembert, Spiderman et Spinoza, la prodigieuse histoire du bon géant Gargantua et de son fils Pantagruel.
Je te raconterai les songes d’une nuit d’été et les marchands de Venise, la gamine qui garde ses moutons dans la montagne et dont j’ai oublié le nom.
Je te raconterai les trois petits cochons et la théorie de la relativité d’Einstein à laquelle je n’ai rien compris, les trous noirs et les déchirures bleues, les blanches neiges éternelles et les petits poucets rêveurs.
Je te réciterai tout ce qu’il me reste en mémoire des bibliothèques de jadis et t’apprendrai aussi à déchirer les images fausses.
Tu connaîtras Marcel, Arthur, Stéphane, Charles et les autres, qui ont les mêmes prénoms que nous mais dont les livres dureront plus que nous.
Et puisque tous ces mots ne seraient sans toi qu’un gribouillis de signes noirs, je t’offre le bouquet de toutes les pages accumulées depuis tant de siècles en vue de ta naissance.
Je te montrerai Venise la rouge où pas un bateau ne bouge, et nous ferons s’envoler ensemble les pigeons de la place Saint-Marc.
Nous marcherons à Kyoto sur le chemin des philosophes à la saison des cerisiers et à San Francisco le long des Piers en écoutant crier les otaries.
Nous traverserons l’Amérique, et franchirons en train le cercle polaire entre Trondheim et Bodø.
Nous grimperons jusqu’au sommet de l’Acropole. Nous descendrons dans les Catacombes et nous rendrons visite aux momies de Palerme.
Sur le marché d’Hanoi, nous achèterons du riz, des sandalettes et des jouets d’enfants.
Nous saluerons à Rio le grand Christ Rédempteur, les bras largement écartés au sommet du Corcovado.
Enfin, nous traverserons à pied Poddema, le Pays de la Magie et la Grande Garabagne.
Puisque tu aimes aussi l’azur, je te ferai visiter Sidi Bou Saïd où toutes les maisons sont blanches avec des volets bleus.
À Beyrouth, nous cueillerons des roses trémières près de la Grotte aux pigeons et prendrons le taxi pour Baalbek : à l’hôtel Palmyra, le temps s’arrête près du temple du soleil.
Le temps… Oui, je t’apprendrai le temps qui s’écoule doucement au bord de la Creuse, de l’Indre ou du Doubs.
Et le toucher de la plume d’or sur la page blanche, peu différent de celui de la main sur la peau nue, quoique moins éphémère.
Nous écouterons les mots qui murmurent dans leur encre, le bois qui craque, les arbres qui toussent dans le vent d’hiver et la pluie qui tinte sur la rouille, l’étoile rose qui pleure au fond de la nuit, le pigeon dans le marronnier, et le chant sourd des abeilles et des papillons blancs à travers les prairies au midi de l’été.