Fable du premier jour

 

Avant le premier bruit, le premier geste, la première intention, avant qu’il y eût place sur terre pour la douleur, quand au jardin tout était calme, sous les broussailles et les brouillards du jour tout neuf, quand le monde sentait la peinture, le plâtre, les planches coupées et qu’il n’y avait pas encore de fissures dans le ciel, quand la mer épelait ses vagues et classait ses poissons dans l’ordre alphabétique sous le préau sonore des falaises au premier jour de l’équinoxe, tandis que les oiseaux jaseurs visitaient les arbres et choisissaient pour s’établir les plus belles branches, quand ne battaient pas les horloges dans les salons et les cuisines qui ne sentaient ni le tabac ni la soupe, quand les diables restaient dans leurs boîtes et les dieux près de la fontaine marivaudaient, quand l’homme faisait la sieste sans rêver près de la femme épanouie, déjà secrète, quand il n’y avait ni cendre, ni poussière, ni souvenir, parce qu’aucun temps n’était passé et que personne n’était mort, quand il était possible de croire que cela, ainsi, durerait toujours, les mots déjà faisaient le guet, prêts à sauter sur l’occasion d’offrir leurs loyaux services à ceux qui devaient disparaître et ne le savaient pas.