LE SOLEIL SE glissait derrière les arbres, plongeant peu à peu la combe dans l’ombre. Assis devant sa tanière, Œil de Geai sentait la lumière décliner.
« Ce devait être des chats errants, déclara Griffe de Ronce, sous la Corniche.
— Mais Patte d’Araignée a reconnu des odeurs de guerriers des clans, lui fit remarquer Étoile de Feu.
— Est-ce que les autres clans ont fait alliance contre nous ? s’inquiéta Tempête de Sable.
— Pourquoi feraient-ils une chose pareille ? miaula le meneur, tendu.
— C’est un risque contre lequel nous devons nous préparer. »
Œil de Geai percevait le désespoir qui menaçait d’engloutir les pensées d’Étoile de Feu. Malgré tout, le rouquin déclara :
« Dans ce cas, nous nous y préparerons. Griffe de Ronce, prévois davantage de patrouilles dans la journée. Et assure-toi que les frontières soient inspectées à minuit.
— Tu veux que le clan tout entier participe aux patrouilles nocturnes ? s’étonna le lieutenant. Est-ce que cela ne va pas répandre la panique ?
— Si le clan est menacé, tout le monde doit le savoir », soupira le meneur, la mine sombre.
Œil de Geai laissa son esprit se promener au-dessus de la clairière. Il sentit une douleur cuisante dans le pelage de son frère. Pelage de Lion était en train de manger une souris, et chaque bouchée ravivait les blessures sur ses joues. Tu as choisi de te faire blesser ! Mais l’agacement d’Œil de Geai fut de courte durée. Il comprenait pourquoi son frère avait tenté d’influencer le cours de son destin.
Il entendit des crissements de griffes, tout près. Belle Églantine se traînait vers lui, ses pattes avant musclées prenant appui sans effort sur le sol.
« Je vais me coucher », l’informa-t-elle en passant.
Elle est exténuée, comprit-il en percevant l’épuisement de son corps disloqué.
« Moi aussi, miaula-t-il.
— Je peux me débrouiller toute seule !
— Je le sais bien, mais je suis fatigué. »
Il se glissa dans leur tanière derrière elle.
« Pourquoi es-tu à bout de force ? demanda-t-il en tentant de cacher son inquiétude.
— Millie m’a trouvé un nouvel exercice, bâilla-t-elle. Aile Blanche et elle m’ont hissée jusqu’à une branche basse du hêtre et j’y suis restée suspendue par les pattes avant aussi longtemps que j’ai pu.
— Ça semble un peu excessif, dit-il, impressionné.
— C’était agréable de sentir le vent sur mon ventre.
— Si tu continues, tu pourras peut-être réussir à te hisser complètement sur la branche.
— Je vais m’entraîner dur pour ça. »
Belle Églantine se traîna jusqu’au bord de son nid et s’y laissa tomber.
Œil de Geai traversa la tanière et s’arrêta lorsque les brindilles de la litière de Belle Églantine lui chatouillèrent la patte.
« Tu es bien installée ? » Il se pencha pour disposer de la mousse autour d’elle et en profita pour vérifier qu’elle n’avait pas de fièvre. Rassuré, il recula. « Bonne nuit, Belle Églantine.
— Tout va bien ? »
La question de la jeune chatte le surprit.
« J’ai l’impression que quelque chose te tracasse.
— C’est rien, mentit-il. Je suis juste fatigué. »
Il se tourna vers son propre nid en sentant sur lui le regard de sa camarade. Il tourna en rond une fois et glissa sa truffe sous sa queue.
Il eut aussitôt une vision de la Forêt Sombre. Des yeux clignaient dans l’ombre. Une armée se massait hors de sa vue.
Les feuilles de bourrache soignent la fièvre. L’herbe à chat traite le mal vert. Il se mit à réciter les noms des remèdes pour bloquer ses pensées cauchemardesques. Les feuilles d’oseille nettoient les plaies. Le chasse-fièvre fait baisser la fièvre.
« Le Clan des Étoiles ne peut-il donc pas te guider ? »
Le ricanement d’Ombre d’Érable balaya le reste de ses pensées.
La consoude répare les os brisés.
« Nous savourerons bientôt le goût de la victoire ! »
Il avait encore mal, depuis que Plume de Faucon l’avait poussé dans la boue. La bile de souris déloge les tiques.
« Alors comme ça, tu détiendrais le pouvoir du Clan des Étoiles, hein ? »
Œil de Geai rabattit les oreilles en arrière, comme pour effacer la moquerie d’Étoile du Tigre de sa mémoire.
Le souci soigne les infections. Le pas-d’âne facilite la respiration. Les graines de pavot apaisent les douleurs, l’état de choc, et facilitent le sommeil. Œil de Geai se concentra sur les petits tas de remèdes bien alignés le long du mur de sa réserve, se répétant leurs noms encore et encore jusqu’à ce que les mots s’emmêlent et qu’il finisse par s’endormir.
Lorsqu’il rouvrit les yeux, il découvrit une forêt touffue autour de lui, emplie de parfums familiers. Je rêve. Les odeurs musquées de Bois de Frêne et de Patte d’Araignée s’accrochaient encore aux buissons qu’ils avaient frôlés durant leur patrouille. C’était donc le territoire du Clan du Tonnerre. Œil de Geai leva la tête et vit des étoiles qui scintillaient au-dessus de la canopée. Un hibou hulula tout près et des branches tressautèrent lorsque l’oiseau nocturne piqua à travers les feuillages.
Les fougères frémirent derrière le guérisseur. Il se tourna, la gueule entrouverte, à l’affût des odeurs.
« Aile de Colombe ? C’est toi ? »
La jeune chatte sortit des fougères.
« Aile de Colombe ? » répéta quelqu’un d’autre, puis Pelage de Lion apparut sur le sentier devant Œil de Geai.
Les trois félins s’entre-regardèrent sans comprendre.
« Comment est-ce que je suis arrivée ici ? demanda la jeune chatte en jetant des coups d’œil aux arbres. J’étais dans mon nid.
— Moi aussi, miaula Pelage de Lion.
— Nous rêvons, leur expliqua le guérisseur.
— Tu es dans mon rêve ? fit le guerrier.
— Nous partageons ce rêve.
— Pourquoi ? » voulut savoir Aile de Colombe.
Du bout du museau, Œil de Geai leur désigna la pente raide qui montait devant eux. Un trou béait dans son flanc, et une odeur de pierre et d’eau, de tunnels noirs et interminables s’en échappait.
« Je pense que nous sommes censés aller là dedans.
— Tu en es sûr ? » s’étonna Pelage de Lion.
Aile de Colombe s’approcha de l’ouverture et en renifla l’entrée.
« Pour quelle autre raison notre rêve nous aurait-il conduits ici ? »
Elle fit quelques pas et fut bientôt engloutie par les ténèbres.
« Attends, fit Pelage de Lion, qui fixait Œil de Geai. Tu as regardé ce tunnel comme si tu pouvais le voir.
— C’est le cas.
— Comment est-ce possible ? souffla Pelage de Lion, hébété.
— Je vois toujours clair, dans les rêves.
— Tu sais donc à quoi je ressemble ? demanda le guerrier, incrédule.
— Oui, et tu avais meilleure allure avant d’être couverts de griffures.
— Ça guérira », rétorqua le félin doré avant de s’engouffrer dans le trou à la suite d’Aile de Colombe.
Œil de Geai se glissa à l’intérieur en dernier, mais il les dépassa bientôt.
« Je vais passer en premier, annonça-t-il. Je suis habitué à avancer dans le noir. »
Le sol du tunnel, humide, presque boueux, se changea en pierre gelée lorsque Œil de Geai s’y enfonça plus profondément. Le froid finit par lui meurtrir les coussinets. Il se fiait à ses vibrisses pour suivre les méandres des parois rugueuses.
« Ça va, pour vous deux ? lança-t-il par-dessus son épaule.
— Oui. » Le miaulement de Pelage de Lion résonna dans le conduit. « Et toi, Aile de Colombe ?
— Je suis juste derrière toi. »
Le museau de Pelage de Lion frôla le bout de la queue de son frère.
« Tu sais où tu vas ? s’enquit le guerrier.
— Non. »
Pourtant, le guérisseur progressait d’un pas confiant, toujours plus loin dans les tunnels. La curiosité le poussait à avancer. Derrière lui, il entendit son frère renifler. L’esprit du guerrier était encombré par des images de griffes et de giclées de sang.
« Il n’y aura pas d’envahisseurs venus du Clan du Vent, cette fois-ci, lui promit-il.
— Écoutez ! » lança Aile de Colombe en s’arrêtant brusquement, apeurée.
Œil de Geai dressa l’oreille et discerna le grondement d’une rivière lointaine qui résonnait dans les tunnels.
« Je sais où nous sommes ! » s’écria Pelage de Lion en lui passant devant.
Œil de Geai le rattrapa. L’étroit boyau s’élargit et la silhouette dorée du guerrier se découpa dans la lumière qui inondait une vaste caverne. Le clair de lune s’y déversait par une ouverture dans la voûte, éclairant les hautes parois et faisant scintiller la rivière souterraine qui coupait en deux la grotte.
Aile de Colombe sortit à son tour du tunnel en clignant des yeux. Elle s’arrêta au bord du cours d’eau et y trempa la patte. L’eau noire tourbillonna autour de ses griffes. Puis la jeune chatte recula soudain d’un bond en entendant une voix venue d’en haut :
« Vous êtes venus. »
Œil de Geai leva la tête vers le surplomb qui dépassait de la paroi de la caverne. La lune éclairait le félin grotesque qui y était perché, avec sa peau dépourvue de poils et plissée, ses yeux globuleux et argentés.
« Qu’est-ce que c’est que ça ? s’écria Aile de Colombe.
— C’est Pierre », répondit Œil de Geai en se demandant pourquoi, après un si long silence, l’ancêtre les avait convoqués tous les trois.
La rage lui noua le ventre. La dernière fois que Pierre était apparu, il lui avait dit de laisser Plume de Flamme se noyer.
« Tu m’as forcé à abandonner Plume de Flamme ! feula-t-il. Tu voulais que les autres clans me prennent pour un assassin ? »
Pierre soutint son regard sans fléchir.
« Quelle importance ? Je ne pouvais pas te laisser te noyer alors que tu cherchais à changer le destin d’un autre chat ! » Il montra les crocs. « Pourquoi vous écartez-vous sans cesse de la voie que nous avons tracée pour vous ? » grogna-t-il, furieux.
Œil de Geai sentit ses pattes trembler. Que voulait-il dire ?
« C’est qui, lui ? murmura Pelage de Lion.
— Un membre du Clan des Étoiles ? hasarda Aile de Colombe, terrifiée par la vue du vieux matou.
— Pas du Clan des Étoiles ! feula Pierre. Cet endroit était mon foyer bien avant la création du Clan des Étoiles !
— Comment se fait-il que tu connaisses ce chat ? » demanda Pelage de Lion à son frère.
Pierre se pencha au bord de la corniche ; sa tête ondula d’un côté puis de l’autre comme un serpent sur le point d’attaquer.
« Œil de Geai et moi, nous nous connaissons depuis des lunes, feula-t-il.
— Il peut nous voir ? » s’étonna Aile de Colombe, qui fixait ses yeux laiteux.
Pierre se redressa. Le balancement de sa queue ne laissait rien présager de bon.
« Je ne pensais pas que tes compagnons étaient de telles cervelles de souris. Je les convoque en rêve et ils perdent leur temps à poser des questions futiles comme des chatons sortant pour la première fois de la pouponnière. »
Pelage de Lion cracha à son tour, la queue hérissée, les griffes grinçant contre la pierre.
« Contentez-vous de l’écouter, les mit en garde Œil de Geai.
— Tout est votre faute ! poursuivit Pierre. Vous êtes les Trois. Si vous n’étiez pas nés, la Forêt Sombre ne se serait jamais réveillée !
— Nous n’avons pas demandé à naître ! protesta Œil de Geai.
— Et pourtant vous êtes là ! cracha Pierre. Vous avez accompli une prophétie écrite à l’aube des temps et vous avez donné des pouvoirs à des ennemis qui auraient dû depuis longtemps être effacés de la mémoire de tous ! » Il allait et venait sur la petite corniche, comme un rat pris au piège. « Maintenant, à cause de votre existence même, les clans vont devoir affronter la pire épreuve qu’ils aient jamais connue. » Il se figea soudain et se pencha vers eux. « Vous, les chats des clans, vous entretenez bien trop longtemps la mémoire des défunts ! Vous célébrez les guerriers de jadis et perpétuez le souvenir de vos anciens ennemis, transmettant de génération en génération des histoires de batailles qu’il aurait mieux valu oublier. »
Œil de Geai déglutit, indigné que Pierre puisse dénigrer ainsi l’héritage des clans.
« En ruminant vos rancœurs si longtemps, vous refusez de laisser tomber dans l’oubli des chats cruels et sadiques ! Vous les maintenez en vie dans vos mémoires et vous les laissez trouver des acolytes aux confins du Clan des Étoiles, là où nulle étoile n’ose briller. » Il secoua la tête et conclut d’un ton plus doux : « Pourquoi ne pas les avoir laissés disparaître dans le passé ?
— Comme toi ? lança Aile de Colombe en s’approchant d’un pas, les poils dressés. Tu aurais voulu que tous t’oublient, pour disparaître ? »
Œil de Geai tenta de la retenir mais la jeune chatte l’écarta d’un mouvement de l’épaule, les griffes sorties, la tête levée vers Pierre.
« Oui, même moi, répondit ce dernier de sa voix rauque avant de s’asseoir.
— Nous pensions bien agir en honorant la mémoire de nos ancêtres, se défendit Œil de Geai.
— Cela fait partie de la destinée des clans, admit Pierre, les épaules tombantes. Se souvenir de ceux que vous avez perdus.
— Cela nous a rendus plus forts, renchérit Pelage de Lion.
— Aujourd’hui, cette tradition est devenue votre pire ennemie. Nous avions toujours su que ce moment viendrait. Sans ténèbres, il ne peut y avoir de lumière et, à présent, les ténèbres entre les étoiles s’intensifient pour bannir la lumière à tout jamais. » Il se pencha de nouveau vers eux. « Vous étiez notre seul espoir, les Trois joignant leur force au quatrième !
— Nous sommes toujours là ! lui rappela Œil de Geai.
— Vraiment ? fit Pierre en le regardant droit dans les yeux. Alors pourquoi avez-vous renoncé tous les trois avant même le début de la bataille ? »
Aile de Colombe s’écarta de la rivière et recula vers les deux autres. Pelage de Lion baissa les yeux.
« La Tribu de la Chasse Éternelle m’a dit que nous n’étions pas à la hauteur ! cracha Œil de Geai pour prouver à Pierre qu’il n’avait pas perdu la foi sans raison. Ils nous ont dit que nous n’y arriverions pas seuls, que nous avions besoin d’un quatrième chat.
— Et l’avez-vous trouvé ? feula Pierre.
— Nous ne savons pas où le chercher, admit Œil de Geai, la tête basse.
— Assez bavardé et joué aux devinettes. Le temps presse ! Trouvez-le ! Choisissez votre destinée ! C’est l’ultime espoir des clans ! »
Le clair de lune vacilla soudain lorsque des nuages passèrent au-dessus de l’ouverture dans la voûte et Œil de Geai remarqua que des yeux clignaient dans l’ombre, sous la corniche de Pierre. Des félins étaient tapis là, aux aguets. Le guérisseur s’approcha de la rivière et leva la truffe. Ce n’étaient pas des membres des clans. Les parfums du ciel infini et de la pierre érodée par le vent s’accrochaient à leur pelage. Étaient-ce les camarades de Pierre ? Œil de Geai se crispa en reconnaissant une odeur au milieu de toutes les autres. Demi-Lune !
Il aperçut sa robe blanche, puis il repéra une silhouette étrange, bien plus massive que les autres. Un blaireau sortit soudain de l’ombre, avançant d’un pas lourd.
Aile de Colombe se colla à Œil de Geai.
« C’est Minuit ? devina-t-elle, les yeux pétillants. Le blaireau des histoires qu’on nous raconte dans la pouponnière ? »
Œil de Geai hocha la tête.
« Et qui sont les autres ? voulut savoir Pelage de Lion.
— Des chats des temps révolus », répondit Œil de Geai sans quitter Demi-Lune des yeux. À y regarder de plus près, il reconnut Ombre Brisée et Plume de Chouette parmi d’autres fourrures inconnues. « Certains sont de lointains ancêtres de la Tribu de l’Eau Vive.
— Nous attendre longtemps », dit Minuit d’une voix gutturale qui résonna dans la grotte. Le blaireau fixa alors Aile de Colombe. « Apprends à qui te fier. Le cœur savoir la vérité. » Il tourna sa grosse tête rayée vers Pelage de Lion. « Toi, pas fermer les yeux en attendant que chemin te choisisse. Toi choisir chemin, et le suivre. »
Œil de Geai se pencha vers le gros animal, impatient d’entendre ce qu’il aurait à lui dire. Le guérisseur sursauta pourtant quand Minuit le transperça du regard.
« Et toi… Quand tous fermer les yeux, nous donner vision à celui qui était aveugle. Toi voir plus que les autres, mais regarder en toi-même il faut, aussi. Vois ta propre force. »
C’était tout ? Vois ta propre force ?
« Arrête avec tes énigmes ! s’emporta-t-il. Dites-nous comment sauver les clans ! Dites-nous au moins qui est le quatrième !
— Nous avons vu vos faiblesses, gronda Pierre. Voulez-vous que nous vous rendions plus faibles encore ? » D’un coup de patte, il projeta une pluie de gravillons vers le sol. Deux bouts de bois pâles – tels deux os brisés – rebondirent par terre. « Vous n’avez pas persévéré ! »
Œil de Geai l’entendit à peine. Il s’élança, franchit la rivière d’un bond, serpenta entre les chats des temps révolus et s’arrêta devant les morceaux de bois brisés.
Mon bâton !
Son cœur s’emballa lorsqu’il vit les deux morceaux jumeaux de la vieille branche. Sous la lumière poudrée de la lune, il distinguait encore les marques gravées en souvenir des vies et des morts de tant de félins perdus dans les tunnels bien des lunes plus tôt.
« Tous ces braves guerriers ! cracha Pierre. Ils ont tenté leur chance dans les ténèbres et ont retrouvé le chemin vers la lumière. »
Œil de Geai fixait les marques non barrées.
« Pas tous », murmura-t-il, et il sentit Ombre Brisée se crisper près de lui.
La mort de Feuille Morte était inscrite là, quelque part.
Une nouvelle averse de gravillons tomba de la corniche lorsque Pierre se pencha vers lui pour feuler :
« Au moins, ils ont essayé !
— Nous sommes si nombreux à vous avoir attendus ! chuchota Ombre Brisée.
— Avant même l’aube des clans ! » ajouta Pierre.
Œil de Geai leva la tête et vit que Demi-Lune l’observait.
« De quel droit nous abandonnez-vous ? » l’implora-t-elle, ses yeux comme deux puits de tristesse insondables.
Les pelages se hérissèrent tout autour du guérisseur. Il recula tandis que les chats des temps révolus se mettaient à grogner. Un cri suraigu retentit dans la caverne :
« Comment osez-vous nous abandonner ? »
Œil de Geai refranchit d’un bond la rivière et se tapit près de Pelage de Lion. Les ancêtres s’approchaient d’eux, le poil en bataille, le regard enflammé.
« Êtes-vous prêts à nous laisser connaître une deuxième mort ? » rugit Pierre.
L’eau monta soudain autour des pattes d’Œil de Geai. Est-ce que la rivière entrait en crue ? Il baissa la tête, pris de panique. Le cours d’eau était sorti de son lit et inondait le sol de la caverne. Son eau n’était plus noire, mais rouge.
Du sang ! Le liquide poisseux tourbillonnait autour des pattes d’Œil de Geai et trempait sa fourrure. Le guérisseur ravala un cri de terreur. Tout est ma faute !
Il cligna des yeux et s’éveilla, aveugle. Son cœur palpitait si fort qu’il secouait son corps à chaque battement.
Trouvez le quatrième ! La voix de Pierre résonnait dans ses oreilles. Trouvez le quatrième !