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CHAPITRE 20

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PELAGE DE LION suivit Étoile de Feu dans le camp, essoufflé après leur course depuis l’île. Un vent froid les avait fouettés pendant tout le trajet. Le guerrier baissa la tête pour entrer dans le tunnel de ronces, Aile de Colombe et Œil de Geai à sa suite.

« Une bataille approche », gronda le meneur.

À cette annonce, Griffe de Ronce tourna brusquement la tête et Chipie sortit de la pouponnière.

« Une bataille ? » gémit-elle.

Devant la tanière des anciens, Isidore passa sa queue autour de Poil de Souris.

Le chef traversa la clairière et grimpa sur la Corniche.

« Que tous ceux qui sont en âge de chasser s’approchent pour une assemblée du clan. »

Les guerriers ne l’avaient pas attendu et se massaient déjà dans la clairière, la fourrure en bataille. Nuage de Loir et Nuage de Cerise se blottirent l’un contre l’eau, leurs yeux ronds levés vers leur meneur. Pavot Gelé se rapprocha un peu plus de Truffe de Sureau.

Flocon de Neige se hâta d’aller trouver Cœur Blanc dans la pouponnière.

« Restez à l’intérieur ! ordonna-t-il aux chatons qui jetaient des coups d’œil dehors comme des bébés chouettes curieux.

— Je les surveillerai pour qu’ils ne sortent pas, promit Petit Lilas.

— Et moi aussi, renchérit Petite Graine.

— Camarades ! Nous allons devoir affronter un ennemi plus féroce que nous n’en avons jamais connu ! feula Étoile de Feu. Le danger vient des morts comme des vivants. La Forêt Sombre a juré de détruire les clans.

— Comment les morts peuvent-ils nous blesser ? lança Poil de Souris de sa voix rauque.

— Les guerriers du Lieu sans Étoiles ont trouvé une brèche pour passer dans notre monde. »

Fleur de Bruyère hoqueta.

« C’est impossible ! s’écria Flocon de Neige.

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— Oh, que le Clan des Étoiles nous protège… », gémit Pluie de Pétales.

Bois de Frêne soutint son regard, pétrifié, jusqu’à ce que Patte de Mulot lui murmure quelque chose à l’oreille. Il repoussa le jeune guerrier, dégoûté, comme si ce dernier lui avait suggéré de manger de la chair à corbeau. Pelage de Lion vit Patte de Mulot se faire tout petit. Qu’avait-il pu dire ?

Étoile de Feu s’avança au bord de la Corniche.

« Vous avez tous remarqué les traces et les empreintes étranges dans la forêt.

— Ce ne sont que des chats errants ! feula Pelage de Poussière.

— Et l’odeur d’Étoile du Tigre, tu l’as oubliée ? lui demanda Étoile de Feu.

— Je… je pensais que je l’avais imaginée, avoua le vétéran.

— Nous devrons remporter la bataille à venir, au nom de tous les guerriers qui ont jamais vécu. Nous devrons nous battre au côté des autres clans, car cet ennemi nous menace tous. Le Clan de l’Ombre, le Clan du Vent et le Clan de la Rivière nous enverront trois guerriers chacun au crépuscule pour rejoindre nos patrouilles. De même, nous enverrons trois de nos camarades à leurs camps respectifs. Griffe de Ronce, reprit-il, les yeux baissés vers son lieutenant, tu choisiras qui devra partir. »

Feuille de Lis se fraya un passage jusqu’au premier rang puis se tourna face à son clan. Pelage de Lion la vit prendre une profonde inspiration et resserrer ses pattes tremblantes l’une contre l’autre.

« Je sais comment ils se battent, déclara-t-elle. Je peux enseigner leurs techniques au clan. »

Pluie de Pétales se rapprocha un peu plus de Bois de Frêne.

« Et comment ça se fait ? cracha Pelage de Poussière.

— Je l’ai envoyée espionner la Forêt Sombre, déclara Étoile de Feu en dévalant l’éboulis pour venir se mettre à son côté. Elle en sait plus que quiconque sur notre ennemi. Écoutez-la, elle a beaucoup à nous apprendre. »

Patte de Mulot la dévisagea, bouche bée.

« Tu espionnais la Forêt Sombre ?

— Tu es si courageuse ! » s’émerveilla Nuage de Cerise.

Pelage de Lion plissa les yeux. Étoile de Feu avait-il demandé à Feuille de Lis qui d’autre s’entraînait là-bas ? Il passa ses camarades en revue, à l’affût du moindre signe de culpabilité. Certains d’entre eux devaient eux aussi se rendre au Lieu sans Étoiles, piégés par les mensonges d’Étoile du Tigre et les fausses promesses d’Étoile Brisée. Il planta les griffes dans le sol et sentit ses poils se dresser.

Étoile de Feu agita la queue.

« Nous vaincrons car nous nous battrons pour sauver nos vies et celles de nos camarades. Nos ennemis sont déjà morts. La haine est leur seule motivation, elle sera aussi leur faiblesse.

— Nous les anéantirons ! » feula Flocon de Neige.

Nuage de Loir se dressa sur ses pattes arrière et donna des coups de griffe dans l’air.

« Je réduirai en charpie tous les guerriers de la Forêt Sombre qui croiseront mon chemin !

— Commençons l’entraînement ! ordonna Étoile de Feu. Pour la victoire ! »

Le clan se divisa en petits groupes, échangeant des murmures comme des pigeons inquiets.

« Nous devons enseigner aux anciens et aux reines des mouvements défensifs, dit Pelage de Lion à Griffe de Ronce. J’ai déjà pensé à quelques tactiques que même Chipie pourrait utiliser.

— Bien. » Griffe de Ronce parcourut le camp du regard. « Patte d’Araignée peut s’occuper de Poil de Souris et d’Isidore. Il les connaît depuis plus longtemps. Ils ne se plaindront pas de devoir lui obéir. »

Le guerrier haut sur pattes était en pleine conversation avec Poil de Fougère. Pelage de Lion remarqua que son museau noir se mouchetait de gris. Il rejoindra bientôt les anciens lui-même. Il frémit. Enfin, s’il reste encore des tanières.

« Nous devons nous préparer pour un nouveau type d’ennemi, déclara Griffe de Ronce.

— Nous devons apprendre à nous battre aussi férocement que les guerriers de la Forêt Sombre, confirma Pelage de Lion en ravalant sa colère. Ils nous forcent à enfreindre le code du guerrier.

— “Défends ton clan avant toute chose”, lui rappela le lieutenant. Si cela signifie se battre comme des chiens, alors tant pis !

— Je me battrai comme Étoile Brisée s’il le faut.

— Il le faudra sans doute », soupira Griffe de Ronce. Il se tourna ensuite vers Feuille de Houx. « Prends Nuage de Loir, Pétale de Rose et Aile Blanche et montre-leur tout ce que tu sais. Ensuite, Feuille de Lis ira s’entraîner avec vous. »

Poil de Châtaigne se précipita vers le lieutenant.

« Laisse-moi m’entraîner en premier avec Feuille de Lis, le supplia-t-elle.

— Si elle nous montre les techniques de nos ennemis, nous pourrons établir des stratégies défensives », ajouta Pelage de Poussière.

Griffe de Ronce hocha la tête puis divisa le clan en plusieurs groupes d’entraînement. Pelage de Lion se dirigea vers la pouponnière.

« Mes pauvres chatons ! » se lamentait Cœur Blanc à l’intérieur, lovée autour de ses trois petites boules de poils.

Flocon de Neige était tapi près d’elle, le pelage ébouriffé. Petit Lilas et Petite Graine étaient assises au bord de leur nid, la tête bien droite.

« Nous les protégerons, déclara Petite Graine.

— Vous, vous resterez cachées dans vos litières, ordonna Pelage de Lion. Flocon de Neige, va rejoindre tes camarades. Je vais montrer à Cœur Blanc comment défendre Petite Neige, Petit Ambre et Petite Rosée. »

Pelage de Lion laissa sortir le guerrier blanc et s’approcha de Chipie.

« Viens là, lui dit-il. J’ai besoin de toi.

— Qu’est-ce que tu veux que je fasse ? demanda-t-elle. Je ne sais pas me battre.

— Peu importe. Aile Blanche et toi, vous allez vous défendre ensemble. Vous avez cinq chatons à protéger. On aura besoin de Poil de Châtaigne sur le champ de bataille, c’est pourquoi je compte sur vous pour défendre la pouponnière. Il n’y a pas de guerrier plus dangereux qu’une reine ! » Il tourna la tête vers Cœur Blanc et lui ordonna : « Lève-toi ! »

Celle-ci obéit. Pelage de Lion tendit le cou vers ses petits, les crocs en avant. Aussitôt, Cœur Blanc cracha et lui donna un coup de griffe plus rapide que l’éclair.

« Tu vois ? dit-il à Chipie. Son instinct protégera ses chatons. »

Chipie le foudroya du regard.

« Comment oses-tu l’attaquer comme ça ? s’indigna-t-elle.

— C’est bon, la rassura sa camarade. Montre-moi autre chose. »

Du bout de la queue, Pelage de Lion lui désigna Chipie.

« Tu peux apprendre ça, aussi. »

Il se mit à reculer, concentré sur un ennemi imaginaire et lança haut une patte pendant que l’autre fauchait son adversaire invisible.

« C’est facile à faire et cela perturbe ton assaillant.

— Chipie, laisse-moi essayer sur toi ! dit-elle, en équilibre sur le bord de son nid. Approche ! »

La chatte crème hésita puis fonça vers la reine blanche. Celle-ci leva une patte et, d’instinct, Chipie leva la tête. Aussitôt, Cœur Blanc en profita pour la faucher avec son autre patte. Sa camarade trébucha et se cogna la truffe par terre.

« Si vous vous coordonnez, l’une peut faire tomber l’ennemi pendant que l’autre l’attaque. » Il était soulagé de voir que Cœur Blanc n’avait plus peur. « Assurez-vous juste de toujours garder un œil sur les chatons. » Petite Rosée, Petit Ambre et Petite Neige grimpaient sur le bord de leur nid, les yeux rivés sur leur mère devenue soudain féroce. « Vous trois, restez à l’abri. Tout au fond », leur ordonna-t-il.

Ils obtempérèrent en allant se blottir au creux du tas de mousse. Pelage de Lion se retourna vers les deux reines.

« Ensemble, vous serez aussi fortes que le plus puissant des guerriers. » Le matou doré se sentait satisfait. Pour la première fois depuis longtemps, il avait l’impression de bien faire. Il avait passé trop de lunes à se ronger les sangs. Désormais, il était prêt à se battre comme le guerrier qu’il était censé être. Les paroles de Minuit lui revinrent en tête : Toi choisir chemin, et le suivre.

« Je peux vous laisser vous entraîner seules ? demanda-t-il à la borgne.

— Est-ce qu’on peut inventer nos propres tactiques ?

— Bien sûr. Je reviens tout de suite pour que vous me montriez ça. »

Où est-elle ? Une fois dehors, il leva la truffe et finit par détecter l’odeur de Cœur Cendré mêlée à celles de Brume de Givre et de Feuille de Lune. Il remonta la trace jusqu’à la barrière de ronces, sortit dans la forêt et courut jusqu’au sommet de la crête. Les trois guerrières étaient en plein entraînement.

« Tu dois être plus rapide, dit Cœur Cendré à Brume de Givre. Raccourcis tes gestes.

— Cœur Cendré ! lança-t-il. Il faut que je te parle ! »

Elle dut sentir l’urgence dans sa voix car elle adressa un signe de tête à ses camarades et se précipita vers lui.

« Qu’est-ce qui se passe ? » s’inquiéta-t-elle.

Il la guida vers un bouquet de fougères puis inspira profondément avant de déclarer :

« Toi aussi, tu as une destinée. Comme tout le monde. Mais tu as aussi le choix. Tout comme moi. » Il se hâta de poursuivre avant qu’elle l’interrompe : « Nous choisissons notre propre chemin. »

Cœur Cendré ne dit rien. Pelage de Lion insista.

« Quoi que disent nos destinées, le choix reste le nôtre. Tu vois ? Nous pouvons suivre côte à côte ce même chemin si nous le voulons. »

Cœur Cendré recula d’un pas.

« Ce n’est pas si simple !

— Si ! fit-il en se rapprochant.

— J’ai tant de souvenirs en tête ! J’ai l’impression qu’il y a deux vies en moi, au lieu d’une seule. Comment pourrais-je choisir ? Est-ce que Museau Cendré n’a pas son mot à dire ? Je ne peux pas la forcer à être une guerrière ! Elle était guérisseuse !

— Elle t’a choisie, toi, murmura-t-il. Elle t’a donné ce choix, à toi. »

Cœur Cendré se mit à trembler. Pelage de Lion la voyait réfléchir à toute allure.

« Tu ne peux vivre qu’une vie, Cœur Cendré. C’est ton choix ! Ta destinée, pas celle de Museau Cendré. Elle a déjà vécu sa propre vie. »

Cœur Cendré hoqueta. Puis elle sembla se radoucir.

« Dans ce cas, je choisis la vie de guerrière, déclara-t-elle, tête haute, yeux brillants. Et je te choisis, toi aussi. »

Une brise caressante remua les frondes des fougères. Pelage de Lion aperçut une silhouette grise apparaître près de Cœur Cendré, presque une ombre. Surpris, il recula tandis que la silhouette s’arrachait à celle qu’il aimait et s’envolait telle une toile d’araignée emportée par le vent. Une douce voix murmura : « Merci ».

La fourrure de Pelage de Lion se dressa sur son dos.

« Tu as vu ça ? »

Cœur Cendré regardait l’ombre grise disparaître entre les arbres.

« C’était Museau Cendré, souffla-t-elle. Je l’ai libérée.

— Voudras-tu te battre à mes côtés ? » ronronna-t-il.

Cœur Cendré pressa sa truffe contre la sienne avant de répondre :

« Oui, et pour toujours. »