Quelques nacelles amarrées au-dessus du vide se balançaient au vent. La neige avait redoublé de violence. Belgacen se sentait étrangement calme, comme déconnecté de l’aventure qu’il vivait. Pourtant, la mission restait périlleuse : même s’il parvenait à L’Isle-d’Abeau sans encombre, même s’il avait résisté aux armes neurologiques, tout ce qu’il connaissait du Marcom datait de plus de vingt ans, lourd handicap pour un espion. Le procurateur Attia serait facilement repérable si la fermeture des frontières avait entraîné un changement radical dans les mœurs des populations des treize États du marché commun. Mais il tablait sur la frénésie d’autonomie ethnique qui avait marqué les premières années de son séjour en Marcom ; puisque chaque province de l’Europe s’était singularisée en maintenant ses caractéristiques régionales, Belgacen n’aurait aucune peine à passer pour un Basque en Bugey.
La station semblait déserte, nul ne gardait les nacelles du téléphérique. Belgacen pénétra dans la première qui se présentait. Le tableau de bord, très simple, se composait de deux boutons, l’un portant la mention « descente », l’autre « montée ». L’engin était autoguidé. Sans un bruit, il glissa vers la vallée.
Au ras de l’horizon, la lune, brusquement découverte, frappa d’argent les flocons qui tombaient en rangs serrés. Incendie froid, féerie. Belgacen sentit s’accroître la sensation d’euphorie ; sa chute au ralenti dans ce décor de sulfure le projeta hors du réel. Il fredonna les premières mesures du « Hazia mélangué », ce chant babenzélé qui faisait fureur aux payvoides, puis se laissa aller à chanter à pleine voix, s’accompagnant rythmiquement en frappant des doigts sur le tableau de bord. Il savoura particulièrement le passage où « Sombo », le gorille, injuriait son fils en français, ce souvenir lointain de l’ancienne colonisation avait un aspect nostalgique et dérisoire ; puis, il simula les grognements ironiques du chœur et en vint bientôt à imaginer tout l’accompagnement musical du chant.
En même temps qu’il se livrait à cette sorte de cérémonie exorciste, seul dans le blanc fuyant qui animait l’espace, une autre partie de lui-même analysait la situation, froidement, logiquement. Belgacen avait toujours cultivé un pouvoir de dédoublement de la pensée qu’il avait découvert dans sa jeunesse. À cette époque, il était volontiers mythomane, comme la plupart de ses amis, et inventait aussi des histoires fabuleuses dans lesquelles il s’attribuait les premiers rôles – aux payvoides, il était interdit de museler l’imagination ; pourtant, ce qui le distinguait des autres affabulateurs, ce qui lui procurait des sensations rares, c’était la capacité de se regarder mentir.
Aujourd’hui, il s’attachait surtout à cerner la réalité. Le problème était d’atteindre L’Isle-d’Abeau et de contacter celui qui avait lancé l’unique message issu du Marcom depuis sa fermeture.
La simplicité du moyen de transmission avait séduit Belgacen : en cette époque de très haute technologie, imaginer, à partir d’une banale bouteille de verre, un système à retardement qui libérait une capsule d’oxygène, chassait l’eau et obstruait l’ouverture, voilà qui s’harmonisait aux doctrines de la Ligue en favorisant les petites inventions. Un certain Léo Deryme avait mis au point ce procédé ; il avait ensuite placé la bouteille au fond de l’eau, à un endroit où les courants l’avaient entraînée vers le large ; elle était remontée à la surface bien au-delà du réseau de surveillance, à proximité des eaux territoriales des payvoides.
Un nuage passa devant la lune et éteignit la bourrasque de neige. Belgacen chanta encore quelques couplets du « Hazia mélangué », puis s’arrêta subitement. Il détenait l’adresse de Léo Deryme à L’Isle-d’Abeau, c’était une capitale régionale ; la ville avait dû subir d’importantes transformations depuis son départ ; le vague souvenir qu’il en conservait n’était sans doute plus valable. Trouverait-il un passant pour le renseigner ? Déjà, vingt ans auparavant, les habitants du Marcom avaient tendance à l’introversion et à la vie recluse, l’évolution n’avait pu se faire qu’en ce sens. Alors ? Toutes ces questions fluaient et refluaient dans sa tête ; cette incessante interrogation durait depuis son départ. Les informations contenues dans le message de Léo Deryme n’offraient aucune ligne de conduite précise ; elles concernaient simplement l’avenir de l’humanité.
Les techniciens de la Ligue des payvoides avaient imaginé un système pour lui faire passer la frontière, les médecins avaient élaboré des drogues pour le protéger des mythiques armes neurologiques ; désormais, il était son propre mentor. C’était d’ailleurs l’un des droits sacrés de la Ligue, la liberté individuelle. Et Belgacen croyait à la fatalité, au destin, il ne s’inquiétait pas ; il pensait qu’en faisant ainsi tourner les données du problème dans son cerveau, comme la crème dans la baratte, il découvrirait les éléments d’une réponse. Personne ne pouvait plus le conseiller.
La nacelle stoppa dans le port d’aval. Belgacen descendit précautionneusement, avec cette attitude raide qui le caractérisait, les épaules rejetées en arrière, la nuque bien alignée dans l’axe de la colonne vertébrale. Lorsqu’il se déplaçait, hiératique, son corps ne remuait qu’à partir des hanches, ce qui conférait à sa démarche une allure bizarre, mi-fauve, mi-automate.
Dans ce creux de vallée se trouvaient réunis un minuscule aéroport désaffecté, la station de l’aérotrain, quelques bâtiments délabrés, ruines d’une ancienne bourgade touristique maintenant abandonnée.
Le jour se levait. Il faisait gris et froid. La neige avait cessé de tomber. Malgré la douce température qui régnait dans sa combinaison, Belgacen frissonna : l’endroit était sinistre. Il observait la lente transformation du ciel par-dessus les cimes. À cette heure du matin, un liséré de lumière orangé suintait du profil des montagnes. L’aurore. Soudain, tout s’éteignit, comme si la puissance du soleil commandée depuis un rhéostat avait été ramenée à une position voisine de zéro. Il ne subsistait plus qu’une lumière atone où se confondaient les détails du paysage. L’homme des payvoides s’y accoutuma progressivement. Bientôt, il distingua d’imperceptibles différences dans la continuité des nuages, différences qui s’intensifièrent jusqu’à révéler d’importants contrastes colorés, comme si le ciel était fait d’un tissu serré de losanges verts, roux et gris, rigoureusement géométriques, régulièrement alignés les uns contre les autres. Leur taille décroissait jusqu’à l’horizon selon les lois de la perspective.
L’illusion persista durant plusieurs minutes, puis disparut aussi spontanément qu’elle était apparue. Le disque pâle du soleil pointait derrière le sommet de la montagne la plus haute, noyé dans une épaisse brume.
Belgacen admit qu’il venait de traverser un fragment de futur. Il lui arrivait de percevoir de telles impressions ; ce pouvoir s’était manifesté pour la première fois avant la fermeture du Marcom. Depuis, cela l’avait quelquefois aidé à réussir une mission. Il semblait que l’urgence du danger créait en lui un champ de force qui lui permettait de capter ces bouffées d’avenir. Mais que pouvait bien signifier ce ciel géométrique ? Comment interpréter cette succession de nuages en losange ? Aucun mémoire météorologique n’y faisait allusion.
L’aérotrain qui arrivait interrompit sa songerie ; quelques cubes lumineux perchés dans l’espace, à trois mètres au-dessus du sol. Les wagons descendirent mollement et se posèrent sur la neige avec un bruit de ballon qui se dégonfle. Peu de voyageurs. Une dizaine. Ils sortirent et s’emmitouflèrent en silence dans de larges pèlerines. Belgacen n’hésita pas et grimpa dans le wagon vide. Les sièges étaient moelleux. Quelques minutes plus tard, l’engin se souleva et démarra en souplesse. Une voix susurra :
« Ici, station de l’Alpe-d’Huez, vous venez de prendre le semi-direct pour Lyon, via Grenoble et L’Isle-d’Abeau, qui dessert la sixième tranche horaire. Veuillez préciser votre destination et introduire votre carte de crédit dans la fente réservée à cet effet, ce transport sera automatiquement débité sur votre compte. Nous vous souhaitons bon voyage. »
Belgacen Attia comprit qu’il s’était laissé piéger sans que la police du Marcom ait à fournir le moindre effort. La carte de crédit universelle devait remplacer la monnaie depuis que les relations avec l’étranger avaient été coupées. Et maintenant, le simple fait de ne pouvoir glisser un petit rectangle de plastique dans la fente placée à côté de son siège suffirait à le faire repérer. Il était trop tard pour réagir, l’aérotrain avait pris de la vitesse. Belgacen ne s’affola pas. Son cas n’était pas grave, d’autres que lui devaient oublier leurs cartes de crédit ; les contrôleurs qui seraient alertés pour pénaliser l’infraction ne se prépareraient pas à arrêter un espion de la Ligue. Il saurait les duper ; mais cet incident risquait de le handicaper en le privant de son incognito ; par contre, s’il s’enfuyait, il serait impitoyablement traqué. Devait-il alors tenter de s’expliquer avec les policiers, donner, par exemple, le nom et l’adresse de Léo Deryme en se faisant passer pour lui ? Il dirait avoir oublié sa carte de crédit à l’Alpe-d’Huez. Mais, si le coup échouait, par suite d’une vérification immédiate, Deryme ne manquerait pas d’être inquiété. Or, le message dans la bouteille demeurait inutile sans le complément d’information qu’il exigeait. Pour l’homme des payvoides, la seule chance de survivre en Marcom, plus étrange et plus inhospitalier qu’une jungle, résidait dans l’appui qu’il pouvait espérer de Léo Deryme. Devant cette alternative, il choisit de prendre tous les risques à sa charge et de se défendre seul, solution qui avait l’avantage de ne compromettre que l’élément interchangeable de la mission, le procurateur Attia.
En même temps qu’il prenait cette décision, Belgacen se confortait dans son attitude fataliste ; son choix était illusoire, il s’insérait naturellement dans le vaste plan tracé par le destin. Cette fois, plutôt que de ressasser les données d’un problème qui comportait un trop grand nombre d’inconnues, il se maintint dans un état de semi-vacuité intellectuelle ; seules parvenaient à sa conscience les images déformées par la vitesse du paysage gris de neige, ponctué de griffures fugitives, les arbres. Voyage duveteux. Impression de pénétrer à l’intérieur d’un rêve, le rêve d’un autre, et d’en cerner objectivement les contours.
Le ciel de ce rêve était-il aussi tissé de losanges gris, roux et verts ?
L’aérotrain approchait de Grenoble et Belgacen n’avait découvert aucun moyen de se cacher, ni hors ni dans l’habitacle. De toute manière, il ne devait pas descendre, sans quoi il n’atteindrait jamais L’Isle-d’Abeau. Quelques passagers vinrent s’asseoir autour de lui à la halte et placèrent sur leur tête un casque transparent. Belgacen s’était arqué, prêt à bondir. Il ne se passa rien ; aucun policier ne vint l’aborder, aucun contrôleur ne lui demanda des comptes. La réputation de mystère du Marcom n’était pas surfaite.
Les voyageurs étaient affublés de tenues vieillottes : l’un, boudiné dans un costume de cheviotte cintré à la taille et rétréci autour des chevilles, l’autre enveloppé dans une cape de bure sombre ; un troisième, enfin, vêtu plus sobrement d’un deux-pièces en tweed. Belgacen distinguait moins bien les passagers des autres travées, mais tous lui semblèrent porter soit des costumes des siècles précédents, soit des combinaisons du genre de la sienne. Une certitude, avec son apparence, il passerait inaperçu.
Attente. Tous assis dans leur volume particulier, les passagers niaient visiblement leur voyage en aérotrain. Même ceux qui donnaient l’impression de se connaître n’échangeaient pas la moindre parole. Sa curiosité pouvant susciter de la réprobation, Belgacen, à son tour, fixa le vide. Dans cet univers confiné, la plus infime manifestation de vie paraissait avoir des résonances excessives.
« L’Isle-d’Abeau », dit la voix suave de l’aérotrain. Les wagons décélérèrent en douceur. Belgacen se chargea comme une arme ; le moindre incident déclencherait aussitôt sa réponse fulgurante.
Sur le quai peu peuplé, il avisa les deux policiers casqués qui l’attendaient. « Pourquoi toujours par deux ? » Il sourit : « Mon seul atout, je n’ai pas l’air d’un métèque », et descendit. Les deux hommes s’avancèrent vers lui. Belgacen prévit instantanément tous les actes qu’ils s’apprêtaient à accomplir et, anticipant l’action d’un centième de seconde, prit une option pour la victoire. En s’insérant dans une séquence temporelle autosuggérée, il pénétrait au sein du « Grand Tout », l’univers d’Allah.
Le plus petit des deux hommes, un rouquin légèrement contrefait, vêtu d’un complet de serge bleue, va s’adresser à moi, s’adresse à moi :
— Excusez-nous, Monsieur, mais vous avez omis de faire enregistrer votre carte de crédit. De plus, vous ne portez pas de casque réglementaire.
— Je…
— Pour le casque, nous verrons plus tard, quant à la carte, il est possible qu’elle ait été démagnétisée en montagne ; le transmetteur de l’aérotrain n’a pas enregistré vos coordonnées.
— C’est que…
Le plus grand va conclure, conclut :
— Vous êtes en situation irrégulière, nous devrons le signaler à la police, à moins que… si vous pouviez nous présenter votre carte, l’affaire serait vite arrangée, nous ne sommes que des agents de l’Information.
Et il sourit de toutes ses dents.
— J’ai oublié ma carte à l’Alpe-d’Huez, cela explique…
— Dans ce cas, nous allons vous y raccompagner.
« Ils viennent vers moi, je ferai semblant de me retourner pour marcher dans le même sens qu’eux, puis, dès qu’ils seront sur moi, je virevolterai et décocherai mes deux poings à la pointe de leur menton. Gestes précis, mon entraînement est parfait. Ils vont tomber, ils tombent, presque simultanément, je me rue sur le plus grand – pas tout à fait endormi et qui allait réagir – et l’achève d’une clef à la nuque. Autant pour le second. Ses yeux se révulsent, il va mourir, il meurt. »
Belgacen se redressa. Maintenant, il fallait réfléchir rapidement ; sa prescience ne le guidait plus ; durant sa brève action, il avait été l’instrument de la fatalité pour donner la mort à ces hommes à l’heure fixée de toute éternité. Maintenant, il sortait du champ aléatoire et reprenait son autonomie.
Il fouilla promptement leurs poches et y découvrit une invraisemblable bimbeloterie : gadgets permettant de télécommuniquer, de s’éclairer, de photographier, d’enregistrer, de se repérer, tous miniaturisés à l’extrême ; série de cartes colorées sur laquelle n’était portée qu’une seule mention, le nom du possesseur. Belgacen s’empara des cartes et des objets dont il n’avait aucune utilité et les fourra en vrac dans la poche de la redingote de serge bleue du policier, se réservant de les examiner plus tard, puis il la revêtit. Il prit un casque transparent, la matière en était légèrement molle, et le plaça sur sa tête ; la chose épousa parfaitement la forme de sa boîte crânienne. À quoi servait-elle ? Réglementaire, bon motif de la porter pour améliorer son camouflage.
Personne ne le dérangea au cours de sa fouille. Par précaution, il avait fait durer l’interrogatoire jusqu’à ce que tous les voyageurs aient disparu. À présent, il était seul ; dans ce monde à crédit, il n’y avait pas de chef de gare, pas d’employés. Cette chance ne durerait peut-être pas éternellement. Protégé par les wagons de l’aérotrain, cubes un peu avachis sur le sol, Belgacen fit rouler les corps jusqu’à la grille d’écoulement des eaux qu’il venait de repérer, la souleva et y fit glisser les deux cadavres. Ils y seraient plus au secret que dans les wagons.
Il examina attentivement le plan électronique pour comprendre son fonctionnement, programma l’adresse de Léo Deryme. Un point lumineux apparut sur la surface sensible, indiquant la destination, un second, sous les mots « Gare de l’Est », marquait sa situation actuelle. Une ligne en pointillé les relia. Elle désignait l’itinéraire à parcourir. Belgacen eut l’impression qu’il se gravait à jamais dans sa mémoire.
La gare : faible dépression du sol, flanquée d’une bulle de plastique rose. Belgacen en sortit, foulant maintenant une gigantesque esplanade.
Le décor de L’Isle-d’Abeau s’était totalement métamorphosé en vingt ans. L’homme des payvoides connaissait assez peu cette ville dans laquelle il avait séjourné quelques mois avant d’être expulsé de France ; mais il avait résidé dans des cités semblables, édifiées au début du XXIe siècle dans un but de décentralisation urbaine. Leur conception reprenait le slogan d’un humoriste du XIXe siècle qui préconisait l’installation des villes à la campagne : les jardins alternaient avec les immeubles d’habitation, les parcs avec les centres de loisirs, les lacs avec les centres commerciaux, toute la circulation avait été reléguée en souterrain. Belgacen fut interloqué de voir le véhicule utilisé par les policiers en station sur la place. Peu de passants à cette heure matinale ; deux, trois qui donnaient l’échelle de l’esplanade. Suivant les indications de sa carte électronique, il se dirigea vers le nord.
De l’autre côté de la place, sur les façades des immeubles de quarante étages, les fenêtres étaient toutes murées. Les jardins qui les entouraient, laissés à l’abandon, formaient autant de petites forêts vierges ; les racines des arbres et des arbustes attaquaient le béton. Au ras des immeubles, un soleil lugubre, voilé par un rideau de brume, jetait une lumière sale sur cet environnement désolé.
« Qu’est-il arrivé en Marcom, quelle peste, quelle guerre, quelle folie a dévasté ainsi cette ville ? »
Belgacen vérifia sa situation sur le plan et s’engagea dans la première avenue qu’il découvrit sur sa droite. Là aussi les fenêtres des immeubles étaient murées pour la plupart et le revêtement de plastique des rues sans trottoirs délimitait d’autres jungles minuscules, impénétrables, bourgeonnantes, où les essences rares plantées dans un but décoratif semblaient retrouver leur sauvagerie native et ronger leurs cages de ciment. L’homme des payvoides s’accota le long d’un mur pour examiner la perspective de l’avenue déserte sur laquelle traînaient des lambeaux de brouillard matinal. Cette solitude, cet abandon, ces murs aveugles l’inquiétaient. Il avait cru affronter une cité vivante ; un étrange désert urbain l’absorbait.
La veste de serge bleue le gênait ; il avait perdu l’habitude de porter ce genre de vêtement ; il se rendit compte qu’il l’avait prise instinctivement, comme un trophée de victoire ; or, ce déguisement était inutile, dangereux même lorsqu’on le rechercherait après avoir découvert les cadavres des policiers. Il s’en débarrassa, ne conservant que le plan et une lampe pour ne pas encombrer les poches de sa combinaison. Belgacen eut un bref remords à propos des cartes : elles auraient pu lui servir s’il avait connu la clef de leurs différentes couleurs.
Il repartit vers la rue où habitait Léo Deryme.
Soudain, sa colonne vertébrale s’embrasa tel un cordon de dynamite dont l’incendie s’étendit à l’ensemble de son système nerveux. Il n’eut que le temps de se jeter dans un fourré avant que la seconde attaque ne tordît tous ses muscles dans un spasme effroyable. Il s’affala contre le tronc d’un yucca. Évanoui, sa nuque, qui reposait contre l’écorce grise, était bizarrement coudée par rapport à ses épaules.