Chapitre III

De la liberté de l’esprit

Voltairien, si voltairien.

L’usage de la maxime et de l’aphorisme a orienté l’attention des critiques sur les moralistes français, au détriment de Voltaire. À côté de la notion de « moraliste » et de son prolongement en « immoraliste », le concept d’« esprit libre » est pourtant tout aussi fondamental1. C’est pourquoi un cycle entier d’aphorismes dans Humain, trop humain et la deuxième partie de Par-delà Bien et Mal2 sont consacrés à ce type philosophique.

Si le « libre penseur3 » est déjà présent dans les réflexions du philosophe sur les Présocratiques, l’« esprit libre » apparaît avec Humain, trop humain et la rupture dont l’ouvrage porte la marque4. Or, le relais de la « libre pensée » par la « liberté de l’esprit » s’élabore autour de la figure de Voltaire.

Tout commence avec la dédicace d’Humain, trop humain, un livre pour esprits libres à Voltaire comme « à l’un des plus grands libérateurs de l’esprit »5. L’épigraphe du livre affirme qu’il n’aurait pas vu le jour sans l’occasion offerte de rendre hommage au philosophe français pour le centenaire de sa mort. Contrairement à ce que prétendait Elisabeth Förster, cette dédicace n’a rien de gratuit. Nietzsche demande expressément à son éditeur d’attendre la date anniversaire pour faire paraître l’ouvrage, en cette année qui est aussi le centenaire de la mort de Rousseau. Surtout, cet hommage met en lumière le lien entre le thème central du livre et sa figure tutélaire.

Nietzsche est, depuis peu, dessillé sur la réalité de Bayreuth, cauchemardesque rendez-vous nationaliste et mondain, qui n’a rien à voir avec l’hellénisme lumineux dont la Naissance de la Tragédie a déployé le rêve. Petit à petit, au cours de sa convalescence intellectuelle, il collecte les objections au wagnérisme qui l’infecte comme une maladie. Le jeune « Monsieur Nietzsche6 » ne peut pas encore avoir l’audace de croiser le fer avec le compositeur. Il lui est encore nécessaire d’opposer une figure idéale à l’idole renversée, et n’a pas encore rencontré « l’antithèse ironique » que sera bientôt Bizet. Aux prétentions de Wagner, il veut opposer un homme vraiment total : non pas un artiste romantique qui rassemble, en un spectacle indigeste, un succédané de théâtre fondé sur l’effet, un ersatz de musique englué dans la mélodie continue et un semblant de poésie fondée sur l’allitération compulsive ; mais un esprit universel, poète, dramaturge tragique, philosophe de style et de ton véritablement grecs. Au compositeur de plus en plus officiel d’un Empire encore pataud, il veut opposer un vrai « mondain », le chantre et l’héritier du « siècle de Louis XIV », l’incarnation des grâces qui prirent le relais de la grandeur. Pour piquer l’orgueil patriotique de Wagner, il faut un Français qui permette d’objecter le Versailles éternel à celui des traités, et bientôt à Neuschwanstein. Nietzsche avait fait jusqu’alors le grand écart entre son érudition philologique et sa théorie ou ses polémiques en faveur du drame musical de Wagner. Il cherche désormais à fondre ses tentations artistiques et son tempérament philosophique et à les réorienter. L’écrivain philosophe des Lumières françaises est la figure idéale de ce nouveau programme.

La référence à Voltaire, explicite ou discrète, scande Humain, trop humain, comme un leitmotiv ironique, une provocation répétée, des sortes de banderilles. Le premier chapitre consacré aux « choses premières et dernières », développe la nouvelle orientation antimétaphysique d’un philosophe régénéré. Les thèmes sont éminemment voltairiens : l’optimisme et le pessimisme7, la généalogie de l’âme dans le rêve8, l’ambition d’une poursuite de la Renaissance et des Lumières9. Les problèmes moraux et religieux abordés dans les livres suivants restent tout à fait dans la même ligne10, tandis qu’un morceau de bravoure à la gloire de Voltaire comme dernier grand artiste tragique, inaugure le thème du « crépuscule de l’art »11, qui clôt le livre sur « l’âme des artistes et des écrivains ». Le livre suivant sur les « Caractères de haute et basse civilisation » se rattache davantage encore à l’écrivain français, non seulement par son thème, mais par les essais de définition de « l’esprit libre » qu’il contient. Voltaire revient encore à un nouveau tournant du texte : il sert d’entrée en matière dans un nouveau « mouvement », au sens musical du terme, consacré par Nietzsche à son « coup d’œil sur l’État »12.

Ce n’est là pourtant, brossé à grands traits, que le plus visible : la présence de rappels de Voltaire aux points nodaux de l’ouvrage. Nietzsche avait d’ailleurs prévu d’aller plus loin et de terminer son livre comme il l’avait commencé, par un épilogue à la gloire du philosophe français. Il y affirmait vouloir « tendre par-dessus tout un siècle un pont magnétique, menant d’une chambre mortuaire à celle qui sera le berceau de nouvelles libertés de l’esprit »13. Il s’agissait bien, cent ans plus tard, de capter l’énergie libératrice de Voltaire pour la greffer sur sa propre activité d’émancipation philosophique.

La coïncidence de l’anniversaire n’est évidemment pas seule en cause : près d’un an plus tard, Nietzsche voulut encore saluer la mémoire de Voltaire. Il écrivit à son éditeur pour lui demander de clore les Opinions et sentences mêlées par un nouvel hommage au philosophe français : « Suite du dernier aphorisme : Citons encore une fois à cette place le nom de Voltaire. Ce qui sera un jour les suprêmes honneurs, que lui décerneront les esprits les plus libres des générations futures. Ses “derniers honneurs” – – – Le manuscrit est maintenant achevé14. »

Finalement, l’éditeur n’eut pas la possibilité d’intégrer cette modification, et ce fut l’aphorisme « Voyage dans l’Hadès », où Voltaire n’apparaît plus, qui remplaça ces « derniers honneurs » souhaités. Nietzsche y nomme les autres grands esprits avec lesquels il a entretenu un dialogue posthume : « Ils étaient quatre couples, qui ne se refusèrent pas à moi, le sacrificateur : Épicure et Montaigne, Goethe et Spinoza, Platon et Rousseau, Pascal et Schopenhauer15. » Or, « Platon et Rousseau », « Pascal et Schopenhauer » sont des adversaires philosophiques de Nietzsche et, pour la plupart, de Voltaire, comme si l’écrivain français était présent en contrepoint et pour faire contrepoids. Ce qui se joue ici est plus complexe que le remplacement d’un hommage par un autre. C’est une vraie dialectique de la proximité et de l’altérité. Nietzsche a utilisé Voltaire pour lutter contre ces auteurs dont il se sait proche16. Voltaire correspond, chez lui, à une « cure antiromantique », une forme d’antidote qui finit par faire corps17. Pour lui, faire l’éloge d’une personnalité trop proche de soi est une facilité, puisque louer, c’est essentiellement reconnaître pour semblable18. Voltaire est différent du premier Nietzsche et c’est ce qui le rend attirant et nécessaire au moment de cette grande rupture. C’est ainsi qu’il peut devenir pour Nietzsche « un chemin vers lui-même19 ».

La « suite du dernier aphorisme » était, d’ailleurs, significative. Elle félicitait Voltaire d’avoir été capable de conduire ses disciples à son propre dépassement. C’est le sceau du véritable « esprit libre » de savoir affranchir ses élèves de son propre enseignement et d’accomplir ainsi une véritable libération, celle qui met chacun en mesure de s’affirmer. Par son écriture suggestive et ennemie de tout système, Voltaire a su laisser à ses lecteurs l’espace nécessaire pour qu’ils « fassent la moitié » de ses ouvrages20. Sa facilité même leur a permis de se dégager aisément de son emprise. Son ironie ne fonctionne pas comme une série de devinettes dont le lecteur remplit victorieusement les vides. Il y a, dans l’insuffisance philosophique affichée, dans ses silences, dans ses lacunes mêmes, une accoutumance à la frustration de l’instinct de savoir, un inachèvement libérateur, une incitation à prendre le relais de l’esprit critique.

Nietzsche revient souvent sur cette capacité des éducateurs à s’effacer que Zarathoustra prône avec insistance21. Ce geste de congé scelle les transmissions réussies, respectueuses de la « vertu » propre à chacun, hostiles au nivellement que porte le préjugé d’une morale universellement valable pour tous. De même, malgré sa croyance en une morale universelle, Voltaire laisse chacun libre de monter au ciel par le chemin qui lui plaît, et si les coutumes ressemblent souvent à de ridicules costumes, du moins sont-elles également indifférentes, dès qu’elles ne sont pas dangereuses. Cet apprentissage de la liberté, porté par la légèreté et le ton apparemment mineur de Voltaire se situe aux antipodes de la saturation d’effets en œuvre chez Wagner. Le texte insiste d’ailleurs sur le rôle joué par une joie débordante dans cette libération au deuxième degré : « Qu’importe un génie, s’il ne nous élève pas si haut et ne nous rend pas si largement libre que nous n’ayons plus besoin de lui. / Libérer et se faire mépriser de celui qu’on a libéré – est le sort des guides de l’humanité, rien de triste – ils jubilent de voir que leur chemin va être mené plus loin22. »

La réussite historique de Voltaire est ambiguë, dans la mesure où, pour incarner un moment du devenir de l’humanité, il est nécessaire non seulement de s’effacer mais de se simplifier. Nietzsche y revient plus tard lorsqu’il réfléchit sur un célèbre jugement de l’abbé Trublet, découverte chez les Goncourt. L’ennemi de Voltaire le décrit comme « la perfection dans la médiocrité »23. Un fragment contemporain de L’Antéchrist intitulé « Pour la psychologie des “bergers”. Les grands médiocres », y revient : « Peut-on se dissimuler qu’il faut qu’un esprit, qu’un goût soit de médiocre niveau pour avoir des répercussions populaires vastes et profondes, et que, par exemple, l’on ne doit nullement entendre dans le sens d’un discrédit de Voltaire, le fait que l’abbé Trublet l’ait nommé à bon droit “la perfection de la médiocrité” ? (s’il ne l’avait pas été en effet, il aurait été une exception telle que le Napolitain Galiani en était une, ce bouffon le plus profond et le plus réfléchi qu’ait encore produit ce siècle serein, d’où vient alors à Voltaire sa force dirigeante ? D’où sa prépondérance sur son époque ?)24. »

Certes, cette idée apparaît près de dix ans après Humain, trop humain, quand la découverte de Galiani a écorné l’admiration de Nietzsche ; mais même lorsqu’il insiste sur la « médiocrité » de Voltaire, ce n’est pas tout à fait au « déshonneur » de celui auquel Nietzsche réserve si souvent « respects25 », « hommages26 » ou « éloge27 ». La suite du fragment propose un rapprochement insolite : « On pourrait du reste l’affirmer d’un cas bien plus populaire : le fondateur du christianisme aussi devait avoir été quelque chose comme une “perfection de la médiocrité28. Que l’on concrétise donc les principes de ce célèbre évangile du Sermon sur la Montagne : – on n’aura plus aucun doute sur les raisons pour lesquelles un tel pâtre et prédicateur de montagne a eu un effet de séduction sur toute sorte de bête de troupeau. »

Cette comparaison rencontre L’Antéchrist et la caractérisation tout aussi surprenante de Jésus lui-même comme d’un « esprit libre »29. Voltaire fait époque dans l’histoire de l’humanité en libérant l’esprit des dogmes de la théologie comme Jésus l’émancipa de la lettre de la loi. Il est bien un réformateur dont la « médiocrité » parfaite n’est qu’une figure obliquée de la réussite historique.

La libération qu’il propose est toutefois bien différente de celle du fondateur du christianisme. Car les bons libérateurs « jubilent » de se faire oublier : contrairement à Jésus, ils ont « appris le rire » et, mieux encore, à rire d’eux-mêmes30. Le mépris de leurs disciples est le signe réjouissant que la transmission s’est bien effectuée, l’accusé de réception de la liberté de l’esprit. En revanche, l’« esprit de pesanteur » impose à ses émules une admiration tyrannique et plombe la souplesse nécessaire à la « danse »31. Le style est conforme à l’impulsion émancipatrice qu’il provoque. Le recours à la forme discontinue, tel que l’ordre alphabétique, relève d’une pédagogie de la liberté : « Je ne prétendais pas faire toutes ces réflexions, mais mettre le lecteur en état de les faire32. »

Savoir se laisser dépasser, prêter le flanc à la critique pour mieux développer le talent de ses lecteurs est la ruse secrète, dépourvue d’amour-propre mal placé, des vrais libérateurs. Ils sont difficiles à discerner dans l’ère postrévolutionnaire où l’émancipation est un discours obligé sous lequel peuvent avancer masqués les artistes tyranniques, hostiles aux qualités de discernement du goût, dans leur lien profond avec la liberté33. Dans cet esprit d’une libération véritable, Nietzsche écrit à Georg Brandes dans une de ses dernières lettres : « Après que tu m’as découvert, ce n’était pas un exploit de me trouver, la difficulté à présent est de me perdre… Le crucifié34. »

Cette libération de son libérateur même mise en scène vis-à-vis de Voltaire dans cette partie tardive de Humain, trop humain, est nécessaire pour en prolonger authentiquement l’œuvre et engendrer des « libertés de l’esprit » véritablement « nouvelles ».

Le libre penseur du présent

Une autre ébauche de prologue de Humain, trop humain montre que l’ouvrage a été conçu dans ce rapport à la liberté de l’esprit d’autrefois. Le philosophe y expose sa méthode. Tout commence par sa surprise qu’aucun de ses contemporains n’ait cherché à incarner le type du « libre penseur du présent », alors que tant d’esquisses s’en rencontrent partout35. Devenir « le libre penseur du présent », l’un des « soutiens d’une civilisation à venir »36 est évidemment l’ambition de Nietzsche lui-même. Or, il s’agit d’une opération étrange, une sorte de spiritisme. Nietzsche joue sur les mots et indique qu’il a « prêté une attention soigneuse à ces heures durant lesquelles cet esprit parlait en lui ». Il a ausculté « la cohérence intérieure de ces propos d’esprits » pour dessiner patiemment le visage du « libre esprit du présent ». Il confesse son audace de « faire parler cet esprit, et même de lui interpoler un livre37. » Cette image peut être mise en parallèle avec le « pont électrique » qui partait de la « chambre mortuaire » de Voltaire. Elle s’inscrit dans le même imaginaire d’une importation des qualités du passé.

La mise en scène n’est pas dépourvue d’ironie et même d’humour noir : ce livre d’éradication des préjugés dans la lignée des Lumières est donc une manière de faire parler « les esprits », fussent-ils « libres », pour mettre au jour un « libre esprit du présent », un Voltaire d’aujourd’hui, en somme. Cette imagerie expérimentale témoigne d’une certaine distance entre le « propos » du livre et celui que devrait tenir le Nietzsche sinon authentique, du moins habituel. Cette construction métaphorique lui permet de tenir ses distances vis-à-vis de la « libre pensée », de montrer qu’il s’agit sinon d’un masque, du moins de la greffe d’un élément étranger. Ces images semblent vouloir excuser son revirement. Nietzsche ne peut passer sans justification de Wagner à Voltaire. Toute une imagerie de la mort et de la renaissance sous-tend ces pages. Elle assimile les rythmes et les révolutions de sa pensée au cycle des saisons, à la manière des fêtes dionysiaques du retour du printemps ou de saint Janvier dans Le Gai savoir. Elle suggère le prodige de la renaissance en voltairien de celui qui vient de frôler la mort en wagnérien.

Il ne faut pas voir là, bien sûr, le simple habillage d’une rupture personnelle. Le couple du dionysiaque et de l’apollinien le signalait déjà : Nietzsche est attiré par les deux polarités de l’Être, dont il cherche à saisir l’insondable complémentarité. Pour réunir authentiquement les deux pôles, il faut dépasser ce que la conception de l’alliance miraculeuse du dionysiaque et de l’apollinien dans l’art grec pouvait avoir encore d’imaginaire. Il faut casser ces constructions de philologue, se priver du brillant de cette « harmonie préétablie » des contraires les plus profonds. Pour donner chair à sa pensée, il est nécessaire de déborder de ce cadre confortable et de faire soi-même l’expérience de l’autre polarité. Celle-ci s’incarne aussi dans l’autre nationalité, dans la culture de l’autre, dans la civilisation de l’ennemi héréditaire. Humain, trop humain tente bien l’aventure d’un « chemin vers soi-même » qui passe par un retournement contre soi-même. C’est pourquoi, dans la préface qu’il ajoutera plus tard, Nietzsche a tant besoin d’insister, a posteriori, sur la continuité profonde de sa pensée38. C’est aussi sans doute la raison pour laquelle le livre s’ouvre sur la question de l’engendrement des contraires39.

Faire de la pensée un « essai » amène à appliquer héroïquement sur soi et contre soi la pensée la plus hostile en apparence à son premier mouvement. Sa force se met à l’épreuve dans la pensée de l’autre, en un mouvement qui correspond aux résistances que la « volonté de puissance » s’impose à elle-même. Francis Bacon, le premier grand théoricien moderne de l’expérience, la décrit parfaitement : pour être efficace, elle doit user d’une certaine violence. Pour faire parler la nature, il est nécessaire de la soumettre à la « question », à une forme de torture. Pour l’héroïsme philosophique de Nietzsche, il faut courir le risque de la destruction, mais aussi glaner les retombées épistémologiques du survivant que « rend plus fort » « tout ce qui ne [l]e détruit pas »40. L’invocation à Voltaire est en cohérence avec ce volontarisme intrépide, avec l’éloge du devenir et de la mobilité41. Elle figure la survie de Nietzsche par le changement, une mue qui lui permet d’échapper à cette indigne survivance à soi-même qu’il juge pire que la mort42.

Ce qui tente Nietzsche dans cette ère glaciaire imposée à la métaphysique, c’est aussi qu’elle porte en elle, comme toute saison, la promesse d’un retour du cycle. Ce n’est pas le « même » qui fera retour, mais un Moi philosophique renforcé et enrichi. De Wagner à Voltaire : entre ces deux masques, un visage encore indéterminé d’un Nietzsche à venir se profile.

Cette mobilité et cette dualité sont célébrées à bon droit sous les auspices de l’écrivain français, car cet Autre est déjà un Même potentiel. Voltaire est en fait un faux antipode de Wagner et de Schopenhauer. Nietzsche connaît l’admiration de Schopenhauer pour le « grand Voltaire » et affirme à quatre reprises que le pessimiste fut, dans le fond, et malgré ses rechutes métaphysiques, « un voltairien »43. Il a déjà exploité les réflexions de Voltaire sur l’opéra pour promouvoir « l’art total » et sait qu’il a affaire à un artiste des Lumières et non pas à un plat rationaliste. En somme, Voltaire renvoie des lueurs familières, mais aussi des éclats du dépassement à venir. Il n’est pas totalement réductible à une épreuve du négatif. Car l’audace apparente du retournement ne doit pas occulter qu’il est lui-même une figure duale, contradictoire, grinçante, à la fois Martin et Candide, « Jean qui pleure et qui rit44 ». Avec Humain, trop humain, la pensée et le style de Nietzsche ne deviennent pas simplement « positivistes », mais ils reçoivent l’irisation de l’ironie de Voltaire, le courant alternatif de l’ambivalence et de la mobilité. Le jeu même de l’antiphrase n’est pas seulement l’arme la plus simple de l’ironie : elle exprime l’ambiguïté de notre jugement de valeur sur le monde, l’alternative axiologique fondamentale. En rétablissant le sens de l’antiphrase, le lecteur fait la moitié du chemin et prend à son compte la responsabilité du jugement éthique tel que Voltaire le conçoit et veut le propager.

L’antiphrase ironique est l’arc le plus tendu de la dualité, mais elle n’en est pas la seule expression. Les contraires ne se dissolvent pas toujours aussi aisément dans la lecture. La dissonance aussi habite le texte dual de Voltaire, en une forme toujours inaccomplie de résolution qui convient parfaitement à Nietzsche au moment de sa grande rupture avec Wagner. Le philosophe peut y lire l’esquisse d’une ligne de crête qui court par-delà les apories du moment, entre romantisme et positivisme, musique et vérité. Le grincement est un compromis provisoire qui témoigne d’une évolution encore incertaine et correspond bien au moment où Nietzsche cherche à railler l’« humain, trop humain » sans avoir encore trouvé la voie du Surhumain.

Il justifie lui-même son nouveau ton sarcastique qu’il présente comme le mordant typique des « vieux chiens et des hommes qui ont longtemps été attachés à une chaîne », notamment à celle des devoirs45. La morsure des enchaînés est en effet la face obscure de l’image de la « chaîne », le symétrique de la danse. Elle renvoie aussi au symbole du chien de Diogène et des satiristes. Ce style cynique exprime la vengeance d’un esprit maintenu trop longtemps dans les fers de la théologie, de la philologie, de la morale, de la germanité, de la carrière académique… La liberté de l’esprit, déchaînement maîtrisé qui succède à une longue contrainte, est, elle aussi, une forme duale, foncièrement ironique. L’esprit libre porte encore longtemps les habitudes de la souplesse et les réflexes de la grâce en même temps que le poids et le grincement des chaînes.

Voltaire est une figure parfaite de la transaction et de la transition dans ce moment particulier de la pensée de Nietzsche. Il est le support de ses paradoxes : liberté dans la contrainte, aristocratisme dans l’émancipation, retour comme détour vers l’avenir et vers « soi-même », maîtrise railleuse d’une âme agitée d’« orages tragiques ». Voltaire est « esprit libre » en vertu même de ces apparentes incompatibilités dont il fait chatoyer la conciliation espérée.

Si autrefois, les libres penseurs étaient persécutés par un conformisme féroce qui les poussait au « combat », ceux d’aujourd’hui, nés dans « la paix de la destruction », ont la vie facile46. Face à une libre pensée qui risque de se scléroser et de se parodier elle-même, un retour aux sources s’impose. Avec Humain, trop humain et la figure transitionnelle de Voltaire, Nietzsche élabore le passage du « libre penseur » à « l’esprit libre », son héritage authentique en même temps que son dépassement programmé47. Plus tard encore, lorsque Nietzsche revient sur Humain, trop humain dans Ecce Homo, il évoque ce mouvement et parle d’un « esprit devenu libre ».

Au contraire, dès la première Considération inactuelle, Nietzsche raillait la prétention de Strauss à se comporter en « vieillard faunesque et libre penseur à la Voltaire » : le Français, lui, n’était pas un « philistin », comme Nietzsche le confirme à Hans von Bülow48, mais un vrai libérateur, un terme qui apparaît sans cesse pour qualifier l’écrivain français49.

L’« esprit libre » n’est pas la négation pure et simple du « libre penseur », mais la reprise et prolongation de son geste dans son authenticité première, incluant un décalage et un dépassement. C’est sans doute faute d’avoir saisi la sincérité de ce retour que la critique a si peu prêté attention à la place de Voltaire dans l’œuvre et la pensée de Nietzsche. Il s’agit bien d’un ressourcement inactuel dans l’ethos du « libérateur de l’esprit » qui doit permettre de sortir l’époque de ses ornières tout positivistes et romantiques.

Nietzsche emprunte à Voltaire tout un vocabulaire qui correspond à ce programme : il s’attaque aux « préjugés », à la « superstition », au « fanatisme », à l’« enthousiasme ». Sa critique décrit une boucle qui récupère le combat contre « l’Infâme » avant d’en élargir le champ d’application à tout ce que Voltaire a laissé en place, mais aussi à tout ce qui imprégnait encore son œuvre de l’esprit de ce qu’il croyait démolir.

Nietzsche n’est jamais ce qu’Eugen Fink appelle un « vulgaire philosophe des Lumières ». Celles-ci sont toujours pour lui à la fois un exemple et la matrice philosophique et polémique de leur dépassement. Il indique lui-même à plusieurs reprises la nécessité de refonder les Lumières non seulement en les imitant, mais en repoussant leurs limites, en prenant appui sur les résurrections métaphysiques offertes par les philosophies régressives comme celles de Schopenhauer. Le retour en arrière permet de faire resurgir les oublis et les limites des premières Lumières pour mieux dessiner la tâche que devra accomplir la nouvelle Aufklärung. Il s’agit bien de « revenir, mais non pas rester en arrière », et donc de « reculer pour avoir assez d’espace avant de sauter »50. La polyphonie du « système d’aphorismes » est une forme particulièrement adaptée à ces constructions subtiles, qui permettent tantôt d’insister sur la grandeur historique de ce que l’on réfute, tantôt de reprendre la « bannière des Lumières ».

Les nouvelles Lumières

Nietzsche, avec un mélange de recul et de zèle, prolonge le travail émancipateur de Voltaire. Il concentre encore ses attaques contre deux préjugés qu’il juge encore vivaces, les notions de « miracle » et de « Providence ».

Humain, trop humain s’en prend à « l’éducation miracle » : « L’intérêt à l’éducation ne recevra une grande force qu’à partir du moment, où l’on abandonnera la croyance en un Dieu et en sa providence : tout comme la médecine n’a pu fleurir que lorsque cessa la croyance en des remèdes miracles51. » De même, si l’on se penche sur les circonstances de la naissance du génie, Nietzsche écrit : « On n’y découvrira jamais des miracles. » Il s’agit bien d’une explicitation et d’un approfondissement des acquis de Voltaire et de l’article « Miracle » du Dictionnaire philosophique. Il énonçait déjà le dilemme suivant : soit il n’y a pas de miracle (« un miracle est une contradiction dans les termes, une loi ne peut être à la fois immuable et violée »), soit « tout est miracle » (les splendeurs de la création méritent l’émerveillement)52. Nietzsche restitue la cohérence des thèses de Voltaire. La notion de civilisation, l’insistance sur la lente et patiente élaboration qu’elle implique, l’éloge des « chaînes » et de l’exercice, le refus du spontanéisme : ce sont là encore les conséquences logiques d’un refus foncier de la métaphysique du miracle. De même, le goût de Voltaire, qui refuse les admirations en bloc, vient d’une défiance envers le caractère surnaturel du « génie », auquel il substitue une éthique du travail.

Comme jadis Voltaire au moment du tremblement de terre de Lisbonne, l’« esprit libre » se dégage de la foi en la Providence, par opposition à Rousseau53. C’est une croyance difficile à éradiquer parce qu’elle a survécu aux offensives des Lumières sous des formes affinées, sublimées : « Nous sommes, avec toute notre liberté et quelle que soit l’intensité avec laquelle nous avons réfuté dans le beau chaos de l’Être toute raison et toute bonté providentielles une nouvelle fois dans le plus grand danger de l’absence de liberté de l’esprit54 », affirme Nietzsche. Car « l’esprit libre » est allé si loin que la satisfaction liée à ses succès l’incite à retrouver sous la forme individuelle de sa « providence personnelle », la foi ancienne en la « providence particulière »55. En réalité, le hasard préside aux vies humaines, au choix des emplois, comme aux progrès des sciences. Ce n’est qu’après coup que l’on est tenté d’entonner un hymne à la « Providence » et à justifier l’état de fait56. Ce retour du préjugé rend nécessaire le recours aux railleries de Voltaire contre la « providence particulière », tel ce dialogue cocasse de « sœur Fessue » et « sœur Confite » apitoyées sur un moineau, avec un métaphysicien57. Nietzsche prend lui aussi la peine de brosser un tableau burlesque du contraste entre la grandeur de Dieu et les misérables desseins de la « providence personnelle ». Il moque la croyance en « une divinité attentionnée et mesquine, qui connaît elle-même personnellement le moindre cheveu de notre tête et ne trouve aucun dégoût dans la plus pitoyable prestation de service »58. Cette illusion agréable, liée à nos nécessités vitales, semble presque indéracinable : c’est pourquoi le travail de dessillement de Voltaire doit toujours être remis sur le métier59. L’incessant retour du refoulé épistémologique rend nécessaire le ressourcement dans la « liberté de l’esprit » du siècle précédent. L’Antéchrist s’exprime avec véhémence sur ce thème : « Et comment [le philologue] devra-t-il s’y prendre si piétistes et autres vaches du pays souabe justifient leur misérable quotidien et la fumée d’auberge de leur existence à l’aide du “doigt de Dieu” pour en faire un miracle de “grâce”, de “providence”, d’“expériences salvatrices” ! La plus modeste objection de l’esprit, pour ne pas parler de convenance, devrait amener ces interprètes à se persuader de la puérilité et de l’indignité achevées d’un tel abus du doigté divin. » L’accumulation amusante se clôt sur une paraphrase inverse du célèbre alexandrin de Voltaire : « Si Dieu n’existait pas, il faudrait l’inventer. » Nietzsche écrit : « Avec une dose même très faible de piété dans le corps, un Dieu qui nous guérit d’un rhume au bon moment ou qui nous fait entrer dans la voiture à l’instant précis où l’orage éclate, un tel Dieu devrait nous être tellement absurde qu’on devrait l’abolir, si même il existait60. » Nietzsche se plaît à rivaliser post mortem avec les formules de ses prédécesseurs en liberté de l’esprit. Il avoue, par exemple, sa jalousie devant « la plaisanterie d’athée » de Stendhal selon laquelle « La seule excuse de Dieu est qu’il n’existe pas »61. Il y rappelle sa propre maxime, tirée du Crépuscule des idoles : « Quelle est la plus grande objection contre l’existence à ce jour ? Dieu… ».

Il faut déceler les nouveaux visages sous lesquels se perpétuent les croyances discréditées par les Lumières. La pensée artistique des formes, la psychologie des masques et la théorie de la « sublimation » justifient ce retour analogique aux Lumières : « À méditer : dans quelle mesure encore la pernicieuse croyance à la providence divine – cette croyance la plus handicapante qu’il y ait jamais eu pour la main et la raison, – se perpétue ; dans quelle mesure sous les formules de “nature”, “progrès”, “perfectionnement”, “darwinisme”, sous la superstition d’une certaine interdépendance du bonheur et de la vertu, du malheur et de la faute le préjugé chrétien a sa postérité62. » Nietzsche repère l’une des autres formes de la Providence dans la dialectique hégélienne63, car connaître l’histoire, c’est reconnaître à quel point tout le monde s’est fait la part belle en croyant à la Providence, alors qu’« il n’y en a pas »64. Il conclut donc dès 1875 que l’époque n’est plus à croire aux « signes » et aux « miracles ». « Seule une “Providence” a besoin de cela. Il n’y a aucune aide ni dans la prière, ni dans l’ascèse, ni dans la vision. Si tout cela est la religion, alors il n’y a plus de religion pour moi. » Et il remplace aussitôt le miracle par le travail : « Ma religion si je peux encore appeler quoi que ce soit de ce nom, consiste dans le travail pour la conception du génie65. » L’éthique du travail est aussi la forme que prend cette critique par Voltaire de cette forme suprême d’optimisme qu’est la foi en la Providence. La concomitance de cet effort artistique et d’une négation de la théologie providentielle est évidente.

Il serait trop long de marquer tous les moments où le texte de Nietzsche porte la mémoire des luttes de Voltaire contre les erreurs de son temps : « Un degré assurément très élevé de culture est atteint, quand l’homme arrive à surmonter des idées et des inquiétudes superstitieuses et religieuses, et, par exemple, ne croit plus aux anges gardiens ou au péché originel, a désappris même à parler du salut des âmes66 », écrit-il par exemple, choisissant comme points d’entrée de sa polémique antimétaphysique les dogmes mêmes que ciblait Voltaire, par exemple dans ses articles du Dictionnaire philosophique67.

Voltaire a ouvert la voie et indique les failles dans la cuirasse et les points névralgiques de l’adversaire, que les métamorphoses et les sublimations romantiques ont habilement obstrués. Lire Voltaire, c’est se donner la chance de ramener à leur origine simple ces formes complexes : c’est faire œuvre de généalogie.

Voltaire montre aussi des « modes d’attaque ». Par exemple, il connaît les dangers de l’argumentation. Nietzsche écrit dans le même esprit qu’il suffit d’une attitude sceptique et du soupçon que « les explications fournies par la métaphysique de l’unique monde connu ne nous soient inutilisables » pour en ruiner le prestige. Les méthodes de persuasion de Voltaire seraient alors moins à blâmer pour leur inconsistance philosophique qu’à ressaisir dans leur visée et leur efficacité dans l’histoire de la libération de l’esprit. L’insuffisance de certaines réfutations provient plutôt d’une répugnance volontaire à s’engager dans une disputatio métaphysique assimilée souvent par Voltaire à un « labyrinthe ». La mise en scène du dégoût et celle de la distance s’avèrent de meilleures armes que les ratiocinations de la controverse, en même temps qu’elles révèlent une atmosphère aristocratique.

L’explication par la « généalogie » et la « psychologie » se substitue alors à l’argumentation.

L’un des exemples les plus frappants, à côté de la critique du miracle et de la providence, concerne la réfutation de la croyance en l’âme. L’esprit libre n’entre pas dans les innombrables débats sur la nature de l’âme, mais il donne une explication vraisemblable de la naissance de cette intuition fondatrice.

D’entrée de jeu, un aphorisme d’Humain, trop humain, « Une méprise au sujet du rêve », reprend presque terme à terme un argument de Voltaire : « Sans le rêve, on n’aurait pas trouvé l’occasion de couper le monde en deux. La division en âme et corps se rattache aussi à la plus ancienne conception du rêve, de même que la croyance à un simulacre corporel de l’âme, partant l’origine de toute croyance aux esprits, et vraisemblablement aussi de la croyance aux dieux. “Le mort continue à vivre ; car il apparaît aux vivants dans le rêve” : c’est ainsi qu’on raisonna jadis, durant beaucoup de milliers d’années68. »

L’article « Somnambules et Songes » des Questions sur l’Encyclopédie développait le même scénario et en tirait les mêmes conclusions : « Ne trouvez-vous pas, comme moi, que [les songes] sont l’origine de l’opinion généralement répandue dans toute l’Antiquité touchant les ombres et les mânes ? Un homme profondément affligé de la mort de sa femme ou de son fils, les voit dans son sommeil, ce sont les mêmes traits, il leur parle, ils lui répondent ; ils lui sont certainement apparus. D’autres hommes ont eu les mêmes rêves ; il est impossible de douter que les morts ne reviennent, mais on est sûr en même temps que ces morts ou enterrés, ou réduits en cendre, ou abîmés dans les mers, n’ont pu reparaître en personne ; c’est donc leur âme qu’on a vue69. »

Les similitudes entre les deux textes sont frappantes. Plus prudent en son temps, Voltaire passe insensiblement des « ombres » et des « mânes » aux âmes, selon un apparentement qui annonce l’approche psychanalytique d’Otto Rank, mais l’essentiel est là : si la métaphysique est faite de « rêveries », c’est qu’à son commencement était le rêve70. Pour ramener ainsi la métaphysique à la physique, le philosophe généalogiste recourt à son talent de comédien qui lui permet de mimer en lui-même et de réincarner avec toute la distance nécessaire l’histoire et l’origine des « sentiments moraux » pour mieux les étudier. Nietzsche danse ici avec ses armes de distanciation favorites, les petits dialogues, les guillemets et les italiques, tandis que sous la plume de Voltaire, tout devient conte philosophique. Le mimétisme du généalogiste mène directement à la satire philosophique, la comédie des erreurs de l’humanité archaïque dont nous retrouvons la mémoire en nous-mêmes et qui conduit donc aussi à une forme d’« autodépassement ». Sa gaieté ne doit pas occulter sa portée philosophique : pour Nietzsche, « toute l’histoire religieuse de l’humanité se reconnaît comme histoire de la superstition de l’âme71 », croyance établie à la racine de la dépréciation séculaire du corps72.

Qu’est-ce qu’un esprit libre ?

L’« esprit libre » promis par la page de garde de Humain, trop humain est décrit par la suite avec précision. C’est un individu original, riche à la fois de promesses et de dangers pour la société73. « Plus indépendant, moins sûr et moralement plus faible » que les autres, il fait figure d’exception dans une société marquée par la stabilité et la « durée ». Cet homme déviant « inocule » à la communauté des objections qui la contraignent à s’ouvrir l’esprit, et qui aboutissent à un « progrès intellectuel », toutes les fois que la société est assez solide pour s’incorporer ces corps étrangers sans périr. L’image de l’inoculation est significative. Elle reprend et étend l’application d’une pratique typique de la médecine des Lumières pour laquelle Voltaire avait mené campagne, en particulier dans les Lettres philosophiques74. Il s’agit déjà, dans les limites du champ médical, de la prise en compte des ressources paradoxales du mal et le premier pas de l’immoralisme dans le domaine de la santé. Pour Nietzsche, la question de la dose de déviance et de vérité que l’espèce humaine, une société ou un individu sont capables de supporter sans périr est cruciale75. L’esprit libre dionysiaque est décrit ailleurs dans le Gai Savoir comme un esprit agité et destructeur, mais utile, dialectiquement, ou plutôt organiquement, à l’ensemble auquel on peut le croire d’abord hostile.

L’esprit libre n’est qu’une « notion relative », il est « celui qui pense autrement qu’on ne l’attend de lui à cause de son origine, de son milieu, de sa situation et de son emploi ou à cause des vues régnantes du temps ». Nietzsche établit ainsi un rapport entre cette notion et celle d’inactualité. Il façonne un type d’homme de savoir désolidarisé de l’idée d’un dévouement à la vérité comme absolu et transcendance. Il s’agit de créer un nouveau type d’homme de savoir en rendant à la « volonté de vérité » son substrat immanent le plus vraisemblable et son origine la plus dynamique.

L’esprit libre est une exception qui se conçoit dans l’opposition aux « esprits serfs », qui « sont la règle ». L’« esprit serf » est celui qui « prend une position non par des raisons, mais par habitude. Par exemple, il est chrétien, non parce qu’il aurait un aperçu des différentes religions et aurait eu le choix entre elles ; il est anglais, non parce qu’il s’est décidé pour l’Angleterre, mais parce qu’il a trouvé d’avance le christianisme et le fait d’être anglais et les a pris sans raisons, comme quelqu’un qui est né dans un vignoble devient buveur de vin. Après être chrétien et anglais, il a peut-être fait la découverte de quelques raisons au bénéfice de son habitude ; on peut renverser ses raisons, on ne le renverse pas par là dans sa position d’ensemble […]. L’accoutumance à des principes sans raisons s’appelle la foi76 ».

Il s’agit là d’une thèse déterministe fréquente chez Voltaire, exprimée, par exemple, dans la célèbre profession de foi de Zaïre :

La coutume, la loi plia mes premiers ans

À la religion des heureux musulmans.

Je le vois trop, les soins qu’on prend de notre enfance

Forment nos sentiments, nos mœurs, notre croyance.

J’eusse été près du Gange esclave des faux dieux

Chrétienne dans Paris, musulmane en ces lieux.

L’instruction fait tout ; et la main de nos pères

Grave en nos faibles cœurs ces premiers caractères

Que l’exemple et le temps nous viennent retracer,

Et que peut-être en nous Dieu seul peut effacer.

Puisque l’esprit libre est « relatif », « il n’est pas de l’essence de l’esprit libre d’avoir des vues plus justes ». Ce n’est que « pour l’ordinaire » qu’un « esprit libre » « aura la vérité de son côté », car « il cherche, lui, des raisons, les autres une croyance ». Nietzsche s’intéresse ici davantage aux types humains qui font avancer les sociétés par l’affranchissement polémique, qu’aux amants de la vérité pure. C’est dans ce contexte « relatif » qu’il rencontre la personnalité remuante et scandaleuse de Voltaire. Par lui, il revient partiellement à la conception du « philosophe » dans le sens des Lumières françaises – des êtres qui luttent contre les préjugés de l’ordre établi et le carcan des dogmes, des « esprits libres » avant la lettre. Le dévouement à la vérité est second, c’est la puissance et la fécondité philosophique de l’audace qui est première. Elle peut aller jusqu’à la mort : Nietzsche note chez Schopenhauer une phrase de Voltaire qui signe son appartenance aux esprits libres : « Il faut dire la vérité et s’immoler », une vigoureuse maxime qui devait, semble-t-il, lui servir d’épigraphe pour un ouvrage abandonné77. L’« esprit serf », défini par sa conception utilitaire de la vérité, se sent intuitivement en danger face aux principes de « l’esprit libre », il ne comprend pas les motifs élevés qui l’animent et qu’il ramène bassement à ses propres calculs.

Le renversement de la spiritualité

Individu hardi qui défie les habitudes de pensée, au détriment de son propre intérêt, l’« esprit libre » ainsi conçu, délivré de l’exigence de « vérité » métaphysique, peut être incarné en Voltaire. Non seulement l’écrivain-philosophe des Lumières correspond bien à ce type, mais il occupe une place particulière dans sa genèse ainsi que dans son histoire.

Quelques années plus tard, Voltaire reparaît dans Aurore, toujours dans le même contexte conceptuel d’une tension dynamique entre « liberté de l’esprit » et « libre pensée ». Il est qualifié d’abord de « libre penseur » et comparé à Auguste Comte78, mais c’est surtout l’aphorisme « Se souhaiter des ennemis accomplis » qui fait le portrait type du « libre penseur » français.

Ce texte décrit d’abord les Français comme « le peuple le plus chrétien de la terre79 », qualité illustrée par la série d’incarnations de l’idéal chrétien que constituent Pascal, Fénelon, Madame Guyon et Rancé. Cette tradition moderne s’enracine dans la spiritualité médiévale et porte encore la marque d’une « naïveté vieille-française dans la parole et dans le geste80 ». Nietzsche ajoute encore Port-Royal et les huguenots, qui offrirent une « unification » inédite du sens de la guerre et de l’industrie, une union nouvelle du raffinement moral et de la rigueur chrétienne. Ce développement terminé, le philosophe renverse brutalement la perspective de l’éloge : « L’on devine à présent pourquoi ce peuple du type accompli de christianisme devait élever aussi le contre-type accompli du libre penseur antichrétien ! Le libre penseur français combattait en lui toujours avec de grands hommes et non seulement avec des dogmes et de sublimes avortons, comme les libres penseurs des autres peuples. »

Si Voltaire n’est pas nommé, il constitue à l’évidence une des figures implicites de l’aphorisme et l’un des grands exemples historiques à partir desquels Nietzsche a pu élaborer l’idée de ce retournement dialectique à l’origine de la « libre pensée » française. La référence à Pascal et au combat intérieur des libres penseurs contre des types chrétiens « accomplis » ramène au combat obsessionnel de Voltaire contre l’auteur des Pensées. L’image de l’« accomplissement » annonce celle de l’« achèvement » employé dans le Gai Savoir à propos de Voltaire81. L’idée est bien d’accomplir ou d’achever des « types » patiemment élaborés par une longue tradition d’éducation, loin de toute vision spontanéiste du « génie ». Nietzsche comprend donc Voltaire (et les autres « libres penseurs français » post-pascaliens avec lui) dans le contexte d’une comparaison entre la France et l’Allemagne, comme la convergence de deux « achèvements », celui du « goût de cour » et celui d’une « libre pensée » française forgée dans une rivalité séculaire avec la tradition chrétienne la plus puissante d’Europe. La liberté de l’esprit allemande doit donc recourir à la conversion de l’énergie polémique de ses prédécesseurs français pour dépasser une faiblesse atavique due à ce manque d’adversaires accomplis.

L’idée d’une France fleuron de la libre pensée parce que « très-chrétienne » n’est pas un paradoxe facile. Ce qui est en jeu est, en fait, un moment de crise et de retournement : l’« auto-dépassement » du christianisme par lui-même, annoncé d’entrée dans Aurore82. Le dynamisme de la liberté de l’esprit est essentiellement paradoxal : « relatif », il vit aux dépens de la puissance qu’il combat.

Un indice discret signale que Voltaire est bien visé dans ce texte.

D’une manière qui rappelle l’humour des transitions entre articles du Dictionnaire philosophique83, les aphorismes de Nietzsche se suivent et se répondent dans des jeux de miroir espiègles. Dans Aurore, celui qui suit « Se souhaiter des ennemis accomplis », intitulé « Esprit84 et morale », s’ouvre précisément sur une variation ironique à partir d’une célèbre maxime de Voltaire : « Le secret d’ennuyer est celui de tout dire »85. Nietzsche appréciait cette maxime qui correspond à sa propre éthique et esthétique de la brièveté et qu’il a enseignée à ses étudiants bâlois86. La traduction proposée dans Aurore reprend les mêmes tournures que sa traduction d’alors : « L’Allemand, qui s’entend au secret d’ennuyer avec esprit, savoir et cœur. » L’allusion est évidente et elle renforce la présence en filigrane de l’écrivain français dans l’aphorisme précédent.

Loin d’être banale, l’expression « le secret d’ennuyer » révèle le talent ironique de Voltaire. La maxime aurait dû être : « Le secret de ne pas ennuyer est de ne pas tout dire. » Voltaire engage à son insu le lecteur dans la quête d’un improbable « secret d’ennuyer » – pierre philosophale d’une alchimie du verbe maladroit87. Si le secret d’ennuyer est éventé, celui de ne pas ennuyer reste mystérieux – il n’est pas limité, bien sûr, à la seule apologie de la brièveté. Le « secret » du style reste précieusement gardé. Nietzsche, qui fut très attentif à saisir et décrire « l’esprit français », jusque dans ses « sauts » illogiques88, pour en mieux dresser l’image face à « l’esprit de pesanteur89 », rend ici un discret hommage au maître de l’ironie et une nouvelle application immoraliste de sa maxime : « Le secret d’être ennuyeux, c’est d’être moral. » Cette boutade intéresse la définition de « l’esprit » par Nietzsche : une activité qui n’est pas purement intellectuelle, mais repose sur une capacité de résistance aux pressions extérieures de la « morale » qui pèsent sur lui.

L’aphorisme donne un exemple illustre de cette relation entre « esprit et morale » en Allemagne : « Nul peut-être parmi les Allemands célèbres n’a eu plus d’esprit90 que Hegel, – mais il avait par là même aussi une si grande angoisse allemande devant lui, qu’elle lui a fait son méchant style particulier91. »

Nietzsche déconstruit la notion hégélienne de Geist en la traduisant dans le vocabulaire des Lumières françaises. Le filigrane du siècle précédent lui permet de simplifier à l’extrême le travail de l’idéalisme allemand. Tout se passe comme si la métaphysique n’était que la créature difforme que la morale fait de l’esprit. Il y a beaucoup de Voltaire dans ce désir d’un retour à la simplicité de l’esprit et le soupçon que les complexités de la métaphysique ne traduiraient que les ambages de la timidité de l’esprit face à la pression de la morale et de la théologie. L’esprit est une activité naturelle de dévoilement artificiellement freinée par les valeurs conservatrices de la « morale ».

Voltaire donne du théologien anglais Warburton un portrait tout à fait semblable à ce Hegel de Nietzsche : « Ce mélange d’orgueil, d’envie, et de témérité, n’est pas ordinaire. Il t’a effrayé toi-même ; tu t’es enveloppé dans les nuages de l’antiquité, et dans l’obscurité de ton style ; tu as couvert d’un masque ton affreux visage. Voyons si l’on peut faire tomber d’un seul coup ce masque ridicule92. » Les lignes suivantes empruntent à Schopenhauer l’image du « voile ». Au contraire des craintes de la phénoménologie, le maître de Francfort affirme la prédominance de la pensée sur la pudeur au sein d’« une société de penseurs »93. La liberté de l’esprit se manifeste aussi par une franchise qui ne passe pour une forme de brutalité que parce qu’elle fait fi non des contraintes, mais des convenances. L’« esprit libre » est un type bien particulier de « génie » qui permet de réunir Lumières et romantisme. Voltaire, génie remuant des Lumières, aboutissement paradoxal du « peuple le plus chrétien de la terre » porte déjà en lui toutes les tensions et toutes les souplesses de ce type original.

1- freier Geist.

2- 1886, § 24 à 44, KSA, 5, p. 41-64.

3- Freigeist.

4- Le modèle du « libre penseur » est, en 1870, Anaxagore (suivi par ses disciples Périclès et Euripide), qui, loin des regards du peuple, élabore une interprétation rationaliste de la mythologie comme symbolique des forces de la physis et du noûs. La Philosophie à l’époque tragique des Grecs, § 19. KSA, 1, p. 868. Nietzsche va même jusqu’à présenter le « noûs » d’Anaxagore comme un « atheos ex machina » (Été 1875, 6 [46], KSA, 8, p. 114).

5- « Befreier des Geistes », MA, I, Frontmatter 1, KSA, 2, p. 10.

6- FW, Préface, § 2, KSA, 3, p. 347.

7- § 34.

8- § 5. Voir ci-dessous.

9- § 26. Voir chapitre VI sur « La république des génies ».

10- « Pour servir à l’histoire des sentiments moraux ». Ce titre est évidemment un hommage à Paul Rée, auteur de l’ouvrage Origine des sentiments moraux, et psychologue d’inspiration franco-anglaise, qui confia à Nietzsche retrouver avec plaisir Voltaire dans Humain, trop humain. « La vie religieuse », KSA, 2, p. 107-139.

11- L’abandon de la dernière forme d’art en Europe, l’art tragique français (§ 221) ouvre deux paragraphes intitulés « Ce qui reste de l’art » et « Crépuscule de l’art », KSA, 2, p. 185 et 186.

12- Dans l’intervalle, la référence à Voltaire disparaît : ces chapitres « L’homme en société » et « Femme et enfant », appartiennent plutôt à un discours de moraliste traditionnel. Ce sont des morceaux plus brefs, proches de la maxime, dont le contenu est moins historique que psychologique.

13- Automne 1877, 24 [10], KSA, 8, p. 480.

14- Le 24 février 1879. KSA, 14, p. 182. L’expression est traduite, par erreur, par « les esprits les plus fins » dans l’édition Gallimard (OC, 2, p. 487). Un point d’interrogation a été interpolé. Nous avons rétabli le caractère affirmatif de la phrase. Les « derniers honneurs » en question sont bien ceux d’un « esprit libre » dépassé par ses disciples.

15- MA, II, VM, § 408, KSA, 2, p. 533-534.

16- Fin 1880, 7 [191], KSA, 9, p. 356.

17- MA, II, Préface, § 2, KSA, 2, p. 371.

18- JGB, IX, § 283, KSA, 5, p. 231.

19- Dans Ecce Homo, « Pourquoi j’écris de si bons livres », KSA, 6, p. 322.

20- Selon la fameuse expression de la Préface du Dictionnaire philosophique. VF35, p. 284.

21- « On récompense mal un maître en demeurant toujours son disciple. Et pourquoi ne voudriez-vous pas arracher les fleurs de ma couronne », trad. Renouard, op. cit., p. 132, ASZ, KSA, 4, p. 101.

22- 29 [19] KSA, 8, p. 515. JGB, § 221 : « Mais il ne faut pas avoir trop raison quand on veut avoir les rieurs de son côté ; avoir un tantinet tort est même une preuve de bon goût » (trad. H. Albert révisée par J. Lacoste, Bouquins, 2, p. 669). KSA, 5, p. 155.

23- Journal des Goncourt, II, 11 mars 1862. Voir KSA, 14, p. 750.

24- En français dans le texte. L’abbé Trublet (1697-1770) critiqua le goût de Voltaire (Lettre sur M. Houdar de La Motte), fut rédacteur du Journal des savants et censeur royal de 1736 à 1739. Il attaque Helvétius et se fâche avec les « philosophes ». Voltaire se vengea de celui qui disait bâiller en lisant la Henriade en le représentant comme un « Pauvre Diable » qui « compilait, compilait, compilait ». Nietzsche a annoté la lettre à Trublet du 27 avril 1761 où Voltaire se réconcilie avec l’abbée et exprime son « gai savoir » : « Je me suis mis à être un peu gai, parce qu’on m’a dit que cela est bon pour la santé » (Lettres choisies, op. cit., I, p. 431). Novembre 1887-mars 1888, 11 [32], KSA, 13, p. 18.

25- Lettre du 6 avril 1876, visite à Genève et Ferney. « Mes premiers respects furent pour Voltaire », KSB, 5, p. 436 et 438.

26- La dédicace de Humain, trop humain parle du « souhait trop vivace d’offrir, à l’heure juste, des hommages personnels à l’un des plus grands libérateurs de l’esprit ». « Hommages ! » s’écrie Nietzsche, après avoir décrit l’émotion dans laquelle la rencontre de Voltaire plongeait les femmes de l’époque. Automne 1880, 6 [427], KSA, 9, p. 307. Il s’agit d’un démarquage allemand des Mémoires de Mme de Genlis (Paris, Ladvocat, 1825, t. 5), cités par Desnoiresterres, op. cit., VIII, 3, où Nietzsche l’a peut-être trouvé (sa bibliothèque ne conserve aucune œuvre de Mme de Genlis dont il ne cite jamais le nom, et le Lundi de Sainte-Beuve qui lui est consacré ne mentionne pas ses relations avec Voltaire) : « Il étoit d’usage, surtout pour les jeunes femmes, de s’émouvoir, de pâlir, de s’attendrir et même de se trouver mal en apercevant M. de Voltaire ; on se précipitoit dans ses bras, on balbutioit, on pleuroit, on étoit dans un trouble qui ressembloit à l’amour le plus passionné ». L’aphorisme 100 du Gai Savoir (« Apprendre à rendre hommage »), qui précède celui dédié à « Voltaire », se rattache à l’apologie des « manières » dans Humain, trop humain où il est aussi question de savoir « rendre hommage » (MA, I, § 250, KSA, 2, p. 207 : « Personne ne s’entend plus à rendre hommage et flatter de manière spirituelle ».

27- « Éloge de Voltaire », automne 1881, 12 [190], KSA, 9, p. 609.

28- En français dans le texte.

29- Voltaire y est donc encore indirectement rapporté à Jésus. AC, § 32, KSA, 6, p. 203, et fragment préparatoire de novembre 1887-mars 1888, 11 [368], KSA, 13, p. 164.

30- Selon l’expression de Ainsi parlait Zarathoustra à propos de Jésus, KSA, 4, p. 93.

31- ASZ, « Les Discours de Zarathoustra », § 7, KSA, 4, p. 48.

32- Article « Dictionnaire » des Questions sur l’Encyclopédie, XVIII, 356.

33- La vraie libération s’oppose au « salut » censément apporté par Wagner et les couronnes posthumes de ses thuriféraires : « Salut au sauveur », FWag, § 13, KSA, 6, p. 40.

34- 4 janvier 1889, KSB, 8, p. 573.

35- Ils portent partout avec eux cette émotivité de libre penseur qui les rend « sensibles et hostiles à la plus légère pression d’une autorité » et sans cesse susceptibles d’« aversion contre les derniers restes de contrainte ». Cette dernière notation est intéressante dans le contexte de la construction théorique de la « danse dans les chaînes ».

36- Nietzsche présente cette séquence du « Freigeist » comme la séquelle de la crise de l’été 1876, moment de « dégoût pour lui-même », et comme un essai de « vivre dans la plus grande sobriété, sans présupposés métaphysiques », novembre 1882-février 1883, 4 [111], KSA, 10, p. 147.

37- Automne 1877, 25 [2], KSA, 8, p. 483-485.

38- MA, I, Préface, § 1, KSA, 2, p. 13.

39- Voltaire raille souvent ce passage, notamment dans l’article « Aristote » des Questions sur l’Encyclopédie, XVII, 368. Voir le chapitre IX, « L’Anti-Platon ».

40- KSA, 2, p. 23 sq.

41- M, V, § 573, KSA, 3, p. 330. Voir aussi, par exemple, MA, I, § 637 : « qui se sent l’esprit libre et d’une infatigable vivacité peut empêcher ce figement par de constantes variations ». Nietzsche y parle de « nous, qui sommes de nature mixte, tantôt portés à incandescence par le feu, tantôt transis par le froid de l’esprit ». KSA, 2, p. 362.

42- ASZ, De la mort volontaire, KSA, 4, p. 93 sq.

43- Printemps-été 1878, 27 [43], KSA, 8 p. 495 ; FW, II, § 99, KSA, 3, p. 453 ; avril-juin 1885, 34 [117], KSA, 11, p. 459 ; été 1878, 30 [9], KSA, 8, p. 523.

44- Selon le titre du poème de Voltaire, IX, 556-558.

45- MA, I, Préface, § 3, KSA, 2, p. 15.

46- Toujours automne 1877, 25 [2], KSA, 8, p. 483-485.

47- L’expression « libre penseur » correspond au titre initialement prévu pour une cinquième Considération inactuelle – à la place de laquelle fut écrit Humain, trop humain.

48- UB, 1, § 10, KSA, 1, p. 216. Hans von Bülow remercie Nietzsche pour son « excellente Philippique contre le philistin David » et loue la « peinture du philistin de la culture, du mécène de la civilisation sans style », avant d’affirmer, non sans connotation antisémite : « Écr… l’int [sic] devrait écrire un Voltaire d’aujourd’hui. L’Internationale de l’esthétique est pour nous un adversaire bien plus odieux que les bandits noirs ou rouges » (Nietzsches Briefwechsel, op. cit., II/4, 29 août 1873, p. 288).

49- Quelques années lus tard, de manière moins limpide, en relation avec Shakespeare et la notion de comédien. KSA, 12 [200]. Peut-être ce fragment est-il lié à la réflexion de Goethe citée dans UB, 2, § 5 (KSA, 1, p. 279), selon laquelle nul plus que Shakespeare n’a méprisé le costume du comédien.

50- MA, I, § 273, KSA, 2, p. 225.

51- MA, I, § 242, KSA, 2, p. 202-203.

52- VF 36, p. 374.

53- Automne 1887, 9 [184], KSA, 12, p. 447.

54- FW, IV, § 277, KSA, 3, p. 521.

55- Ibid., p. 521-522.

56- Mars 1875, 3 [19], KSA, 8, p. 19.

57- Article « Providence », Questions sur l’Encyclopédie. 8e partie, 1771. XX, 294-296. La vie du moineau de la pauvre sœur sert de métaphore de la petitesse humaine – Nietzsche reprendra l’image du moineau : « Qui, dans la chute du toit du moindre moineau, ne voit plus l’action d’un dieu personnel sera bien plus sensé, parce qu’il ne met à sa place nul être mythologique, comme l’Idée, la Logique, l’Inconscient etc., mais fait l’essai de rendre la constance du monde compréhensible à l’aide d’une puissance dominatrice aveugle », été-automne 1873, 29 [89], KSA, 7, p. 671.

58- FW, IV, § 277, KSA, 3, p. 521-522.

59- Hiver 1869-1870, 3 [95], KSA, 7, p. 85.

60- AC, § 52, KSA, 6, p. 233.

61- Ecce Homo, « Pourquoi je suis si malin », § 3, KSA, 6, p. 286. De manière comparable, Zadig, juste avant une phrase reproduite par Nietzsche dans ses notes, disait déjà, à propos des griffons, créatures bibliques : « Tout me persécute dans ce monde, jusqu’aux êtres qui n’existent pas », Contes en vers et en prose, op. cit., I, p. 123.

62- Automne 1887, 10 [7], KSA, 12, p. 457.

63- Été-automne 1873 29 [72], KSA, 7, p. 660.

64- Printemps-été 1875, 5 [16], KSA, 8, p. 44.

65- Printemps-été 1875, 5 [23], KSA, 8, p. 45-46.

66- MA, I, § 20, KSA, 2, p. 41.

67- « Ange », « Âme », « Péché originel », VF35, I, p. 304-319, p. 337-343, 423-428.

68- MA, I, § 5, KSA, 2, p. 27.

69- 8e partie, 1771. La première section de l’article « Âme » des Questions sur l’Encyclopédie développe le même argumentaire, XVII, 133-134. Voir aussi La Philosophie de l’histoire, « De la connaissance de l’âme », chap. IV, VF59, p. 98-99.

70- Voir notamment Don Juan et le double, Payot, Paris, 2001.

71- Fin 1886-printemps 1887, KSA, 12, p. 317.

72- AC, § 51, KSA, 6, p. 230.

73- « Caractères de haute et basse civilisation », KSA, 2, p. 186-235. Nous utiliserons la traduction de A.-M. Desrousseaux et H. Albert, révisée par J. Lacoste, Bouquins, vol. 1, p. 560-596.

74- Lettres philosophiques, XI : « Sur l’insertion de la petite vérole ».

75- Il s’interroge, à l’orée du Gai savoir, sur la capacité de l’espèce humaine à se détruire elle-même (FW, I, § 1, KSA, 3, p. 369-372). Le Surhumain est-il une expérience létale pour l’espèce ? Voltaire, pourtant animé par la conviction qu’un instinct empêche une telle destruction, mais encore accablé par la mémoire des guerres de religion, maintient la morale dans des bornes plus traditionnelles.

76- MA, I, § 226, « Origine de la croyance », KSA, 2, p. 190.

77- Schopenhauer, Gesammelte Briefe, herausgegeben von Arthur Hübscher, Bonn, Bouvier, 1987, p. 303 : lettre à son disciple J. Frauenstädt du 17 février 1853. Cette maxime reprise par Nietzsche dans un fragment de 1875 (7 [7], KSA, 8, p. 125) est tirée d’une lettre de Voltaire à Koenig de juin 1753.

78- « Freidenker », M, II, § 132, KSA, 3, p. 123.

79- M, III, § 192, KSA, 3, p. 165.

80- Ibid., p. 166.

81- FW, § 101, KSA, 3, p. 458.

82- Selbstaufhebung M, Avant-propos, § 4, KSA, 3, p. 15.

83- Par exemple entre « Amour » et « Anthropophagie » : « Il est dur de passer de gens qui se baisent, à gens qui se mangent ». VF 35, I, p. 344, l. 1-2.

84- En français dans le texte.

85- Discours en vers sur l’homme [sur la nature de l’homme], VI, v. 172. La maxime clôt une longue tirade contre la métaphysique et une aposiopèse de l’auteur : « Et je vais te prouver par mes raisonnements… Mais malheur à l’auteur qui veut toujours instruire. / Le secret d’ennuyer est celui de tout dire. » VF 17, p. 520. Frédéric II reprend le vers dans une lettre à Voltaire du 6 août 1738. Nietzsche a pu retrouver ce vers cité dans les Parerga et paralipomena de Schopenhauer dans le chapitre XXXIV du Supplément au livre troisième du Monde comme volonté et comme représentation, « De l’essence intime de l’art », trad. J. Burdeau, Paris, PUF, 1966-1998, p. 1140.

86- Il affirme certes dans GD, « Flâneries d’un Inactuel », § 51 : « L’aphorisme, la sentence, où le premier je suis passé maître parmi les Allemands, sont les formes de l’“éternité” ; mon orgueil est de dire en dix phrases ce que tout autre dit en un volume, – ce qu’un autre ne dit pas en un volume », KSA, 6, p. 153, Bouquins, vol. 2, p. 1023, trad. H. Albert révisée par J. Lacoste.

87- Le terme de « secret » désigne étymologiquement un « lieu écarté, une « pensée ou un fait qui ne doit pas être révélé », voire le « mystère du culte », même si Voltaire vise surtout l’idée, propre au français classique, de « moyen, procédé, méthode devant faire l’objet d’un enseignement », et plus précisément encore l’expression des « secrets d’un art », en particulier de « l’art d’écrire ». Voir Le Robert, Dictionnaire historique de la langue française, sous la direction d’Alain Rey, t. 3, p. 3434.

88- FW, II, § 82, KSA, 3, p. 437.

89- Ainsi parlait Zarathoustra, « Les discours de Zarathoustra », § 7, KSA, 4, p. 48.

90- En français dans le texte.

91- KSA, 3, p. 166-167.

92- À Warburton, 1767, VF64A, p. 463.

93- KSA, 2, p. 167.