Chapitre VI

La République des génies

« Pétrarque, Érasme, Voltaire. »

Le « goût de cour » n’est pas la caricature d’une France d’« Ancien Régime » à son crépuscule. Par là, Nietzsche ramène Voltaire au modèle de l’homme de cour de la Renaissance italienne dont son maître et ami de l’université de Bâle, le grand historien Jacob Burckhardt, avait exalté le modèle.

Humain, trop humain rattache le patriarche de Ferney aux deux plus grands humanistes européens : Pétrarque et Érasme. Il l’inscrit dans une filiation moins strictement nationale que l’habitude d’en faire le dernier grand Français, la synthèse littéraire de la « grande nation ». Nietzsche, qui ne fait jamais d’histoire que prospective, se proclame lui-même, dans un même souffle, héritier de cette tradition : « Ce n’est […] qu’après avoir corrigé sur un point aussi essentiel la conception historique introduite par le siècle des Lumières, que nous pourrons, pour le porter plus loin, reprendre le drapeau des Lumières – ce drapeau aux trois noms de Pétrarque, Érasme, Voltaire. De la réaction, nous aurons fait un progrès1. »

« Pétrarque, Érasme, Voltaire » – et lui-même : comment comprendre cette esquisse d’une histoire des Lumières selon Nietzsche ? Quelle est la pertinence et le sens de cette filiation ?

Le poète de l’amour

Nietzsche a fort peu parlé de Pétrarque. On trouve dans sa bibliothèque une édition bilingue, en italien et en français, des œuvres amoureuses du poète italien2. L’initiation de Nietzsche à l’Europe latine s’est faite, pour une grande part, via la France. Sa géographie culturelle et sa « théorie des climats » d’homme malade3, vues d’Allemagne, lui présentent sans doute Voltaire dans une lumière romane et dans sa proximité génétique avec les civilisations du Sud européen. Il reconnaît à la civilisation française ce rôle historique d’acclimatation des cultures méridionales, dont les espagnolades francisées de Gil Blas4 et les Andalousies acclimatées par Mérimée et par Bizet lui donnent l’exemple.

À part Humain, trop humain, le nom de Pétrarque n’apparaît que dans quelques fragments posthumes. Ce que Nietzsche note du Trionfo d’amore5, en 1875, provient des Parerga et Paralipomena de Schopenhauer, tant le maître de Francfort fut, pour lui, un grand passeur de la culture européenne6. Burckhardt fut le grand initiateur en la matière, et c’est justement le livre sur Pétrarque d’un de ses élèves et continuateurs, l’historien Ludwig Geiger, dont, quelques mois à peine après Humain, trop humain, Nietzsche note le titre dans une liste assez hétéroclite d’ouvrages à lire7.

L’association de Voltaire et de Pétrarque porte pourtant une cohérence plus profonde qu’une simple attirance pour la sphère culturelle romane, comme le révèle un autre fragment : « Le charme de la difficulté combattue (Wagner) et le charme de la difficulté surmontée (par le biais de figures artistiques exprimer même un sentiment par ex. l’amour par ex. Pétrarque) »8. Pétrarque est bien, à sa manière, un représentant de la « danse dans les chaînes », un poète de la contrainte.

Cette notation inscrit aussi le poète italien dans la problématique, chère à Nietzsche, de la formulation des passions. L’art, par l’effet de l’« exercice », s’est rendu capable d’exprimer la chose la plus inexprimable qui soit, la passion, et en particulier l’une des plus violentes d’entre elles, l’amour. Le Gai Savoir exprime l’admiration du philosophe pour l’éloquence que le théâtre grec a su imposer à cette matière la plus muette ou bégayante, la moins naturellement loquace9.

Les Renaissants et leurs précurseurs, comme Pétrarque, ne sont pas des « intellectuels » cloisonnés, sur le modèle du positivisme universitaire. Leur savoir engage l’homme tout entier. Ils sont des artistes qui se sont eux-mêmes, comme par défi, placés dans l’imitation des Grecs. La discipline artistique des Hellènes leur a enseigné à imposer une forme aux passions, tandis qu’une liberté factice, simple émancipation des contraintes, laisse prospérer l’informe et le difforme. Pétrarque, Érasme, Voltaire, Nietzsche : ces poètes philologues, se répondent « d’âge et en âge » et forment une « chaîne » qui déborde la « République des Lettres » et lui substituent le dialogue au sommet d’une « République des Génies »10.

Le créateur de la civilisation

Nietzsche avait-il découvert chez Voltaire une admiration pour Pétrarque qui justifie son affiliation ? Certes, le nom de Pétrarque apparaît dans les Lettres choisies, dans la célèbre lettre à Rousseau du 30 août 175511, ou dans la lettre à Deodati de Tovazzi qui nous a longuement arrêtés12, mais ces occasions sont anecdotiques.

Voltaire maîtrise parfaitement l’italien, il est même, pour l’époque, l’un des meilleurs connaisseurs de la littérature italienne, et fait l’admiration de Casanova en lui récitant par cœur de longs passages de l’Arioste13. Une lettre à d’Alembert de 1753 confirme cette culture italienne qui inclut même la littérature critique : « Muratori, outre ses immenses collections historiques, a écrit De la perfection de la poésie italienne ; il a fait des observations sur Pétrarque. L’Histoire de la poésie italienne, par Crescimbeni, m’a paru un ouvrage assez instructif. J’ai lu le comte Orsi, qui a justifié le Tasse contre le père Bouhours […]. Gravina m’a paru écrire sur la tragédie comme Dacier. » Voltaire, « bon européen », se donne lui-même, sans façon, le premier rang parmi les italianisants de son temps : « Si vous croyez devoir faire entrer ces rocailles dans votre grand temple, il n’y a point à Paris d’aide à maçon qui n’en sache plus que moi, et qui ne vous serve mieux14. »

Or, Nietzsche ne s’y est pas trompé : dans cette littérature italienne que Voltaire connaît bien, Pétrarque joue un rôle crucial : celui du fondateur. Il exprime plusieurs fois cette idée, formulée dès 1727 dans le chapitre de l’Essai sur la poésie épique dédié au Trissin15. Il y rappelle le rôle de « Dante et Pétrarque » dans la création de la langue italienne, ce qui suggère que « la poésie est plus naturelle aux hommes qu’on ne pense ». Il y revient souvent, vingt ans plus tard par exemple, dans son discours de réception à l’Académie française : « Ce sont les grands poètes qui ont déterminé le génie des langues » et « c’est Pétrarque qui, après le Dante, donna à la langue italienne cette aménité et cette grâce qu’elle a toujours conservées ». Il inscrit la littérature française du Grand Siècle dans sa filiation italienne et insiste sur l’incapacité du premier classicisme, incarné par l’élégance de Malherbe, à dépasser les modèles italiens : « Pouvait-on associer à ces chefs-d’œuvre [la Jérusalem, l’Orlando, le Pastor Fido et “les beaux morceaux de Pétrarque”] un très petit nombre de vers français, bien écrits à la vérité, mais faibles et presque sans imagination »16 ? L’histoire de la langue et de la civilisation commence par des poètes « fondateurs », dont l’œuvre se prolonge et s’affine dans le travail de « réformateurs » au sein d’une même nation ou à la mesure du continent.

Il est frappant de constater en revanche que Voltaire néglige le prédécesseur en polémique qu’il aurait pu trouver en Pétrarque et qu’il concentre son attention sur le poète, même s’il faut en comprendre le rôle comme celui d’une figure civique17. Le seul livre de Pétrarque que discute Voltaire, outre les sonnets, est le Rerum vulgarium fragmenta, et il ne cite que deux lettres du grand épistolier18. La sensibilité poétique du XVIIIe siècle a été tellement charmée par les grâces et l’élégance du poète qu’elle a occulté la profondeur de l’humaniste19. Voltaire s’intéresse donc surtout à son confrère en poésie, utilise ses vers pour orner ses lettres, en particulier celles qu’il adresse à des correspondants italiens20. Il choisit des passages célèbres et cite souvent les mêmes vers, tel le sonnet XIV « Movesi il vecchierel », qui lui permet de semer des fleurs au milieu des excuses de ne pas faire le voyage en Italie21, ou encore de ne pas visiter le prolifique biographe de Pétrarque, le libre abbé de Sade, apparenté à Laure de Noves, et oncle du « divin marquis »22. Souvent, comme Schopenhauer, il aime à pleurer sur la « povera e nuda […] filosofia » et varie sans fin sur ce thème23.

À l’occasion, Voltaire fut aussi traducteur de Pétrarque. Il n’a pas seulement mis en français des auteurs anglais et des livres bibliques, mais il affirme avoir aussi traduit « plus de vingt passages assez longs du Dante, de Pétrarque, et de l’Arioste ». Sa version rimée du « commencement » de la « belle ode » de Pétrarque à la fontaine de Vaucluse24, donnée dans l’Essai sur les mœurs, est peut-être un reste de ces « passages » perdus25. L’essai poétique est d’ailleurs accompagné d’une note historique sur le poète humaniste qui « après Dante, mit dans la langue italienne plus de pureté, avec toute la douceur dont elle était susceptible ». Voltaire apprécie chez Pétrarque, plus que chez Dante, « un grand nombre de ces traits semblables à ces beaux ouvrages des anciens, qui ont à la fois la force de l’Antiquité et la fraîcheur du moderne », même s’il a été « surpassé depuis par l’Arioste et par le Tasse ». Ces préférences et ces réserves annoncent son texte le plus critique sur Pétrarque (auquel on limite trop souvent sa vision du poète italien), la « Lettre aux auteurs de la Gazette littéraire » de 1764, une recension de la monographie de l’abbé de Sade qui entraîna une brouille entre les deux auteurs. Voltaire reconnaît que Pétrarque, « au XIVe siècle, était le meilleur poète de l’Europe, et même le seul », mais il le place loin derrière les classiques français et surtout, pour le traitement du thème pétrarquiste par excellence, l’amour, derrière Racine et Quinault, qu’il a toujours à cœur de défendre contre les attaques de Boileau26. Enveloppant le poète italien dans son mépris du Moyen Âge, il va jusqu’à lancer qu’il n’a pas eu « peut-être d’autre mérite que d’avoir écrit élégamment des bagatelles, sans génie, dans un temps où ces amusements étaient très estimés, parce qu’ils étaient très rares ». Comparant les Canzoni au « nombre prodigieux de chansons plus délicates et plus ingénieuses que celles de Pétrarque » qui existent désormais en France, il illustre son propos en citant le poème de La Motte dont Mozart a fait un lied célèbre : « Oiseaux, si tous les ans vous quittez nos climats27… »

En somme, s’il fait les frais de l’idée d’un perfectionnement des arts et d’une aversion générale pour le Moyen Âge, Pétrarque est bien, malgré ces réserves dont ce texte est l’exemple limite, l’un des grands interlocuteurs poétiques de Voltaire. Que faut-il en conclure ? Que la lecture de Nietzsche, plus perspicace que le jeu des allusions explicites, a décelé, en Voltaire, la nouvelle occurrence d’un type : le poète humaniste et polygraphe en lutte féconde avec sa civilisation. Elle révèle la continuation inconsciente de l’action historique du poète italien chez l’écrivain français. Pour mieux comprendre cette lecture, il est nécessaire d’ouvrir des pages peu connues, les cours sur l’histoire de la philologie que le jeune professeur a donnés à Bâle quelques années avant Humain, trop humain28.

Nietzsche explique comment la Renaissance est venue briser l’unité intellectuelle de l’Occident placé « sous l’influence de l’Église », et une notice révélatrice décrit le rôle historique de Pétrarque : « Le premier qui en pleine conscience reproduit l’Antiquité est Franç. Pétrarque 1304-1374. Versé comme personne dans Virgile et Cicéron, admirateur de la forme. Adversaire de la scolastique, représentant de l’humanisme. Sa renommée nationale comme poète lyrique plus faible. Il a trouvé des lettres de Cicéron en 1345, doutes si ce n’était de gloria. Il passait dans son temps pour le représentant de l’Antiquité, imitateur des genres latins et des épistoliers lat.29 ».

L’admiration de la « forme », le sens de la poésie et le goût de l’Antiquité non seulement grecque30, mais virgilienne et cicéronienne, sont solidaires du combat contre la scolastique : cette note s’organise autour de notions qui éclairent la filiation célébrée dans Humain, trop humain.

La référence à Cicéron est, elle aussi, significative : Pétrarque est bien « l’inventeur de Cicéron31 ». Surtout, Nietzsche pose l’hypothèse d’un monde romain qui n’aurait pas respecté, conservé et imité la culture grecque : elle se serait perdue et, à ce titre, il considère Cicéron comme « l’un des plus grands bienfaiteurs de l’humanité » – car nulle providence pour le génie, il aurait très bien pu disparaître dans l’oubli32. Quelques années plus tard, Nietzsche note avec intérêt, chez le critique et ami de Madame de Staël Ximénès Doudan, dont il possède plusieurs ouvrages stimulants, l’apparentement de Voltaire à l’orateur romain : « Le petit parvenu d’Arpinum est tout simplement le plus beau résultat de toute la longue civilisation qui l’avait précédé. Je ne sais rien de plus honorable pour la nature humaine que l’état d’âme et d’esprit de Cicéron […]. L’habitude d’admirer l’inintelligible au lieu de rester tout simplement dans l’inconnu : quels ravages a-t-elle causés dans les esprits des temps nouveaux ! […] Il n’avait entre lui et la nature aucun de ces fantômes […] qui ravissaient saint Antoine dans le désert et saint Ignace de Loyola dans le monde. “Il y a quelque chose de Cicéron dans Voltaire.”33 »

Doudan, comme Nietzsche, joue à la fois sur le registre du parallèle et de la filiation. « Il y a quelque chose de Cicéron dans Voltaire », non seulement parce que Voltaire se place, par son éducation classique chez les bons pères jésuites, dans la lignée de l’orateur, mais aussi parce que tous deux sont des hommes nouveaux qui ont su se faire les héritiers d’une longue « civilisation » à plusieurs étages. Ce sont, en somme, des Vollender. Le lien est établi entre les « Lumières », le goût de la clarté, le dégoût de la superstition et de ses « fantômes », et l’obscurcissement de l’esprit propre à ces « temps nouveaux » dont parle Doudan, c’est-à-dire à l’époque romantique. Le cicéronisme non seulement littéraire, mais philosophique de Voltaire établit ainsi un lien de fond avec Pétrarque, qui explique leur apparition contiguë sur le « drapeau des Lumières » aux côtés d’Érasme, et montre que la philosophie du « soupçon » et la liberté de l’esprit se nourrissent d’une ouverture polygraphique et polymathique aboutissant à une clarté d’esprit et netteté du regard que Nietzsche conçoit comme les fleurs d’une civilisation est un antidote aux excès de l’ivresse.

Nietzsche et Érasme

Les cours de Nietzsche confirment qu’il retrouve en Érasme un nouveau relais de cette filiation. Il conteste l’idée reçue selon laquelle Le Cicéronien serait une attaque contre Cicéron lui-même. Ce texte érasmien, d’ailleurs une matrice des dialogues de Voltaire, charge surtout les imitateurs serviles et maladroits de leur maître antique, à l’image de son personnage principal, « Nosopon », rendu « malade » par son adulation obsessionnelle pour l’orateur romain34.

Nietzsche dépeint déjà, dans cet Érasme scolaire, un précurseur de la figure de l’« esprit libre » dont il affinera les traits en l’opposant à ses premières « idoles » de jeunesse : « Le plus grand philol. ingenium, mais aussi seul en son genre, jusqu’au temps de l’univers. de Leyden est Desiderius Erasmus 1467-1536 : prestige incomparable, le premier beau styliste des non-Italiens. Il honora l’humanisme presque comme un but absolu […]. Il anéantit le latin des moines et contribue au cicéronisme. Il est, comme savant, très cosmopolite et appartient à l’Allemagne, la France, l’Angleterre presque davantage qu’à sa propre patrie »35.

La philosophie est toujours ramenée à l’individu philosophant : le « cosmopolitisme » d’Érasme n’est pas un projet politique abstrait pour l’humanité, à la manière de Kant ou de l’abbé de Saint-Pierre, c’est la position de l’homme d’exception solitaire, de l’esprit libéré des entraves nationales, qui incarne d’abord lui-même, à ses risques et périls, les valeurs qu’il promeut. Érasme, premier styliste non italien de l’ère culturelle germanique, peut devenir un modèle pour le Nietzsche de Humain, trop humain, qui rompt avec Wagner et s’initie, chez Voltaire et les moralistes français, à une écriture nouvelle, nerveuse et allégée. Enfin, Érasme, par sa position d’hostilité à la scolastique36 et sa circonspection vis-à-vis de la Réforme37, préfigure un Nietzsche toujours « par-delà » les oppositions sectaires et un Voltaire qui sait être ennemi acharné du papisme sans pour autant se compromettre avec le puritanisme, par exemple genevois38. Voltaire aussi reconnaît que « le célèbre Érasme » sut tenir une position médiane : il « fut également soupçonné d’irréligion par les catholiques et par les protestants, parce qu’il se moquait des excès où les uns et les autres tombèrent39. » L’esprit libre, comme le théiste, refuse les embrigadements politiques, philosophiques, théologiques, ces esprits de clocher en lesquels le « troupeau » aime à se diviser pour mieux se quereller sans jamais vraiment réussir à se distinguer.

Au-dessus des partis, l’esprit libre se situe aussi par-delà les patries. Érasme l’errant et le pèlerin Pétrarque, Voltaire, exilé hollandais, anglais, champenois, allemand, alternativement suisse et ferneysien, Nietzsche lui-même, vaguant de Nice à Sils et de la Suisse à l’Italie : tous réalisent, par nécessité éthique, le programme nomade de l’humaniste, sans esprit vindicatif ou primairement antinational. Ils sont déjà, en somme, de « bons Européens ». Nietzsche le souligne dans son cours sur la philologie : « La carrière de la plupart des humanistes était [marquée par] une corruption multilatérale et une multiplicité de la vie (comme savant secrétaire précepteur des princes inimitiés mortelles, superflu et pauvreté [sic]) si bien que seules les natures extrêmement fortes le supportaient. Ils étaient apatrides40. »

Le jeune professeur semble avoir compris la polygraphie de Voltaire, son apparente dispersion dans une correspondance aussi abondante que celle de Pétrarque et d’Érasme, ses tâches diplomatiques, son rôle auprès du roi de Prusse, ainsi que ses voyages et ses déménagements, comme les héritages de l’humanisme renaissant41. La « grenaille » d’œuvres que Gracq regrettait chez Voltaire, ressaisie dans ce contexte de longue durée et non plus dans une épistémologie romantique de l’œuvre absolue, peut être à nouveau interprétée comme le signe d’une « nature extrêmement forte », capable d’imposer sa forme sur un siècle, sans mépris des moyens, plutôt que comme une inspiration qui s’éventerait dans une succession d’interventions saccadées.

C’est bien d’une action sur la civilisation dont il est question dans une note posthume de l’été 1878, quelques mois après la publication de Humain, trop humain : « La Pologne est le seul pays de culture romaine et occidentale qui n’ait jamais connu de Renaissance. Une réformation de l’Église sans réforme de l’ensemble de la vie de l’esprit, par conséquent sans étendre de durables racines. Le jésuitisme – la liberté de la noblesse l’ont conduite à sa perte. Il en aurait été exactement ainsi pour les Allemands sans Érasme et l’action des humanistes42. »

« Réforme de l’ensemble de la vie de l’esprit » : l’expression utilisée par Nietzsche correspond bien à sa réception de l’action historique de Voltaire, ainsi qu’à son propre projet. Érasme, comme avant lui Pétrarque, ne paraît si instable et si divers que pour acquérir la distance indispensable et multiplier les prises nécessaires à sa vaste entreprise de réforme. Sa renovatio litterarum et artium indissociable d’une renovatio spiritus est l’un des prototypes de ce geste de réforme de la civilisation qui se répète et s’affine sans cesse dans l’histoire européenne43. Nietzsche en reconnaît les traits chez Voltaire et se perçoit lui-même comme une nouvelle occurrence et un ultime aboutissement de cette ambition séculaire de l’esprit européen.

Voltaire et Érasme

Ce n’est pas ici le lieu d’une étude approfondie de Voltaire et Érasme, qui reste à faire, mais d’indiquer la pertinence de cette filiation négligée44. Le petit conte philosophique de l’Éloge historique de la raison (1774) est ouvertement placé dans la lignée de l’Éloge de la folie de l’humaniste hollandais45. Voltaire fait même d’Érasme l’un des personnages de sa Conversation de Lucien, Érasme et Rabelais dans les Champs Élysées46. Dans ce « dialogue des morts » dans la lignée de Lucien et de Fontenelle, Voltaire s’amuse à mettre en scène ses grands prédécesseurs47. L’opuscule se termine étrangement sur le temps présent, puisqu’à la fin du texte, le « docteur Swift » rejoint le trio des satiristes dans l’au-delà. L’évolution historique suivie par le dialogue correspond à la vision que se fait Voltaire du progrès des Lumières. Le mérite d’Érasme est mesuré et sa valeur est présentée comme relative : « On me crut fort gai et fort ingénieux, parce qu’alors tout le monde était triste48. » Rabelais affirme même plus loin : « Vous avez peut-être été trop réservé dans vos railleries, et moi trop hardi dans les miennes49. » Voltaire a beau vouloir tenir un juste milieu50 entre la complaisance de l’un et les excès carnavalesques de l’autre, la filiation érasmienne n’en est pas moins nette51, d’autant plus qu’il fait parler Érasme, moine distancié, en ennemi des moines52. À la question de Lucien qui ne sait pas ce qu’est « cette profession-là », le Hollandais répond, comme un autre Voltaire : « c’est celle de n’en avoir aucune, de s’engager par un serment inviolable à être inutile au genre humain, à être absurde et esclave, et à vivre aux dépens d’autrui ». Voltaire reconnaît en Érasme un précurseur de ses combats, menés avec la même arme du ridicule, contre la forme la plus évidente et même la plus grossière de « l’idéal ascétique », la vie monastique. Il le présente encore sous ces traits dans l’Essai sur les mœurs : « Érasme, quoique longtemps moine, ou plutôt parce qu’il l’avait été, jeta sur les moines, dans la plupart de ses écrits, un ridicule dont ils ne se relevèrent pas53. » La conclusion est sans équivoque : « le ridicule prépara […] la révolution la plus sérieuse ». La raison satirique de Voltaire, dans sa lutte pour les Lumières, prolonge les jeux rieurs de la « folie ».

Érasme est bien un modèle pour Voltaire, comme le montre encore cette lettre où il remercie Jean Lévesque de Burigny de l’envoi de la Vie d’Érasme (ainsi que de celle de Grotius) dont il est l’auteur : « la vie d’Érasme et celle de Grotius serviront beaucoup à me remettre dans la bonne voie54. » Un mois et demi plus tard, après lecture de l’ouvrage, il donne son appréciation sur ses prédécesseurs et le chemin parcouru, d’une façon qui annonce les distances prises par Nietzsche lui-même dans Humain, trop humain, vis-à-vis des « esprits libres du siècle dernier55 » : « Vous vous associez à la gloire d’Érasme et de Grotius en écrivant si bien leur histoire. On lira plus ce que vous dites d’eux que leurs ouvrages ; il y a mille anecdotes dans ces deux vies, qui sont bien précieuses pour les gens de lettres. Les deux hommes sont heureux d’être venus avant ce siècle ; il nous faut aujourd’hui quelque chose d’un peu plus fort. Ils sont venus au commencement du repas ; nous sommes ivres à présent : nous demandons du vin du Cap, et de l’eau des Barbades56. » On retrouve ici le jugement de la Conversation de Lucien, Érasme et Rabelais, la métaphore du banquet des « esprits libres » et l’idée des progrès de l’humanisme.

Outre son intérêt pour la biographie des philosophes, qui montre l’importance de l’incarnation des vérités dans la vie et de leur efficace dans la cité, cette lettre se termine par une allusion qui permet d’éclairer la filiation qui va de la « folie » érasmienne au « gai savoir » nietzschéen en passant par la « fête » voltairienne 57 : « J’espère vous présenter dans un an cette Histoire des mœurs, dont vous avez souffert l’esquisse. Je n’ai pas peint les docteurs assez ridicules, les hommes d’État assez méchants, et la nature humaine assez folle. Je me corrigerai. Je dirai moins de vérités triviales, et plus de vérités intéressantes. Je m’amuse à parcourir les petites-maisons de l’univers ; il y a peut-être de la folie à cela, mais elle est instructive. » Nietzsche se plaît aussi à représenter la terre et l’histoire de la philosophie comme une « maison de fous »58. La vision carnavalesque d’un monde renversé devient un fondement dans ces philosophies de l’insolence où le retournement fait loi et ne se limite plus à l’instant subversif de saturnales dont le retour chronique maintient et même soutient l’ordre traditionnel des choses.

La folie érasmienne s’oppose à l’« esprit de pesanteur ». Il ne s’agit pas d’une apologie romantique de la maladie de l’esprit, perçue comme liée au génie, mais bien d’un éloge du jeu et de la légèreté qui font danser les concepts et oublier les carcans. Tout comme le premier livre de Humain, trop humain vantait les trois héros des Lumières, le poème « Entre amis » (intitulé d’abord « Entre fous ») fait l’éloge de la folie :

Des fous louez en moi la corporation !

Apprenez dans mon fol ouvrage

Comment Raison revient – « à la raison »59 !

La fidélité à la philologie dessine une autre filiation. Voltaire recourt parfois à la critique biblique érasmienne dont le geste théiste reprend et prolonge les travaux60. Érasme cherche à recentrer le système chrétien sur le modèle moral et humain du Christ. De même, Voltaire veut conférer une place centrale à la morale naturelle, par-delà l’occultation et l’obstruction des dogmes et la vaine surcharge des interpolations61. Ainsi, dans La Bible enfin expliquée, il se fait philologue, éditeur et annotateur des livres sacrés, à la manière d’Érasme avec son Nouveau Testament grec qu’il souhaitait substituer à la Vulgate, mais en radicalisant le geste du Hollandais jusqu’à l’antichristianisme le plus débridé.

Les voyages de l’« esprit libre »

« Pétrarque, Érasme, Voltaire » : ce que vise l’aphorisme, c’est à la fois une typologie et une filiation, une « histoire monumentale » de l’esprit libre qui doit permettre aux « nouvelles libertés de l’esprit » de se reconnaître dans le passé pour s’encourager dans le présent. Le voyage est un élément clef de ce programme, et c’est aussi ainsi qu’il faut comprendre l’aphorisme final du premier livre de Humain, trop humain où apparaît pour la première fois la figure de ce « voyageur » dont les errances se poursuivront dans le livre suivant et qui deviendra même un personnage de Ainsi parlait Zarathoustra62. Car il ne s’agit pas seulement de parcourir l’Europe réelle, c’est l’esprit tout entier qui se met en mouvement63. Le mouvement n’est pas un vain « divertissement », il est indissociable de la perfection intellectuelle : « Homère et Virgile, quand ils décrivaient le caractère et les actions de l’homme parfait, racontaient ses voyages à travers le monde entier, toujours à la recherche de connaissances nouvelles. Ils ne croyaient pas que l’homme formé par leur éloquence fût capable de réaliser leurs ambitions en restant toujours dans un même endroit64. » Cette sagesse itinérante est une lointaine annonce de la vie même de Nietzsche et de son aversion pour les écrivains « culs-de-plomb » et la vie étriquée des savants sédentaires65. Dans cet esprit, Zarathoustra parodie l’incipit de l’Odyssée : « Ainsi, à travers des peuples en nombre et des villes de toutes sortes, Zarathoustra revenait par des routes détournées à sa montagne et sa caverne66. »

Érasme, le voyageur par excellence, étudia à Paris, visita Alde Manuce à Venise, noua à Rome des relations avec le futur Léon X, ce pape ami des arts loué par Voltaire et évoqué par Nietzsche67. Il fut aussi, comme Voltaire après lui, ébloui par l’Angleterre.

Tous connurent la misère des voyages, et Érasme vient naturellement à l’esprit de Voltaire lorsqu’il veut dépeindre à Frédéric ses propres vicissitudes en pays germanique : « C’est une chose affreuse pour un malade français qui n’a que des domestiques français, de courir la poste en Allemagne. Érasme s’en plaignait il y a deux cents ans. Ayez pitié de votre malade errant68. » Car un autre point commun relie les voyageurs Érasme, Voltaire et Nietzsche, cette santé fragile que l’« humaniste dolent » de Rotterdam comprend moins comme une infirmité que comme le propre des esprits subtils69.

À cette mobilité physique, sociale et psychique, correspond donc une mobilité intellectuelle, une souplesse qui permet à ces « esprits libres » d’exceller dans des domaines dont ils défient les cloisonnements70. Pétrarque, Érasme, Voltaire, Nietzsche : ces quatre génies de l’humanisme furent à la fois des philologues et des poètes, meilleurs philologues parce que poètes sans doute, même si la réciproque est plus improbable. Certes, la critique s’accorde pour constater que la vocation poétique d’Érasme, à laquelle il croyait tant, accoucha d’une souris, mais elle lui reconnaît d’être devenu « avec Pétrarque, le plus grand artiste de la prose depuis la fin de l’Empire romain71 » : l’effort poétique n’en a pas moins été la meilleure propédeutique à l’écriture en prose. Certes, la poésie voltairienne ne jouit plus du même prestige qu’autrefois. Certes, Nietzsche, poète en vers à ses heures, est avant tout pour nous un grand poète de la prose philosophique ; mais si seul Pétrarque a réussi à se placer parmi les plus grands poètes de l’histoire de l’Europe, le rapport poétique à la langue, qui incite à rendre les finesses du réel avec une certaine « économie de parole », explique sans doute bien des paradoxes de ces écrivains qui furent tous également amoureux de la brièveté et prolixes, raisonnables et attentifs au rôle des passions, divers et centrés sur une grande tâche de refondation72. Car l’œuvre brève doit être le levier d’Archimède de la réforme, le viatique de l’esprit libre, que ce soit l’Enchiridion d’Érasme, littéralement « poignard » ou « manuel », le Portatif de Voltaire ou les brefs « écrits de combat » du philosophe allemand.

Nietzsche garde bien à l’esprit le contraste entre la mobilité des humanistes, professeurs de belles-lettres experts en grec et en latin, et la stabilité obstinée des scolastiques qui, au XIIIe siècle, se voulurent les admirateurs exclusifs d’Aristote et effacèrent de l’enseignement l’étude de l’éloquence, de la poésie et des grands auteurs. L’histoire scientifique prônée par les positivistes n’aurait-elle pas, en somme, sous prétexte de rentabilité scientifique, renoué avec l’inculture littéraire de l’École ?

Portrait de Voltaire en renaissant

Un détour philologique permettra de mieux saisir encore le contexte de cette continuité tracée par Nietzsche de la Renaissance aux Lumières. Il faut suivre ses innombrables annotations passionnées dans les excellentes Études méridionales d’un émule français de Burckhardt73, Émile Gebhart, où Pétrarque apparaît souvent, pour comprendre le schème renaissant d’après lequel le philosophe modèle son image de Voltaire et veut se façonner lui-même. Toutes les formules font mouche. Gebhart parle d’une « admirable liberté d’esprit74 » ; il évoque « le jeu constant du sens critique, l’élan de la passion, l’énergie de l’orgueil », décrit la libération par les Italiens du Moyen Âge scolastique, dont le Paris de la Sorbonne était alors la capitale raisonneuse et desséchée. Il dépeint les souverains renaissants comme des hommes nouveaux qui ont besoin du mécénat pour affirmer leur puissance et contribuent ainsi à une floraison inouïe de l’esprit et des arts. Il note l’importance du « pamphlet satirique », trait des « mœurs violentes de la Renaissance », insiste sur la figure de « l’uomo piacevole, l’homme qui a toujours les rieurs de son côté » et sur celle de l’homme de cour, « bien élevé, accompli en toutes choses, le cortigiano, qui, selon Castiglione, s’inquiète moins du service de son prince que de la perfection de sa propre personne ». Le disciple français de Burckhardt comprend le rôle de la culture antique qui « a fait vivre [la Renaissance] dans la familiarité d’une civilisation toute rationnelle, avec la vue constante de modèles de beauté ». En somme, « une civilisation complète, véritable œuvre d’art, avait ainsi été créée par la conscience d’une race affranchie des entraves séculaires de l’âme humaine » – on notera partout le caractère et jusqu’au vocabulaire du Voltaire de Nietzsche. Le philosophe souligne d’ailleurs le passage où Gebhart évoque « les railleries déjà voltairiennes de Pulci », qui « montrent le progrès du scepticisme chez les hommes instruits »75.

Nietzsche va même jusqu’à étendre à Machiavel l’héritage renaissant de Voltaire, lui qui aida pourtant le roi de Prusse à composer son Anti-Machiavel. De fait, malgré son moralisme politique mis au service de la propagande de Frédéric II, Voltaire admirait Machiavel : « [Le mérite] du théâtre [italien], écrit-il dans l’Essai sur les mœurs, quoique très inférieur à ce que fut depuis la scène française, pouvait être comparé à la scène grecque qu'elle faisait revivre ; et la seule Mandragore de Machiavel vaut peut-être mieux que toutes les comédies d’Aristophane. Machiavel d’ailleurs était un excellent historien, et un bel esprit, avec lequel Aristophane ne peut entrer en aucune sorte de comparaison76. »

Ce que recouvre cette notation nietzschéenne d’un Voltaire machiavélien (et non machiavélique), c’est toujours la « querelle de la civilisation » et l’inlassable opposition de Voltaire et de Rousseau qui reproduit celles d’Érasme et de Luther, de la Renaissance et de la Réforme : « Voltaire concevait encore l’humanità dans le sens de la Renaissance, de même que la virtù (comme “haute culture”), il combat pour la cause des honnêtes gens et de la bonne compagnie, la cause du goût, de la science, des arts, la cause du progrès même et de la civilisation77. »

Le terme de virtù est caractéristique de la recherche d’une morale « sans moraline », d’un idéal de développement humain qui conçoive la civilisation par-delà Bien et Mal. Ainsi, à la question : « Qu’est-ce que le bonheur ? », L’Antéchrist répond : « Non la satisfaction, mais plus de puissance ; absolument pas la paix, mais la guerre ; pas la vertu, mais la valeur (vertu dans le style de la Renaissance, virtù, la vertu sans moraline)78. »

Nietzsche s’oppose aux conceptions transcendantes de la morale qui pratiquent des coupes sombres dans les existences humaines : « Un travailleur manuel ou un savant se comporte bien lorsqu’il place sa fierté dans son art et regarde la vie avec satisfaction et contentement ; et rien n’est en revanche plus pitoyable à voir que lorsqu’un cordonnier ou un maître d’école, avec une mine dolente, donne à comprendre qu’il serait en fait né pour quelque chose de meilleur. Il n’y a rien de meilleur que le Bien ! Et c’est : avoir n’importe quelle compétence et agir à partir de là, virtù dans le sens italien de la Renaissance79. » Voltaire affirmait semblablement, dans la préface à l’édition de 1730 d’Œdipe : « On a vu des hommes qui ont eu quelquefois la faiblesse de se croire supérieurs à leur profession, ce qui est le sûr moyen d’être au-dessous80. »

Cette rencontre de maximes est caractéristique du refus des prétentions métaphysiques et des vertus trop élevées pour ne pas être privatives qui sont le propre des monothéismes. En revanche, en plaçant une divinité à l’aboutissement de chaque activité humaine, le polythéisme les sacralise. C’est ainsi que les instincts tragiques se reflétaient dans la double postulation incarnée par Dionysos et Apollon, tandis que le prêtre chrétien corrompt tous les instincts qu’il prétend sanctifier par sa présence et retire à toute chose leur plénitude terrestre81.

Voltaire, qui fait la part que l’on sait à la Renaissance dans sa célèbre théorie des quatre grands « âges », développée à l’orée du Siècle de Louis XIV, évoque précisément le terme de « vertu » à propos de la Renaissance italienne : « Les beaux-arts y avaient déjà repris une vie nouvelle ; les Italiens les honorèrent du nom de vertu, comme les premiers Grecs les avaient caractérisés du nom de sagesse82. »

Nietzsche essaye de déchristianiser non seulement la vertu, mais aussi la « sagesse » dont il cherche, dans Humain, trop humain à ramener la signification à la notion de « goût » par le truchement étymologique : « Heureux, ceux qui ont du goût, même si c’est un mauvais goût ! Et non seulement heureux, mais aussi sage, on ne peut l’être qu’en vertu de cette qualité : c’est pourquoi les Grecs, qui étaient très fins dans de telles matières, caractérisaient le sage avec un mot qui signifie homme de goût, et la sagesse, artistique et intellectuelle ils la nommaient, précisément, “goût” (Sophia)83. » À travers les notions renaissantes de virtù et d’humanità, il s’agit d’exalter la « civilisation » face aux prédicateurs d’une « morale » née du ressentiment devant les accomplissements de l’activité humaine et qui n’objecte l’absolu que pour arrêter le progrès.

Ainsi, plus qu’une doxographie tatillonne des lectures de Voltaire, dont les résultats sembleraient presque infirmer l’intuition nietzschéenne, l’association de ces « trois noms », « Pétrarque, Érasme, Voltaire », sur le « drapeau des Lumières » vise avant tout à dégager la cohérence typologique d’un homme des Lumières héritier de la Renaissance84. Cette construction d’un type se double, pour revenir enfin à l’aphorisme de Humain, trop humain, de la modélisation d’une dynamique complexe des « progrès » de la « liberté de l’esprit », dont les avancées s’affermissent par le biais de ses apparentes régressions.

Nietzsche établit, dans ces lignes, un parallèle entre son travail de dépassement de la réaction métaphysique et chrétienne de Schopenhauer, l’œuvre de Voltaire face à ses ennemis cléricaux, l’action d’Érasme face à Luther et celle de Pétrarque à la fin du Moyen Âge85. Il décrit subtilement « la réaction » même comme nécessaire à la dynamique des Lumières et à leur « progrès » : en vertu d’une sorte d’homéopathie historique, les esprits retardataires, en ressuscitant une dernière fois les mentalités du passé, permettent aux esprits libres de parachever l’œuvre réformatrice de leurs prédécesseurs. Toute une série d’aphorismes exprime la même idée qu’il est nécessaire de « reculer de quelques échelons » pour mieux faire avancer les « nouvelles libertés de l’esprit »86. C’est dans ce sens aussi que Nietzsche affirme, quelques pages plus loin, qu’il faut désormais dépasser le rire de Voltaire pour approfondir la compréhension de ce qu’il a enseigné à moquer87. L’histoire monumentale de la liberté de l’esprit est, par définition, à la fois imitation analogique et dépassement. Elle permet à Nietzsche de sortir de l’aporie de l’historicisme et de reprendre à neuf le combat des Lumières, en évitant les pièges de la réaction métaphysique et la répétition pure et simple d’un voltairianisme facile. La filiation qui va de Pétrarque à Nietzsche en passant par Érasme et Voltaire s’affirme et s’affine par des détours dialectiques et des sinuosités fécondes.

1- MA, I, § 26 : « La réaction comme progrès », KSA, 2, p. 46.

2- Les Œuvres amoureuses de François Pétrarque. Sonnets-triomphes. Traduites en français avec le texte en regard et précédées d’une Notice sur la vie de Pétrarque par P.L. Guinguené, Paris, Garnier Frères, 1875.

3- La maladie de Nietzsche l’a rendu très sensible aux différences de climats, comme le rappelle Stefan Zweig dans les pages consacrées à Nietzsche du Combat avec le démon, Kleist. Hölderlin Nietzsche, Belfond, Paris, 1983.

4- Le Sage « nous rend accessible au mieux » « le roman d’aventures espagnol » dans son « travestissement français », FW, § 77, KSA, 3, p. 432.

5- Été 1875, 6 [31], KSA, 8, p. 110. Trionfo d’Amore, 1, 21.

6- Pétrarque était l’un des poètes de prédilection de Schopenhauer, dont Nietzsche découvre que la valeur réside moins dans sa métaphysique que dans sa grande culture littéraire et philosophique (FW, § 99). Le philosophe pessimiste cite souvent le poète italien, mais il fait une plus grande place au prosateur que Voltaire, et insiste notamment sur l’ascétisme de La Vie solitaire et l’humanisme chrétien de l’auteur du De otio religioso.

7- 1878-juillet 1879, 39[8], KSA, 8, p. 577. Ludwig Geiger (1848-1919), Petrarca, Berlin, 1874. Ce livre n’apparaît pas dans sa bibliothèque, ni dans la liste publiée par Albert Lévy des ouvrages que Nietzsche a empruntés à la bibliothèque de Bâle (en appendice de Stirner et Nietzsche, thèse présentée à la faculté des lettres de l’université de Paris, Paris, Société nouvelle de librairie et d’édition, 1904).

8- Fin 1880, 7 [51], KSA, 9, p. 327.

9- FW, II, § 80 ; « Art et nature », KSA, 3, p. 435 et suivantes.

10- UB, II, § 9, KSA, 1, p. 311 : « Un géant en appelle un autre, à travers les intervalles déserts des temps, sans qu’ils se laissent troubler par le vacarme des pygmées qui grouillent à leurs pieds, ils continuent leurs hautains colloques d’esprit » (trad. Bouquins).

11- « Avouez que Pétrarque et Boccace ne firent pas naître les troubles de l’Italie » (Lettres choisies, op. cit., vol. 1, p. 338).

12- Voltaire y cite un vers de la Canzone d’Italia : « L’italico valor non é ancor morto » (ibid., p. 419-427).

13- Jacques Casanova de Seingalt, Histoire de ma vie suivie de textes inédits, vol. 6, chap. X, éd. présentée et établie par Francis Lacassin, Paris, Robert Laffont, « Bouquins », vol. 2, p. 405.

14- Malheureusement, la bibliothèque de Voltaire recueillie par Catherine II à Saint-Pétersbourg ne garde pas d’ouvrages d’Érasme ni aucune trace de notes marginales sur Pétrarque (voir VF141, dans Corpus des notes marginales de Voltaire, n° 6, dir. de Natalia Elaguina, Bibliothèque de Russie, VF, 2006). Il y a, en revanche, quelques notes sur l’ouvrage de l’abbé de Sade : Voltaire a lu ses Mémoires pour la vie de François Pétrarque, tirés de ses œuvres et des auteurs contemporains. Avec des notes ou dissertations, & les pièces justificatives, t. 1-2, Amsterdam, Arskée & Merkus.

15- Chap. V, VF3B, p. 439.

16- Discours de réception de M. de Voltaire à l’Académie française prononcé le lundi 9 mai 1746 (XXIII, 205-217). Voir aussi Essai sur les mœurs, chap. LXXXII : « Sciences et beaux-arts aux XIIIe et XIVe siècles » : « Ce jargon se maintint malheureusement tel qu’il était en Provence et en Languedoc, tandis que sous la plume de Pétrarque la langue italienne atteignit à cette force et à cette grâce qui, loin de dégénérer, se perfectionna encore. »

17- Il affirme dans l’Essai sur les mœurs (ibid.) : « Ces pièces, qu’on appelle Canzoni, sont regardées comme ses chefs-d’œuvre : ses autres ouvrages lui firent moins d’honneur. » Il cite pourtant dans les Annales de l’Empire « une fameuse lettre de Pétrarque qui reproche à l’empereur sa faiblesse. Pétrarque était digne d’apprendre à Charles IV à penser noblement ». (XIII, 409).

18- Celle de 1355, déjà mentionnée, à Charles IV dans les Annales de l’Empire, l’autre à un évêque de Lombez, citée dans l’article pour la Gazette littéraire.

19- Voir Clifton Cherpack, « Voltaire’s criticism of Petrarch », Romanic Review, 46, avril 1955, p. 101-107.

20- Sa première mention est une lettre des Délices à Algarotti (2 septembre 1758) à qui il recommande « Non lasciar la magnanima tua impresa » (« Ne lâche pas ta magnanime entreprise »), dernier vers du sonnet VII (« La Gola »), précisément la chute qu’il allait railler quelques années plus tard dans la Gazette littéraire.

21- Lettre au cardinal Domenico Passionei : « Je ne puis imiter le petit vieillard chenu et blanc » (23 juin 1761, D9842). C’est une paraphrase du sonnet XVI du Canzoniere.

22- « Si je n’étais vieux et presque aveugle, Paul irait voir Antoine et je dirais avec Pétrarque : « Movesi il vecchiarel canuto e bianco / del dolce loco or’ha sua età fornita, e da la famiglia sbigottita, che vede il caro padre venir manco [“Il quitte, le vieillard chenu et à la barbe blanche, le doux pays où il a passé sa vie, et sa petite famille dans l’émoi, qui se voit abandonnée par le père chéri”]. » (lettre du 12 février 1764, D11694).

23- Lettre à Condorcet : « J’ai vu dans l’espace de plus de quatre-vingt ans bien des choses affreuses, et je crains d’en voir encore si ma vie se prolonge. Pétrarque disait, povera e nuda vai filosofia. Il faut dire à présent sferzata e sanguinosa vai filosofia » (11 juillet 1776, D20213). Sonnets, VII [« Tu t’en vas fouettée et sanglante, ô philosophie ! »].

24- Dans le chant IX de La Henriade, il décrit, en des vers mélodieux presque nervaliens, le Temple de l’Amour, situé « Sur les bords fortunés de l’antique Idalie » : « Là, tous les champs voisins, peuplés de myrtes verts, / N’ont jamais ressenti l’outrage des hivers. » Dans un tableau des amours éternels, il évoque Pétrarque et Laure : « Bientôt, quittant les bords de l’aimable Aréthuse, / Dans les champs de Provence il vole vers Vaucluse, / Asile encor plus doux, lieux où, dans ses beaux jours, Pétrarque soupira ses vers et ses amours. »

25- Chap. LXXXII : « Sciences et beaux-arts aux XIIIe et XIVe siècles », XII, 57 sq.

26- Voir l’article « Critique » du Dictionnaire philosophique, VF35, p. 657-660.

27- L’article « Chansons » du traité Connaissance des beautés et des défauts de la langue française, que Nietzsche avait lu, cite le même poème, mais cette fois sans mentionner Pétrarque.

28- Encyclopädie der klassischen Philologie und Einleitung in das Studium derselben. (SS 1871 ; evtl. WS 1873-1874).

29- Ibid., p. 347-348. Un fragment de l’été 1884 est une citation latine des Lettres familières de Pétrarque : « hinc mihi quidquid sancti gaudii sumi potest horis omnibus praesto est. Petrarca, famil. XIX 16. », 26 [338], KSA, 11, p. 239.

30- Nietzsche note plus loin le rôle de Pétrarque pour la connaissance des Grecs : « Déjà Pétrarque comprit la valeur et se sentit heureux de posséder un Platon ou un Homère en grec. »

31- Selon la formule de Marc Fumaroli dans L’Âge de l’éloquence. Rhétorique et « res literaria » de la Renaissance au seuil de l’époque classique, Genève, Droz, « Titre courant », 2009 (1re éd. 1980), p. 78.

32- Printemps-été 1875, 5[99], KSA, 8, p. 66.

33- Été-automne 1884, 26 [441], KSA, 11, p. 268.

34- On y retrouve une revue critique des écrivains, l’organisation du dialogue autour de structures métaphoriques qui entraînent de riches variations lexicales : la maladie, puis, comme dans le « Catéchisme du Japonais » du Dictionnaire philosophique, la cuisine. Quant au mot d’esprit sur la pesanteur des lexiques cicéroniens de Nosopon : (« Deux robustes portefaix solidement bâtés auraient peine à le porter sur leur dos », p. 931-932), il annonce la même raillerie dans le bref dialogue voltairien, De l’Encyclopédie, XXIX, 325-327.

35- Nietzsche, Encyclopädie…, op. cit., p. 357.

36- Ibid., p. 352.

37- Nietzsche note qu’Érasme a connu « l’amertume à la fin de sa vie lorsque l’humanisme a été opprimé par la Réforme » : « Érasme dit ubicumque regnat Lutherianismus, ibi litterarum est interitus » (ibid., p. 354). Luther reconnaissait Érasme comme son maître, notamment après son édition du Nouveau Testament (1516), mais l’échange entre les deux hommes s’envenima, suite à l’intervention d’Érasme, sous la pression du pape et de Henri VIII, sous la forme d’une « diatribe » ponctuelle sur le De libero arbitrio (1524) auquel le réformateur répond par le Traité du serf arbitre. Voir J. Chomarat, « Introduction à Érasme », Œuvres choisies, op. cit., p. 17.

38- Voir à ce sujet, par exemple, sa brève épopée burlesque : La Guerre civile de Genève (1768), IX, 507 sq.

39- Sixième des Lettres à S. A. Mgr le Prince de ***** sur Rabelais et sur d’autres auteurs accusés d’avoir mal parlé de la religion chrétienne (1767), « Sur les Allemands », XXVI, 491-494.

40- Encylopädio…, op. cit., p. 353-354.

41- Érasme, très lié avec les grands, dédie certaines de ses Paraphrases à des souverains comme François Ier, Henri VIII ou Charles Quint. Il écrit son Institutio principis christiani (1516) pour ce dernier, avant même qu’il ne soit empereur.

42- KSA, 8, p. 530.

43- Voir Marc Fumaroli, L’Âge de l’éloquence, op. cit., p. 93.

44- René Pomeau lui-même a peu étudié les sources érasmiennes du théisme voltairien. Érasme n’apparaît qu’une seule fois dans Voltaire en son temps, encore est-ce comme personnage de sa « conversation » avec Lucien et Rabelais aux Champs Élysées (op. cit., vol. II, p. 210), et une seule fois aussi dans La Religion de Voltaire, pour qualifier le catholicisme de Pope (op. cit., p. 130).

45- L’incipit le confirme : « Érasme fit, au XVIe siècle, l’éloge de la folie. Vous m’ordonnez de vous faire l’éloge de la raison. Cette raison n’est fêtée en effet tout au plus que deux cents ans après son ennemie, souvent beaucoup plus tard ; et il y a des nations chez lesquelles on ne l’a point encore vue » (XXI, 513). Voltaire, entrainé par l’allégorie de la Raison, mêle dans la suite du conte sa réminiscence érasmienne à la fable classique de la Vérité tombée dans le puits.

46- XXV, 339-344.

47- Publié dans les Nouveaux Mélanges (1765). Voir Dialogues et anecdotes philosophiques, éd. R. Naves, Paris, Garnier, 1939, p. 146-152.

48- Ibid. p. 147.

49- Ibid. p. 151.

50- Sur ce point, on pourra consulter notre article « Satires et Mélanges ou le devenir voltairien du carnavalesque », Revue Voltaire, n° 6, 2006, et, sur le dialogue voltairien, « Le dialogue, chez Voltaire, est-il un genre ? », Revue Voltaire, n° 5, 2005.

51- Il faudrait étudier les relais jésuites des idées érasmiennes et montrer que la complaisance du philologue hollandais a aussi inspiré la tolérance anti-janséniste de Voltaire (« pourvu qu’il soit réglé, l’amour de soi n’est pas un mal », écrit ainsi Érasme, préfigurant l’Anti-Pascal de Voltaire ; voir Chomarat, op. cit., p. 31).

52- Voltaire fait sans doute référence, outre l’Éloge de la folie, à l’Épître 447 dans laquelle Érasme évoque, sous un masque fictif, son entrée forcée au couvent, un thème dont La Religieuse de Diderot constituera l’un des avatars les plus célèbres.

53- Chap. CXXVII : « De Léon X, et de l’Église », XII, 276 sq.

54- Monrion, datée du 20 mars 1757, IV, 976, D7207. Jean Lévesque de Burigny, Vie d’Érasme, Paris, 1757, Bibliothèque de Voltaire, 586 (pas de notes marginales).

55- VM, § 4, KSA, 2, p. 382.

56- Lettre du 10 mai 1757, D7258.

57- La bibliothèque de Nietzsche ne conserve d’Érasme que l’Éloge de la folie en traduction allemande, ouvrage acheté quelques mois après la parution de Humain, trop humain (Das Lob der Narrheit. Aus dem Lateinischen übers. mit erklärenden Anmerkungen versehen, St. Gallen, Scheitlin u. Zollikofer, 1839). Nietzsche en reprend à son compte le titre dans Ainsi parlait Zarathoustra : « par tes grognements tu me gâtes jusqu’à mon éloge de la folie » dit Zarathoustra à son singe (ASZ, III, KSA, 4, p. 224). On peut voir aussi une réminiscence érasmienne dans la célèbre sentence du Prologue, § 1, de Zarathoustra : « jusqu’à ce que parmi les hommes les sages se réjouissent à nouveau de leur folie » (trad. Renouard, op. cit., p. 29).

58- Voir GM, 2, § 22, KSA, 5, p. 331, ou ASZ, KSA, 4, p. 90.

59- KSA, 2, p. 365. Épilogue ajouté en 1882.

60- Voir l’article « Pierre » du Dictionnaire philosophique (VF36, II, p. 452 et note) et les articles « Décrétales », « Questions sur Paul » (2e section), des Questions sur l’Encyclopédie, XVIII, 323 ; XX, 189.

61- Érasme fait progresser l’idée d’une intériorisation de la piété, indépendante de lieux et des rites, un mouvement de spiritualisation et de moralisation que Voltaire poursuit jusqu’à la sécularisation. Les antijudaïsmes de Voltaire et d’Érasme peuvent être ainsi rapprochés comme hostilité à une piété définie par ses dogmes et ses rites : le théisme constitue un nouveau degré de spiritualisation et de subtilisation de la religion d’Érasme.

62- MA, I, § 638, KSA, 2, p. 362 sq. Nietzsche joue sur le mythe germanique et le personnage wagnérien de Wotan devenu « le voyageur ».

63- Le pape, dans l’Éloge historique de la raison, « fit présent » à la Raison et à sa fille la Vérité « non d’agnus et de reliques, mais d’une bonne chaise de poste pour continuer leur voyage ». Les voyages frénétiques rapportés en nombre dans les contes philosophiques de Voltaire (Histoire des Voyages de Scarmentado, par exemple, ou, bien sûr, ceux de Candide) sont comme la transcription accélérée des errances humanistes.

64- Familiares, XV, 4, 5, cité dans Nicholas Mann, Pétrarque : les voyages de l’esprit, préface de Marc Fumaroli, Grenoble, Jérôme Millon, « Nomina », 2004, p. 5.

65- EH, « Pourquoi je suis si malin », § 1, KSA, 6, p. 280.

66- Trad. Renouard, op. cit. p. 282, KSA, 4, p. 222. Voir aussi « Le retour au pays », trad. Renouard, p. 294, KSA, 4, p. 231.

67- FW, III, § 123, KSA, 3, p. 479.

68- Datée de Clèves, le 2 juillet 1750, III, 196.

69- Épître 447, cité dans D. Ménager, op. cit.

70- Érasme fait quelquefois l’éloge du caméléon (Chomarat, op. cit., p. 28), animal bien voltairien (voir par exemple la lettre de Colmar à Mme Du Deffand du 23 avril 1754, D 5786 : « Ma peau de caméléon prendrait des couleurs plus vives auprès de vous »).

71- Chomarat, op. cit., p. 7.

72- Ménager, op. cit., p. 14.

73- Burckhardt voyait en Voltaire l’un des auteurs modernes qui, plus encore qu’il n’indique la voie de la Révolution française, reprennent l’héritage renaissant. Voir Albert von Martin, Nietzsche und Burckhardt. Zwei geistige Welten im Dialog, Bâle, Ernst Reinhardt Verlag AG, 1945 (2e éd. ; 1re éd. 1941), p. 143-146.

74- Émile Gebhart, Études méridionales, Paris, L. Cerf, 1887, p. VI.

75- Ibid., p. 32, 43, 42, 63, 44, 66, 72 pour l’ensemble des citations.

76- Chap. 121.

77- Automne 1887-mars 1888, 9 [184], KSA, 12, p. 447. Les références à la Renaissance sont interpolées par Nietzsche dans ses notes sur Brunetière, « Voltaire et Rousseau », Études critiques sur l’histoire de la littérature française, Paris, Hachette, 3e série, 1887, p. 270-273.

78- KSA, 6, p. 170. Fragment préparatoire en novembre 1887-mars 1888, 11 [414], KSA, 13, p. 192, et 15 [120], KSA, 13, p. 580.

79- 34 [161], KSA, 11, p. 474. Pour ce terme de virtù, voir aussi 9 [87], KSA, 12, p. 380 ; 11[44], KSA, 13, p. 21 ; 11 [110], KSA, 13, p. 52.

80- II, 47-58.

81- AC, § 26, KSA, 6, p. 194.

82- Le Siècle de Louis XIV, chap. I : « Introduction », XIV, 156.

83- MA, II, § 170, KSA, 2, p. 448.

84- On ne saurait mieux dire que Marc Fumaroli : « Pétrarque est le premier “homme de lettres” moderne, l’archétype, pour toute l’Europe chrétienne, d’une grande lignée dont chaque génération, ou presque, et plusieurs nations, déclineront le modèle de siècle en siècle avec d’infinies variations nouvelles ». Il n’est « ni tout à fait clerc, ni tout à fait laïc, à la fois rhéteur et poète », « solitaire mais toujours accompagné », « célibataire quasi monastique et cependant ayant concubine et enfants, homme public et cependant jaloux de son intimité », « voyageur et enraciné dans une patrie idéale », « une Rome toujours à reconstruire ». D’un côté, il « remémore saint Augustin, le Cicéron chrétien du Ve siècle, et il résume par avance Érasme et Montaigne, Voltaire et Sainte-Beuve, Chateaubriand et Lamartine, Walter Pater et Charles Du Bos. Tous différents, mais l’ombre qui les suit ressemble toujours à Pétrarque. » (Préface à N. Mann, op. cit., p. IX).

85- Cette idée d’une continuité de la Renaissance et des Lumières, interrompue par la Réforme, est souvent exprimée par Nietzsche (MA, I, § 237, KSA, 2, p. 199).

86- MA, I, § 20, KSA, 2, p. 41.

87- MA, I, § 250, KSA, 2, p. 201.