Gérard était couché en travers de l’allée menant de la grille au château. Yasmine eut beau klaxonner, tempêter, menacer – rien n’y fit : le vieux chien ne prit même pas la peine d’entrouvrir un œil.
En descendant de voiture pour continuer son chemin à pied, elle découvrit un morceau de tissu gris coincé entre les babines tremblantes de l’animal. Qui avait-il bien pu mordre cette fois-ci ? Un représentant ? Un huissier ? Un promeneur égaré ?
La réponse à cette question ne tarda pas à apparaître à la jeune femme sous la forme d’un homme d’une quarantaine d’années, qui discutait avec Paul sous la véranda. L’inconnu portait un costume trois-pièces qui conservait quelque élégance, bien qu’il manquât près de la moitié d’une manche à la veste.
– Ah, Yasmine, dit Paul en se levant pour l’accueillir. Permets-moi de te présenter M. Richard Wolfram. C’est un écrivain. Oui, je sais, il n’en a pas l’air – mais il prétend qu’il s’est déguisé pour venir ici. On lui avait dit que j’étais plutôt straight – non mais !
Un peu étourdie par ce flot de paroles, Yasmine salua le visiteur. De près, il paraissait plus jeune – peut-être à cause de ses yeux rieurs.
– Tu tombes bien, reprit Paul. M. Wolfram nous apporte une affaire, et j’étais en train de me demander à qui j’allais la confier. Ça risque d’être un peu coton, mais puisque tu reviens de vacances, tu dois être gonflée à bloc, non ?
Soudain envahie par une infinie lassitude, la jeune femme se laissa tomber dans un transat.
– Paul, dit-elle posément, en le fixant droit dans les yeux, je crois que mon crétin de frère vient de sauver le monde.
– J’aurais préféré que tu en sois sûre, répliqua-t-il sur le ton de la plaisanterie.
Mais ses yeux disaient qu’il la croyait.