Note de l’auteur

Mon nom est Robert Sherard et je fus l’ami d’Oscar Wilde. Notre première rencontre eut lieu à Paris en 1883. Il avait alors vingt-huit ans et il était déjà célèbre en tant qu’écrivain, homme d’esprit et conteur. Il était considéré comme la principale « personnalité » de son temps. Quant à moi, je n’avais que vingt et un ans, je rêvais d’une carrière de journaliste et de poète, et personne n’avait entendu parler de moi. Nous nous vîmes pour la dernière fois en 1900, de nouveau à Paris, peu de temps avant sa disparition prématurée. Les dix-sept ans que dura notre amitié, j’ai tenu le journal de notre relation.

Oscar Wilde et moi n’étions pas amants, mais je l’ai connu intimement. Peu nombreux sont ceux, je pense, qui l’ont connu mieux que moi. En 1884, je fus le premier qu’il invita après son mariage avec Constance Lloyd – la plus délicieuse et la plus cruellement abusée des femmes. En 1895, je fus le premier à lui rendre visite en prison. Dans une lettre rédigée de son cachot, mon ami me fit l’insigne honneur de me décrire comme « le plus courageux et chevaleresque de tous les êtres d’exception ». En 1897, à sa libération, je me rendis en France pour le voir. En 1902, je m’efforçai de rendre justice à son souvenir en devenant son premier biographe.

L’ouvrage que vous avez entre les mains est l’un des six volumes que j’ai compilés relatant des aspects à ce jour inconnus de l’extraordinaire existence d’Oscar Wilde. Ce tome, en particulier, décrit des épisodes survenus au cours de ses années les plus noires, et c’est la raison pour laquelle il est bon, en préambule, de rappeler au lecteur qu’avant sa chute et son incarcération Oscar Wilde était un homme heureux. Le bonheur était, pour ainsi dire, l’essence même de sa personnalité. Oscar Wilde était une fête – c’était une fête d’être avec lui, une fête de le connaître. Il aimait la vie : il la savourait. « Il n’est qu’une chose horrible en ce monde, l’ennui, affirmait-il. C’est le seul péché irrémissible. » Il aimait la couleur et la beauté. « La merveille des merveilles », comme il disait. Il aimait les rires et les applaudissements. Lorsqu’un jour un de ses amis suggéra qu’il n’écrivait du théâtre que par désir d’être applaudi sur-le-champ, il en convint. « Oui, être applaudi sur-le-champ… Quelle expression imagée ! Applaudi sur-le-champ… » Il raffolait de la langue anglaise. Il aimait l’utiliser. Il adorait jouer avec. Il se délectait de mots comme « vermillon » et « narcisse ». Il prenait un plaisir immense à faire rouler sur sa langue un nom comme « Sebastian Atitis-Snake » ou un titre comme « la marquise de Dimmesdale » ; et aucun à prononcer platement « John Smith » ou « le duc d’York ». Il avait son propre vocabulaire. Ce qui l’ennuyait était « assommant » et ce qui lui plaisait « étourdissant ».

Dans ma première relation de la vie d’Oscar, j’ai écrit la vérité – mais pas toute la vérité. Peu de temps avant la mort de mon ami, je lui avais fait part de mes projets de biographie. « N’y dites pas tout, pas encore ! m’avait-il demandé. Quand vous raconterez ce que fut mon existence, ne parlez pas de meurtre. Laissez cela de côté pour un moment. » C’est ce que j’ai fait. Jusqu’à aujourd’hui. J’ai travaillé à ces ouvrages durant l’hiver 1938, et le printemps et l’été 1939. Je suis vieux et le monde est à la veille d’une nouvelle guerre. Mon heure approche, mais, avant de partir, il me reste une dernière tâche à accomplir : révéler tout ce que je sais à propos d’Oscar Wilde, poète, dramaturge, ami, détective… et archange vengeur.

Ce livre est basé sur le compte rendu que m’a fait Oscar lui-même des événements qui se sont déroulés durant ces vingt-cinq mois, du 25 mai 1895 au 25 juin 1897. Il m’a raconté ce que vous êtes sur le point de lire à la fin de l’été 1897. Trois chapitres – l’introduction, l’interlude et la conclusion – sont entièrement de mon cru. Pour le reste, c’est son récit, rédigé, pour l’essentiel, avec ses propres mots, car je les avais transcrits (du mieux possible) sous sa dictée – directement sur ma toute nouvelle machine à écrire Remington. C’est à moi qu’Oscar fit cette réflexion : « Lorsqu’on y met du sentiment, la machine à écrire n’est pas plus ennuyeuse que le piano quand y joue une sœur ou une proche connaissance. »

RHS
Septembre 1939