Prologue

Londres, 25 mai 1895

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Extrait du Star, dernière édition

OSCAR WILDE COUPABLE
Condamné à deux ans de travaux forcés
Des scènes de liesse dans les rues

Ce soir, au terme de quatre jours de procès devant la cour d’Old Bailey, Oscar Wilde, le célèbre dramaturge, a été reconnu coupable de sept chefs d’accusation d’attentat à la pudeur et condamné à deux ans d’emprisonnement et de travaux forcés.

« Ceci est la pire affaire que j’aie eu à examiner », a déclaré à la cour le juge de ce procès, Mr Wills, soixante-dix-sept ans. Selon lui, il ne faisait aucun doute que Mr Wilde, quarante ans, était au centre d’un « cercle où se pratiquait amplement la plus hideuse des corruptions entre jeunes gens ». Il a prononcé la sanction la plus lourde prévue par la loi tout en ajoutant qu’il l’estimait « totalement inadéquate pour de tels faits ».

Sur le banc des prévenus, le coupable, que l’on a vu vaciller au moment du verdict, lui a rétorqué : « Et moi ? Qu’aurais-je à en dire, monsieur ? » Le juge Wills a fait signe aux gardiens postés de part et d’autre de l’estrade d’emmener le prisonnier. Wilde, le visage blême, a semblé chanceler avant d’être escorté jusqu’à sa cellule, située sous la salle d’audience. De là, il a été conduit à la proche prison de Newgate, où a été établi son ordre d’incarcération, puis, par fourgon cellulaire, à la prison de Pentonville, au nord de Londres.

À l’extérieur du tribunal, l’annonce du verdict a été accueillie par des manifestations de joie. Des applaudissements nourris et des vivats ont jailli de la foule qui s’était rassemblée et, quand ont été connus les détails de la sentence, un petit groupe de femmes a improvisé une gigue sur le trottoir, l’une d’elles lançant à la cantonade : « Deux ans, c’est encore trop bon pour lui ! » Une autre a provoqué les rires en s’écriant : « L’aura les ch’veux ben taillés, c’te fois ! »

À notre connaissance, la dernière comédie de Mr Wilde, L’Importance d’être constant, demeurera à l’affiche du St James’s Theatre, mais le nom de l’auteur sera ôté sans délai des affiches et des programmes par égard pour la sensibilité du public.

Constance Wilde, trente-six ans, la malheureuse épouse du criminel, n’était pas présente au tribunal pour assister à la déchéance de son mari. Selon nos informations, la jeune femme de lettres et ses deux fils, âgés de huit et neuf ans, sont actuellement en route pour le continent.

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« L’EMPOISONNEUR NAPOLÉON » N’ÉTAIT PAS FOU
La perpétuité pour tentative de meurtre

Aujourd’hui, aux assises de Reading, l’homme qui affirmait avoir tenté de tuer sa femme dans un accès de folie – se prenant pour l’empereur Napoléon Bonaparte, il accusait son épouse, l’impératrice Joséphine, de l’avoir trompé – n’est pas parvenu à convaincre le jury de son irresponsabilité et a été condamné à la prison à vie.

Durant les quatre jours qu’a duré son procès, Sebastian Atitis-Snake, trente-sept ans, chef cuisinier sans emploi domicilié Palmer Road, à Reading, s’est adressé à la cour dans un français hésitant, la main droite glissée dans son gilet à la manière de l’Empereur. Au moment d’annoncer la sentence, le juge Crawford, soixante-neuf ans, lui a déclaré : « Vous avez cherché à tourner en farce votre propre procès dans l’espoir de fourvoyer le jury. Vous avez échoué. Les membres du jury ne sont pas dupes, pas plus que vous n’êtes fou. Il est clair, à la lumière des éléments réunis par la police et des témoignages que nous ont apportés les experts médicaux, que vous êtes, au mieux, un escroc, comme on dit vulgairement, et, au pire, un meurtrier en puissance, froid et calculateur. »

Le juge a par ailleurs estimé qu’il n’existait aucune preuve de l’infidélité de Mrs Atitis-Snake. « Tout indique que votre malheureuse épouse est une jeune femme absolument sans reproche. Sa seule faute est de vous avoir rencontré alors qu’elle n’avait que dix-huit ans et qu’elle se trouvait depuis peu orpheline. Elle possédait une modeste fortune personnelle, d’un montant de cinq mille livres environ, mais elle n’avait pas de famille et très peu d’amis. Vous étiez de quinze ans son aîné et, certainement en lui débitant un chapelet de ces mensonges extravagants dont vous semblez avoir fait votre spécialité, vous l’avez convaincue de vous épouser. Son argent en votre possession, vous vous êtes bientôt lassé de sa jeunesse et de sa beauté, et vous avez décidé de vous débarrasser d’elle. Vous avez tenté d’assassiner cette innocente créature en lui servant des champignons vénéneux sous la forme – selon votre expression – d’une “omelette de campagne *1”. Si vous étiez parvenu à vos fins, vous auriez eu à répondre d’une accusation de meurtre et, en ce moment même, vous auriez encouru la peine capitale. Pour l’heure, votre infortunée victime est plongée dans le coma et repose dans un établissement médical. À ce qu’on m’a dit, l’espoir demeure qu’elle se rétablira un jour. Son avenir est incertain. Pas le vôtre. Cette cour vous condamne à être emprisonné pour le restant de vos jours et soumis aux travaux forcés. »

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1. Les termes en italique suivis d’un astérisque sont en français dans le texte original.