Traverses / 19, Le désert, Paris, Centre Georges-Pompidou, Centre de création industrielle, 1980, pp. 22-33, avec quelques illustrations. – Publié en italien dans J. LE GOFF, Il Meraviglioso e il quotidiano nell'Occidente medievale, Rome-Bari, Laterza & Figli, 1983, pp. 25-44.
On a parfois voulu établir des rapports entre le milieu désertique et le phénomène religieux. On s'est demandé s'il y a une religion du désert, si le désert prédisposait plutôt à telle forme d'expérience religieuse qu'à telle autre et on a pensé en particulier que le désert favorisait le mysticisme. Il y a cent ans à peu près, en 1887, dans son Histoire du peuple d'Israël, Ernest Renan affirmait audacieusement : « Le désert est monothéiste. » Ces vues qui reposent en définitive sur un déterminisme géographique simpliste ne peuvent plus être soutenues aujourd'hui1.
Mais le désert – réel ou imaginaire – a joué un rôle important dans les grandes religions eurasiatiques : judaïsme, islam, christianisme. Le plus souvent il représenta les valeurs opposées à celles de la ville et à ce titre il doit intéresser l'histoire de la société et de la culture.
Les modèles culturels de l'Occident médiéval viennent d'abord de la Bible, c'est-à-dire de l'Orient. Le désert y est réalité géographico-historique et symbolique à la fois.
Réalité ambivalente. Abel assassiné, de la descendance des deux autres fils d'Adam et Ève sortirent du côté de Seth la religion, puisque Enoh, fils de Selti, « fut le premier à invoquer le nom de Yahvé » (Genèse, IV, 26) et du côté de Caïn, la civilisation, surtout la civilisation matérielle sous ses quatre formes principales2, la vie urbaine par Cain lui-même qui construisit la première ville, la civilisation pastorale du désert par Yabal, descendant d'Hénok, fils de Caïn, qui « fut l'ancêtre de ceux qui vivent sous la tente et ont des troupeaux », l'art sous la forme de la musique par Yubal, frère de Yabal qui « fut l'ancêtre de tous ceux qui jouent de la lyre et du chalumeau », l'artisanat enfin par Tubal-Caïn, demi-frère de Yubal et de Yabal, qui « fut l'ancêtre de tous les forgerons en cuivre et en fer » (Genèse, IV, 17-22).
Face à la ville, création de Cain, le désert conserve longtemps dans l'ancien Israël son prestige. Malgré les difficultés de la traversée du désert lors de l'Exode, le souvenir de l'univers désertique doit rester dans la mémoire des Hébreux. Yahvé le dit lors de l'institution de la fête des Tentes (Lévitique, XXIII, 42-43).
De même lors de l'épisode d'Agar, Yahvé avait maintenu un certain équilibre entre la vie parmi les hommes où demeuraient Sara et Isaac et l'exil désert où Abraham se résigna à envoyer Agar et Ismaïl après que Yahvé lui eut dit : « Ne te chagrine pas à cause du petit et de ta servante, tout ce que Sara te demande, accorde-le, car c'est par Isaac qu'une descendance perpétuera ton nom, mais du fils de la servante je ferai aussi une grande nation car il est de ta race » (Genèse, XXI, 12-13). Après que la sédentarité eut fait des Hébreux un peuple de citadins, et que les images de Jérusalem et de Sion eurent substitué une symbolique urbaine aux vieux prestiges du désert, l'ambivalence des valeurs désertiques persista. Dans les Psaumes, si on loue Yahvé pour la construction de Jérusalem (« Bâtisseur de Jérusalem, Yahvé ! », Psaume CXLVII, 3), le souvenir doux-amer du désert est toujours présent (« Il mena son peuple au désert, car éternel est son amour ! », Psaume CXXXVI, 16). Mais le désert valorisé de l'Ancien Testament, ce n'est pas un lieu de solitude, c'est un lieu d'épreuves, c'est surtout un lieu d'errance, de non-attachement.
Je ne m'étendrai pas sur l'image complexe et évolutive du désert dans l'Ancien Testament. On a par exemple opposé le désert de la Genèse, désert du chaos originel, puis anti-jardin imposé comme châtiment à Adam, et enfin lieu d'épreuves individuelles pour les patriarches, au désert de l'Exode, le Sinaï de Moïse et du peuple juif, désert collectif où se produit la révélation décisive de Yahvé3.
On a aussi souligné les liens étroits entre le désert, l'océan, la mort, le shéol, séjour quasi infernal des morts4.
Ces associations, très particulières au judaïsme ancien, ne se retrouvent pas dans le christianisme, encore qu'on puisse se demander si, par exemple, les ermites celtes qui, au Moyen Âge, cherchaient le désert sur l'océan, ne se trouvaient pas confirmés dans leur quête par la lecture de l'Ancien Testament.
L'image du désert biblique change avec le Nouveau Testament. Autant qu'un lieu, le désert était dans l'Ancien Testament une époque, « une époque de l'histoire sainte, au cours de laquelle Dieu a éduqué son peuple5 ».
Pour Jésus le Galiléen, le désert de Judée où vivait Jean-Baptiste, région presque vide, faite non de sable mais de montagnes arides, est un endroit dangereux, lieu de tentations plus encore que d'épreuves6. C'est la demeure des esprits mauvais (Matthieu, XII, 43), l'endroit où Satan cherche d'abord à tenter Jésus : « Alors Jésus fut emmené au désert par l'Esprit pour être tenté par le diable » (Matthieu, IV, 1). Mais c'est aussi l'endroit où Jésus se réfugie et va chercher la solitude (Marc, I, 35, 45). Dans l'Apocalypse (XII, 6-14), le désert est le refuge de la Femme, c'est-à-dire de Sion, du peuple saint de l'ère messianique, de l'Église des croyants.
Avec le christianisme commence, en Orient, au IVe siècle, l'« épopée du désert »7. Elle lègue bientôt au christianisme latin occidental des œuvres majeures qui fondent les grands thèmes de l'hagiographie et de la spiritualité du désert.
La plus ancienne est la Vie d'Antoine par le Grec Athanase, évêque d'Alexandrie (vers 360) dont le succès se répand presque aussitôt en Occident par l'intermédiaire de traductions latines.
La primauté d'Antoine dans l'érémitisme est bientôt contestée par saint Jérôme qui écrit vers 374-379 dans le désert de Calchis en Syrie, à l'est d'Antioche, la Vie de Paul de Thèbes premier ermite. Qu'importent l'historicité des deux saints, l'antériorité de l'un ou l'autre ? L'occident médiéval a vu en eux les grands modèles de l'idéal désertique et Jérôme a génialement imaginé qu'Antoine, à l'âge de quatre-vingt-dix ans, aurait rendu visite à Paul plus que centenaire dans sa retraite. Dans une atmosphère plus délirante que le romantisme le plus échevelé de Victor Hugo, le vieillard rend hommage à son aîné, fait assaut de révérence avec lui et revient l'ensevelir dans un suaire qu'il est allé chercher dans son propre ermitage.
Le désert de Paul c'est « une montagne, une caverne, un palmier et une source ». Il y vit vêtu des feuilles du palmier et nourri, chaque jour, d'un demi-pain que lui apporte un corbeau. Quand il est mort, « deux lions sortent en courant du fond du désert, leurs longs crins flottant sur leur cou ». Après avoir caressé le corps du vieillard de leurs queues en poussant de grands rugissements en guise de prière funéraire, ils lui creusent une tombe de leurs griffes et l'y ensevelissent. Ils viennent ensuite « en remuant leurs oreilles et la tête basse » lécher les pieds et les mains d'Antoine qui assiste, stupéfait, à cette scène et qui les bénit.
Le modèle érémitique d'Antoine est très proche de celui de Paul. Lui aussi dans la dernière partie de sa vie, à soixante ans passés, vit dans la montagne, dans une grotte, dans un site que les voyageurs de l'époque moderne ont décrit comme particulièrement sévère et aride et que la Vie d'Athanase dépeint comme un paradis terrestre. Lui aussi vit des fruits d'un palmier et de quelques pains que lui apportent des Sarrasins – hommes noirs, pendants de l'oiseau noir de Paul. Mais la première partie de la vie érémitique d'Antoine a été celle d'un long combat contre les visions de monstres et de démons terrifiants qui l'assaillent. C'est le « théâtre d'ombres » des tentations.
Comme on l'a dit : « Le désert des moines d'Égypte apparaît comme le lieu, par excellence, du merveilleux ; le moine y rencontre le démon, d'une façon qu'on peut dire inévitable, car le démon est chez lui au désert ; mais aussi le moine trouve, au désert, d'une certaine manière, le Dieu qu'il y est venu chercher8. »
Ces thèmes sont inlassablement repris, multipliés, enjolivés par deux grands recueils hagiographiques, les Entretiens avec les Pères d'Égypte que Jean Cassien, qui a vécu parmi les ermites orientaux, rédige au début du Ve siècle en Égypte, et les Vies des Pères, cet ensemble complexe d'anecdotes traduites du grec qui commence à circuler en Occident à la même époque.
L'érémitisme occidental, à la recherche de déserts géographiques et spirituels, semble avoir d'abord préféré les îles. C'est le cas en Méditerranée, à Lérins, où la notion de désert oscille entre une conception paradisiaque et une conception d'épreuve9. C'est un lieu de libération pour ceux qui accourent vers la liberté des solitudes (ad solitudinum libertatem), le « port du salut », « comme un coin de paradis » (quasi in parte aliqua paradisi, selon Césaire d'Arles).
En ces débuts du monachisme chrétien il ne faudrait pas opposer trop radicalement désert et ville. Certes, les moines qui gagnaient la solitude fuyaient la ville. Mais l'afflux de moines, la mise en valeur des oasis ou des terrains subdésertiques transformèrent souvent le désert en ville. Une expression de la Vie d'Antoine traduite en latin devint un topos de la littérature monastique : Desertum civitas, le désert-ville10.
Dans l'Occident latin du haut Moyen Âge, comme l'a montré Paul-Albert Février, les modèles urbains encore si vivants de l'Antiquité tardive s'imposèrent aux moines. Le monastère devint une micro-cité et surtout les grands maîtres du monachisme latin réalisèrent dans leur vie et leur enseignement une sorte d'équilibre pendulaire entre la ville et le désert. Ce fut le cas de saint Martin partageant sa vie entre la solitude du monastère de Marmoutier et le siège épiscopal de Tours, Jean Cassien venu des déserts d'Égypte à proximité de la solitude insulaire de Lérins dans la ville de Marseille, Paulin venu pourtant s'établir près des reliques de saint Félix tout près de Nola et qui dut accepter de venir résider comme évêque dans la ville11. Cette respiration alternée entre la retraite dans les ermitages et l'apostolat urbain se retrouvera dans le franciscanisme.
Dans la vision « paradisiaque » du désert il ne faut pas oublier la familiarité de ceux qui y vivent ou s'y retirent avec les animaux sauvages. C'est le modèle d'Antoine et de Paul qui, à défaut de lion en Occident, fait de l'ours, du cerf, de l'écureuil les amis et les interlocuteurs des ermites. De saint Columban on a pu dire : « À Luxeuil comme à Bobbio, il a toujours manifesté aux animaux une sympathie presque franciscaine. » Godric, mort en 1170, retiré dans la solitude de Finchale près de Durham, accueille dans sa cellule les lapins et les lièvres poursuivis par les chasseurs. C'est le désert-asile, le refuge dans le refuge. L'imaginaire romanesque ignorera la zoologie et fera d'un lion le compagnon d'Yvain, saint Jérôme courtois. Dans son Éloge du désert (De laude eremi), l'aristocrate Euches, qui se retire à Lérins entre 412 et 420, après avoir rappelé tous les épisodes insignes de l'Ancien et du Nouveau Testament qui se sont passés dans le désert (eremus : desertum, précise-t-il), déclare que le désert monastique est lieu de tous les charismes et de toutes les théophanies. L'entrée au désert est ressentie, selon une expression de saint Jérôme, comme un second baptême.
Mais le désert est aussi le lieu de la rencontre avec Satan et les démons, bien que ce thème de la spiritualité orientale du désert ne rencontre pas dans l'Occident du haut Moyen Âge le même succès qu'en Orient. Euches ne fait qu'en passant allusion aux tentations de l'Ennemi qui rôde en vain autour de l'ermitage comme le loup autour de la bergerie. Le péril qui va guetter l'ermite d'Occident dans le désert c'est l'ennui existentialiste et métaphysique : l'acedia.
Désert insulaire plus encore recherché par les moines celtes et nordiques12. Ils ont écrit un grand chapitre de l'anthropologie historique du désert maritime, des déserts de la mer et du froid. « La mer a remplacé pour ces moines le désert d'Égypte13. » Saint Brendan dont l'errance maritime a été racontée par un des livres à succès du Moyen Âge, la Navigatio Sancti Brendani14, va d'île en île, rencontrant monstres et merveilles, évite l'île d'Enfer et aborde finalement à l'île du Paradis. Dans la vie, écrite à l'extrême fin du VIe siècle de l'un d'eux, Columban, il est dit de ces moines errants sur l'océan qu'ils « espéraient trouver le désert dans la mer infranchissable » (desertum in pilago intransmeabili invenire obtantes).
Pourtant, ces ermites insulaires et maritimes ne seront que la marge extrême et éphémère des marginaux du désert en Occident. Dans ce monde tempéré sans grandes étendues arides, le désert – c'est-à-dire la solitude – sera une tout autre nature, le contraire presque du désert, du point de vue de la géographie physique. Ce sera la forêt.
L'itinéraire du plus célèbre de ces moines irlandais, Columban (v. 540-615), est exemplaire. En 575 il se lance sur la mer mais vers le continent. D'Armorique, il passe en Gaule. Le roi burgonde Gontran lui offre de s'établir à Annegray dans les Vosges. L'endroit lui plaît, écrira son biographe Jonas de Bobbio vers 640, car il est au milieu d'une forêt, c'est « un vaste désert, une âpre solitude, un terrain rocailleux ». À Annegray et au monastère voisin de Luxeuil Columban doit s'arracher, exilé par le roi Thierry II à la demande de sa terrible grand-mère, Brunehaut. Après une longue errance, le vieillard parvient en Italie du Nord et y choisit en 613 un lieu dans une solitude forestière, Bobbio. Pour le construire, le vieil abbé redevient moine-bûcheron.
L'histoire – la légende – d'un autre saint irlandais, installé celui-là en Bretagne continentale, Ronan, retrouve les thèmes du désert-forêt. « Il s'enfonce... dans le “désert” et parvient à la forêt de Nemet (ou Nevet) en Cornouille. » À coups de miracles il protège le voisinage des loups. Il suscite la colère de Satan qui, par l'intermédiaire d'une paysanne, la diabolique Kéban, finit par le chasser15.
L'histoire du désert, ici et là, jadis et naguère, a toujours été faite de réalités matérielles et spirituelles entremêlées, d'un va-et-vient constant entre le géographique et le symbolique, l'imaginaire et l'économique, le social et l'idéologique.
Quelle a été la « réalité » de la forêt dans l'Occident médiéval ?
Pour Gaston Roupnel16, dans sa célèbre Histoire de la campagne française, la forêt a été pour l'homme, du néolithique à la fin du Moyen Âge, à la fois le domaine indispensable qui « prolongeait et complétait ses champs » et le lieu de « ses légendaires effrois » : « Sur ce seuil sacré que tout protégeait, le défricheur primitif arrêta donc une fois pour toutes ses entreprises profanes. »
Charles Higounet a dressé l'inventaire et la carte des forêts du haut Moyen Âge17, époque qui a connu, de 500 à 1 200 environ, une phase climatique chaude et donc « un retour offensif de la forêt ». Parmi ces forêts européennes, il distingue la forêt d'Ardenne qui était, depuis les temps celtiques, « la “forêt” par excellence ». Il note l'émergence, à côté de l'italien et de l'espagnol selva qui continue le latin silva, et de Wald germanique, de forestis ou foresta qui donnera forêt en français, Forst en allemand, forest en anglais. La plus ancienne apparition connue du terme associe d'ailleurs l'idée de forêt à l'idée de solitude. C'est un diplôme de Sigebert III de 648 pour l'abbaye de Stavelot-Malmédy : « Dans notre forêt nommée Ardenne, vaste solitude où se reproduisent les bêtes sauvages18. » Le mot vient sans doute de l'expression : silva forestis, forêt qui dépend du tribunal (forum) royal. Il désigne à l'origine une « réserve de chasse », il a un sens juridique. Ainsi les hommes de la seconde fonction indo-européenne, les guerriers, les bellatores, les hommes de la force physique, ont tenté de s'approprier au Moyen Âge la forêt et d'en faire leur terrain de chasse. Mais ils ont dû la partager avec les hommes de la première fonction, les oratores, ceux qui prient, les hommes du sacré qui en ont fait le désert de leurs ermites et les hommes de la troisième fonction, les laboratores, les travailleurs qui, par la cueillette, le bois, le charbon, le miel et la glandée des porcs, en ont fait un territoire supplémentaire de l'activité économique. Mais tous à vrai dire sont allés surtout s'y marginaliser, s'y conduire en hommes de la nature, fuyant le monde de la culture dans tous les sens du mot.
Pour revenir à la forêt « matérielle » de l'Occident médiéval, soulignons avec Charles Higounet qu'elle a servi de frontière, de refuge pour les cultes païens, pour les ermites « qui y sont venus chercher le “désert” (eremum) », pour les vaincus et les marginaux : serfs fugitifs, meurtriers, aventuriers, brigands, mais aussi qu'elle a été « utile », « précieuse », réserve de gibier, espace de cueillette y compris pour le miel dont on faisait « le breuvage le plus courant dans toute l'Europe » et la cire des luminaires, lieu d'exploitation du bois, de la verrerie et de la métallurgie, territoire de pacage pour les animaux domestiques, les porcs surtout.
Déjà Marc Bloch avait signalé le double visage de la forêt médiévale qui « couvrait des espaces beaucoup plus grands qu'aujourd'hui, par massifs beaucoup moins troués de clairières ». Elle était à la fois repoussante et désirable : « À tant d'égards si inhospitalière, la forêt était loin d'être inutile19. » Mais il rappelle les anciens textes qui parlent de l'« opacité », de la « densité » des forêts.
Dans Les Caractères originaux de l'histoire rurale française, Marc Bloch, après avoir souligné que la forêt médiévale « était loin d'être inexploitée ou vide d'hommes », évoque le peuple inquiétant des travailleurs de la forêt : « Tout un monde de “boisilleurs”, souvent suspect aux sédentaires, la parcourait ou y bâtissait ses huttes : chasseurs, charbonniers, forgerons, chercheurs de miel et de cires sauvages (les “bigres” des anciens textes), faiseurs de cendres qu'on employait à la fabrication du verre ou à celle du savon, arracheurs d'écorces qui servaient à tanner les cuirs ou même à tresser des cordes20. » Les voilà les habitants de ce désert, des errants « souvent suspects aux sédentaires » !
Parmi les innombrables documents sur la forêt médiévale, regardons un dossier de trois textes récemment publiés21. Le premier est d'un analyste, le bénédictin Lambert de Hersfeld, qui relate dans ses Annales, au mois d'août 1073, un épisode de la lutte de l'empereur Henri IV contre les Saxons. Il évoque la profonde forêt germanique, immense et vide (vastisimma), difficilement pénétrable, inhospitalière puisque Henri IV et ses compagnons faillirent y mourir de faim, effrayante sauf pour un chasseur habitué à « s'orienter au secret des forêts ». Le deuxième document est un texte hagiographique tiré de la Vie de saint Bernard de Tiron écrite par Geofroy le Gros au début du XIIe siècle : il décrit « les vastes solitudes (vastae solitudines) qui se trouvent aux confins du Maine et de la Bretagne » comme une « seconde Égypte » (quasi altera Ægyptus) peuplée d'une « multitude d'ermites ». Parmi eux, un nommé Pierre se nourrit des « jeunes pousses des arbres » et s'est construit une « maisonnette » avec des « écorces d'arbres ». Quand Bernard et d'autres le rejoignent il va avec ses paniers « dans la forêt qui entourait de toutes parts l'aire de sa demeure, arrache rapidement buissons d'épines et de ronces, dépouille de leurs fruits noisetiers et autres arbres sauvages ». Enfin, « il trouve au creux d'un tronc un essaim d'abeilles avec de la cire et du miel en telle quantité qu'on aurait cru ces richesses sorties de la corne d'abondance elle-même ». Ici on sent l'écho de la conception paradisiaque du désert héritée de la littérature monastique du haut Moyen Âge. Le troisième texte est célèbre : Suger y raconte comment, pour construire la charpente de la basilique de Saint-Denis, il fouille, contre l'avis de tous, la forêt d'Yveline et, « à travers les tailles, les halliers ombreux, les forêts d'épineux », il trouve des arbres assez gros et grands pour faire douze poutres. On voit ici à l'œuvre les exploitants de la forêt, qui la réduisent à l'état de taillis et n'y voient qu'une source de matières premières.
Avant de voir la forêt-désert dans quelques grandes œuvres de l'imaginaire médiéval, je voudrais encore souligner la fréquence des témoignages médiévaux sur l'assimilation forêt-désert. C'est par exemple dans le cartulaire de Sainte-Foy de Conques, pour l'année 1065, un acte indiquant qu'une communauté monastique est venue s'établir en un lieu où « il n'y avait aucune habitation humaine sauf des brigands dans les forêts22 ».
Le vocabulaire atteste, avec les langues vernaculaires naissantes, la force de cette association mentale. L'épithète presque de nature pour la forêt c'est gaste, dévastée, vide, aride et proche de la forêt sont les substantifs gast et gastine, lieux incultes, landes forestières.
Forez i a granz e gastines, écrit au XIIe siècle le trouvère anglo-normand Benoît de Sainte-Maure. Tous ces mots viennent de vastum, vide. Dans ce riche vocabulaire apparaissent encore, à côté du triomphant forêt, des termes désignant des bois et de même racine que le germanique Wald : galt, gant, gandine. Dom Louis Gougaud a attiré l'attention sur les noms de lieux formés des mots désert, ermitage en France, désert en Irlande, peniti en Bretagne qui désignent d'anciens séjours d'ermites23. Le terme breton rappelle que le désert c'est aussi la pénitence, surtout pendant la grande époque du mouvement pénitentiel du XIe au XIIIe siècle.
Dans son autobiographie, Guibert de Nogent, au début du XIIe siècle, raconte l'histoire d'Évrard de Breteuil, vicomte de Chartres, qui, en 1073, abandonne la vie mondaine, cherche la solitude, se réfugie dans une forêt où il trouve sa subsistance en faisant du charbon de bois24. Il y a une conjoncture de la fuite au désert dans l'Occident médiéval. Bien qu'il s'agisse d'un phénomène permanent, les vagues de départs vers la solitude s'enflent à certaines époques, du IVe au VIIe siècle, liées à la désertion générale des cités, aux XIe et XIIe siècles face au contraire à l'essor urbain : « Nous avons tout quitté, voilà les paroles qui ont rempli les forêts d'anachorètes », s'écrie dans un sermon Pierre Damien, mort en 1072, et presque un siècle plus tard saint Bernard lui fait écho. Aux jeunes gens tentés par les nouvelles écoles urbaines, il dit : « Les forêts t'apprendront plus que les livres. Les arbres et les rochers t'enseigneront des choses que ne t'enseigneront point les maîtres de la science. » La bibliographie de l'érémitisme occidental est énorme. Je citerai seulement le recueil L'Eremitismo in Occidente nei secoli XI e XII (Atti della Settimana internazionale di studio, Mendola, 1962), Milan, 1965, avec plusieurs articles en français.
Mais le sens symbolique profond de la forêt s'exprima dans la production de l'imaginaire, comme en témoignent quelques-uns des plus grands créateurs de la littérature en ancien français : le Tristan de Béroul, les romans de Chrétien de Troyes, en particulier Yvain et Perceval et Aucassin et Nicolette. À quoi j'ajouterai un témoignage occitan, celui du troubadour Bernard Marti.
La forêt-désert n'était pas absente des chansons de gestes, notamment du cycle de Guillaume d'Orange où, après avoir été surtout le territoire de la chasse pour les nobles guerriers, elle devient dans le Moniage Guillaume un lieu peuplé d'ermites cachés « dedans le hault bocage », « au fond du bois ramé ». Elle est surtout présente dans Renaud de Montauban (Les Quatre Fils Aymon) et dans Girard de Roussillon, œuvres de la fin du XIIe siècle qui se passent en partie dans la forêt d'Ardenne et qui expriment peut-être la fuite hors du monde d'une aristocratie guerrière menacée par une société nouvelle. Dans Girard de Roussillon, par exemple, le héros errant dans la forêt demande à un ermite s'il connaît un prêtre dans le voisinage. « Non, lui répond l'homme des bois, pas même un clerc. » La forêt, c'est le désert institutionnel.
À la tradition judaïque et orientale du désert s'est ainsi ajoutée une tradition « barbare » celtique, on l'a vu, mais aussi germanique et scandinave de la forêt-désert. De celle-ci une saga comme celle de Harald Sigurdarson, écrite au commencement du XIIIe siècle par l'Islandais Snorri Sturluson, apporte un bon témoignage. Dès le début le héros, Harald, futur roi de Norvège, se cache « chez un paysan qui habitait à l'écart dans une forêt ». Le fils du paysan le guide ensuite « par les forêts » et « alors qu'ils chevauchaient d'une forêt sauvage à une autre, Harald déclama ceci :
« Me voici sans gloire, passant
De forêt en forêt.
Qui sait si je ne serai pas
Largement renommé par la suite25. »
C'est ici le thème de la forêt-épreuve.
Mais c'est surtout dans la littérature courtoise que la forêt va jouer un rôle matériel (dans l'intrigue) et symbolique capital. Elle est au cœur de l'aventure chevaleresque26, ou plutôt celle-ci y trouve son lieu d'élection.
C'est surtout la forêt-refuge qui apparaît dans le Tristan de Béroul.
Tristan et Yseut fuyant la colère du roi Marc se réfugient « dans la forêt du Morois. Tristan s'y « sent en aussi grande sécurité qu'en un château protégé de murailles ». Tristan, « excellent archer », se procure leur nourriture en chassant et construit une cabane. Ils restent ainsi « longuement, dans la forêt profondément, ils restent longuement dans ce désert ». Presque tous les thèmes se retrouvent ici : la forêt-refuge, la forêt-désert, l'association, qu'on retrouvera avec l'Yvain de Chrétien de Troyes, de la forêt-désert avec l'arc, qui apparaissait déjà dans la Genèse avec Ismaël, la vie « sauvage » mais quasi paradisiaque, bien qu'ils mènent une « vie âpre et dure ». Ils rencontrent un ermite, frère Ogrin, qui les sermonne en vain. Ils vivent encore longtemps dans la forêt. On ne vient guère les y chercher car le commun des mortels a peur de la forêt « qui est si effrayante que nul n'ose y entrer ». Tristan met au point un « arc-qui-ne-faut », qui ne manque jamais son coup et, n'ayant pas de pain (aliment « culturel »), ils doivent se nourrir de « sauvagine » (gibier). Mais un des hommes méchants de la forêt, un forestier, agent qui fait respecter les droits du roi (du seigneur) sur la forêt, les découvre et les dénonce à Marc. Celui-ci les trouve mais renonce à se venger. Toutefois, se sachant découverts, Tristan et Yseut quittent la forêt du Morois. La forêt-désert ne peut plus remplir sa fonction de refuge et de cachette27.
Épisode complexe où se mêlent la peur de la forêt, la valorisation de la vie sauvage du désert, la signification de la forêt-désert comme pénitence et asile.
Dans une longue étude dédiée à Claude Lévi-Strauss, nous avons essayé d'éclairer, Pierre Vidal-Naquet et moi-même, l'épisode central d'Yvain ou le Chevalier au lion de Chrétien de Troyes (vers 1180). Yvain, qui n'a pas tenu une promesse faite à sa femme et que celle-ci rejette, devient fou, fuit la cour d'Arthur et gagne la forêt.
Je ne reprendrai pas ici l'analyse à laquelle je me permets de renvoyer28. Je ne retiendrai – sommairement – que ce qui concerne le thème de la forêt-désert. Yvain fait une régression intégrale à l'état de « nature » : il se fait « archer, sauvage et nu, mangeur de cru ». Mais sa réintégration commence, car Yvain rencontre un homme qui n'est pas tout à fait un sauvage, un ermite. Celui-ci, en effet, a une « maison », une cabane, il essarte, c'est-à-dire pratique une agriculture rudimentaire sur défrichement par brûlis, il achète et mange du pain, a des contacts avec des humains « normaux », fait cuire ses aliments. Yvain rencontre aussi dans la forêt un « homme sauvage », un vilain, hideux, chevelu et velu, vêtu de peaux de bêtes, mais qui commande à des taureaux sauvages. Homme sauvage qui n'est pas un simple hôte de la forêt, mais qui en est le maître, en particulier parce qu'il a la maîtrise sur les bêtes sauvages29.
On voit ainsi que ni la forêt ni le désert ne sont des sauvageries intégrales, ni des solitudes absolues. Ils sont les lieux de l'extrême marge où l'homme peut s'aventurer et y rencontrer d'autres hommes, à la limite ces hommes sauvages qu'il prend d'abord pour des bêtes et lui affirment, comme le vilain fait à Yvain, qu'ils « sont des hommes ». Il y a aussi dans la vie érémitique, dans l'expérience du désert, des degrés. L'ermite reste en contact avec la culture, ce qui permet d'ailleurs à l'Église d'accepter qu'on le tienne pour un « saint homme ». L'homme sauvage est un homme « primitif » mais déjà maître de la nature. Il faut être fou pour s'approcher au plus près de la solitude et de la sauvagerie. En définitive, « ce qui est “sauvage” n'est pas ce qui est hors de portée de l'homme, mais ce qui est sur les marges de l'activité humaine. La forêt (silva) est sauvage (silvatica) car elle est le lieu des animaux que l'on chasse mais aussi des charbonniers et des porchers. Entre ces rôles asymétriques que sont la sauvagerie et la culture, le chasseur sauvage et fou est un médiateur ambigu, ce qu'est aussi, à sa façon, l'ermite30 ».
Notons ici quatre caractéristiques de l'ermite que les spécialistes de l'érémitisme ont souvent notées.
La première est sa parenté avec un homme sauvage. Elle se marque surtout par le port d'une peau de mouton ou de chèvre. Le prototype chrétien en est Jean-Baptiste, le prédicateur du désert.
La deuxième est la popularité de l'ermite auprès de qui on vient se confesser, qu'on vient consulter dans les cas difficiles, auprès de qui on vient chercher bénédiction et guérison. Il faut entendre cette popularité au sens le plus fort. De tous les personnages religieux l'ermite est le plus près de la culture populaire authentique, du folklore. Le désert est le lieu le plus éloigné de la culture savante31.
Parmi ceux qui viennent chercher conseil auprès des ermites il y a les rois. Un poème irlandais du Xe siècle a pour sujet la visite d'un roi à un ermite, « thème exploité à plusieurs reprises dans la littérature du Moyen Âge32 ». On reconnaît là une variante du thème du roi consultant un mage, un devin, un prophète. Mais il faut y voir aussi le dialogue de deux hommes de la forêt. La sacralité doit être cherchée dans la forêt et au désert. Le roi – comme le lion – y est chez lui. « La forêt est terre royale non seulement par les ressources qu'elle fournit mais plus encore peut-être parce qu'elle est un “désert”33. »
Enfin dans la forêt-désert l'ermite côtoie des hors-la-loi. La légende et le folklore l'ont fait parfois s'embrigader dans les troupes de brigands sylvestres – avec Robin des Bois par exemple. Un fabliau anglais, The eremyte and the outelawe, met en scène un ermite jaloux d'un larron qui, d'après lui, gagne trop facilement le paradis.
Pour en revenir à Chrétien de Troyes la forêt-désert, lieu d'épreuves et d'aventures, tient un grand rôle dans son dernier roman, Perceval ou le Conte du Graal.
Certes Perceval, quoique fils de la « Dame de la Gaste Forêt solitaire », et qualifié de « valet sauvage », n'est pas à proprement parler un « homme sauvage34 ». Mais son itinéraire d'initiation et d'épreuves est scandé par des passages en forêt, qui sont autant de phases de recueillement et d'errances dans la solitude ou l'aventure. Par une métonymie géniale Chrétien de Troyes appelle la forêt, où l'on trouve la solitude, elle-même solitaire : c'est la forêt soutaine. Forêt félone aussi, forêt traîtresse, car elle est, en termes de morale féodale, le lieu des hallucinations, des tentations et des embûches caractéristiques du symbolisme du désert. Enfin Perceval rencontre, à un moment crucial35 au cœur d'une forêt, un ermite qui se révèle être son oncle et qui lui dévoile la cause et le sens de ses épreuves. Pénitence et révélation, c'est bien en définitive le sens profond, apocalyptique, du symbolisme chrétien de la forêt-désert.
Sur un mode mineur et charmant les thèmes de la forêt épreuve et refuge se retrouvent dans Aucassin et Nicolette. Nicolette s'enfuit dans la forêt, forêt immense et effrayante : « S'étendant sur plus de trente lieues en longueur et en largeur, elle abritait des bêtes sauvages et tout un peuple de serpents : Nicolette eut peur d'être dévorée si elle y pénétrait. » Forêt où elle se réfugie malgré sa frayeur et où elle se construit elle-même une « belle hutte ». Aucassin court à sa recherche, malgré les ronces et les épines, rencontre lui aussi une sorte d'homme sauvage, un jeune vilain affreux qui n'est pas un dompteur d'animaux sauvages, mais qui est simplement à la recherche d'un bœuf fugitif. Enfin ils sortent « du bois profond », trouvent la mer, puis retrouvent le monde des villes, des hommes et de la civilisation.
Chez les troubadours, le thème de la fuite des amants dans la forêt devient une vision idyllique, une fuite volontaire dans l'utopie sylvestre du désert de l'amour. Ainsi Bernard Marti : « Je veux me faire ermite en bois, pourvu que ma dame s'en vienne avec moi. Là nous aurons couverture de feuilles. Ici je veux vivre et mourir : j'abandonne et délaisse tout autre souci36. »
Il reste à savoir à quoi s'oppose dans le système de valeurs des hommes de l'Occident médiéval cette forêt-désert. Au « monde », c'est-à-dire à la société organisée, par exemple dans le roman courtois à la cour, à la cour d'Arthur. Opposition plus complexe qu'il ne semble au premier abord car le roi, comme on a vu, est aussi un homme de la forêt qui va, de temps en temps, par la chasse ou le commerce des ermites, y puiser de la sacralité et de la légitimité. Dans la littérature, expression privilégiée, avec l'art du symbolisme d'une société, on voit surtout l'opposition forêt-château. Mais le château, dans ces œuvres, c'est aussi la ville.
Ce fut le cas dès le début, malgré le prestige persistant de la ville et l'alternance ville-désert que j'ai évoqués. Dans le commonitorium que Vincent rédige à Lérins en 434 il oppose la vie solitaire des moines de l'île à l'affluence et aux foules urbaines (urbium frequentiam turbasque vitantes).
Dans l'Occident médiéval en effet la grande opposition n'est pas celle entre ville et campagne comme dans l'Antiquité (urbs-rus, chez les Romains, avec les développements sémantiques urbanité-rusticité) mais « le dualisme fondamental culture-nature s'exprime davantage à travers l'opposition entre ce qui est bâti, cultivé et habité (ville-château-village ensemble) et ce qui est proprement sauvage (mer, forêt, équivalents occidentaux du désert oriental), univers des hommes en groupes et univers de la solitude37 ».
Dans sa Somme, écrite dans le deuxième quart du XIIIe siècle, le théologien scolastique Guillaume d'Auvergne, évêque de Paris, parlant de la cité idéale déclare qu'en face d'elle « le reste de l'humanité est comme une forêt sauvage (quasi silva) et tous les autres hommes comme du bois sauvage (quasi ligna silvatica)38 ».
L'idéal « désertique » persistera jusqu'à la fin du Moyen Âge et connaîtra même un renouveau dans la seconde moitié du XIVe et au XVe siècle. Les ermites sont à la mode dans la peinture, comme en témoigne entre autres la célèbre Thébaïde du Florentin Gherardo Starnina (1354-entre 1409 et 1413)39.
Le mouvement franciscain de l'Observance essaie au XVe siècle de renverser l'élan qui a porté au XIIIe siècle les ordres mendiants vers les villes et fonde des couvents « au désert », dans les forêts et dans les îles40.
C'est encore le désert qu'iront chercher au XVIIe siècle les jansénistes à Port-Royal dans les solitudes boisées de la vallée de Chevreuse où cinq siècles auparavant Suger avait trouvé les poutres pour la basilique de Saint-Denis. Aux XVIIe et XVIIIe siècles ce sont les persécutions de l'Église catholique et du roi qui contraindront les protestants à se réunir au Désert, dans les ravins solitaires des Cévennes. Les écologistes d'aujourd'hui retrouvent dans les montagnes l'idéologie du désert.
1 Voir X. DE PLANHOL, « Le désert, cadre géographique de l'expérience religieuse », in Les Mystiques du désert dans l'Islam, le Judaïsme et le Christianisme (1974). Publication de l'Association des Amis de Sénanque.
2 Cf. P. GIBERT, La Bible à la naissance de l'histoire, Paris, 1979, p. 141, n. 3.
3 Voir A. ABECASSIS, « L'expérience du désert dans la mentalité hébraïque », in Les Mystiques du désert, pp. 107-129.
4 Voir notamment J. PEDERSEN, Israël, its life and culture, Londres-Copenhague, 1926, p. 470. – N. J. TROMP, Primitive conceptions of Death and the Nether world in the Old Testament, Rome, 1969, p. 132.
5 Cf. X.-L. DUFOUR, Dictionnaire du Nouveau Testament, Paris, 1975, article Désert, p. 202.
6 Pour saint Paul, tout lieu peut être lieu de tentation (« ... dangers de la ville, dangers du désert, dangers de la mer... », II Corinthiens, XI, 26).
7 J. DÉCARREAUX, Les Moines et la civilisation, Paris, 1962, pp. 64-109. – J. LACARRIÈRE, Les Hommes ivres de Dieu, nouv. éd., Paris, 1975.
8 A. GUILLAUMONT, « La conception du désert chez les moines d'Égypte », in Les Mystiques du désert..., op. cit., p. 38.
9 J. PRICOCO, L'Isola dei santi Il cenobio di Lerino e le origini del monachisimo gallico, Rome, 1978.
10 D.J. CHITTY, The Desert a City, Oxford, 1961, et G.J. M. BARTELINK, « Les oxymores desertum civitas et desertum floribus vernans », in Studia Monastica, 15, 1973, pp. 7-15.
11 P.-A. FÉVRIER, « La ville et le “désert” » (À propos de la vie religieuse aux IVe et Ve siècles), in Les Mystiques du désert..., op. cit., pp. 39-61.
12 Cf. J. M. MACKINLAY, « In Oceano desertum : celtic anchorites and their island retreats », in Proceedings of the Society of Antiquaries of Scottand, XXXIII, 1899. – L. GOUGAUD, Les Chrétientés celtiques, Paris, 1911.
13 O. LOYER, Les Chrétientés celtiques, Paris, 1965, p. 37.
14 C. SELMER, Navigatio Sancti Brendani abbatis – Publications in Medieval Studies, XVI, Notre-Dame (Indiana), 1959.
15 B. MÉRIGNAC, in M. DILASSER, Un pays de Cornouaille, Locronan et sa région, Paris, 1979, p. 110. La Vita de Saint Ronan que nous avons conservée est du XIIIe siècle. Sur le loup, grand personnage de la réalité et de la légende médiévales, animal par excellence de la forêt-désert, cf. G. ORTALLI, « Natura, storia e mitografia del lupo nel Medioevo », in La Cultura, 1973, pp. 257-311.
16 G. ROUPNEL, Histoire de la campagne française, Paris, 1932, nouv. éd., 1974, chap. III, « La forêt », pp. 91-116. Gaston BACHELARD, dans La Poétique de l'espace, pp. 171-172, fait écho à Roupnel pour évoquer la « forêt ancestrale », la forêt qui est un « avant-moi », un « avant-nous ». La forêt est un endroit où l'on se perd. Où l'on se trouve aussi, comme l'espèrent, en allant s'y perdre, les aventuriers de la forêt-désert.
17 Ch. HIGOUNET, « Les forêts de l'Europe occidentale du Ve au XIe siècle », in Agricoltura e mundo rurale in Occidente nell'alto medioevo, XIIIa Settimana di studio del centro italiano di studi sull'alto medioevo, 1965, Spolète, 1966, pp. 343-398.
18 « In foresta nostra nuncupata Arduenna, in locis vastae solitudinis in quibus caterua bestiarum geminat. »
19 M. BLOCH, « Une mise au point : les invasions », Annales d'histoire sociate, 1945, repris dans Mélanges historiques, Paris, 1964, p. 128.
20 M. BLOCH, Les Caractères originaux de l'histoire rurale française, Oslo, 1931, nouv. éd., Paris, 1951, p. 6.
21 Ch. M., DE LA RONCIÈRE, Ph. CONTAMINE, R. DELORT, M. ROUCHE, L'Europe au Moyen Âge, t. II, Paris, 1969, pp. 71-75.
22 « Nulla erat habitacio hominum excepta latronorum in silvis. »
23 L. GOUGAUD, Ermites et reclus, Ligugé, 1928, p. 16.
24 GUIBERT DE NOGENT, De vita sua, I, 9. Cette histoire fit d'Évrard au XIXe siècle le fondateur prétendu des Carbonari.
25 La Saga de Harald l'impitoyable, traduite et présentée par R. Boyer, Paris, 1979, pp. 35-36.
26 Cf. E. KÖHLER, L'Aventure chevaleresque. Idéal et réatité dans le roman courtois, trad. franç., Paris, 1974.
27 Cf. H. BRAET, « Les amants dans la forêt, à propos d'un passage du “Tristan” de Béroul », in Mélanges Terno Sato, Nagoya, Centre d'études médiévales et romanes, 1973, pp. 1-8.
28 J. LE GOFF et P. VIDAL-NAQUET, « Lévi-Strauss en Brocéliande », version abrégée, in Critique, 325, juin 1974, pp. 541-571. Version complète in Claude Lévi-Strauss, textes réunis par R. Bellour et C. Clément, Paris, 1979, pp. 265-319 ; cf. également infra, pp. 151-187. Sur la forêt médiévale et son symbolisme, cf., notamment, M. STAUFFER, Der Wald. Zur Darstellung und Deutung der Natur im Mittelalter, Zurich, 1958, et la thèse encore inédite de Roberto RUIZ CAPELLAN dont on peut lire le résumé, Bosque e Individuo. Necación y destierro de la sociedad en la epopeya y novela francesas de los siglos XII y XIII, Universidad de Salamanca, Facultad de filosofía y letras, Departamento de filología francesa, 1978.
29 Sur le grand thème médiéval de l'homme sauvage, cf. BERNHEIMER, Wild Men in the Middle Age. A study in Art, Sentiment and Demonology, 2e éd., New York, 1970.
30 J. LE GOFF et P. VIDAL-NAQUET, « Lévi-Strauss en Brocéliande », p. 284 de la version complète.
31 « L'homme vivant saintement en ermitage devint donc le vrai type de l'ascète pour le populaire. Dans les contes et les légendes, l'ermite est toujours présenté comme “moult de sainte vie”. C'est pourquoi, il a été choisi, de préférence à tout autre religieux, pour jouer le rôle d'athlète, de champion, dans la lutte contre le diable » (L. GOUGAUD, Ermites et reclus, p. 52).
32 L. GOUGAUD, Ermites et reclus, p. 19. Le poème irlandais a été édité en traduction anglaise par Kuno Meyer, King and Hermit, Londres, 1901.
33 J. LE GOFF et P. VIDAL-NAQUET, « Lévi-Strauss en Brocéliande », pp. 272-273 de la version complète.
34 Ce qu'a bien vu Paule LE RIDER dans son beau livre Le Chevalier dans le Conte du Graal de Chrétien de Troyes, Paris, 1978, pp. 160-164.
35 Il l'est d'autant plus que c'est la dernière scène où le héros apparaît dans l'œuvre inachevée par Chrétien. Mais quelle qu'eût été la conclusion du roman, l'épisode serait sans aucun doute demeuré essentiel.
36 En boscermita m. vol faire,
Per zo qe ma domma ab me.s n'an
Lai de fueill' aurem cobertor.
Aqi vol viurë e murir
Tot autre afar guerpis e lais.
(Bernard MARTI, éd. E. Hoepffner, Paris, 1929, pièce IX, vers 38 sqq. Cité par J.-Ch. PAYEN, L'Espace et le temps de la chanson courtoise occitane, p. 155.)
37 J. LE GOFF, « Guerriers et bourgeois conquérants : l'image de la ville dans la littérature française du XIIe siècle », in Culture, science et développement, Mélanges Charles Morazé, Toulouse, 1979, p. 127. Cf. infra, pp. 208-241.
38 Cf. J. LE GOFF, « Ville et théologie au XIIe siècle : une métaphore urbaine de Guillaume d'Auvergne », in Razo, Cahiers du centre d'études médiévales de Nice, juin 1979, p. 33. Cf. infra, pp. 242-247. Sur l'opposition entre hommes de la ville et hommes des bois en Italie, pays de sur-urbanisation mais aussi de grande vogue érémitique au Moyen Âge, cf. W. M. BOWSKY, « Cives silvestres : sylvan citizenship and the sienese commune (1287-1355) », in Bulletino senese di storia Patria, 1965.
39 F. ANTAL (Florentine painting and its sociat background, Londres, 1948) lui attribue une signification idéologique et politique antibourgeoise.
40 Hervé MARTIN, « L'implantation des franciscains bretons en milieu marin », Annales de Bretagne et des Pays de l'Ouest, 1980, pp. 641-677. Sur la logique qui conduit François d'Assise et les premiers franciscains de l'érémitisme à la ville, voir J. PAUL, « L'érémitisme et la survivance de la spiritualité du désert chez les franciscains », in Les Mystiques du désert.., op. cit., pp. 133-146.