« Quelques remarques sur les codes vestimentaire et alimentaire dans Érec et Énide », La Chanson de geste et le mythe carolingien, Mélanges René Louis, II, 1982, pp. 1243-1258. – Publié en italien dans J. LE GOFF, Il Meraviglioso e il quotidiano nell'Occidente medievale, Rome-Bari, Laterza & Figli, 1983, pp. 81-100.

Traduction : Chrétien de Troyes, Érec et Énide, roman traduit de l'ancien français d'après l'édition de Mario Roques par René Louis..., Paris, Librairie Honoré Champion, 1977.

Codes vestimentaire et alimentaire

dans Érec et Énide

On connaît l'importance des codes vestimentaire et alimentaire dans la culture des sociétés. On ne peut se contenter d'étudier leur rôle dans les pratiques sociales. Leur présence dans les productions de l'imaginaire permet d'en mieux comprendre la fonction, au-delà de leurs emplois proprement littéraires ou artistiques.

Dans la société féodale ces codes ont fonctionné avec une efficacité particulière, car ils avaient une place essentielle dans le statut social et dans le système de valeurs. Le paraître s'exprimait avec force à travers eux.

Dans les œuvres littéraires, le costume et la nourriture signalaient le statut social des personnages, symbolisaient les situations de l'intrigue, soulignaient les moments significatifs de la fiction.

Chrétien de Troyes en a usé avec son habituel génie.

Je me contenterai dans cette brève étude offerte à René Louis, qui a su si bien comprendre et montrer la valeur des œuvres littéraires comme document d'histoire au sens le plus large, de faire l'inventaire et de repérer les fonctions des codes vestimentaire et alimentaire dans Erec et Énide. J'utilise l'édition de Mario Roques et la belle traduction qu'en a donnée le maître que nous honorons ici.

Des passages concernant le costume j'exclus – mais je laisse ainsi de côté un élément essentiel du jeu des rôles masculins et féminins – le costume guerrier des hommes. Une étude plus complète et plus approfondie devrait les y inclure.

La première apparition du costume dans le roman concerne le héros masculin, Érec. Érec, qui partage sans doute les réticences des chevaliers face à la décision du roi Arthur de restaurer la coutume du blanc cerf – réticences exprimées par Gauvain –, a adopté une attitude conciliant l'obéissance à Arthur, le code de courtoisie et sa position personnelle. Il participe bien à la chasse, mais de loin, en tant que chevalier servant de la reine Guenièvre. Il a choisi un costume intermédiaire entre le vêtement d'apparat et l'équipement militaire, mais suffisamment précieux pour dénoter son rang : un fils de roi, chevalier de la Table ronde de grand renom.

 
 

Le vêtement ici est code d'état et de situation.

L'épisode suivant mettant en cause un costume s'insère dans l'apparition de l'héroïne féminine, Énide. Il est bien connu et soulève de nombreux problèmes.

Érec, à la poursuite du chevalier, de la demoiselle et du nain qui ont offensé la reine, va loger chez un vieux vavasseur. L'objectif de Chrétien, dans cet épisode, est de montrer à la fois la noblesse de rang et d'esprit et la pauvreté du vavasseur et de sa famille : sa femme et sa fille. En effet Érec va épouser Énide : il ne peut pas se mésallier, mais ce sera courtoisie de sa part que de relever l'état de sa belle-famille.

Énide apparaît. Elle est vêtue de façon délicate, mais pauvre, elle n'a qu'une chemise et une blouse à manches (chainse) mais si elles sont blanches, si la chemise est fine, le chainse est troué aux coudes :

 
 

Érec emmène ensuite Énide assister au combat pour l'épervier qui est aussi le combat de la vengeance contre le méchant chevalier. Elle le suit, toujours pauvrement vêtue, pauvrement montée. Elle est sans ceinture et sans manteau.

 

La sele fu mise et li frains ;

desliee et desafublee

est la pucelle sus montee (v. 738-740)3 

 

Après sa victoire dans le combat pour l'épervier, Érec, qui a demandé et obtenu la main d'Énide, s'apprête à l'emmener à la cour d'Arthur pour l'épouser. Il énumère à ses futurs beaux-parents la dot (le Morgengabe) qu'il fera à sa femme et dont ils seront les bénéficiaires, puisqu'ils doivent être élevés à un état digne de leur rang et de celui où sera parvenue leur fille. Ces dons seront des châteaux et des vêtements :

 

Einz que troi jor soient passez

vos avrai anvoie assez

or et argent et veir et gris

et dras de soie et de chier pris

por vos vestir et vostre fame... (v. 1325-1329)4 

 

Il annonce ensuite sa décision d'emmener Énide telle qu'elle est habillée : la reine lui donnera les vêtements dignes d'elle.

 
 

Mais cette décision choque sinon le père et la mère d'Énide, soucieux de ne pas contredire leur futur gendre, mais sa cousine germaine et un oncle de celle-ci, qui est comte et riche. Ils veulent donner une belle robe à Énide.

 

« Sire, fet ele, molt grant honte

Sera a vos, plus qu'a autrui

se cist sires an mainne a lui

vostre niece, si povrement

atornee de vestemant »

Et li cuens respont : « Je vos pri,

ma dolce niece, donez li

de voz robes que vos avez

la mellor que vos i avez » (v. 1344-1352)6 

 

Érec alors se met en colère. C'est la reine qui habillera Énide.

 

« Sire, n'an parlez mie.

Une chose sachiez vos bien :

ne voldroie por nule rien

qu'ele eüst d'autre robe point

tant que la reine li doint » (v. 1354-1358)7 

 

Énide s'en va donc à la cour.

 

el blanc chainse et an la chemise (v. 1362)8 

 

Les commentateurs ont été souvent déconcertés par cet entêtement d'Érec à mener Énide avec ses pauvres vêtements à la cour. Les explications de nature psychologique qu'on a souvent avancées me paraissent insuffisantes et même déplacées. La décision d'Érec me semble résulter de deux systèmes qui se combinent en l'occurrence. Le premier est celui du mariage, qui est un rite de passage. On en est à la première phase du rite, celui de la séparation. La future épouse quitte la maison de ses parents, mais pour le reste son état doit demeurer inchangé. C'est d'autant plus nécessaire ici que ce mariage doit être non seulement passage du célibat au mariage, d'une famille à une autre, d'une maison à une autre, mais relèvement d'état, passage de la pauvreté à la richesse. Sa matérialisation par l'intermédiaire du code vestimentaire ne doit se faire que dans la phase suivante, comme un des rites que Van Gennep appelait « rites de marge ». Il y a plus. Je crois qu'un thème essentiel du roman est le statut du couple. Pour Chrétien, il doit y avoir à la fois égalité entre le mari et la femme, mais cette égalité doit être compatible avec une certaine supériorité de l'homme sur la femme. Ainsi sont sauvegardées les conceptions chrétiennes médiévales du mariage et du couple. Chrétien à maintes reprises insiste sur l'égalité d'Érec et Énide. Avant que cette égalité soit sanctionnée par le mariage et, à la fin du roman, par le couronnement conjoint d'Érec et d'Énide, elle s'exprime par l'égalité dans les valeurs éminentes du système aristocratique : courtoisie, beauté, « débonnaireté » (ou sagesse), courage.

 
 

La principale supériorité d'Érec sur Énide, c'est qu'il est un guerrier, un chevalier de haut rang, fils de roi. Pour devenir chevalier naguère (il a vingt-cinq ans), il a été adoubé. Énide doit aussi être élevée à une dignité supérieure. Tandis qu'Arthur, à l'occasion des noces d'Érec et Énide, fera chevaliers cent jeunes gens. Guenièvre donnera à Énide de nouveaux et magnifiques habits. Ce sera une forme d'adoubement. Un adoubement féminin par le costume donné par la reine.

En attendant, le cortège qui accompagne Érec et Énide à la cour doit, lui, adopter un code vestimentaire d'apparat.

 
 

Quand ils sont parvenus à la cour, Érec explique bien à la reine ce qu'il attend d'elle :

 

« Povretez li a fet user

ce blanc chainse tant que as cotes

an sont andeus les manches rotes.

Et ne por quant, se moi pleüst,

boenes robes asez eüst,

c'une pucele, sa cosine,

li volt doner robe d'ermine

de dras de soie, veire ou grise ;

mes ne volsisse an nule guise

que d'autre robe fust vestue

tant que vos l'eussiez veüe.

Ma douce dame, or an pansez,

car mestier a, bien le veez,

d'une belle robe avenant » (v. 1548-1561)11 

 

Guenièvre acquiesce aussitôt et annonce qu'elle va lui faire donner une de ses robes (boene et bele... fresche et novele) (v. 1563-1566). Elle l'emmène dans sa chambre principale et lui fait apporter un bliaut neuf et un manteau assorti à une robe qu'elle avait fait tailler pour elle-même. Guenièvre, tout en respectant le code de courtoisie qui lui interdit de donner à Énide des vêtements usagés, la traite comme une autre elle-même, en lui faisant cadeau de vêtements neufs, mais personnels. C'est, par l'intermédiaire du costume, un véritable processus d'identification.

L'adoubement d'Énide par les nouveaux habits de la reine est longuement décrit par Chrétien. C'est un des morceaux de bravoure du roman – la scène dure pendant quatre-vingts vers (1572-1652). Elle est considérée par les historiens du costume médiéval comme une des plus précises descriptions de vêtements de luxe féminins. C'est en tout cas un amoncellement de détails correspondant au nec plus ultra de richesse et de beauté d'un costume féminin : fourrures rares, soies, or, pierres précieuses, couleurs vives, ceinture, bijoux et ornements divers, tout est mis en œuvre pour élever Énide au sommet du luxe vestimentaire.

Quand, peu de temps avant la noce, Érec s'acquitte de ses promesses à l'égard de ses futurs beaux-parents, c'est une abondance de métaux précieux et de riches vêtements qui chargent cinq bêtes de somme escortées par dix chevaliers et dix sergents.

 
 

Après le vêtement dans sa fonction de dot et de cadeau, voici le vêtement signe obligatoire de la fête, de la cérémonie.

Ce sont les noces d'Érec et Énide, et de magnifiques invités arrivent, parmi lesquels beaucoup de rois. Voici le premier d'entre eux : « Gavras de Cork, un roi de fière allure », avec cinq cents chevaliers richement vêtus.

 
 

Quand Arthur, à cette occasion, fait chevaliers cent jeunes gens, à chacun il fait don d'un beau vêtement, et de plus leur laisse le soin de le choisir. Largesse vestimentaire qui gratifie un initié : le nouveau chevalier peut exercer son choix de guerrier adulte. Le don du vêtement est ici rite d'adoubement.

Aux jongleurs qui divertissent les invités des noces, on fait de beaux cadeaux, et d'abord de précieux vêtements.

 

et molt bel don donné lor furent :

robes de veir et d'erminetes,

de conins et de violet es,

d'escarlate grise ou de soie (v. 2058-2061)14 

 

Le cortège qui accompagne Érec et Énide – et surtout Énide – à leur nouvelle demeure et inaugure la dernière phase du rite de passage du mariage, celle de l'agrégation, est bien entendu noblement vêtu.

 

Érec ne volt plus sejorner :

sa fame comande atorner

des qu'il ot le congié del roi,

et si reçut a son conroi

. L.X. chevaliers de pris

a chevax, a veir et a gris. (v. 2237-2242)15 

 

Arrivé au pays d'Érec, Énide accomplit un certain nombre de rites qui clôturent le rite du mariage. Dans ce roman où Dieu et la religion tiennent peu de place, n'intervenant on serait tenté de dire que par convenance, quand il faut bien rappeler que l'histoire se passe dans un monde de chrétiens, Énide s'acquitte alors d'un certain nombre de gestes religieux. C'est ainsi qu'elle offre sur l'autel de Notre-Dame, à qui elle a demandé un héritier pour la pérennité du patrimoine, une magnifique chasuble. Mais, à l'origine, cette chasuble était un riche vêtement, d'or et de soie, « d'une merveilleuse élégance », que la fée Morgue avait confectionné pour son ami et que par ruse la reine Guenièvre avait obtenu par l'entremise de l'empereur Gassa. Elle en fit une chasuble, conservée dans sa chapelle, et la donna à Énide quand celle-ci quitta la cour d'Arthur.

C'est ici l'apparition du vêtement magique, « merveilleux » christianisé et transformé en trésor et qui prolonge la munificence de Guenièvre à l'égard d'Énide, renforce les liens qui les unissent.

Enfin quand Érec, tout à l'amour d'Énide, néglige les tournois, mais y envoie ses chevaliers, il garde son rang en les habillant richement.

 
 

Ici commence la deuxième partie d'Érec et Énide. Après le mariage, l'épreuve du couple.

Érec a oublié les devoirs de chevalerie entre les bras d'Énide. Émue par les murmures qui critiquent son époux, Énide s'arrange pour l'avertir. Érec se réveille, mais il se comporte durement à l'égard de sa femme. Il lui ordonne de le suivre dans les aventures qu'il va, en bon chevalier, entreprendre et, de plus, lui impose une épreuve, un interdit : elle ne devra jamais lui adresser la parole la première. Je néglige ici l'arrière-fond folklorique présent dans tout le roman et dans toute l'œuvre de Chrétien de Troyes. Je vois dans l'attitude d'Érec la volonté de mieux réaliser le couple qu'il forme avec Énide. D'une part il va la hisser encore mieux à son niveau, à égalité avec lui. Son infériorité, c'est de ne pas courir d'aventure, de ne pas mener la vie dangereuse du chevalier. Eh bien, elle va partager sa vie errante et ses dangers et, comme elle est incapable de se battre, elle aura son épreuve à elle : le silence. En même temps, comme l'enseigne l'Église et comme le met en pratique l'aristocratie – malgré les fantasmes de l'amour courtois –, la femme ne peut être absolument l'égale de l'homme. Elle doit lui rester d'une certaine façon inférieure, soumise. Dans la logique des mentalités et des institutions médiévales, les cas d'inégalité dans l'égalité fonctionnent très bien, par exemple dans le contrat féodo-vassalique17. Énide a failli doublement mettre Érec en état d'infériorité. D'abord en lui faisant oublier ses devoirs de chevalier ; en le retenant, fût-ce malgré elle, par son amour. Ensuite en lui faisant, même si ce fut d'une façon déguisée et indirecte, la leçon. Érec éprouve le besoin de ressaisir son autorité sur son épouse tout en l'invitant à progresser avec lui, à ses côtés, sur le chemin de l'accomplissement de leur être et de leur destin qu'est l'aventure chevaleresque.

Dans cette partie du roman le code vestimentaire fonctionnera moins souvent. Comment pourrait-il en être autrement puisque cette partie du roman va se passer le plus souvent dans le lieu par excellence de l'aventure chevaleresque, la forêt, où code vestimentaire et ostentation du vêtement n'ont guère occasion de fonctionner ? Puisque aussi le vêtement qui passe ici au premier rang, c'est celui du guerrier, du chevalier – que j'ai précisément écarté de cette enquête.

Quelques apparitions du code vestimentaire ne sont pourtant pas dépourvues d'intérêt.

Quand Érec décide de repartir à l'aventure, il ordonne à Énide qui se lamente de revêtir la plus belle de ses robes

 

levez de ci, si vos vestez

de vostre robe la plus bele

sor vostre meillor palefroi (v. 2576-2578)18 

 

ordre dont le sens échappe à Énide. Comme il a résolu d'emmener sa femme avec lui, il veut qu'elle ait son plus beau vêtement, tout comme il se fait apporter ses plus belles armes (v. 2632-2657). C'est l'égalité dans l'apparence et la préparation à l'aventure.

Le premier résultat, c'est que la vue de cette dame très richement vêtue excite la convoitise d'un chevalier brigand qui sort d'un bois :

 
 

Pour le reste des aventures, Énide se sera plus vêtue que de sa beauté.

Il faut attendre ensuite la guérison d'Érec blessé chez Guivret pour que le code vestimentaire fonctionne à nouveau pour les époux réconciliés et vainqueurs de toutes les épreuves. À tous deux Guivret fait présent de vêtements magnifiques.

 
 

Chez Guivret ils ont retrouvé les cadeaux en vêtements et le signe de la double guérison : physique et sociale. Ce retour à la vie sociale va être interrompu par la troisième période du roman, celle de la plus grande aventure, de l'épreuve suprême, la Joie de la Cour.

Érec vainqueur, le couple va vers son accomplissement définitif. Trois épisodes marquent cette apothéose, où fonctionne à nouveau à plein le code vestimentaire.

C'est d'abord le retour à la cour d'Arthur, centre des valeurs, symbole de l'ordre et de la civilisation.

Érec, Énide et Guivret, avant d'être accueillis par Arthur, changent de vêtements et se mettent leurs plus beaux atours :

 

Concordance significative de l'atour et du retour.

Le second moment est celui de la mort du roi Lac, père d'Érec. C'est le vêtement du deuil, vêtement d'un autre passage, vers la mort pour le défunt, vers la relève et la royauté pour le couple héritier. Les clercs réapparaissent à cette occasion et les pauvres avec eux. Ils sont l'objet de la largesse vestimentaire qui marque l'événement.

 

Molt fist bien ce que fere dut :

povres mesaeisiez eslut

plus de cent et . LX. IX.

si les revesti tot de nuef ;

as povres clers et as provoires

dona, que droiz fu, chapes noires

et chaudes pelices desoz (v. 6475-6481)21 

 

Enfin le couronnement d'Érec et Énide par Arthur et Guenièvre à Nantes voit le triomphe du code vestimentaire.

Dans les largesses exceptionnelles d'Arthur qui surpasse Alexandre et César à cette occasion, le don de vêtements tient à nouveau une place privilégiée

 

chevax dona a chascun trois,

et robes a chascun trois peire,

por ce que sa corz mialz apeire.

Molt fu li rois puissanz et larges :

ne donna pas mantiax de sarges,

ne de conins ne de brunetes,

mes de samiz et d'erminetes,

de veir antier et de diapres,

listez d'orfrois roides et aspres (v. 6602-6610)22 

 

À nouveau, à la profusion s'ajoute la possibilité pour chacun de choisir :

 
 

Dans cette répartition des rôles par sexes, c'est à nouveau Guenièvre qui pare Énide

 

Quanque pot, d'Enide attillier

se fut la reïne penee (v. 6762-6763)24 

 

Mais cette fois-ci, par symétrie inversée avec ce qui s'était passé pour les noces, c'est la robe d'Érec qui est l'objet d'une longue description, car c'est le jeune roi qui est le principal héros de la cérémonie. Robe extraordinaire, robe merveilleuse, confectionnée par quatre fées, robe historique que Macrobe a décrite. Robe qui est un programme de sagesse, car les fées y ont représenté les quatre sciences du quadrivium : la Géométrie, l'Arithmétique, la Musique et l'Astronomie. Robe ornée d'une fourrure venue de bêtes monstrueuses de l'Inde, les berbiolettes.

 

La pane qui i fu cosue

fu d'unes contrefetes bestes

qui ont totes blondes les testes

et les cors noirs com une more,

et les dos ont vermauz desore,

les vantres noirs et la coe inde ;

itex bestes neissent en Inde,

si ont berbïoletes non,

ne manjüent se poissons non,

quenele et girofle novel (v. 6732-6741)25 

 

Robe que complète un manteau aux ferrets de pierres précieuses serties d'or.

Roi au pouvoir presque surnaturel, couronné par un autre roi, Arthur, qui a puisé dans le baiser au blanc cerf une nouvelle légitimité venue de la magie, Érec qui va, avec Énide, devenir le centre d'une autre société modèle, comparable à la cour d'Arthur, arbore – avec la couronne et le sceptre – un vêtement merveilleux qui lui donne l'investiture de la magie avant que l'évêque ne lui confère, par l'onction, l'investiture chrétienne.

*

Le code alimentaire est moins riche dans Érec et Énide. Il opère parfois en concordance avec le code vestimentaire, parfois en dehors de lui.

Chez le vavasseur il joue son rôle dans le symbolisme de rang et de situation. Le vieillard offre en effet à Érec un repas qui, pour être modeste comme il convient à sa pauvreté, n'en est pas moins représentatif de l'effort de largesse du petit noble et digne du rang de son hôte. Le seul serviteur de la maison est un bon cuisinier. A défaut de gros gibier, il apprête de la viande sous les deux formes qui conviennent, le bouilli et le rôti, et il sert des petits oiseaux26 :

 

Cil atornoit an la cuisine

por le soper char et oisiax.

De l'atorner fut molt isniax,

bien sot apareillier et tost

char cuire et an eve et an rost (v. 488-492)27 

 

Surtout le décor du repas courtois apparaît : tables, nappes et bassins :

 

Quant ot le mangier atorné

tel con l'an li ot comandé,

l'eve lor done an deus bacins ;

tables et nappes et bacins,

fu tost apareillié et mis,

et cil sont au mangier asis ;

trestot quanque mestiers lor fu

ont a lor volanté eü (v. 493-500)28 

 

L'abondance de vivres ne fait pas défaut aux noces d'Érec et Énide. Arthur sait aussi montrer sa largesse alimentaire, mais Chrétien est plus avare ici de détails que pour les vêtements, les jeux, les cortèges et les tournois.

 

Li rois Artus ne fu pas chiches :

bien comanda as penetiers

et as queuz et aus botelliers

qu'il livrassent a grant planté,

chascun selonc sa volanté,

et pain et vin et veneison ;

nus ne demanda livreison

de rien nule que que ce fust

qu'a sa volanté ne l'eüst. (v. 2006-2014)29 

 

Ici ne manquent ni la venaison ni le vin, ornements indispensables des nobles banquets.

La partie médiane du roman, celle des aventures d'Érec et Énide, voit apparaître, à quatre reprises, un code alimentaire.

Le premier est celui de la faim dans la forêt et de la rencontre courtoise.

Après le combat contre les cinq chevaliers, Érec et Énide, qui n'ont rien mangé ni bu depuis la veille, rencontrent vers midi un écuyer, accompagné de deux valets qui portaient du pain, du vin et cinq fromages gras.

Il offre cette nourriture aux deux affamés, car ce jeune noble comprend qu'il a affaire à un chevalier et à une dame :

 

De cest blanc gastel vos revest,

s'il vos plest un po a mangier.

Nel di pas por vos losangier :

li gastiax est de boen fromant

ne rien nule ne vos demant ;

boen vin ai et fromage gras,

blanche toaille et biax henas ; (v. 3140-3146)30 

 

Un pique-nique s'organise et, respectant le code nobiliaire de la table, l'écuyer sert Érec et Énide :

 

puis a devant ax estandue

la toaille sor l'erbe drue ;

le gastel et le vin lor baille

un fromage lor pere et taille ;

cil mangièrent qui fain avoient,

et del vin volontiers bevoient ;

li escuiers devant ax sert,

qui son servise pas ne pert (v. 3165-3172)31 

 

Repas de qualité (gâteau de froment, vin, fromage gras, nappe blanche, beaux hanaps, service d'écuyer), mais dans ce monde forestier où Érec et Énide sont retournés à la nature, le repas lui-même est naturel, sans être sauvage.

L'errance d'Érec et Énide est coupée par un bref séjour à la cour d'Arthur, mais les aventures ne sont pas finies. Il ne peut y avoir un repas de fête. C'est un souper du samedi soir, vigile où l'on fait maigre. Arthur et ses hôtes mangent du poisson et des fruits, mais, en ce lieu de la civilisation, Chrétien précise qu'il y a à la fois cru et cuit, poires crues et poires cuites :

 

Ce fu un samedi a nuit

qu'il mangièrent poissons et fruit,

luz et perches, saumons et truites,

et puis poires crues et cuites.

Après souper ne tardent gaire ;

comandent les napes a traire (v. 4237-4242)32 

 

La troisième occasion de parler nourriture est très particulière. Énide, qui croit Érec mort, a été mariée de force à un comte et on essaie de la faire aussi manger de force. Les gens du comte « ont amené la table devant elle » (v. 4750). Mais elle refuse de manger et de boire si Érec qu'elle voit étendu, mort croit-elle, alors qu'il n'est que dans un évanouissement prolongé, ne peut non plus manger.

 
 

Ainsi quand le couple apparaît dissous, le code alimentaire ne fonctionne plus pour celle qui reste.

Mais Érec revient à lui, tue le comte et va guérir et reprendre des forces chez son ami Guivret. La nourriture reprend avec la vie et la reconstitution du couple, mais c'est une reprise partielle, une reprise de convalescent.

Guivret invite Érec et Énide à manger du pâté froid et à boire du vin mélangé d'eau :

 

Et puis li ont un cofre overt,

s'an fist hors traire trois pastez ;

« Amis, fet il, or an tastez

un petit de ces pastez froiz

vin a eve meslé avroiz ;

j'en ai de boen set barriez pleins

mes li purs ne vos est pas sains » (v. 5104-5110)34 

 

Guivret les presse :

 

Biax dolz amis, or essaiez

a mangier, que bien vos fera ;

et ma dame aussi mangera [...]

Eschappez estes, or mangiez,

et je mangerai, biax amis (v. 5112-5119)35 

 

Énide se laisse persuader, mais Érec ne mange qu'à demi, comme un malade, et coupe d'eau son vin.

 
 

Les sœurs de Guivret soignent le blessé, lavent et pansent ses plaies. Elles le font aussi manger et boire, mais ne lui permettent qu'une alimentation de convalescent : pas d'épices.

 

Chascun jor catre foiz ou plus

le feisoient mangier et boivre,

sel gardoient d'ail et de poivre (v. 5164-5166)37 

 

Dans la troisième et dernière phase du roman, le code alimentaire reparaît, avant et après la grande aventure de la Joie de la Cour.

Le roi Évrain, sur la terre de qui a lieu l'aventure, fait d'abord fête à Érec et Énide et c'est le summum de l'alimentation aristocratique : oiseaux, venaison, fruits et vin...

 

Li rois comanda aprester

le souper, quant tans fu et ore [...]

quanque cuers et boche covoite

orent plenieremant la nuit,

oisiax et venison et fruit

et vin de diverse menière (v. 5532-5539)38 

 

Mais Érec abrège le repas, car il pense à la Joie de la Cour :

 

Molt furent servi lieemant,

tant qu'Érec estrosseemant

leissa le mangier et le boivre,

et comança a ramantoivre

ce que au cuer plus li tenoit (v. 5543-5547) 39 

 

Le combat de la Joie de la Cour est encadré par deux brèves allusions à des aliments. Dans les deux cas il s'agit d'alimentation « merveilleuse ». Comme le code vestimentaire, le code alimentaire est ici touché par la magie.

Quand Érec pénètre dans le verger magique où il va affronter la suprême épreuve, il apprend qu'il y pousse des fruits enchantés, mûrs toute l'année, mais qui ne se laissent manger qu'à l'intérieur du jardin.

 
 

Quand, à la fin du roman, Érec revêt pour son couronnement la robe extraordinaire dont j'ai parlé plus haut, Chrétien précise que les bêtes monstrueuses, les berbiolettes de l'Inde, dont la fourrure orne sa robe, « ne se nourrissent que de poisson, de cannelle et de girofle nouvelle » (v. 6740-6741).

Enfin, pour le finale du couronnement, l'apothéose du code alimentaire vient compléter l'apothéose du code vestimentaire. Après la messe du couronnement, un banquet de plus de cinq cents tables a été préparé. Il y en a cinq salles pleines. Chaque table est présidée par un roi, un duc ou un comte et cent chevaliers sont assis à chaque table. « Mille chevaliers servent le pain, mille autres le vin et mille autres les mets, vêtus de pellissons d'hermine tout frais » (v. 6872-6874). Mais au moment de décrire les mets, Chrétien tourne court et achève sur une pirouette, sur une échappatoire, le roman, laissant l'auditeur (ou le lecteur) l'eau à la bouche, mais non rassasié.

 

De mes divers don sont servi,

ne por quant se ge nel vos di,

vos savroie bien reison randre ;

mes il m'estuet a el antendre (v. 6875-6878)41 

 

Ainsi le code vestimentaire a permis de mettre en lumière certaines structures et certains moments essentiels de l'histoire d'Érec et Énide : rapports entre les époux, rites du mariage et de la mort, fonction royale, départ pour l'aventure et retour à la vie sociale. C'est une référence symbolique fondamentale.

Le rôle du code alimentaire est plus discret. Pourtant Chrétien de Troyes a su ailleurs en tirer pleinement parti, par exemple dans l'épisode de la Folie d'Yvain. Dans la régression d'Yvain à l'état sauvage, dans les rapports entre Yvain et l'ermite fonctionne à plein le système du cru et du cuit42. Pour savoir où est la règle et où est l'exception, il faudrait étendre l'enquête que j'ai ébauchée à l'ensemble de l'œuvre de Chrétien. On verrait alors si les codes vestimentaire et alimentaire y fonctionnent surtout en raison des œuvres et des situations ou selon les obsessions du poète43.


1 Monté sur un destrier, il était revêtu d'un manteau d'hermine. Il portait une cotte de diapre précieux, tissé à Constantinople, et des chausses en tissu de soie, bien faites et bien taillées. Solidement campé sur ses étriers, il avait mis des éperons d'or, mais n'avait apporté d'autre arme que son épée.

2 Le vavasseur appelle sa femme et sa fille, qui était très belle ; elles travaillaient en un ouvroir, je ne sais à quel ouvrage. La dame en sortit avec sa fille qui était vêtue d'une chemise à larges pans, fine, blanche et plissée ; elle avait passé par-dessus un chainse blanc et n'avait rien de plus en fait de vêtements. Encore le chainse était-il si usagé qu'il était troué aux coudes. Cet habillement était pauvre extérieurement, mais, par-dessous, le corps était beau.

3 On passa au cheval la selle et le mors : sans ceinture et sans manteau, la pucelle monta dessus et ne se fit pas prier.

4 Avant trois jours passés, je vous aurai envoyé en quantité or et argent, vair et gris, étoffes de soie et de grand prix pour vous vêtir, vous et votre femme qui est ma chère et douce dame.

5 Demain, aux premières lueurs de l'aube, j'emmènerai votre fille à la cour dans la robe et l'accoutrement qu'elle porte ; je veux que ma dame la reine la revête de sa robe d'apparat, qui est de soie teinte en graine.

6 « Sire, ce sera grand honte, pour vous plus que pour nul autre, si ce seigneur emmène avec lui votre nièce dans un si pauvre accoutrement. » Le comte lui répond : « Je vous prie, ma douce nièce, donnez-lui, de vos robes à vous, celle que vous tenez pour la plus belle. »

7 « Sire, ne parlez pas de cela. Sachez bien une chose : je ne voudrais pour rien au monde qu'elle reçût une autre robe tant que la reine ne lui en aura pas donné une. »

8 ... avec le blanc chainse et la chemise.

9 Ils étaient égaux et pairs en courtoisie, en beauté et en générosité. Ils se ressemblaient à tel point par la manière d'être, l'éducation et le caractère que nul homme résolu à dire la vérité n'aurait pu décider quel était le meilleur, ni le plus beau, ni le plus sage. Ils avaient même disposition d'âme et convenaient parfaitement l'un à l'autre.

10 Pas un chevalier, pas une dame qui ne mette ses atours pour faire escorte à la pucelle et au chevalier.

11 « Pauvreté lui a fait user ce blanc chainse à tel point que les deux manches sont trouées au coude. Et pourtant, s'il m'avait plu, elle n'aurait pas manqué de bonnes robes, car une pucelle, sa cousine, voulait lui donner une robe d'hermine et de soie, vaire ou grise ; mais je n'aurais accepté pour rien au monde qu'elle revêtît une autre robe avant que vous ne l'eussiez vue. Ma douce dame, pensez-y maintenant, car elle a besoin, vous le voyez bien, d'une belle robe bien seyante. »

12 ... cinq sommiers, bien reposés et gras, chargés de vêtements et d'étoffes, de bougran et d'écarlate, de marcs d'or et d'argent en plaques, de vair, de gris, de zibeline, d'étoffes de pourpre et d'osterin.

13 Ganas de Cork, un roi de fière allure, y vint avec cinq cents chevaliers, vêtus de paile et de cendal, manteaux, chausses et bliauts.

14 ... et de très beaux présents leur furent offerts : vêtements de vair et d'herminette, de connin et de violette, d'écarlate grise ou de soie.

15 Érec ne veut plus s'attarder, il ordonne à sa femme de se préparer, dès qu'il a reçu le congé du roi. Il prend pour son escorte soixante chevaliers de valeur avec des chevaux, des fourrures de vair et de gris.

16 ... mais il n'en faisait pas moins de dons à ses chevaliers, en fait d'armes, de vêtements et de deniers. Il n'y avait nulle part de tournoi qu'il ne les y envoyât, très richement habillés et équipés.

17 J'ai essayé de le montrer dans mon étude « Le Rituel symbolique de la vassalité », in Simboli e Simbologia nell' Alto Medioevo (Settimane di studio del Centro italiano di studi sull'alto Medioevo, XXIII, Spolète, 1976, pp. 679-788) repris dans Pour un autre Moyen Âge, Paris, 1977, pp. 349-420, notamment pp. 365-384.

18 Sortez de ce lit, revêtez la plus belle de vos robes et faites mettre votre selle sur votre meilleur palefroi.

19 Quand il put aller et venir, Guivret fit faire deux robes, l'une doublée d'hermine, l'autre de petit vair : elles étaient de deux étoffes de soie différentes. L'une était en osterin pers, l'autre en bofu rayé, qu'une sienne cousine lui avait envoyé d'Écosse comme présent. Énide reçut la robe d'osterin précieux doublé d'hermine, Érec eut le vêtement de bofu doublé de vair, qui n'était pas de moindre valeur.

20 Ils vont aux hôtels, se mettent à l'aise, se dévêtissent, puis s'habillent et se parent de leurs plus belles robes. Quand ils sont bien préparés, ils repartent pour la cour.

21 Il fit très bien ce qu'il devait faire : il choisit plus de cent soixante-neuf pauvres dans la détresse et les revêtit tout de neuf ; aux pauvres clercs et aux prêtres, il donna, comme il était juste, chapes noires et chaudes pelisses de dessous.

22 ... il donna à chacun trois chevaux et trois paires de robes, afin que sa cour fût plus brillante. Le roi était très puissant et généreux : il ne donna pas de manteaux de serge, ni de fourrure de lapin, ni de brunette, mais de samit et d'hermine, de vair d'une seule pièce et de diapre, bordés d'orfrois roides et durs.

23 Les manteaux étaient étendus, à l'abandon, à travers toutes les salles ; tous furent tirés hors des malles et en prit qui voulut, sans nul empêchement.

24 La reine avait pris la peine de parer Énide de son mieux.

25 La fourrure qui y avait été cousue venait de bêtes monstrueuses qui ont la tête toute blonde et le corps noir comme mûre, le dos vermeil sur le dessus, le ventre noir et la queue d'un bleu foncé ; ces bêtes-là naissent dans l'Inde et se nomment berbiolettes, elles ne se nourrissent que de poissons, de cannelle et de girofle nouvelle.

26 Je préfère ici – exceptionnellement – garder oisiax du texte et ne pas interpréter par « volailles ». Il n'est pas exclu qu'il s'agisse de gibier à plumes, plus digne de la noblesse, mais la pauvreté du vavasseur peut aussi, il est vrai, expliquer de simples volailles. Cf. le vers 5538.

27 Le serviteur préparait dans la cuisine de la viande et des volailles pour le souper. Il eut vite fait d'apprêter le repas ; il savait bien accommoder et prestement cuire la viande, soit en bouilli, soit en rôti.

28 Quand le repas fut préparé comme on le lui avait commandé, il leur présenta de l'eau en deux bassins ; il eut bientôt fait d'apprêter et de mettre les tables, les nappes et les bassins. Ils se mirent à table : de tout ce qu'il leur fallait, ils eurent à volonté.

29 Le roi Arthur n'était pas chiche. Il commanda aux panetiers, aux cuisiniers et aux bouteillers de distribuer en abondance, à chacun selon sa volonté, pain, vin et venaison. Nul ne demanda de quoi que ce fût sans en recevoir à discrétion.

30 Je vous fais don de ce blanc gâteau, s'il vous plaît de manger un peu. Je ne le dis pas pour gagner vos bonnes grâces : le gâteau est de bon froment, mais je ne vous demande rien. J'ai bon vin et fromages gras, blanche serviette et beaux hanaps.

31 Il étend devant eux la nappe sur l'herbe drue ; il leur donne le gâteau et le vin, leur prépare et coupe un fromage. Eux mangent de grand appétit et boivent volontiers du vin. L'écuyer qui leur fait le service ne perd pas sa peine.

32 C'était un samedi soir : ils mangèrent du poisson et des fruits, brochets et perches, saumons et truites, et puis poires crues et cuites. Ils ne s'attardèrent pas après souper : ils commandèrent d'enlever les nappes.

33 Sire, tant que je vivrai, je ne veux ni manger ni boire, si je ne vois pas d'abord manger mon seigneur qui est étendu sur cette table ronde.

34 Puis on ouvre un coffre et Guivret en fait tirer trois pâtés : « Ami, fait-il, tâtez-moi un peu maintenant de ces pâtés froids. Vous boirez du vin coupé d'eau : j'en ai du bon, sept barils pleins, mais le vin pur ne vous serait pas profitable... .

35 Beau doux ami, essayez donc de manger, cela vous fera du bien ; et ma dame, votre femme, mangera aussi, [...] mais vous vous en êtes bien tirés. Vous voici hors de péril : mangez donc, beaux amis, et je mangerai avec vous.

36 ... tous les deux engagent Érec à manger, ils lui donnent à boire du vin et de l'eau, le vin pur étant trop fort pour lui.

37 Quatre fois par jour ou davantage, elles le faisaient manger et boire, mais elles ne lui permettaient ni ail ni poivre.

38 Le roi commanda d'apprêter le souper lorsqu'il en fut temps et heure. [...] Tout ce que le cœur et la bouche peuvent désirer, ils l'eurent en abondance cette nuit-là : de la venaison, du fruit et du vin de divers crus.

39 ... mais par-dessus tout, un bel accueil ; car de tous les mets, le plus agréable est un bel accueil et un beau visage. Ils furent servis très joyeusement jusqu'au moment où Érec laissa soudain le manger et le boire et se mit à faire mention de ce qui lui tenait le plus à cœur.

40 Tout l'été et tout l'hiver, il y avait des fleurs et des fruits mûrs. Les fruits étaient soumis à un enchantement tel qu'ils se laissaient manger à l'intérieur du jardin, mais qu'ils ne se laissaient pas emporter dehors : celui qui aurait voulu en emporter un n'aurait jamais su comment s'en retourner, car il n'aurait pu trouver l'issue avant d'avoir remis le fruit à sa place.

41 Quant aux divers mets qui furent servis, si je ne vous les énumère pas, je saurais cependant vous en rendre compte, mais il me faut m'appliquer à une autre besogne.

42 Voir J. LE GOFF et P. VIDAL-NAQUET, « Lévi-Strauss en Brocéliande », ci-dessus, pp. 151-187.

43 On n'a pas suffisamment remarqué, me semble-t-il, qu'un poème médiéval célèbre, Les Vers de la mort du cistercien Hélinand de Froimont, a curieusement l'alimentation pour principale référence.