Première parution en anglais, « Is Politics still the backbone of History ? », Daedalus, hiver 1971, pp. 1-19, repris dans Historical Studies Today, éd. F. Gilbert et S. Graubard, New York, W.W. Norton and Co., 1972, pp. 337-355.

L'histoire politique

est-elle toujours l'épine dorsale

de l'histoire ?

Pour un historien formé au sein de ce qu'on a appelé – à tort ou à raison – l'« école des Annales », le titre même donné à la réflexion qui va suivre peut paraître étrange.

N'a-t-il pas, en effet, été élevé dans l'idée que l'histoire politique était désuète et dépassée ? Marc Bloch et Lucien Febvre l'avaient dit, écrit, répété. Et ils avaient invoqué la caution des grands précurseurs de l'histoire « moderne » : le Voltaire de l'Essai sur les mœurs et l'esprit des nations : « Il semble que depuis quatorze cents ans, il n'y ait eu dans les Gaules que des rois, des ministres et des généraux »1, le Michelet qui écrivait en 1857 à Sainte-Beuve : « Si je n'avais fait entrer dans la narration que l'histoire politique, si je n'avais point tenu compte des éléments divers de l'histoire (religion, droit, géographie, littérature, art, etc.) mon allure eût été tout autre. Mais il fallait un grand mouvement vital, parce que tous ces éléments divers gravitaient ensemble dans l'unité du réct2. » Ce même Michelet qui, parlant de son Histoire de France, disait aussi : « Ici encore, je suis obligé de le dire, j'étais seul. On ne donnait guère que l'histoire politique, les actes du gouvernement, quelque peu des institutions. On ne tenait nul compte de ce qui accompagne, explique, fonde en partie cette histoire politique, les circonstances sociales, économiques, industrielles, celles de la littérature et de l'idée3. »

Dans le même temps, un marxisme dogmatique qui avait fini par imprégner la majorité des historiens – qu'ils en fussent ou non conscients et que ce fût pour le suivre plus ou moins rigidement ou pour le contester plus ou moins ouvertement – avait, selon une lecture peut-être trop rapide de Marx, rangé le politique parmi les superstructures et considéré l'histoire politique comme un épiphénomène de l'histoire des rapports de production. On se rappelle le passage célèbre de la préface de la Contribution à la critique de l'économie politique : « L'ensemble de ces rapports de production constitue la structure économique de la société, la base concrète sur laquelle s'élève une superstructure juridique et politique, à laquelle correspondent des formes de conscience sociale déterminées. Le mode de production de la vie matérielle conditionne le processus de vie sociale, politique et intellectuelle en général4. » Sans voir dans la position de Marx à l'égard du politique et de la politique le pessimisme radical que certaines interprétations, en général malveillantes5, veulent y trouver, il est clair qu'une conception marxienne comme le dépérissement de l'État n'est pas de nature à valoriser ce qui touche au politique, y compris l'histoire politique.

Conception d'historien abusé par une tradition spécifiquement française et l'illusion de l'influence marxiste ? Assurément non. Des Français ont compté parmi les plus tenaces partisans de l'histoire politique6 et un Johan Huizinga, qui n'était ni français ni, de loin, marxiste, a incarné, dans la courbe de sa production historique, cet éloignement de l'histoire politique, à laquelle il ne reconnaissait plus qu'une primauté déclinante fondée surtout sur sa facilité et sa clarté7 vers une autre forme d'histoire. Ses goûts ne le portant pas vers l'histoire économique et sociale dont il notait l'irrésistible ascension8, c'est à la constitution d'une histoire culturelle scientifique qu'il consacre bientôt l'essentiel de son activité historique.

Économie, société, culture, tels sont depuis un demi-siècle environ les domaines qui semblent accaparer l'attention des historiens, tandis que l'histoire politique, dédaignée ou humiliée, paraît même entraînée dans les incertitudes épistémologiques où certains courants sociologiques veulent dissoudre la politique et le politique. Dans des essais récents, pour s'en tenir à deux chefs de file de la sociologie française actuelle, Alain Touraine souligne la « double fragilité » de l'analyse politique dans les sciences sociales9  tandis qu'Edgar Morin constate la « crise de la politique » dont le champ est envahi de partout par les techniques et les sciences10. Cette « politique en miettes » entraînerait-elle dans son atomisation une histoire politique par ailleurs refoulée sur des positions inconfortables dans le champ même de la science historique ?

Pour mieux comprendre ce recul de l'histoire politique au XXe siècle, il faudrait analyser les bases de sa fortune antérieure.

Elle était sans doute liée aux formes dominantes que la société d'Ancien Régime puis celle issue de la Révolution française avaient prises entre le XIVe et le XXe siècle. La montée de l'État monarchique, du Prince et de ses serviteurs avait fait paraître sur le devant de la scène historique ce théâtre d'ombres, ces marionnettes de cour et de gouvernement qui éblouissaient les historiens autant que le vulgaire. Un aristotélisme mis à diverses sauces introduisait, depuis surtout le XIIIe siècle et Thomas d'Aquin, un vocabulaire et des concepts aptes à représenter les nouvelles réalités. Le triomphe du politique et de l'histoire politique est lent. L'Italie, sous l'influence stimulante de l'évolution des « signorie », les adopte assez tôt. En France, malgré une poussée sous Charles V, le roi aristotélicien, qui fait, entre autres, traduire en français la Politique, en même temps que l'Économique et l'Éthique par Nicole Oresme (1369, 1374), il faut attendre le XVIIe siècle pour que le substantif « politique » devienne d'usage courant et consolide la place que s'était assurée dès le XVIe siècle l'adjectif. Il est probable d'ailleurs que le mot profite de la promotion de toute la famille des dérivés de polis qui, tout comme ceux d'urbs (urbain, urbanité, urbanisme), occupent le champ sémantique de la civilisation : police (qui ne donnera policé qu'au XIXe siècle) d'où l'on rapproche peut-être politesse qui apparaît au XVIIe siècle. Le domaine du politique, de la politique, des politiques est donc celui de l'élite. L'histoire politique y trouve sa décoration, sa noblesse. Elle participe au style aristocratique. D'où le dessein contestataire de Voltaire qui veut écrire « au lieu de l'histoire des rois et des cours l'histoire des hommes ». L'histoire philosophique semble devoir chasser l'histoire politique. Elle compose pourtant le plus souvent avec elle. Ainsi, l'abbé Raynal écrit en 1770 son Histoire philosophique et politique des établissements et du commerce des Européens dans les deux Indes11.

La Révolution de 1789 qui, au cours du XIXe siècle, donne finalement le pouvoir politique à la bourgeoisie, ne détruira pas les privilèges de l'histoire politique. Le romantisme secouera, sans l'abattre, la primauté de l'histoire politique. Chateaubriand, qui sait reconnaître – tout en la refusant – la modernité en histoire comme en politique et en idéologie, reste un isolé12. Guizot, plus qu'Augustin Thierry, engage l'histoire plus avant dans la voie de l'histoire de la civilisation13, mais tous deux, surtout préoccupés de mettre en valeur l'ascension de la bourgeoisie dans l'histoire, restent empêtrés dans l'histoire politique. D'ailleurs les « bourgeois conquérants », plus encore qu'ils ne confisquent à leur profit la dignité de l'histoire politique, continuent à savourer les délices d'un modèle monarchique et aristocratique de l'histoire : retard culturel d'une classe parvenue, goûts traditionnels des nouveaux riches. Michelet est un sommet solitaire.

Pour s'en tenir au cas français, il faut attendre l'orée du XXe siècle pour que l'histoire politique recule, puis cède sous les coups d'une nouvelle histoire épaulée par les nouvelles sciences sociales : la géographie et surtout l'économie et la sociologie. Vidal de La Blache, François Simiand, Durkheim sont, consciemment ou non, les parrains de l'histoire nouvelle dont les pères sont Henri Berr avec sa Revue de synthèse historique (1901) et, décisivement, Marc Bloch et Lucien Febvre avec les Annales d'histoire économique et sociale.

Raymond Aron a montré, à propos de Thucydide, comment l'histoire politique est intimement liée au récit et à l'événement14. Or voilà la trilogie abominée par l'« école » des Annales : l'histoire politique, l'histoire récit, l'histoire événementielle. Tout cela c'est l'histoire « historisante », histoire à peu de frais, histoire de la surface, histoire qui lâche la proie pour l'ombre. À la place, il faut promouvoir une histoire des profondeurs, économique, sociale, mentale. Dans le plus grand livre qu'ait produit l'« école » des Annales, La Méditerranée et le monde méditerranéen à l'époque de Philippe II de Fernand Braudel (1959), l'histoire est reléguée dans une troisième partie qui, loin d'être le couronnement de l'œuvre, en est, je dirais presque, le débarras. D'« épine dorsale » de l'histoire, l'histoire politique en est devenue un appendice atrophié. C'est le croupion de l'histoire.

Pourtant, au même contact des sciences sociales qui l'avaient refoulée à l'arrière-plan de la recherche historique, l'histoire politique allait peu à peu, en leur empruntant problématique, méthodes, esprit, revenir en force dans le champ de l'histoire. C'est cette remontée récente d'une histoire politique métamorphosée que nous tenterons d'esquisser en prenant pour exemple l'histoire médiévale15. Le premier et principal apport de la sociologie et de l'anthropologie à l'histoire politique est de lui avoir fourni comme concept central et but essentiel d'étude la notion de pouvoir et les réalités qu'elle recouvre. Notion et réalités qui conviennent à toutes les sociétés, à toutes les civilisations, comme Raymond Aron l'a noté : « Le problème du Pouvoir est éternel, que l'on retourne la terre avec la pioche ou le bulldozer16. » Notons à ce sujet que les analyses des historiens politiques en termes de pouvoir débordent et doivent avantageusement déborder les analyses en termes d'État et de nation, qu'il s'agisse d'analyses traditionnelles ou de recherches soucieuses de renouveler la question17. Remarquons aussi que le marxisme-léninisme, qu'on a pu accuser de montrer peu d'intérêt pour l'histoire politique et la réflexion sur le politique en général, ne s'est longtemps intéressé dans ce domaine que précisément à l'État ou à la nation18. Dernière remarque, enfin : là où politique évoquait l'idée de surface et de superficiel, pouvoir suggère la notion de centre et de profond. L'histoire en surface ayant cessé de séduire au profit de l'histoire des profondeurs, l'histoire politique en tant qu'histoire du pouvoir récupère une dignité verbale qui renvoie à une évolution de mentalité. C'est ce qu'avait pressenti Marc Bloch qui, peu avant sa mort, écrivait : « Il y aurait beaucoup à dire sur ce mot de “politique”. Pourquoi en faire, fatalement, le synonyme de superficiel ? Une histoire centrée, comme il est parfaitement légitime, sur l'évolution des modes de gouvernement et le destin des groupes gouvernés ne devrait-elle pas, au contraire, pour répondre pleinement à sa mission, s'attacher à comprendre, par le dedans, les faits qu'elle a choisis comme les objets propres de ses observations19 ? »

Pourtant, cette histoire des profondeurs politiques est d'abord partie de l'extérieur, des signes, des symboles du pouvoir.

Ici émerge l'œuvre de P.E. Schramm. Dans de nombreuses études dont le point culminant est l'imposante synthèse Herrschaftszeichen und Staatssymbolik20, il a démontré que les objets qui étaient les signes caractéristiques des détenteurs du pouvoir au Moyen Âge : couronne, trône, sceptre, globe, main de justice, etc., ne devaient pas être étudiés en eux-mêmes, mais devaient être replacés dans les attitudes et les cérémonies où ils apparaissaient, et surtout éclairés dans la perspective du symbolisme politique où ils trouvaient leur véritable signification21.

Symbolisme profondément ancré dans une sémiologie religieuse qui faisait du politique une province du sacré. De tous ces signes-insignes, un se prêtait plus particulièrement à de larges développements touchant d'un côté à l'essence même de la symbolique politico-religieuse, de l'autre aux institutions où elle s'était historiquement incarnée : la couronne. De l'objet matériel au royaume concret ou à la monarchie abstraite en passant par les rites du couronnement se déployait autour de la couronne tout le paysage de la politique médiévale – reliée aux héritages royaux de l'Antiquité et aux prolongements monarchiques de l'âge moderne. Un volume collectif rassembla ce panorama politique pour la fin du Moyen Âge : Corona Regni, Studien über die Krone als Symbol des Staates im späten Mittelalter22.

Georges Duby rappelait encore récemment, à propos de la couronne d'épines que Saint Louis fit placer dans la Sainte-Chapelle du Palais royal de Paris, ce symbolisme plurivalent de la couronne au Moyen Âge23.

Évoquons tout de suite un problème de méthode. Cet appel aux objets « politiques » ne tient-il pas à l'époque ? N'est-ce pas parce que dans le haut Moyen Âge (early Middle Age) les textes sont relativement rares ? Et n'y a-t-il donc pas là plutôt une méthode de fortune qu'une problématique vraiment nouvelle et de portée générale ?

Assez curieusement, les historiens qui se sont le plus intéressés à ces aspects de la symbolique politique médiévale semblent accepter ces objections et minimiser la portée de leur démarche. Ainsi P.E. Schramm : « La recherche sur les insignes du pouvoir doit être complétée par une recherche sur le symbolisme du pouvoir en général. Cela signifie que la recherche historique, qui s'est d'abord appuyée sur les chroniques, puis est devenue plus précise grâce à l'utilisation de documents, lettres, actes, etc., a encore beaucoup de chemin à parcourir pour parvenir à un développement systématique. Il y a plus d'objets et de documents disponibles qu'on ne s'y attendait, et il y a eu aussi des progrès pour parvenir à une méthode critique adéquate. Ainsi le tableau qui existe déjà peut être complété et enrichi. Car les insignes utilisés par celui qui gouverne parlent plus de ses espérances et de ses revendications, et le disent plus précisément que n'importe quel autre document accessible. Ceci s'applique spécialement aux siècles pour lesquels les sources écrites sont très limitées24. »

De même Robert Folz qui, par-delà les différences de la documentation, croit saisir des réalités elles-mêmes diverses : « Actes de chancellerie, représentations figurées, rites liturgiques, signes extérieurs (vêtements et emblèmes), tels sont, avec certains textes narratifs, nos moyens d'information essentiels pour la première partie du Moyen Âge, où le symbole l'emporte nettement sur la théorie dans l'expression des formes politiques. À partir du XIIe siècle, commence, avec le renouveau des études juridiques, la part toujours croissante, dans notre documentation, de l'argumentation et de la controverse25. »

Mais, comme toutes les autres branches de l'histoire, l'histoire politique nouvelle doit abandonner le préjugé qu'il faut se tourner vers les documents non écrits, faute de mieux, c'est-à-dire de textes. Il faut faire l'histoire avec tous les documents, en demandant à chacun ce qu'il peut donner et en établissant une hiérarchie dans leur témoignage en fonction du système de valeurs de l'époque et non des préférences de l'historien – ce qui n'empêche pas, bien entendu, celui-ci de traiter ensuite les données du passé selon les exigences et l'outillage de la science d'aujourd'hui. À toutes les époques, il y a un cérémonial politique chargé de sens qu'il appartient à l'historien de déceler et qui constitue l'un des aspects les plus importants de l'histoire politique.

Un des plus importants résultats de cette orientation récente de l'histoire politique vers la symbolique et le rituel a été de revaloriser l'importance de la royauté dans le système politique de la féodalité. Jusqu'alors, l'opinion régnante était que l'institution monarchique et le système féodal étaient antithétiques et c'est du dépérissement de la féodalité que surgissait à la fin du Moyen Âge le pouvoir monarchique en marche vers l'absolutisme. Tandis que Charlemagne, en favorisant l'extension du fief, suscitait sans s'en apercevoir la force qui allait dissoudre la puissance publique qu'il s'était efforcé de reconstituer et asservir le pouvoir royal qu'il avait cru mettre au-dessus de toute atteinte en l'exaltant par la dignité impériale. Vision reconnue fausse aujourd'hui aux deux extrémités et qui ne savait pas se détacher des vains prestiges de l'État pour s'attacher à la recherche et à l'étude du pouvoir. Au contraire, dans les perspectives nouvelles, la royauté du haut Moyen Âge et spécialement de l'époque carolingienne ressaisissait tout son sens en dehors d'une conception anachronique de l'État et le roi féodal acquérait sa puissance non plus en dépit du système féodal mais à l'intérieur même de ce système26.

C'est par les méthodes de l'histoire comparée empruntées à l'anthropologie et à l'histoire des religions que la royauté médiévale trouvait une nouvelle signification et que l'histoire politique du Moyen Âge en était bouleversée. Des ouvrages collectifs consacraient cette mutation. Certes, lors du XIIIe Congrès international d'histoire des religions à Rome en 1955 dont le thème central fut : Le roi-dieu et le caractère sacré de la souveraineté27 et dans le volume offert peu après à Raffaelle Pettazzoni : The Sacral Kingship – La Regalità Sacra, la part de l'Occident médiéval fut assez mince28. En revanche, c'est à la royauté médiévale que l'« Arbeitskreis für mittelalterliche Geschichte » de Constance, animé par Theodor Mayer, consacrait quelques années plus tard un volume de ses Vorträge und Forschungen. Cependant, parallèlement à l'œuvre de Schramm, s'édifiait celle de Ernst H. Kantorowicz qui, après avoir campé la figure du plus grand souverain du Moyen Âge, Frédéric II29, étudiait à travers les acclamations liturgiques des cérémonies le culte médiéval des souverains30 et couronnait ses recherches par ce chef-d'œuvre, The King's Two Bodies (1957), où il replaçait dans son « general historical background » une conception de théologie politique du Moyen Âge qui fournit une des clés essentielles de compréhension de cette époque31.

Telle fut, dans le domaine de l'histoire médiévale, la fécondité du sillon tracé par Sir James George Frazer dont les études sur les origines magiques de la royauté32 sont sans doute à l'origine des recherches des historiens sur la royauté médiévale, qu'ils en aient été ou non conscients, qu'ils l'aient avoué ou non. Un historien ne s'en cacha pas, qui n'était d'ailleurs pas toujours d'accord avec Frazer et qui poursuivit son enquête selon des méthodes proprement historiques. Ce fut Marc Bloch dont l'ouvrage pionnier, paru en 1924, Les Rois thaumaturges, reste aujourd'hui d'avant-garde et mérite donc une place à part. C'est qu'en effet Marc Bloch, dans ce grand livre, ne se contente pas de décrire les manifestations du pouvoir thaumaturgique attribué aux rois de France et d'Angleterre, d'en suivre l'histoire de sa naissance à sa disparition et d'en expliquer la doctrine. Il cherche à atteindre les ressorts de la psychologie collective mis en œuvre par cette croyance, il en étudie la « popularité » (chap. I du livre II) et tente d'expliquer « comment on a cru au miracle royal » (pp. 420-430). Bref, il esquisse un modèle d'étude des mentalités politiques dont, en l'occurrence, il ne fait qu'un cas particulier, original par son seul objet, des formes générales de mentalité et de sensibilité. Mais en ce domaine essentiel de l'histoire des mentalités, encore en friche, tout ou presque reste à faire en ce qui concerne les mentalités politiques. Certes, on ne peut songer à appliquer aux hommes du Moyen Âge les méthodes de sondage d'opinion publique propres aujourd'hui à alimenter des études de mentalités politiques contemporaines. Mais une problématique de l'histoire de l'opinion publique du Moyen Âge est, entre autres, susceptible d'être mise au point33.

On peut ici noter que l'histoire politique et les sciences qui ont influencé sa mutation récente sont parfois allées l'une au-devant de l'autre en des démarches symétriques. Ainsi, comme on l'a vu, l'histoire politique médiévale se transformait et s'enrichissait en adoptant – pour l'étude de la royauté – des méthodes empruntées à l'anthropologie. La royauté médiévale s'éclairait dans la lumière comparatiste de l'étude des royautés archaïques ou « primitives ». L'histoire politique médiévale semblait ainsi se soustraire aux remous de surface de l'histoire événementielle pour s'enfoncer dans les zones de diachronie plate des sociétés proto- ou parahistoriques.

Cependant, l'anthropologie de son côté s'ouvrait à des perspectives « historiques » et tout un champ de son domaine attirait de plus en plus l'attention des savants et des chercheurs : l'anthropologie politique34. Celle-ci, en reconnaissant dans les sociétés dites « sans histoire » des structures de déséquilibre et de conflit, construisait des problématiques d'une histoire politique de ces sociétés. Elle mettait ainsi en évidence le fait qu'une histoire sociale dynamique n'est pas incompatible avec une vision anthropologique des sociétés et des civilisations et que l'histoire politique, en se tournant vers l'anthropologie, n'en perdait pas forcément son dynamisme et pouvait même y retrouver les schémas, marxistes ou non, de lutte des classes35. D'ailleurs le vocabulaire et les mentalités médiévales invitent à poser en termes partiellement politiques les structures et les comportements sociaux. La couche supérieure de la société est souvent désignée dans les textes médiévaux par le terme de potentes, de puissants (auxquels s'opposent en général des pauvres, pauperes) ou de superiores qu'affrontent des inferiores36.

Ainsi se trouvent légitimées les recherches qui, dans les divers secteurs de l'histoire médiévale, reconnaissent dans les phénomènes fondamentaux une dimension politique, au sens de relation avec le pouvoir.

Le plus éclatant exemple en est la théorie suivant laquelle, à des dates variables, mais en général vers l'an Mil, les seigneuries foncières fondées sur les redevances pesant sur la terre et son exploitation économique, cèdent de plus en plus la place à des seigneuries fondées sur les pouvoirs de commandement, de réglementation et de justice des seigneurs, les seigneuries banales, du nom de ce pouvoir, le ban. Ainsi c'est toute la structure féodale dans ses bases qui reçoit une coloration en définitive politique37. Cette conception de la féodalité, qui n'est pas exclusive d'ailleurs, d'une explication, en dernière analyse, par les rapports de production, a le mérite de souligner l'importance des relais « politiques » au sens large dans le fonctionnement du système féodal et le poids des formes politiques dans la dynamique historique.

On peut retrouver cette perspective « politique » dans l'histoire culturelle. L'instruction est un pouvoir et un instrument de pouvoir. Le fossé entre les litterati et les illitterati qui passe pendant longtemps entre les clercs et les laïcs, que ceux-ci soient ou non puissants par ailleurs, montre que les clivages sociaux se font selon différentes lignes de possession ou de privation de différentes formes de pouvoir, de participation ou de non-participation à ces formes diverses. Par exemple, dans le cas des universitaires, un double rapport avec le pouvoir se dessine à partir du XIIIe siècle. D'une part, le monde universitaire tend à se constituer en forme de pouvoir suprême, à côté du pouvoir ecclésial et du pouvoir royal : Studium à côté de Sacerdotium et de Regnum38. Tous ceux donc qui bénéficient des privilèges du Studium participent de son pouvoir. D'autre part, le résultat – ou le but – des études et des titres universitaires devient l'occupation dans la société laïque ou ecclésiastique d'une fonction, d'un poste, qui donnent une participation au pouvoir39. La réalisation souhaitable, malgré ses difficultés, d'une prosopographie des universitaires médiévaux40 permettrait de mesurer l'impact du groupe universitaire sur la direction de la société médiévale. Elle mettrait sans aucun doute en relief son caractère et son rôle d'une power elite, pour reprendre l'expression bien connue de C. Wright Mills.

Dans cette direction, l'histoire politique médiévale s'éclairerait aussi sans doute par l'étude de l'emploi, au Moyen Âge, du schéma dumézilien des sociétés indo-européennes. On sait que depuis la fin du XIXe siècle, le schéma est utilisé et prend au XIe siècle la forme stéréotypée : oratores, bellatores, laboratores. Comment et pourquoi ont réapparu ces conceptions et quelle efficacité mentale, intellectuelle, politique elles ont eue, voilà qui permettrait sans doute de mieux repérer les différents aspects du pouvoir au Moyen Âge, leurs structures, leurs relations, leurs fonctionnements. On y retrouverait selon nous une des bases idéologiques du pouvoir royal, subsumant et arbitrant les trois fonctions41.

Il n'est pas jusqu'au domaine de l'art qui s'éclairerait par l'utilisation d'une analyse « politique » au sens large. Il ne s'agirait pas seulement de mesurer le poids des « commandes » sur les formes, les contenus et l'évolution de l'art42. Il s'agirait surtout d'analyser en quoi le pouvoir des œuvres d'art s'ordonne au pouvoir en général. Il me semble qu'Erwin Panofsky a amorcé une démarche de ce genre en rattachant par la notion plurivalente d'ordre (et de hiérarchie) le style gothique à la démarche scolastique et tous deux à un ordre socio-politique incarné en Île-de-France autour de 1200 par la monarchie capétienne43.

Surtout Pierre Francastel, dans Peinture et Société. Naissance et Destruction d'un espace plastique. De la Renaissance au cubisme (1951), a montré non seulement que des politiques, les Médicis à Florence, le patriciat à Venise, ont compris « la puissance des images figuratives de l'espace » et en ont fait des instruments de leur politique44 (« la Vénus de Botticelli explicite une politique »), mais que la nouvelle représentation de l'espace par la perspective est liée à une révolution mentale, à une pensée mythique soumise « à la politique économique et sociale du don ».

Dans le domaine de l'histoire religieuse, on peut donner en exemple les liens profonds entre mouvements hérétiques et partis politiques – recherche à peine amorcée45.

On pourrait également – au sein d'un complexe géographico-sociologico-culturel – s'inspirer des nombreuses études de sociologie urbaine contemporaine46 pour retrouver dans les villes, et plus spécialement dans l'urbanisme médiéval, à la fois une expression et un moyen du pouvoir urbain et de ses détenteurs. W. Braunfels l'a ébauché pour les villes de Toscane47.

Enfin, on voit s'esquisser – et on souhaiterait voir se hiérarchiser davantage – une histoire politique différentielle, à divers niveaux, en fonction de ce que Fernand Braudel a appelé « les temps de l'histoire »48. Dans le temps court une histoire politique traditionnelle, narrative, événementielle, mouvementée mais soucieuse de préparer une autre approche plus profonde : jalonnée d'évaluations quantitatives, amorçant des analyses sociales, documentant une étude future des mentalités. Dans le temps étalé d'une conjoncture à bâtir sur le modèle des mouvements de longue durée définis par François Simiand, une histoire des phases de l'histoire politique où demeurerait sans doute prépondérante, comme le veut Fernand Braudel, une histoire « sociale » au sens large – une histoire politique, donc à prédominance sociologique. Entre les deux types d'histoire, comme dans le domaine de l'histoire économique, un secteur commun s'attacherait plus particulièrement à l'étude des rapports entre le trend politique séculaire et les mouvements cycliques courts et les pointes ou creux événementiels : le secteur de l'histoire des crises, révélatrices des structures et de leur dynamisme mis à nu par l'effervescence événementielle. Enfin une histoire politique qui serait « presque immobile » si, comme l'anthropologie politique l'a révélé, elle n'était liée à la structure essentiellement conflictuelle et donc dynamique des sociétés – une histoire politique des structures de longue durée, englobant à la fois la partie valable et vivante de la géopolitique et les analyses conduites selon des modèles anthropologiques. A chaque niveau une attention particulière serait accordée à l'étude des divers systèmes sémiologiques du politique : vocabulaire, rites, comportements, mentalités.

Ainsi, si l'on peut constater, comme nous l'avons fait au début de cet essai, une certaine crise, aujourd'hui, de ce qui touche au politique, il reste que la montée des perspectives politiques dans les sciences humaines demeure un phénomène massif. Non seulement une science nouvelle, la politicologie, apporte ses concepts, son vocabulaire, ses méthodes mais, après la géopolitique, partiellement discréditée mais toujours vivante, la sociologie politique et, on l'a vu, l'anthropologie politique viennent épauler et irriguer l'histoire politique.

Histoire politique nouvelle, avons-nous dit, qui ne ressemble plus à l'ancienne. Dédiée aux structures, à l'analyse sociale, à la sémiologie, à la recherche du pouvoir. Tableau assurément trop optimiste. Bien que nous ayons ici et là indiqué que dans telle ou telle direction beaucoup et parfois tout restait à accomplir, l'histoire politique rénovée que nous avons tenté de décrire est encore en grande partie optative.

Il y a pis. Face à cette histoire plus à faire que faite, l'histoire politique traditionnelle est un cadavre qu'il faut encore tuer. Certes, une grammaire de l'histoire politique est et demeurera toujours non seulement utile mais nécessaire. La chronologie des événements politiques, la biographie des hommes politiques sont indispensables. Et malgré les progrès de la démocratie, l'histoire politique sera toujours, non pas exclusivement mais aussi, une histoire de grands. Au reste, nous savons mieux aujourd'hui, grâce précisément à la politicologie et à la sociologie, ce qu'est un événement et quel est le conditionnement sociologique d'un grand homme.

Mais le danger demeure que l'histoire politique, confinée sous sa forme vulgaire à un niveau de publications – livres, revues de vulgarisation – où elle pullule, envahisse à nouveau l'histoire scientifique. Que d'historiens de l'économie ou de la culture se contentent de faire une histoire politique de l'économie ou de la culture, c'est-à-dire une histoire de la politique économique ou de la politique culturelle. La raison est toujours celle que dénonçait Lucien Febvre quand il pourfendait l'histoire « historisante » : cette histoire « demande peu. Très peu, trop peu »49. Et elle semble toujours prête à se contenter de demi-mesures : acceptant de s'élever du niveau des événements et des grands hommes (toujours prêts, les uns et les autres, à rentrer par la petite porte dans l'histoire politique) à celui des institutions et des milieux, elle s'arrête volontiers à des conceptions dépassées de l'État ou du gouvernement. Elle se défend mal contre les conceptions étroitement juridiques – le droit, espoir de l'humanité et crainte de l'historien ! Elle se perd volontiers dans l'histoire des idées et de la pensée politique cumulant une double superficialité, celle de la politique et celle des idées. Même de bonne volonté, elle reste la plus fragile des histoires, la plus sujette à succomber aux vieux démons.

Nous permettra-t-on de conclure sur une évidence qu'il faut peut-être rappeler ? Toute rénovée qu'elle soit, l'histoire politique régénérée par les autres sciences humaines ne peut prétendre à l'autonomie. À l'heure du pluridisciplinaire, le cloisonnement à l'intérieur d'une même science est particulièrement insoutenable. Le mot de Lucien Febvre, cofondateur des Annales d'histoire économique et sociale : « Il n'y a pas d'histoire économique et sociale. Il y a l'histoire tout court, dans son unité »50, est plus vrai que jamais. Il reste que les modèles de l'histoire générale nouvelle doivent faire à la dimension politique la place essentielle qu'occupe dans les sociétés le phénomène du pouvoir – incarnation épistémologique actuelle du politique. Pour employer une métaphore de notre époque qui n'est plus celle de l'anatomie mais de l'atome, non plus « épine dorsale » mais « noyau » de l'histoire.


1 Cité par M. BLOCH, Apologie pour l'histoire ou métier d'historien, 4e éd., 1961, p. 90.

2 Ibid, p. 78.

3 Cité par Ph. WOLFF, « L'étude des économies et des sociétés avant l'ère statistique », in L'Histoire et ses méthodes, éd. Ch. Samaran, Bibl. de la Pléiade, Paris, 1961, p. 847.

4 Dans l'intéressant volume Le Féodalisme, numéro spécial de Recherches internationales à la lumière du marxisme, no 37, juin 1963, les éditeurs écrivent par exemple dans la présentation (p. 4) : « Nous avons surtout donné des travaux traitant des rapports économiques et sociaux, avec quelques incursions dans le domaine des superstructures institutionnelles ou culturelles. »

5 Ainsi l'exposé, particulièrement hostile, de J. FREUND, L'Essence du politique, Paris, 1965, pp. 645 sq. L'aliénation politique y est présentée comme une aliénation suprême, absolue et désespérée dans la pensée de Marx.

6 Par exemple, Charles SEIGNOBOS déclarant en 1924 dans la préface de son Histoire politique de l'Europe contemporaine qu'il fallait « reconnaître à quel point les phénomènes superficiels de la vie politique dominent les phénomènes profonds de la vie économique intellectuelle et sociale » (cité par Ph. WOLFF, loc. cit., p. 850).

7 « The problems of political history are as a rule immediately obvious », in The Task of Cultural History, texte écrit en 1926, publié en 1929 en néerlandais et en traduction anglaise dans Men and Ideas, Meridian Books, New York, 1959, p. 27, et encore : « The historical forms of political life are atready to be found in life itself, Political history brings its own forms : a state institution, a peace treaty, a war, a dynasty, the state itself. In this fact, which is inseparable from the paramount importance of those forms themselves, lies the fundamental character of political history. Il continues to enjoy a certain primacy because it is so much the morphology of society per excellence » (ibid., pp. 58-59).

8 Par exemple, in « The political and military signifiance of Chivalric Ideas in the late Middle Ages », d'abord publié en français dans la Revue d'histoire diplomatique, XXXV, 1921, pp. 126-138, et traduit en anglais dans Men and Ideas, op. cit., HUIZINGA écrit (pp. 196-197) : « The medievalists of our day are hardly favorable to chivalry. Combing the records, in which chivalry is, indeed, little mentioned, they have succeeded in presenting a picture of the Middle Ages in which economic and social points of view are so dominant that one tends at times to forget that, next to religion, chilvary was the strongest of the ideas that filled the minds and the hearts of those men of another age»

9 A. TOURAINE, Sociologie de l'action, Paris, 1965, chap. VI, « Le système politique », p. 298. Cette double fragilité est d'une part celle du risque de l'étude des relations politiques d'être absorbé par l'analyse structuraliste d'un côté, l'histoire de l'autre, et, d'autre part, celle de la théorie politique soumise soit à la politique, soit à la philosophie politique, fragment d'une philosophie de l'histoire.

10 E. MORIN, Introduction à une politique de l'homme, Paris, 1965 ; rééd. 1969, pp. 9-10, « La politique en miettes ».

11 En anglais, l'apparition de deux termes : policy et polity (le français au XIVe siècle avait tenté policie, copié aussi sur le grec, mais qui ne réussit pas), à quoi s'ajoutera politics sophistique le champ de la science politique et, partant, de l'histoire politique. Si les philosophes français du XVIIIe siècle cherchent – ou se laissent imposer – un compromis entre l'histoire philosophique et l'histoire politique, on peut se demander si en Angleterre ce n'est pas une hésitation plus radicale encore qui a fait osciller entre l'« historique » et le « politique » – tout à la fois liés et opposés l'un à l'autre. C'est peut-être ce que révèle un titre comme celui de l'ouvrage anonyme paru à Londres en 1706 : An Historical and Political Essay, Discussing the Affinity or Ressemblance of the Ancient and Modern Government (cf. J.A. W. GUNN, « The “Civil Polity” of Peter Paxton », in Past and Present, 40, juillet 1968, p. 56).

12 Le plus beau texte est celui de la préface des Études historiques (1831).

13 Programme exposé dans le Cours d'histoire moderne : Histoire de la civilisation en Europe depuis la chute de l'Empire romain jusqu'à la Révolution française, 1828, 1re leçon. On trouvera de larges extraits des textes de CHATEAUBRIAND et de GUIZOT dans J. EHRARD et G. PALMADE, L'Histoire, Paris, 1969, pp. 189-193 et 203-207.

14 R. ARON, « Thucydide et le récit historique », in Theory and History, I, 1960, no 2, repris dans Dimensions de la conscience historique, Paris, 1961, pp. 147-197.

15 Comme dans le reste de cet essai, les travaux d'histoire médiévale cités infra ne constituent en rien une bibliographie ou un palmarès. Ce ne sont que des références et des échantillons.

16 « Thucydide et le récit historique », loc. cit., in Dimensions..., p. 189.

17 Parmi les études traditionnelles, citons : F. M. POWICKE, « Reflections on the Medieval State », in Transactions of the Royal Historical Society, 4e série, vol. XIX, 1936 – d'ailleurs très pertinent – et, parmi les programmes de renouvellement, les études de B. GUENÉE : « L'histoire de l'État en France à la fin du Moyen Âge vue par les historiens français depuis cent ans », in Revue historique, CCXXXII, 1964, pp. 331-360 ; « État et nation en France au Moyen Âge », ibid., CCXXXVII, 1967, pp. 17-30 ; « Espace et État dans la France du bas Moyen Âge », in Annales E.S.C., 1968, pp. 744-758. On notera que le mot pouvoir assorti, il est vrai, d'une épithète, figure dans le titre de l'article pionnier d'E. LAVISSE ; « Étude sur le pouvoir royal au temps de Charles V », in Revue historique, XXVI, 1884, pp. 233-280, qui tente de dépasser la description des institutions pour atteindre les réalités mentales. M. BLOCH avait noté le lien entre histoire de l'État et histoire de la ou des nations. « Il semble que l'histoire de l'idée de l'État se sépare difficilement de l'histoire de l'idée de nation ou de patriotisme » (Revue historique, CXXVIII, 1918, p. 347).

18 Sur la concentration de l'intérêt marxiste sur l'État les titres déjà sont significatifs : par exemple Fr. ENGELS, La Propriété privée et l'État, V. I. LÉNINE, L'État et la Révolution. Sur les deux sens de nation chez Marx et Engels (nation « au sens moderne du mot, qui désigne une catégorie du capitalisme ascendant », et nation au sens beaucoup plus général, latin, d'ethnie, cf. A. PELLETIER et J. J. GOBLOT, Matérialisme historique et histoire des civilisations, Paris, 1969, p. 94  sqq.

19 In Mélanges d'histoire sociate, 1944, p. 120, cité par B. GUENÉE, loc cit., Revue historique, CCXXXII, 1964, p. 345, n. 2.

20 Schriften der Monumenta Germaniae Historica, XIII, 3 vol., 1954, 1956.

21 Ces perspectives ont été résumées par P. E. SCHRAMM lui-même dans le condensé de sa communication au Congrès de Rome de 1955 : Die Staatssymbolik des Mittelatters, in X Congresso Internazionale di Science storiche, Rome, 1955, vol. VII. Riassunti delle communicazioni, pp. 200-201.

22 M. HELLMANN éd., Weimar, 1961. Parmi les nombreuses études consacrées au symbolisme de la couronne au Moyen Age, rappelons les pages (336-383) dédiées par E. H. KANTOROWICZ à « The Crown as Fiction » dans The King's Two Bodies, cité infra p. 342 n. 4.

23 « Ce n'est point par hasard que la relique insigne que Saint Louis fit venir à Paris et établit dans la chapelle de son palais est une couronne d'épines doublement symbolique de la royauté et du sacrifice » (Le Monde du 29 avril 1970, p. 13).

24 Loc. cit., n. 3, p. 339.

25 In L'Idée d'Empire en Occident du Ve au XIVe siècle, Paris, 1953, p. 6.

26 Sur la royauté du haut Moyen Âge, cf. notamment M. WALLACE-HADRILL, The Long Haired Kings, Londres, 1963, et F. GRAUS, Volk, Herrscher und Heiliger in Reich der Merowinger, Prague, 1965 et, pour la période carolingienne, l'étude de W. ULLMANN, The Carolingian Renaissance and the Idea of Kingship, Londres, 1969, qui met bien en lumière, notamment p. 17, qu'à cette époque « in conformity to and in accordance with the basic premisses of the ecclesiological thems and the wholeness point of view, there was no conceptual separation between the religious, political, moral, etc., norms. Moreover, there was no conceptual distinction between a Carolingian State and a Carolingian Church... ». – Georges Duby a souligné avec force l'importance du modèle royal au sein de la féodalité lors du colloque international Problèmes de stratification sociate (1966), publiés par R. Mousnier, Publ. de la Fac. des Lettres et Sciences humaines de Paris-Sorbonne, série « Recherches », t. XLIII, Paris, 1968. Cf. K. GORSKI, « Le Roi-Saint : problème d'idéologie féodale », in Annales E.S.C., 1969, pp. 370-376.

27 Atti dell' VIII Congresso Intemazionae di Storia delle religioni, publiés à Florence en 1956.

28 Studies in the History of Religious, Supplements to NVMEN IV, The Sacrat Kingship – La Regalità Sacra, Leyde, 1959. Sur cinquante-six contributions, quatre seulement sont consacrées au Moyen Âge occidental (M. MACCARRONE, Il sovrano « Vicarius Dei » nell'alto medio evo, pp. 581-594 ; M. MURRAY, The Divine King, pp. 595-608 ; L. ROUGIER, Le Caractère sacré de la royauté en France, pp. 609-619, et J. A. BIZET, La Notion de royaume intérieur chez les mystiques germaniques du XIVe siècle, pp. 620-626).

29 F. H. KANTOROWICZ, Kaiser Friedrich der Zweite, Berlin, 1927, et Ergänzungsband, Berlin, 1931.

30 ID., Laudes Regiae : A Study in Liturgical Acclamations and Medieval Ruler Worschip, Berkeley et Los Angeles, 1946.

31 ID., The King's Two Bodies. A study in Mediaeval Political Theology, Princeton, 1957. Cf. notamment les c.v. de R. W. SOUTHERN in Journal of Ecclesiastical History, X, 1957, et de B. SMALLEY in Past and Present, no 20, nov. 1961. Depuis la rédaction de cet article, Marcel Gauchet a excellemment montré l'importance de Kantorowicz : « Des deux corps du roi au pouvoir sans corps. Christianisme et politique », Le Débat, nos 14 et 15, juillet-août et septembre-octobre 1981.

32 The Golden Bough, Part. I, « The magic art and the evolution of Kings », Londres, 1890. Lectures on the early history of Kingship, Londres, 1905, trad. franç. sous le titre : Les Origines magiques de la royauté, Paris, 1920.

33 C'est un médiéviste, Joseph R. STRAYER, qui a écrit l'essai The Historian's Concept of public opinion in M. KOMAROVSKY, éd., Common Frontiers of the Sociat Sciences, Glencoe, 1957. Marvin B. BECKER (« Dante and his literary contemporaries as political men », Speculum, 1966, p. 674, n. 28) attire l'attention sur « the neglected theme of the language and imagery of mediaeval politics » et cite l'article d'E. H. KANTOROWICZ, « Christus-Fiscus », in Synopsis : Festgabe für Alfred Weber, Heidelberg, 1949, pp. 225-235.

34 Anthropologie politique, c'est le titre d'un riche essai de Georges BALANDIER, paru en 1967. Il systématise une réflexion particulièrement évidente chez un E.R. Leach, de plus en plus sensible au « contradictoire, au conflictuel, à l'approximatif », au relationnel « externe » dans les sociétés. Il prolonge la démarche de E. E. EVANS-PRITCHARD, Anthropology and History, 1961.

35 Ici encore, il y a incompatibilité entre le point de vue de J. FREUND. L'Essence du politique, op. cit., p. 538, selon qui « la lutte des classes n'est qu'un aspect de la lutte politique » et le point de vue marxiste selon lequel toutes les formes de lutte politique relèvent de la lune des classes. À condition de ne pas entraîner de dogmatisme et de rigidité dans l'analyse, le point de vue marxiste nous paraît plus vrai, plus fécond, plus opératoire. L'ouvrage très suggestif de G. GRACCO, Società e tato nel medievo veneziano (cecoli XII-XIVe), Florence, 1967, montre le jeu normal de la lutte des classes dans l'histoire politique de Venise traditionnellement réputée comme un monde à part. On peut toutefois se demander si l'auteur n'est pas resté trop prisonnier d'une problématique « étatique », et l'on pourra par ailleurs lire les réserves formulées, parmi une appréciation positive, par F. C. LANE in Speculum, 1968, pp. 497-501.

36 Cf. notamment K. BOSL, « Potens und Pauper. Begriffsgeschichtliche Studien zur gesellschaftlichen Differenzierung im frühen Mittelalter und zum “Pauperismus” des Hochmittelalter in Alteuropa und die moderne Gesslschaft », Festchrift fur Otto Brunner, Göttingen, 1963, pp. 60-87, repris dans Frühformen der Gesellschaft im mittelatterxlichenEuropa, Munich-Vienne, 1964, pp. 106-134, et J. LE GOFF, Le vocabulaire des catégories sociales chez saint François d'Assise et ses premiers biographes, in Colloque international organisé par l'École normale supérieure de Saint-Cloud (1967) sur le vocabulaire des classes sociales. Ce colloque a paru sous le titre Ordres et classes (Saint-Cloud, 1967), Paris-La Haye, Mouton, 1973. Mon article se trouve aux pages 93-124.

37 G. DUBY a principalement exposé sa conception de la seigneurie banale dans sa thèse La Société aux XIe et XIIe siècles dans la région mâconnaise, Paris, 1953, et dans L'Économie rurale et la vie des campagnes dans l'Occident médiéval, Paris, 1962, t. II, livre III : XI-XIIIe siècle. La Seigneurie et l'Économie rurale. Dans une série d'inspiration très juridique, les Recueils de la Société Jean Bodin, un volume : Gouvernants et Gouvernés, t. XXV, 1965, témoigne d'une orientation vers les thèmes du pouvoir qui remonte peut-être d'ailleurs à Marc BLOCH (La Société féodale, 1939, t. II, livre II, Le gouvernement des hommes) et qu'on retrouve par exemple dans l'étude de J. Dhondt, « “Ordres” ou “puissances”. L'exemple des États de Flandre », in Annales E.S.C., 1950, pp. 289-305.

38 Cf. H. GRUNDMANN, « “Litteratus-illitteratus”. Der Wandlung einer Bildungsnorm vom Altertum zum Mittelalter », in Archiv für Kulturgeschichte, 40, 1958. ID., « Sacerdotium-Regnum-Studium zur Wertung der Wissenschaft im 13. Jahrhundert », in Archiv für Kulturgeschichte, 34, 1951.

39 Nous avons essayé d'esquisser la courbe qui, de la fin du XIIe au XIVe siècle, conduit les universitaires d'une position socioprofessionnelle corporative à une intégration dans les cadres des détenteurs du pouvoir : J. LE GOFF, Les Intellectuels au Moyen Âge, Paris, 1957.

40 Le thème sera proposé par la délégation française à la Commission internationale d'histoire des universités lors de sa prochaine réunion du XIIIe Congrès international des sciences historiques (Moscou, août 1970). Un travail similaire, croyons-nous savoir, est projeté par le professeur Lawrence Stone pour les universités anglaises à l'époque moderne. Le renouveau d'intérêt pour la méthode prosopographique, méthode d'histoire sociale propre à rénover l'histoire politique, se manifeste dans divers secteurs (cf. Annales E.S.C., 1970, no 5).

41 Des nombreux et passionnants travaux consacrés par G. Dumézil à l'idéologie trifonctionnelle des Indo-Européens citons, parmi les plus récents, Idées romaines, Paris, 1969, où l'auteur pose une interrogation concernant l'Occident médiéval. A cet égard, deux amorces de recherches : J. BATANY, « Des “Trois Fonctions” aux “Trois États” ? », in Annales E.S.C., 1963, pp. 933-938, et J. LE GOFF, Note sur société tripartie, idéologie monarchique et renouveau économique dans la Chrétienté du IXe au XIIe siècle, in L'Europe au IXe-XIe siècle, éd. T. Manteuffel et A. Gieysztor, Varsovie, 1968, pp. 63-71.

42 Cette problématique limitée a notamment inspiré l'intéressant ouvrage de J. EVANS, Art in medieval France. A study in patronage, 1948.

43 E. PANOFSKY, Gothic architecture and scholasticism, New York, 1957. Dans une perspective traditionnelle, cf. R. BRANNER, Saint Louis and the court Style in Gothic Architecture, Londres, 1965.

44 Sur la signification du Printemps de Botticelli : P. FRANCASTEL, La Réalité figurative, Paris, 1965, La Fête mythologique au Quattrocento, p. 241, et Un mythe politique et sociat du Quattrocento, p. 272. Cf. GOMBRICH, « Botticelli's mythologies. A study of the neo-platonic symbolism of its circle », in Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, 1945. P. FRANCASTEL a repris ces analyses dans La Figure et le lieu. L'ordre visuel du Quattrocento, Paris, 1967.

45 Par R. MANSELLI notamment dans L'eresia del maie, Naples, 1961, et « Les hérétiques dans la société italienne du XIIIe siècle », in Hérésies et Sociétés dans l'Europe préindustrielle, XIe-XVIIIe siècle. Colloque de Royaumont présenté par J. LE GOFF, Paris-La Haye, 1968, pp. 199-202, où est souligné le « lien très étroit entre l'hérésie cathare et le grand parti politique des gibelins ». L'enquête serait à pousser en direction d'une comparaison sociologique entre secte religieuse et parti politique.

46 Contentons-nous de renvoyer au Colloque international d'Amsterdam, 1967, Urban Core and Inner City, à Nelson W. POLSBY, Community Power and Political Theory, New Haven, 1963, et aux travaux – de tendance « anti-historiciste » de Manuel CASTELLS dont « Le centre urbain. Projet de recherche sociologique », in Cahiers internationaux de sociologie, 1969, pp. 83-106, et « Vers une théorie sociologique de la planification urbaine », in Sociologie du Travail, 1969, pp. 413-443, tous dans une perspective contemporaine.

47 W. BRAUNFELS, Mittelatterliche Stadtbaukunst der Toskana, Berlin, 1953.

48 Notamment dans la préface de La Méditerranée et le monde méditerranéen à l'époque de Philippe Il, Paris, 1949, 2e éd. revue et augmentée, 1966, reprise dans Écrits sur l'histoire, 1969, pp. 11-13.

49 L. FEBVRE, Combats pour l'histoire, Paris, 1953, p. 118 (le texte est de 1947).

50 Ibid, p. 20 (texte de 1941).