Les milliers de corps enchevêtrés qui croupissaient dans la Tour de Fer avaient lâché un énorme soupir de soulagement.
Le grincement des portes de métal, épaisses de quelques centaines de mètres et hautes de plusieurs kilomètres, qui s’ouvraient pour la première fois depuis trois mille ans, n’avait pas réussi à couvrir la tornade d’air libérée par les poumons des milliers de pensionnaires du Tartare.
Et maintenant, à pied ou sur diverses montures, l’armée de toutes les armées, soldats irréductibles dont l’ardeur au combat n’avait pas retenu la leçon de la mort, traversait le Phlégéton en direction de la porte de Corne, survolée par les draghommes d’Asclépios.
Lorsque les premiers cavaliers franchirent la brèche qui miroitait dans la tiédeur intermédiaire tel un rideau de perles, un cri de joie se propagea le long de la colonne de chair et de métal jusqu’au tréfonds de l’Enfer, jusqu’au cœur du Tartare où les derniers soldats s’extirpaient de terre et se rinçaient dans les eaux du Cocyte avant de partir pour leur ultime combat.
Mais quitter le pays de la mort n’est pas une sinécure… Aussitôt franchie la porte de Corne, les âmes retrouvent les corps qu’elles ont quittés en mourant. Certains y perdent un bras ou une jambe, d’autres un bout de tête ou de poitrine. Les moins chanceux, brûlés ou atomisés lors de leur passage de vie à trépas, se réduisent à un petit tas de cendre sur la selle de leur monture. À ceux-là, il sera difficile de combattre mais les autres, tous les autres, qu’ils soient manchots, culs-de-jatte ou décapités, combattront jusqu’à l’annihilation totale, car la guerre est leur devise et ils ne craignent plus la mort…