Ils ont tous un même dessein, et ils donneront à la bête leur force et leur puissance.
Saint Jean, Apocalypse, XVII, 13.
Je savais depuis le début qu’on en arriverait là. Les pourceaux en blouse blanche n’attendaient que ça. Le dérapage fatal qui leur permettrait de m’aligoter en camisole. Eh oui… Randy est mort, le pauvre… Et ils m’ont tout de suite expédié à Garampaga… À l’Abattoir comme disent les connaisseurs, ceux qui ont déjà tâté de la matraque, sur le crâne ou dans le trou de balle… Seul le docteur Lambert en est resté marri… Il aurait bien aimé creuser encore un peu du côté de ma tronche mais les carottages sont suspendus. Ici, ils ont le droit d’y aller aux explosifs et ils ne s’en privent pas. La méthode Coué, c’est terminé. À l’Abattoir, les cobayes peuvent crever. Ils sont là pour ça, d’ailleurs. Les protocoles d’expérimentation n’excluent pas la mort du sujet, à partir du moment où celle-ci permet à la recherche d’avancer. Laissez-moi rire ! La recherche… Elle avance sur quoi ? Sur ses petites pattes ? Ses petites jambes ? Ses petites béquilles ? À Garampaga, on a droit à des cellules individuelles capitonnées. Tout est propre, tout est blanc. Y a plus de moisissure sur les murs, de merde dans les coins, de doux dingues qui bavent et gueulent à la lune. Non, y a plus rien de tout ça… Y a plus de vie, d’ailleurs… Il n’y a plus qu’une succession de blanc, de temps sans dimension et de sondes qui explorent tous les orifices praticables… qui percent toutes les membranes… ectodermiques, dermiques, conjonctives, osseuses…
Là, ils viennent de m’enfoncer une microsonde dans le crâne et je la vois cheminer sur l’écran de contrôle. Elle s’insinue au niveau de la soudure fronto-pariétale, perce la dure-mère en un gémissement œdipien, puis s’immobilise à la perpendiculaire de la scissure de Rolando. Je ne suis pas un spécialiste, mais je ne suis pas sourd, et les pourceaux en blouse blanche taillent le bout de gras à la limite de l’hystérie. Le type qui m’a précédé sur ce fauteuil y a laissé quelques plumes et quelques neurones par la même occasion, alors ils s’interrogent… Scissure de Rolando… Okay… Cela ne fait aucun doute… Mais ensuite… Dans l’axe de la substance gélatineuse de Rolando… Ou bien plus près du noyau propre de la corne dorsale… Ils finissent par trancher et déclenchent l’expulsion télescopique de la nanosonde… Zoom sur l’écran au niveau cellulaire… La nanosonde avance tel un petit serpent… Et soudain un murmure enfle dans la salle… Les pourceaux en blouse blanche ont reconnu le groupe de neurones convoités… leur structure dendritique est unique… On ne peut pas les confondre avec d’autres… Et le sujet (c’est moi) n’a pas l’air de souffrir de problèmes particuliers… La nanosonde plante sa flèche dans l’agrégat atypique et…
C’est comme si toute ma vie venait de prendre sens. Je savais depuis longtemps que rien n’était dû au hasard. Que je devais atteindre un jour ou l’autre ce fauteuil de torture. Puis suivre cette trajectoire chaotique jusqu’au bout pour que la baguette magique de ces pourceaux de toubibs perfore mon crâne et vienne m’embraser la cervelle…
J’ai maintenant un nom et je sais qu’autour de moi le monde va enfin pouvoir s’animer…