Elle n’en veut pas, de ça. Dans le tiroir, elle l’a mis, comme dans un second tombeau. Pas le voir, surtout pas : ça pourrait lui porter malheur. Tu parles d’un souvenir : sa cousine avait le même âge qu’elle, et après ? Est-ce qu’on lui a demandé si elle en voulait, elle, du stylo que sa cousine a tenu juste avant de se suicider ? Ce n’est pas un talisman, plutôt une malédiction. Et si rien que de le toucher, ça ramenait Mégane, horrible apparition nocturne, debout près de sa table de chevet ? ! Les fantômes n’existent pas ? Bah voyons… Tant qu’on n’en a pas rencontré. Faut pas jouer avec ça. Les morts doivent rester dans l’au-delà. C’est connu que le désir de ce qu’ils ont possédé peut les ramener. Elle pense à cette nouvelle de Maupassant, étudiée en cours de français, La Main d’écorché. Elle n’a pas du tout envie d’entendre sa défunte cousine lui souffler des vers moribonds, ou la conduire, qui sait ?, à la folie, ou encore la pousser dans les retranchements où elle s’est égarée. Quand même, pourquoi le lui a-t-on donné, son stylo ? D’abord, Mégane et elle ne s’entendaient même pas bien. Ensuite, elles ne se voyaient presque jamais. Mégane à Dijon, elle à Bordeaux. Des sa-pins de Noël, des mariages, des premières communions, voilà bien leur seul lien – et puis, ce fichu stylo, et le poids d’une mémoire qu’elle n’a juste pas envie de porter. Il va falloir s’en débarrasser. Ebay, pourquoi pas. En tout cas, une chose est sûre, faut pas compter sur elle pour le garder.