JOURNAL D'EMMA

 

NIÈCE DE MONSIEUR TESTE

ÉLÉMENTS PHYSIQUES

... Mes yeux, mes cheveux sont châtains. J'ai un faible pour mon épaule droite, je la baise parfois, je lui parle. Elle est moi et pas moi. Je me regarde au bain, je me dis : mon corps est-il à moi ? Si un amant possède votre corps, n'est-il pas alors à lui plus qu'à vous ? Il le voit de partout, il le palpe et le presse où il veut.

... Mon corps, ma terre ! Comment peut-on penser à toi, chose la plus intime et la plus étrangère ? Mes seins m'étonnent. Il me semble qu'ils sont beaux. Mais que font sur moi ces belles formes de chair ? Après tout, ce que j'appelle mon corps, c'est le fruit d'une quantité de découvertes ! A-t-on jamais fini de s'explorer ? Parfois, un geste improvisé, un mouvement qu'on fait pour ne pas tomber, vous donnent la sensation du tout nouveau en vous. Et l'amour ! ou du moins ce que les gens appellent ainsi. Un jour, quelqu'un m'a saisie et m'a voulu toucher un peu partout. C'est drôle, ce jour-là mon corps était bien moi. Et j'ai crié. Un autre jour, quelqu'un m'a saisie et m'a voulu toucher un peu partout. Ce jour-là, mon corps n'était pas de moi... et je n'ai rien dit. Je m'interroge quelquefois : est-ce que je boirais au même verre que cette personne ? Des fois oui, des fois non. Cette question si simple m'est très utile. Quelque chose en moi répond, et mon opinion est faite sur l'homme ou la femme dont il s'agit.

Pourquoi ne ferait-on pas le journal de son corps ? Oserai-je écrire « mon corps » ? Tout ce que j'en sais ? Non pas mon corps, celui des médecins, mais celui que je me connais. Je ne sais rien au delà de lui. Il est ma science, et je crois bien la limite de toute science, lui, ses affaires, ses gênes, ses besoins et leurs ennuis, ses régularités et leurs écarts, ses digestions, ses règles, et les sales détails humides de l'Amor. Pourquoi sales ? Et quoi donc est sale ? Sale !... Manger, respirer ! Ce qui entre est plus sale que ce qui sort ! Car ce qui sort de l'homme est pur, élaboré, produit savant d'une industrie très compliquée. O corps inglorieux, quelque saint aurait dû aimer ta fiente ! Intérieure encore, elle est sacrée comme du Moi, et quand je dis : moi, elle y est comprise. Puis, elle se fait distincte encore en moi, et impérieuse. Une étrangère à expulser. Elle est cependant MA création, mon œuvre la plus importante.

Mais qu'est-ce qui n'est pas le résultat d'une expulsion ? La mère vomit son enfant, la pensée expulse des phrases plus ou moins mûres. D'où vient alors ce dégoût ? Peut-être il dépend de l'avenir que nous prêtons aux choses qui sortent de nous ? L'ordure va aux ordures, l'enfant à la vie, les phrases au néant.

Mais quoi de plus étrange aussi qu'il y ait un Dedans et un Dehors ?