Le garçon, nu, était suspendu à des murs de bois, maintenu par les chevilles et un poignet. Il s’était battu des jours durant pour libérer sa main gauche, se brûlant la peau sur des fers incandescents en s’efforçant de dégager ses doigts. La lutte l’avait laissé épuisé et – pour être tout à fait honnête – pas en meilleure posture qu’auparavant.
— Aidez-moi, implora-t-il. Je ferai tout ce que vous demanderez.
Ses dieux restèrent silencieux.
— Je le jure. Ma vie est à vous.
Mais elle leur appartenait de toute manière ; même ici dans cet espace clos où l’air toujours plus fétide lui brûlait les poumons à chaque inspiration. Les dieux l’avaient abandonné à une mort certaine.
Se souvenir de leurs noms aurait pu arranger les choses.
Certains jours, il doutait de leur existence. Et, s’ils existaient bel et bien, il ne pensait pas qu’ils se soucient de lui. Face à son sort, le garçon avait d’abord éprouvé de la fureur, qui s’était ensuite muée en amertume mêlée de désespoir ; puis de faux espoirs avaient ravivé sa froide colère. Peut-être manquait-il une émotion dans cette énumération mais il avait ressenti tour à tour chacune de celles qu’il connaissait.
Il tira brutalement sur l’entrave de son poignet et entailla sa chair.
La magie dont se servaient ses ravisseurs, quelle qu’elle soit, était plus forte que sa volonté de se libérer. Ils l’avaient attaché avec des chaînes neuves, fermement boulonnées au mur. Chaque fois qu’il en saisissait une pour tirer violemment dessus, ses doigts grésillaient, comme si un tortionnaire lui enfonçait des fers chauffés à blanc dans la peau.
— Doux dieux ! murmura-t-il.
Comme si flatter les immortels pouvait annuler ses précédentes insultes !
Il avait hurlé après ses dieux, les avait maudits, avait appelé les démons à l’aide. Il avait imploré le secours de n’importe quel humain à portée de voix de ses cris de détresse. Une partie de lui voulait se remettre à hurler. Simplement pour le soulagement que cela lui apporterait. Mais il avait crié jusqu’à s’écorcher la gorge, il y avait des jours de cela. En outre, qui s’approcherait de sa grotesque petite cellule sans porte ? Et si quelqu’un venait, comment entrerait-il ?
Meurtre. Viol. Trahison…
Quel autre crime pouvait vous valoir d’être emmuré vivant ?
Son délit était un mystère pour lui. Quel était l’intérêt de punir une personne qui ne pouvait se rappeler ce qu’elle avait commis ? Le garçon ne se souvenait pas de son nom. Ni de la raison pour laquelle il était enfermé dans un espace à peine plus grand qu’un cercueil. Ni même de qui l’avait emprisonné là.
De la terre jonchait le sol, éclaboussée par ses propres excréments.
Il n’avait pas eu besoin de pisser depuis des jours et ses lèvres étaient craquelées comme de la boue sèche, à vif à force d’être léchées. Il aspirait au sommeil presque aussi désespérément qu’il désirait être libre mais, chaque fois qu’il s’écroulait, ses fers le brûlaient et la douleur le réveillait brusquement. Il avait fait quelque chose de mal. Quelque chose de très mal. Si mal que même la mort refusait de l’étreindre.
Si seulement il pouvait se souvenir de quoi il s’agissait.
Tu portes un nom. Lequel ?
Son nom continuait à lui échapper, tout comme l’espoir et la liberté. Dans les heures qui suivirent, le garçon flotta aux limites de l’inconscience. Parfois il avait l’esprit aiguisé mais, le plus souvent, l’intérieur de son crâne, où ses souvenirs auraient dû se trouver, ressemblait à un désert aride.
Il ne discernait dans sa prison que des ombres qui se détournaient de lui ; et des voix qu’il ne pouvait entendre avec clarté.
Fais attention, se dit-il. Écoute.
Il le fit. Il entendit des voix de l’autre côté des murs en bois. Une foule, d’après le bruit, qui se disputait. Et même si ce qu’il perçut était à peine plus fort qu’un murmure, il sut qu’il ne connaissait pas la langue employée. Une voix lança un ordre d’un ton sec, une autre protesta. Puis quelque chose s’écrasa contre le mur juste en face de lui.
On aurait dit une hache ou un marteau.
Le deuxième coup fut encore plus fort. Puis vint un troisième et son monde de bois vola en éclats lorsque de l’air pur se précipita à l’intérieur et que l’air fétide s’échappa. La lumière qui passait à travers la brèche était aveuglante. Comme si les dieux étaient finalement venus le chercher.