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Le front contre la vitre, Astrid suit des yeux le vol des corbeaux dans la grisaille.

— Encore une journée…, soupire-t-elle.

Une journée comme toutes les autres, face à ce paysage immuable, cette forêt, ces brumes que rien ne dissipe jamais, ce jardinet détrempé. Une journée de tâches dérisoires : repas, ménage, lessive, repassage, ne profitant à personne mais s’égrenant au fil des heures comme un parcours de somnambule.

Que quelque chose interrompe ce parcours, et le somnambule se réveille, affronte le vertige et bascule dans le vide.

Lentement, Astrid ouvre le frigo, en sort une botte de poireaux, des branches de céleri, quelques carottes. Étend, sur la table de la cuisine, une feuille de papier journal – ce quotidien qu’elle ne lit pas, mais trouve chaque matin dans sa boîte aux lettres, adressé à son défunt mari –, et entreprend l’épluchage minutieux des légumes.

Dix heures sonnent à l’horloge du salon.

Nouveau soupir. Un soupir de grosse que le poids de sa chair incommode. À soixante-deux ans, Astrid se sent vieille. Les Africaines sont précoces, en général. Être femme à douze ans use prématurément. Les années volées à l’enfance ne se rattrapant pas, au bout du compte, la terrible soustraction demeure.

Longtemps, la présence de Jean a entretenu l’illusion d’une jeunesse factice. Lui, était vraiment vieux. Et dans son regard, la fillette de jadis n’avait pas pris une ride.

Des empressements d’homme, quel label de jouvence !

Aujourd’hui, seule entre ses quatre murs, Astrid n’est plus que lassitude. Surtout avec cette peur qui rôde, à l’extérieur. Cette peur jeune.