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Le frôlement m’a alerté avant même que j’en prenne conscience. Un bruit infime, quasiment imperceptible et éminemment menaçant. Je dresse les oreilles, je les oriente dans la bonne direction.

Quelqu’un rôde dans le jardin. Je sens sa présence jusqu’au fond de mes tripes. Avec un grondement, je me redresse et contourne la maison.

Estompée par le brouillard, une ombre est penchée vers la fenêtre de la cuisine, où elle toque d’un doigt recourbé.

De la pièce s’échappe un cri d’effroi. Crocs en avant, l’écume à la babine, possédé par une rage que je ne contrôle pas – une vraie rage de chien de garde ! –, je me jette sur l’ombre.

Avec un feulement étouffé, l’ombre tourne les talons et s’enfuit. Elle porte une houppelande dans laquelle le vent s’engouffre, et que sa course déploie largement autour d’elle. Je la poursuis en aboyant jusqu’à la haie de thuyas qu’elle franchit d’un bond. Bientôt, les bois l’avalent.

Derrière le carreau tavelé de bruine, Astrid a suivi mon manège. Ses lèvres tremblent. Dans ses yeux où pupille et iris se confondent, la peur tournoie.

La peur, et autre chose aussi. Une sorte de… gratitude.

Ma mission accomplie, je retourne à mon poste, la conscience en paix.

Une démarche pesante. La porte s’ouvre à nouveau. Une écuelle est posée à même le seuil : de la soupe, du pain trempé, des restes de pot-au-feu.

— Tu as faim ?

Si j’ai faim ? Mes entrailles beuglent ! En trois lampées, j’avale tout, y compris les os que je ne prends même pas la peine de mâcher. La saveur familière me submerge de bien-être.

Astrid m’observe sans mot dire, les bras croisés sur ses mamelles. Puis, une fois l’assiette récurée :

— Allons, entre ! soupire-t-elle.

Le cœur en débandade, j’obéis. À la suite de ma bien-aimée, je réintègre ma tanière, escortant pas à pas les chaussons élimés, les chevilles noires, l’ourlet du batik. Les lueurs rases du couchant étirent nos deux silhouettes sur le pavement ciré du corridor. L’horloge du salon sonne la demie de cinq heures.