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Je t’aime… Elle a dit je t’aime, comme la négrillonne de mon rêve. Elle a la même odeur que jadis, la même, exactement. En plus forte, en plus âpre. En plus enivrante. Une odeur de chienne.

— Hoooouuuuuu ! Hooooouuuuuu ! geint Meisje dans l’accroc de nuit du rideau.

Je lèche les mains d’Astrid, ces mains qui ont caressé Willem, ces mains qui ont versé l’okoubou dans la soupe. Ces mains qui m’ont tant cajolé aux portes de la mort. Mais je les lèche en chien, pas en homme.

Jean a été tué une seconde fois. Jean n’existe plus. Fidèle a pris toute la place. Et Fidèle a le ventre en feu.

Je me dégage. Face à Meisje, Astrid ne fait pas le poids. Malgré son odeur de chienne, ce n’est qu’une femme. Mes sens, à présent, exigent d’autres agapes.

— NOOOON ! hurle Astrid.

Trop tard : bandant mes forces, j’ai sauté vers la fenêtre, et je suis passé à travers la vitre.

Dans un jaillissement d’éclats de verre, je rejoins Meisje sur la pelouse. Dans ma fièvre, je ne sens même pas que mon corps est en lambeaux, zébré de dizaines de coupures qui constellent mon pelage de sang.

En m’apercevant, la chienne jappe. Et commence notre danse nuptiale.

Nous tournons l’un autour de l’autre, fébrilement, chacun flairant la queue puis la truffe de son partenaire, suivant toutes les phases d’un rite vieux comme le monde. Des secousses de désir font ondoyer nos muscles sous nos pelages – le sien lustré, le mien pourpre. Nos crocs, aiguisés par le rut, jettent des éclairs dans les ténèbres.

Soudain, venant du Chemin Sous-Bois, paraît une ombre. La silhouette confuse d’un colosse encapuchonné. De loin, il observe nos ébats.

Ja… Ja, Meisje… Goed ! ânonne-t-il.

Cette fois, ce n’est pas un loup qui va couvrir Meisje. C’est un chien errant, un chien de cimetière. Un chien sanglant. Hugo a dit « oui ».

Dans le gazon obscur, la chienne batifole, son panache animé d’un battement de métronome. Elle trottine, se retourne pour s’assurer que je la suis, repart, fait volte-face. S’amuse de mes élans qu’elle brise aussitôt. Dans le règne animal, quoi qu’on en pense, le maître du jeu est souvent la femelle. En ce qui concerne les modalités de l’accouplement, du moins.

Je la suis. Elle court. Son museau retroussé sur ses dents semble rire. Elle se moque de moi, me provoque pour mieux s’esquiver à mon approche. Me sollicite et me fuit tour à tour.

Écumant, je m’acharne. Le mâle est obstiné quand ses sens le tourmentent. De dérobades narquoises en harcèlements patauds, nous atteignons le fond du jardin.