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— Non… Non… Laisse-moi, Hugo ! Laisse-moi ! Au secooouuurs !

Je dresse les oreilles, tétanisé malgré moi par les accents de terreur de la voix familière. Mais un jappement impérieux me rappelle à l’ordre.

Meisje s’est enfin immobilisée et m’offre son dos frémissant.

De la terre meuble montent des odeurs de poireaux, de choux, d’oignons : tout un bouquet de senteurs maraîchères qu’exacerbe l’humidité nocturne. Sous nos piétinements, les légumes, écrasés, rendent généreusement leurs derniers relents.

Mon bas-ventre est tendu à craquer.

Un baragouin criard s’échappe de la maison. Des pleurs, des supplications, des sanglots, entrecoupés d’éructations approximatives, proches du langage mal maîtrisé des sourds-muets.

— À cause de toi, salope… Papa et toi… Salope… Putain… À cause de toi, maman partie…

— Ce n’est pas vrai, ce n’est pas moi ! geint Astrid, lamentable. Pitié, Hugo, pitié !

— Si ! Toi et papa… Je vous ai vus… Tu vas payer… Je vais te tuer… Tu auras mal… mal…

Un bruit indéfinissable, coup ou objet brisé. Meubles qu’on déplace, qu’on heurte. Puis des pas, des portes qui claquent. Et toujours les braillements hystériques d’Astrid, ses protestations, ses sanglots. Et toujours les éructations informes de Hugo, ses accusations, ses menaces. Dialogue de sourds, de fous.

À présent, je les perçois moins nettement. Ils ont dû gagner le salon.

« Mwana wantje ihii

Ninde ukuvuze ihii

Ninde ukurijije ihii 17… »

Une complainte tremblante, assourdie par la distance, s’élève, à peine perceptible. Si j’étais encore humain, je sourirais. Astrid tente d’apprivoiser l’ennemi, c’est tout elle, ça. Elle cherche à l’attendrir, à lui opposer un mur d’innocence. Elle s’efforce de le rendre à l’enfance dont il n’est jamais sorti. Les petits garçons ne violent pas les vieilles dames.

Mes pattes avant enserrent étroitement les hanches de Meisje. Elle se laisse faire. La gueule grande ouverte, la langue pendante, exhalant une vapeur épaisse, je la monte.

La chansonnette scande mes coups de reins.

17. Voir note 8.